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L’analyse de la relation entre la pauvreté et la dégradation de l’environnement :une brève revue de littérature
Les changements climatiques sont certes un phénomène mondial causé essentiellement par l'ensauvagement du capital, mais ses effets néfastes sont plus durement ressentis par les populations fragiles. Ainsi, la pauvreté et la dégradation de l'environnement sont étroitement liées dans un cercle vicieux. D'une certaine manière, la pauvreté contribue à la dégradation en marche de l'environnement parce que les vulnérables n'ont pas les moyens de s'occuper convenablement de l'environnement, et la dégradation de l'environnement appauvrit gravement la vie de ces mêmes pauvres en annihilant leurs moyens de subsistance, leur revenu et leur santé. Sur la base de cette prémisse, ce papier tente d'examiner, abstraction faite de tous les autres facteurs dégradant fortement l’environnement, une partie de la littérature pour déterminer comment un environnement dégradé augmente la pauvreté, et comment la pauvreté contribue à détériorer à son tour l'environnement. Une meilleure compréhension de cette relation devrait conduire, inéluctablement, à des meilleures politiques publiques de lutte contre la pauvreté pour une meilleure préservation de l’environnement.

          

Hicham Sadok*

                   Introduction

La dégradation de l'environnement constitue une menace pour les moyens de subsistance et le bien-être social, et tend à avoir un effet néfaste sur le développement économique des pays. La Banque mondiale estime que 100 millions de personnes dans le monde, principalement en Asie du Sud et en Afrique, risquent de retomber dans la pauvreté en raison de la dégradation de l'environnement dus aux effets du changement climatique en cours (Hallegatte et al, 2016 ; Baarsch et al, 2020). Les pays africains sont les plus touchés par ce phénomène en raison de leur vulnérabilité structurelle, et la faiblesse de leurs systèmes de production basés essentiellement sur l'agriculture de subsistance. La baisse des récoltes expose les ménages ruraux à l'insécurité alimentaire, à la pauvreté et au creusement des inégalités. Celle-ci est tributaire des aléas climatiques, des faibles rendements et de l'absence de stratégies d'adaptation adéquates.

Les risques associés à la dégradation de l'environnement conduisent à une augmentation de la pauvreté et placent les ménages vulnérables dans une sorte de trappe à pauvreté qui peut anéantir les efforts de développement. En Afrique, les variations de précipitations et de température induites par le changement climatique fragilisent les systèmes alimentaires et exposent en moyenne 30 millions de personnes à l'insécurité alimentaire (Epule et al, 2017). L'absence de mécanisme d'assurance pour se couvrir contre les risques limite la capacité des ménages à s'adapter à ces chocs environnementaux dus à ces changements climatiques.

Selon un rapport des Nations unies paru en octobre 2021, le climat de l’Afrique continuera à changer plus rapidement que dans la plupart des régions du monde. Au Maroc, ce changement se vit au quotidien. Il rime avec des températures dépondérées avec les saisons, des pluies irrégulières, tantôt faibles, tantôt abondantes. Les projections climatiques actuelles du GIEC estiment que d’ici 2050, le Maroc connaîtra une augmentation moyenne annuelle de sa température de +2.1°C, une véritable menace. Et les projections ne sont pas rassurantes concernant les impacts de ce changement sur l'évolution du bien-être et de la vulnérabilité au Maroc, dont l’économie a subi d’énorme pertes depuis les 4 dernières années. Exposée à une série de chocs dont les effets se cumulent, l’activité économique a brutalement ralenti. La croissance du PIB déflaté a chuté au premier trimestre de 2023 de 0,3 % par rapport à 2019. Les raisons de ce coup de frein, abstraction faite de la crise du Covid et de l’inflation, tiennent principalement aux conséquences de la sécheresse qui frappe le pays (la troisième au cours des quatre dernières années), entraînant une forte contraction du PIB agricole par rapport à 2019 qui représente 13% du PIB.

Les changements climatiques sont certes un phénomène mondial causé essentiellement par l'ensauvagement du capital, mais ses effets néfastes sont plus durement ressentis par les populations fragiles. Ils pèsent un risque sérieux pour la réduction de la pauvreté en menaçant de balayer plusieurs décennies d'efforts de développement en raison de leur forte dépendance à l'égard des ressources naturelles, ainsi que de leur capacité limitée à faire face à la variabilité climatique et aux phénomènes météorologiques extrêmes (Muller et al., 2011 ; Angelsen et Dokken, 2018).

Il est généralement admis que la pauvreté est perçue à la fois comme cause de dégradation de l’environnement et aussi son résultat (Scott, 2006). Sur la base de cette prémisse, ce papier essaie d'examiner, abstraction faite de tous les autres facteurs dégradant fortement l’environnement, une brève partie de la littérature pour déterminer comment un environnement changeant augmente ou diminue la pauvreté, ou comment le changement du niveau de la pauvreté endommage ou améliore l'environnement. Étant donné que les ressources de la nature constituent une source importante des revenus dans les pays en développement, en particulier pour la cohorte la plus pauvre, une meilleure compréhension de cette relation entre la pauvreté et la dégradation de l'environnement peut conduire à des meilleures politiques publiques de lutte contre la pauvreté pour une meilleure préservation de l’environnement.

       1- La pauvreté comme déterminant de dégradation de l'environnement

La dégradation de l’environnement correspond à une modification durable du climat au niveau planétaire. S’il peut être dû à des phénomènes naturels, tels que des variations de l’activité solaire par exemple, il résulte depuis le milieu du XIXe siècle d’une augmentation des concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, engendrée par les activités du système capitaliste dominant. Elle se manifeste au quotidien par l'épuisement des ressources telles que l'air, l'eau, le sol, la destruction des écosystèmes et l'extinction de la faune et la flore. Étant donné que cette dégradation apparaît souvent de pair avec une forte incidence sur la pauvreté, il serait tenté de conclure que les deux sont causalement liés (Banque mondiale, 2022). Dans la littérature sur le développement, il est explicitement indiqué que la pauvreté est une cause majeure des problèmes environnementaux et que son atténuation est une condition nécessaire et centrale de tout programme efficace pour faire face aux préoccupations environnementales (Abidoye et Odusola, 2015). Depuis le Plan d'action environnemental du NEPAD (2003), la pauvreté est identifiée comme une cause et conséquence de la dégradation environnementale et de l'épuisement des ressources. La condition de vie de la majorité des ruraux pauvres dans de nombreux pays en développement est un cercle vicieux entre la dégradation de l'environnement et la pauvreté. Cette dernière ne signifie pas simplement un manque de revenus ou de consommation. Elle se manifeste aussi par le manque de ressources productives suffisantes pour assurer des moyens de subsistance durables, et réduire et lutter contre la faim et la malnutrition, la mauvaise santé, l'accès limité ou inexistant à l'éducation et aux autres services de base, l'augmentation de la morbilidité et de la mortalité par maladie, le logement inadéquat, l'environnement dangereux, la discrimination et l'exclusion sociales (United Nations, 2019). En d'autres termes, la pauvreté peut être considérée comme des déficits individuels, des désavantages sociaux et le déni de droits spécifiques ou d'accès à des ressources minimales (Townsend, 2006).

Selon le seuil de pauvreté international de la Banque mondiale, 1,4 milliard de personnes vivent dans la pauvreté (Banque mondiale, 2022). Environ 26 % d'entre eux vivent dans des pays à faible revenu (Banque mondiale, 2022) ; et plus de 78 % des pauvres résident en zone rurale, alors que cette dernière représente 58 % du monde en développement. Divers aspects multidimensionnels de la pauvreté et de multiples formes de privation sont étroitement liés à la nature des services écosystémiques, à l'accès aux ressources offertes par la nature (Nations Unis, 2014). La qualité et la richesse de l'environnement local affectent les conditions de vie des pauvres, et leur pauvreté est souvent considérée comme un facteur contribuant à la dégradation de l'environnement local (Olinto et al, 2013). Dans certaines régions et écosystèmes fragiles, la lutte des pauvres pour la survie est une des causes non négligeables des problèmes environnementaux tels que la dégradation des sols, la déforestation et la désertification de leur milieu proche (Angelsen et Dokken, 2018). En effet, les pauvres n'ont pas d’autres alternatives ou accompagnement financier et économique décent pour qu’ils puissent renoncer à leur subsistance actuelle au profit de la préservation ou l’amélioration de la qualité de l'environnement. Les pauvres se trouvent donc forcés, ou impliqués malgré eux, dans la destruction de leur environnement immédiat pour leur survie, en surexploitant le pâturage, les forêts et les terres arables. L'effet cumulé de ces effets, susceptibles d’être engendrés par les 1,4 milliard de personnes vivant dans la pauvreté dans les régions et écosystèmes fragiles de la planète, et qu’il faut absolument faire sortir de la trappe de pauvreté, est d'une telle ampleur qu'il fait de la pauvreté de masse un péril mondial majeur pour l’environnement (Angelsen et Dokken, 2018). Cette relation entre la pauvreté et la dégradation de l'environnement est ancienne. Thomas Malthus a suggéré indirectement que les pauvres sont plus susceptibles de s'engager dans un comportement délétère pour l'environnement car ils ne peuvent penser au-delà du prochain repas (Gray et Moseley, 2005). La Commission mondiale sur l'environnement et le développement a souligné que la pauvreté était une menace majeure pour l'environnement mondial, et que la réduction de la pauvreté était un outil indispensable pour sauver l'environnement (World Commission on Environment and Development, 1987).

Dans cette relation entre la pauvreté et la détérioration de l’environnement, la dégradation des terres est un autre problème lancinant affectant environ 1,5 milliard de personnes les plus vulnérables, et un quart de la superficie des terres dans toutes les zones du monde (Lal et al, 2018). La dégradation des terres se manifeste sous forme d'épuisement des nutriments du sol, la salinisation, la pollution agrochimique, l'érosion des sols, la dégradation végétative résultant du surpâturage et la coupe des forêts pour les exploiter en terres agricoles (Lal et al, 2018). Cette dégradation des terres est un risque mondial grave et croissant qui entraîne des pertes de revenus pour la population la plus vulnérable. Elle lui fait perdre des moyens de subsistance locaux, l'insécurité alimentaire, le changement climatique et la perte de biodiversité dont elle jouissait et exploitait (Abidoye et Odusola, 2015). Ainsi, la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification (UNCCD) estime que la dégradation des terres affecte jusqu'à deux tiers des terres productives en Afrique (UNCCDE, 2013). Par conséquent, sur la superficie totale des terres en Afrique (2966 millions d'hectares), 494 millions d'hectares sont dégradés (UNCCDE, 2013).

La dégradation des terres constitue une grave menace pour la sécurité alimentaire mondiale, la disponibilité de l'eau, l'adaptation et l'atténuation du changement climatique et les moyens de subsistance de millions de personnes. Les liens entre la dégradation des terres et la pauvreté sont forts dans les zones rurales des pays à faible revenu où les moyens de subsistance dépendent principalement de l'agriculture (Muller et al, 2011). Elle conduit à une baisse de la productivité agricole, qui à son tour peut entraîner un appauvrissement supplémentaire. Titenberg (2014) affirme que l'érosion des sols est causée, en partie, lorsque les pauvres sont poussés à cultiver des terres fortement érodables pour tenter de survivre. Par manque de régulation foncière cohérente et d’alternative sérieuse de lutte contre la pauvreté, ce phénomène d’appauvrissement des sols peut être à la base de la dégradation des terres et des forêts couvrant 30 % des terres de la Terre. Or si cette conscience de lutte contre la pauvreté dans les régions rurales n’est pas implémentée comme esquisse de préservation de l’environnement, environ 13 millions d'hectares disparaitraient chaque année (Nations Unis, 2014). La dégradation des forêts reste un grave problème environnemental, social et économique. Lorsque les gens manquent de ressources financières et mesures d’accompagnement, ils n'ont d'autre choix que de se tourner vers l'utilisation non durable des forêts naturelles. Ainsi, des activités telles que l'agriculture et la production de charbon de bois entreprises par les vulnérables sont considérées, entre autres facteurs comme l’urbanisation, comme cruciales dans la déforestation et la dégradation des forêts. Plus de 70% de la population de l'Afrique dépend dans une large mesure des forêts et des terres boisées pour leur subsistance, et 60% de la demande énergétique de l'Afrique est satisfaite par les forêts (Banque mondiale, 2022). Ces faits indiquent que la pauvreté est l'une des principales causes de la dégradation des forêts et des terres boisées (Banque mondiale, 2022). Selon Titenberg (2014), la déforestation est causée en partie par la migration d'un nombre réduit de paysans sans terre vers les forêts, à la recherche d'un lopin de terre pour travailler. Aggrey et al (2010) ont également noté qu'il existe une relation positive entre les niveaux de pauvreté et le déboisement, ce qui suggère que la pauvreté est un déterminant majeur de la dégradation de l’environnement.

               2- La dégradation de l’environnement perpétue la pauvreté

Les ressources naturelles sont au cœur des moyens de subsistance et des stratégies d'adaptation des pauvres en fournissant de la nourriture, des aliments pour le bétail, des produits ménagers et des revenus. Or les pauvres sont les principales victimes de la dégradation de l’environnement. Ils sont souvent les plus touchés par l'eau insalubre, la pollution de l'air intérieur et l'exposition aux produits chimiques toxiques; et ils sont particulièrement vulnérables aux risques environnementaux (tels que les inondations, les sécheresses prolongées et les attaques de ravageurs des cultures) et aux conflits et aux maladies liés à l'environnement.

La pauvreté est de plus en plus causée par les pénuries environnementales de terres arables et d'eau, entraînant la perte de moyens de subsistance. Dans le rapport de la Banque mondiale, il a été indiqué que la richesse basée sur l'environnement représentait 25 % de la richesse totale dans les pays à faible revenu, 13 % dans les pays à revenu intermédiaire et seulement 3 % dans les pays de l'OCDE (Banque mondiale, 2022). La Banque mondiale a suggéré que plus d'un milliard de personnes dans le monde dépendent à des degrés divers des ressources environnementales et forestières pour leur subsistance (Vedeld et al, 2004).

La perte de terres agricoles potentielles et existantes à cause de la sécheresse, des inondations et de la dégradation des terres affecte de vastes pans de pauvres dans le monde, dont beaucoup dépendent de l'agriculture pour leurs moyens de subsistance et leur alimentation (Nations Unis, 2014). Les rendements des cultures en Afrique pourraient être divisés par deux d'ici 40 ans si la dégradation des terres cultivées se poursuit au rythme actuel (DFID, 2020). Un environnement dégradé affecte non seulement les revenus, mais aussi la santé de la génération actuelle et des générations futures qui dépendent de ces ressources et les expose davantage aux chocs environnementaux (DFID, 2020).

Les facteurs environnementaux sont responsables de près d'un quart de toutes les maladies dans les pays en développement (Angelsen et Dokken, 2018). Selon Prüss-Üstün et Corvalán (2018), les pays en développement supportent de manière disproportionnée la charge environnementale qui génère certains types de maladies : le nombre total d'années de vie en bonne santé perdues par habitant en raison de la charge environnementale par habitant est 15 fois plus élevé dans les pays en développement que dans les autres pays développés. Pearce (2016) a également signalé que 20 % de la perte totale d'espérance de vie dans les pays en développement sont attribuables à des causes environnementales. Les plus vulnérables vivent souvent sur des terres marginales, telles que des zones à forte pente, où ils sont plus exposés aux glissements de terrain et aux pertes de vie qui en résultent lors des tempêtes et des inondations. Des systèmes d'irrigation et d'approvisionnement en eau mal conçus, des logements inadéquats, une mauvaise évacuation des déchets et un mauvais stockage de l'eau, la déforestation et la perte de biodiversité, tous peuvent contribuer aux maladies à transmission vectorielle les plus courantes, notamment le paludisme, la dengue et la leishmaniose (Banque mondiale, 2022), plus susceptibles d'affecter les pauvres en raison non seulement de leur plus grande exposition, mais aussi parce qu'une mauvaise nutrition les rend plus vulnérables (Banque mondiale, 2022). Les infections respiratoires et les maladies diarrhéiques sont les deux principales causes de décès parmi les 20 % les plus pauvres de la population mondiale, classées en fonction du produit intérieur brut par habitant (UNCCD, 2013). Ainsi, le paludisme est le dixième tueur de la population pauvre dans le monde, responsable de 4 % des décès, et la pollution de l'air intérieur, causée par la fumée des poêles, cause environ 1,6 million de décès par an dans les pays en développement (Nations Unis, 2014). Dans l'ensemble, le fardeau des maladies environnementales impacte plus néfastement les pauvres. Une mauvaise santé, soudaine ou prolongée, entraîne souvent une spirale descendante de perte d'actifs et d'appauvrissement : lorsqu'une personne pauvre ou socialement vulnérable tombe malade ou se blesse, l'ensemble du ménage peut être piégé dans une spirale descendante de perte de revenus et de coûts de soins de santé élevés.

               Conclusion

La pauvreté et la dégradation de l'environnement sont étroitement liées dans un cercle vicieux. D'une certaine manière, la pauvreté aggrave la dégradation en marche de l'environnement par parce que les vulnérables n'ont pas les moyens de s'occuper convenablement de l'environnement puisqu'ils n'ont pas d'autre alternative que de le consommer d’une manière non soutenable pour répondre à leurs besoins urgent de la vie. Leur pauvreté les rend asservis aux besoins actuels au détriment des besoins futurs. En revanche, la dégradation de l'environnement appauvrit gravement la vie de ces mêmes pauvres en annihilant leurs moyens de subsistance, leur revenu et leur santé. Vivre dans un environnement dégradé rend le pauvre encore plus vulnérable aux risques économiques et sanitaires. Plus largement, il devient urgent de sortir du modèle de croissance tirée par la consommation et d’une économie extractive fondée sur le consumérisme, pour donner enfin la priorité à la sobriété, la réduction de la pauvreté et des inégalités Généralement, et sur la base des résultats de l'analyse de cette brève revue de littérature, un environnement dégradé exacerbe les conditions de pauvreté. Par conséquent, l’aide à sa préservation contribue notoirement, non seulement à la pérennité des écosystèmes, mais aussi à réduire la pauvreté.


* Université Mohammed V de Rabat#

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