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Stress hydrique au Maroc :repenser le mode de gouvernance une priorité nationale
Charafat AFAILAL

Experte en ressources en eau
Ancienne ministre chargée de l’eau

        De par sa situation géographique, le Maroc est caracté-risé par un climat aride à semi-aride. Les précipitations se distinguent par leur répartition inégale dans l'espace et le temps. En effet, 51% des précipitations se concentrent dans seulement deux bassins (Sebou et Lukkos), couvrant à peine 7% du territoire national.

         Cette réalité place le Maroc en première ligne face aux impacts des changements climatiques, qui perturbent con-sidérablement le cycle traditionnel de l'eau. Cette perturba-tion se traduit par une augmentation des températures et une diminution significative des précipitations.

      La dotation moyenne annuelle en eau par habitant a drastiquement chuté, passant de 2560 mètres cubes par ha-bitant par an en 1960 à seulement 650 mètres cubes par habitant par an en 2019. Ce ratio est prévu de chuter en dessous de 500 mètres cubes par habitant par an d'ici à 2030 en raison de l'aggravation des changements clima-tiques, ce qui placera le Maroc en tant que pays pauvre en eau.

       La sécurité hydrique est devenue une préoccupation majeure pour le Maroc, en raison de son impact direct sur la stabilité et la cohésion sociale du pays. L’État est désor-mais confronté à une pression croissante pour prendre des mesures significatives en ce qui concerne la gouvernance des ressources en eau et la révision des politiques secto-rielles qui considèrent souvent l'eau comme une ressource inépuisable.

     La crise imminente de l'eau exige une réflexion appro-fondie sur la manière dont les ressources en eau sont gé-rées, utilisées et réparties. Il est impératif de mettre en place une gouvernance plus efficace et intégrée des ressources en eau, avec une coordination entre les différents acteurs et une prise en compte des besoins de l'ensemble de la so-ciété.

     Il est indispensable de repenser les politiques secto-rielles qui dépendent fortement des ressources en eau comme intrant. Cela peut signifier la promotion de pra-tiques agricoles plus efficaces et économes en eau, la di-versification des sources d'approvisionnement en eau, la réutilisation des eaux usées traitées et la mise en place de mécanismes de tarification plus équitables.

Politique hydrique au Maroc : grandes réalisations

       La politique de l'eau au Maroc a été marquée, depuis son indépendance, par d'importantes réalisations. Le pays s'est engagé dans une politique de mobilisation des ressources hydriques à travers d'ambitieux projets d'aménagements hydrauliques grâce à d'importants investissements publics mobilisés à cet effet.

     Le Maroc compte actuellement 149 grands barrages d'une capacité de stockage totale de 19 milliards de mètres cubes, ainsi que des centaines de petits et moyens barrages qui jouent un rôle essentiel dans la création de dynamiques économiques locales.

      D’autre part, le Maroc a développé son expertise dans la mobilisation des eaux non conventionnelles, en particu-lier par le biais de la technologie de dessalement de l'eau de mer. Cette technologie a été expérimentée dans les pro-vinces sahariennes avant d'être étendue aux villes côtières. Actuellement, le pays compte 9 stations de dessalement, avec plusieurs autres projets phares pour le futur.

      Ces infrastructures ont permis de sécuriser l'accès à l'eau pendant les périodes de sécheresse sévère et de pro-mouvoir l'agriculture irriguée à grande échelle.

        En outre, le Maroc a jeté les bases d'une gestion inté-grée des ressources en eau en mettant en place des orga-nismes de bassin chargés de la gestion et de la régulation des ressources à l'échelle des bassins hydrographiques. Cette approche repose sur une gestion participative et dé-centralisée des ressources en eau, avec des organes de bas-sin administrés par des conseils d'administration regroupant la représentation de toutes les parties prenantes.

           La politique hydrique nationale reflète l'engagement de l’État à faire de la sécurité de l’eau une question de souve-raineté nationale et à asseoir les bases d’une utilisation du-rable et équitable de ses ressources hydriques.

         D’autre part, Le Maroc a pris des dispositions précoces pour établir une législation de l'eau solide en adoptant la loi 10/95 sur l'eau, qui a ensuite été réformée en 2015 par l'adoption de la loi 36/15. Cette évolution législative a permis de moderniser et de renforcer le cadre réglementaire relatif à la gestion de l'eau dans le pays.

        La nouvelle législation, notamment la loi 36/15, a opté des mesures pour une gestion plus intégrée des ressources en eau, en ouvrant des voies règlementaires relatives à la valorisation et l'utilisation des ressources en eau non conventionnelles, ce qui est indispensable pour faire face aux défis liés à la rareté.

       De ce fait, la loi a introduit des mécanismes tels que les contrats de concessions, qui ont contribué à la promotion de la technologie de dessalement et à une participation accrue du secteur privé dans les investissements dans ce domaine.

       La lutte contre la pollution de l'eau a également été un objectif majeur de cette législation, renforçant ainsi les me-sures de protection de la qualité de l'eau. De plus, elle a encouragé la valorisation économique de l'eau en promouvant son utilisation efficace dans différents secteurs, y compris l'agriculture et l'industrie.

        Enfin, la loi a pris en compte la gestion des aléas climatiques, ce qui est particulièrement important dans un con-texte de changement climatique. Elle a prévu des stratégies et des plans d'adaptation pour faire face aux phénomènes extrêmes, notamment les inondations et la sècheresse à travers des plans de protection contre les inondations et les plans de gestion des sècheresses.

      Dans l'ensemble, la législation de l'eau au Maroc, notamment la loi 36/15, témoigne de l'engagement continu du pays à gérer efficacement et durablement ses ressources en eau tout en relevant les défis liés à la rareté et aux changements climatiques.

Gouvernance institutionnelle : défis et contraintes

          La gouvernance institutionnelle du secteur de l'eau au Maroc présente un défi complexe en raison de la multitude d'acteurs et d'intervenants impliqués, ce qui rend la gestion et la coordination délicates, mettant ainsi en jeu la durabilité des ressources disponibles.

        La fragmentation des acteurs peut entraîner des défis majeurs liés à la gouvernance du secteur, tels que des conflits d'intérêts, une planification incohérente et déphasée et des retards dans la prise de décisions cruciales. De plus, elle peut compliquer la mise en œuvre de politiques visant à assurer la durabilité des ressources en eau du pays.

       L'un des dysfonctionnements majeurs dans la gouvernance du secteur de l'eau au Maroc est l'absence d'un organe de régulation et d'arbitrage indépendant, similaire à celui existant dans d’autres secteurs, notamment celui de l'électricité. Malgré la création du Comité Interministériel de l'Eau par décret, son rôle est principalement limité aux échanges d'informations, sans pour autant arriver à exercer parfois ses pouvoirs d’arbitrage et de prise de décision pour résoudre efficacement les conflits liés à l'eau.

     Un exemple concret de cette problématique est le cas de Zagora, qui avait mis en évidence les tensions entre une activité agricole inadaptée au contexte climatique de la région du sud-est du Maroc et les besoins en eau de la population locale.

Défis liés à la rareté et aux effets liés aux changements climatiques

    La situation hydrique au Maroc est confrontée à de nombreuses contraintes naturelles liées à la raréfaction des ressources en eau et aux effets du changement climatique qui impacte directement le cycle traditionnel de l’eau.

    L'impact des changements climatiques est particulière-ment préoccupant, avec une augmentation des phénomènes extrêmes tels que des sécheresses prolongées et des inondations dévastatrices.

    Cela a entraîné une baisse substantielle des précipitations, avec une diminution de 43 % pendant la saison printanière et de 26 % pendant la saison hivernale (décembre-février) et une augmentation significative des températures, avec un pic de 2,6°C enregistré dans la région de Taza.

      Selon le rapport du GIEC, les bassins du nord du Ma-roc connaitront une baisse prévue des ressources en eau allant de 5 à 35 %, ce qui va accentuer la pression et les conflits sur les ressources disponibles.

    Une autre contrainte majeure est la surexploitation alarmante des réserves d'eau souterraines, entraînant un déficit annuel de 1 Milliard de mètres cubes, ce qui a des répercussions significatives sur la durabilité de l'eau dans le pays.

    Cette situation est principalement attribuée au développement non contrôlé de l'agriculture irriguée, combiné aux subventions accordées aux agriculteurs pour encourager cette pratique.

    L'agriculture irriguée est essentielle pour la sécurité alimentaire et l'économie du Maroc, mais son expansion sans régulation et sans adaptation au contexte climatique de chaque région a conduit à une surexploitation de toutes les nappes stratégiques du pays. L'irrigation intensive a entraîné une diminution drastique du niveau des nappes phréatiques, mettant en danger la durabilité à long terme de ces ressources.

Contraintes liées au financement du secteur de l’eau

        Le secteur de l'eau au Maroc est confronté à plusieurs contraintes de financement qui entravent sa capacité à ré-pondre efficacement aux besoins croissants en termes d’infrastructures. Parmi les principales contraintes figurent :

1. Concordance entre la planification des investissements publics et la planification sectorielle : L'alignement des investissements publics avec le plan et les priorités sectoriels peut souvent être difficile à réaliser. Les projets d'infrastructure nécessitent une planification à long terme, mais il peut y avoir des décalages entre les besoins réels et les budgets al-loués, ce qui peut entraîner des retards dans la réalisation des projets prioritaires, impactant de ce fait la pérennité de la fourniture d’eau,

2. Contraintes liées à l'engagement de l'investissement privé dans le secteur de l'eau : Bien que le partenariat public privé puisse jouer un rôle clé dans le finance-ment des infrastructures hydrauliques, il peut y avoir des obstacles à sa participation. Ces obstacles peu-vent inclure des préoccupations concernant la rentabilité des investissements, la rigidité du cadre réglementation encadrant ce partenariat, et éventuellement les garanties de retour sur investissement,

3. Tarification : La tarification de l'eau peut également être un défi. L’ajustement d’une tarification appropriée pour l'eau est essentiel pour couvrir les coûts de production, de distribution et d'assainissement, mais cela peut être politiquement délicat. Des tarifs sous-estimés, surtout pour les gros consommateurs, peuvent entraîner des pertes financières et compromettre la durabilité du service.

Gestion de la demande : résultats non satisfaisants

   L’insuffisance enregistrée dans la gestion de la de-mande est préoccupante. Les pertes enregistrées dans les systèmes de fourniture d’eau (tous usages confondus) s’élève à 1 million de mètres cubes d'eau, d’après la déclaration de Monsieur le ministre de l’Équipement et de l’Eau au sein de parlement.

        Outre les pratiques agricoles non optimales, les ressources financières limitées allouées à la modernisation des infrastructures et à l'amélioration des performances des systèmes de fourniture d'eau contribuent de manière significative aux pertes d'eau et aux gaspillages dans le secteur, ce qui entraîne des conséquences économiques et environne-mentales néfastes.

Conclusion et recommandations

       A la lumière de ce qui précède, le Maroc fait face à un stress hydrique de plus en plus alarmant et inquiétant, met-tant en jeu sa sécurité hydrique et ses acquis de développement socio-économique. Repenser la gouvernance de l'eau au Maroc est devenue une priorité nationale, et ce, afin d’asseoir les bases d’une gestion durable et résiliente des ressources hydriques, soutenir et pérenniser son développement.

      La révision de la politique agricole est devenue plus qu’une nécessité, et ce, afin de promouvoir des pratiques plus efficaces en termes d'économie d'eau et des choix des cultures adaptées au contexte climatique du pays.

    D’un autre côté La création d'un organe de régulation de l'eau indépendant et compétent se dotant des pouvoirs d’arbitrage, de contrôle et de décision est une mesure cruciale pour remédier aux dysfonctionnements institutionnels. Cet organe devrait jouer un rôle clé dans la résolution des conflits, la promotion de la durabilité des ressources en eau et la régulation de l’accès équitable à la ressource en harmonie avec les priorités nationales.

       Par ailleurs et afin de faire face à l’exploitation alarmante des réserves souterraines, il est essentiel d'adopter des approches de gestion de l'eau plus durables et équilibrées. La mise en œuvre effective et efficiente des contrats de nappe, comme un cadre contractuel et collégiale de gouvernance des eaux souterraines, devrait se faire de manière à mettre fin à l’abus et aux décisions unilatérales prises en dehors du cadre de concertation avec les organismes des bassins. La régulation stricte et/ou l’interdiction des prélèvements d'eau souterraine dans des nappes asséchées et des politiques de subvention plus ciblées sont des mesures qui s’imposent avec acuité.

      D’autre part, les insuffisances enregistrés dans la gestion de la demande interpellent fortement les acteurs con-cernés pour accorder une priorité à la mobilisation des financements suffisants pour réhabiliter les systèmes de fourniture d’eau (adductions, réseaux, canaux d’irrigation) et lutter contre le gaspillage et les pertes causés par la vétusté des infrastructures de transport et de distribution. La mise en place de pratiques d'irrigation plus efficaces et économes en eau et la promotion de la réutilisation des eaux usées traitées dans l'agriculture est sont des voies à encourager.