Azeddine Akesbi
Plus de deux décennies, après l’adoption de la Charte de l’Education, les grands efforts déployés et les ressources additionnelles mobilisées dans le cadre du programme d’urgence, il est crucial de tenter de comprendre pourquoi les résultats obtenus sont maigres et problématiques ? Il ne s’agit pas de souligner l’échec ou de pointer les responsabilités individuelles, mais d’identifier des facteurs et de cerner des pistes éclairantes sur les raisons de ce bilan et du glissement quasi-permanent de l’atteinte des objectifs vers des horizons lointains.
Autrement dit, pourquoi nous ne parvenons pas (institutions et acteurs éducatifs) à faire passer les objectifs de la réforme éducative dans la réalité ? Cet aspect interroge directement l’existence d’un écart saisissant entre des projets de réforme qui peuvent-être jugés, pour l’essentiel, consensuels et positifs et les résultats souvent décevants de la mise en œuvre. En laissant de côté les orientations et les objectifs de la politique éducative retenus –même si la multiplicité des objectifs et le manque de focus pose problème –, on s’interroge sur la mise en œuvre, les résultats et surtout les facteurs de blocage et les raisons qui font que les principaux objectifs de la réforme éducative sont reconduits d’un plan à l’autre (Charte, plan d’urgence, vision stratégique…).
Le secteur éducatif couvre les différents niveaux : « préscolaire », primaire, collégial, qualifiant, mais aussi la formation professionnelle selon ses niveaux et la diversité de filières ainsi que l’enseignement supérieur Le diagnostic et l’analyse doivent tenir compte des spécificités de chacun de ses sous-secteurs.
L’éduction a fait l’objet de plusieurs projets de réforme depuis les années 60 du siècle précédent. Cependant, dans le processus de réforme ou les tentatives de réforme, il y a eu des étapes marquantes. Celle de la Charte de l’Education et de son adoption (1999-2000), la décennie de sa mise en œuvre (2000-2010) et l’adoption du programme d’urgence (PU : qualifié de « souffle » de la réforme). Le PU a été prolongé par la conception d’une stratégie éducative sur la période 2015-2030. En cours de chemin (2020-2022), il y a eu la Commission Spéciale du Modèle de Développement qui a également diagnostiqué le secteur éducatif et ses limites. Elle a formulé des propositions de réforme qui devaient être mises en œuvre avec l’actuel Ministre de l’éducation (ex Président de la commission Spéciale du modèle de Développement).
Depuis au moins l’étape de la Charte Nationale de l’éducation qui est toujours considérée « le référentiel » de la réforme éducative, les principaux objectifs de l’éducation ont porté sur les éléments suivants :
1 Généraliser l’enseignement : assurer l’éducation obligatoire pour les garçons et les filles et lutter contre les inégalités de milieu et de genre ;
2 Réduire les importantes et persistantes déperditions scolaires / universitaires ;
3 Promouvoir une éducation / formation/apprentissage de qualité tout en assurant les acquis de base pour les élèves et étudiants ;
4 Ouvrir le secteur éducatif sur son environnement et assurer aux jeunes une bonne préparation à la vie active.
A ces objectifs globaux, il y a lieu d’ajouter d’autres aussi importants comme l’amélioration de la gouvernance et de son efficacité. Et selon les sous-ensembles de l’éducation/ formation d’autres objectifs spécifiques ont été considérés.
Quelques progrès ont été accomplis, notamment, sur le plan de la scolarisation et l’extension de l’infrastructure, des constructions et la scolarisation de la fille, etc. Cependant, 24 années après l’adoption de la Charte de l’Education, de tentatives de mise en œuvre de la réforme, un consensus quasi général se dégage autour du constat de la faible réalisation des objectifs ciblés (rapports du Conseil supérieur de l’Enseignement de la formation, rapport général du modèle de développement, mémorandum de la Banque Mondiale, points de vue des spécialistes de l’éducation…). En plus, dans certains cas nous sommes plutôt en présence de reculs des performances éducatives.
Parmi les constats identifiés figurent, à titre illustratif, les aspects suivants :
1. Une généralisation au primaire affectée par des abandons scolaires considérables et précoces ;• Un niveau très faible des acquis scolaires. Ce qui est saisi par différentes enquêtes nationales (PNEA) et internationales (PIRLS, TIMSS, PISA). Les déficits des acquis scolaires concernent toutes les disciplines y compris les langues (arabe et français).
• Des indicateurs de résultats faibles et problématiques : très peu d’élèves finissent l’enseignement et obtiennent le baccalauréat (sur la base des cohortes du primaire), le niveau des redoublements est élevé, les déperditions universitaires sont également importantes : la proportion qui obtient un diplôme est très réduite.
Au-delà du secteur éducatif, l’accès au marché du travail – qui ne dépend pas uniquement de la formation et de sa qualité – est difficile ; en général les diplômés sont davantage exposés au chômage que les non diplômés. Et certaines catégories de l’enseignement supérieur à accès ouvert ou de la formation professionnelle font face à des taux de chômage qui peuvent atteindre entre 35 à 40%.
L’insertion professionnelle difficile ou problématique a pour effet de produire une dévalorisation de l’investissement dans l’éducation auprès des parents et acteurs concernés. Or le développement du pays est tributaire d’un développement significatif de son capital humain. Ce qui a été fortement souligné par la commission du modèle de développement. Celle-ci a rappelé aussi que les effectifs de jeunes qui ne sont ni à l’école, ni en formation, ni au travail (NEET) se comptent en millions (4,5 millions selon le rapport du Modèle de développement). Simplement ce dernier constat constitue un argument qui justifie une interrogation sur la réforme éducative et son non aboutissement !
Le bilan de ces réformes devrait-être présenté de manière régulière : chaque rentrée scolaire et universitaire et aussi à l’occasion de la discussion et l’adoption de la loi de finances. L’adoption annuelle de celle-ci est une occasion pour rendre des comptes, préciser et clarifier les choix sectoriels effectués et les résultats des politiques menées. Dans ce sens, il y a lieu de préciser que l’indice du budget ouvert (IBO) nous informe que les gouvernements doivent produire une information pertinente et à jour pour le public. Au moins 8 documents standards doivent être publiés. Or ceci n’est pas le cas au vu du score très insuffisant de 45 sur 100 du Maroc (un minimum d’information). En fait, les départements de l’éducation offrent peu d’informations pertinentes qui peuvent évaluer les performances du secteur.
La politique éducative au maroc se réfère à la Charte de l’Education et de formation, la Vision Stratégique 2015-2030, la loi cadre ° 51-17 et l’invisible nouveau modèle de développement. C’est-dire que les objectifs de la réforme éducative sont présents depuis le début des années 2000 ; ils attendent toujours d’être concrétisés.
Le document de présentation du projet de loi de finances 2024 a souligné l’importance de promouvoir le développement du capital humain et la société du savoir. Il a fait écho à ce qui a été affirmé dans le rapport de la commission du modèle de développement. En outre, les objectifs de la feuille de route de la réforme du système éducatif (2022-226) ont été décrits comme suit :
1. La réalisation de la scolarité obligatoire en réduisant d’un tiers le taux de décrochage scolaire ;2. L’amélioration du niveau des apprentissages en portant à deux tiers le taux de maîtrise des compétences de base par les apprenants ;
3. La promotion de l’épanouissement des élèves : accès aux activités d’enrichissement propices au développement des valeurs civiques et des compétences transversales.
4. Au niveau du préscolaire, il a été envisagé de mettre en place un modèle innovant et efficace de sa gestion.
Il est utile de souligner que les deux premiers objectifs sont plus précis et modestes, mais on est plus dans la démarche de la suppression des abandons scolaires.
Sur le plan pédagogique, la mise en œuvre du « modèle de l’école pionnière » serait poursuivie : celle-ci consiste en une approche multidimensionnelle ayant pour objectif d’améliorer la qualité des apprentissages de base et l’épanouissement des élèves.
Le préscolaire devait selon la charte de l’éducation être généralisé en 2003. Cet objectif a été reporté à plusieurs reprises et actuellement, sa réalisation a été fixée pour 2028. Cependant, au-delà des considérations de l’échéance, le préscolaire demeure dominé par les katattib coraniques et le préscolaire traditionnel, ce qui questionne même la nature du préscolaire ciblé.
Mise à part la remarque sur la nature et la qualité du préscolaire qui se met en place, son taux aurait augmenté dans le public de 11% en 2022-2023. Et selon le ministre de l’éducation la rentrée scolaire 2023-2024 a connu une augmentation des inscrits au primaire de 15% et de 11% dans le public en 2022/2023.
c. L’amélioration du niveau de l’enseignement par l’introduction d’un «modèle innovant» qui s’appuie sur la sélection de partenaires associatifs de référence pour gérer l’enseignement primaire ;
d. Le développement du contenu des manuels scolaires de référence ;
e. La mise en œuvre d’un parcours d’excellence pour le recrutement des futurs enseignants.
18 000 enseignants et 2000 administratifs devraient être recrutés. Les étudiants qui adhéreront au cycle de licence en éducation (CLE) et qui devraient bénéficier d’activités pédagogiques durant la période de formation continueront de recevoir 1000 dhs mois. Cette initiative serait-elle une reconnaissance des erreurs faîtes dans le passé et de la nécessité d’améliorer l’attractivité du métier d’enseignant. Cette disposition serait-elle suffisante ?
Par ailleurs, au niveau de la politique des langues, on a annoncé le lancement de la généralisation de l’anglais en première et en seconde année du collège et l’extension de l’enseignement de l’Amazigh pour renforcer la diversité culturelle. Ces composantes de la politique des langues méritent une évaluation de leur pertinence, de leurs moyens et résultats.
En 2024, Il est prévu que 400.000 élèves bénéficieront d’un soutien scolaire, en plus du renouvellement des méthodes d’enseignement des langues arabe et française. Il est aussi prévu de mettre en place un comité permanent de renouvellement et d’adaptation des programmes scolaires et d’initier une méthodologie pour le suivi et l’évaluation des élèves.
Toutefois, il est important de préciser que les réalisations ou celles envisagées se situent à une échelle d’expériementation ; elles ne répondent pas aux problèmes posés ni à la question de la qualité. L’aide sociale, notamment, malgré le nombre relativement important des bénéficiaire demeure insuffisante et inefficace au regard des résultats globaux.
2. La dégradation de la qualité de la plupart des disciplines et les langues, mesurée par les enquêtes d’évaluation nationales et internationales.
3. Le niveau de l’encombrement reste important et les conditions de travail sont jugées déplorables,
Sur la base de l’ensemble des enquêtes nationales et internationales, les acquis scolaires de la majorité des élèves est très faible et ceci s’applique à l’ensemble des disciplines et aux langues.
Le Maroc participe régulièrement à des études d’évaluation des acquis scolaires. Il a également effectué des évaluations nationales des acquis scolaires. A titre d’exemple, l’enquête TIMSS 2003 a montré qu’en 2ème année collégiale, 58% et 52 % des élèves marocains ne répondent pas aux exigences minimales établies par TIMSS respectivement en mathématiques et en sciences. Dans le cas de l’enquête PIRLS 2006 (4ème année du primaire), 74% des écoliers marocains n'atteignent pas le niveau des performances minimales exigées en lecture et en compréhension. Des études plus récentes soulignent les déficits en fondamentaux non acquis par la grande majorité d’élèves.
Les scores du Maroc sont parmi les plus faibles. Dans le cas de TIMSS (2011) le score total du maroc était de 264 points, juste avant le dernier pays classé, le Yémen (la République de Corée a eu un score de 587). Dans le cas de la lecture, le Maroc se trouvait parmi les derniers pays avec un score de 310, alors que le Qatar avait atteint 425 et Hongkong 571.
Les rédacteurs du Bilan du Programme d’Urgence (Décembre, 2013), ont reconnu que les études nationales et internationales d’évaluation des enseignements enregistrent que les élèves marocains ont niveau en-dessous de la moyenne, aussi bien en matière de performances linguistique (arabe et français) qu’en mathématiques et en sciences.
L’enquête nationale de l’évaluation des acquis scolaires (PNEA) de 2016 est la seconde réalisée après celle de 2008. Elle a permis de constater que les acquis scolaires sont globalement faibles. Des carences importantes portent sur les acquis linguistiques, mais aussi en mathématiques En langue française, seulement 23% des objectifs sont considérés atteints au niveau national dans l’enseignement public. Dans la majorité sections (Lettres & Sciences Humaines», Sciences, enseignement «Originel») les élèves ont enregistré un score inférieur à 33%.
L’enquête PISA (Programme for International Student Assessment) est une étude réalisée par l’OCDE tous les trois ans avec la participation de plusieurs pays. Son objectif vise à « déterminer dans quelle mesure les jeunes de 15 ans sont capables de mobiliser les connaissances et compétences acquises pendant leur vie et de les appliquer à des situations de la vie réelle ».
La population ciblée concerne les jeunes de 15 ans scolarisés au moins en 7ème année. La participation du maroc a débuté en 2018 (avec 73 218 élèves répondant à ce critère et répartis sur 180 établissements). Ils ont représenté 64% des jeunes de 15 ans. Ce qui signifie que 36% des jeunes marocains de 15 ans n’étaient pas couverts par l’enquête car ne sont jamais allés à l’école, ou ont abandonné l’école ou se trouvent encore au primaire : ces jeunes n’ont certainement pas acquis les compétences de base qui leur permettent de réussir leur insertion professionnelle et de participer activement au développement du pays.
Lors de la présentation des résultats de l’enquête PISA 2023, la presse nationale a souligné le niveau faible et une certaine dégradation des performances des élèves marocains. Sur 81 pays, le Maroc a occupé la 71ème place en mathématiques, la 79ème en compréhension de l’écrit, et la 76ème en culture scientifique.
Le niveau du redoublement des élèves enquêtés est élevé, 49% ont redoublé au moins une fois alors que ce pourcentage est de 11% dans les pays de l’OCDE.
Les élèves marocains âgés de 15 ans figurent parmi ceux des pays qui se situent en bas de l’échelle avec des scores faibles et ceci est le cas de toutes les matières. Les écarts enregistrés par rapport à la moyenne de l’OCDE sont considérables. Ils représentent en moyenne un manque de 4 années de scolarité. En compréhension de l’écrit, en mathématiques et en sciences les scores moyens de de l’OCDE sont respectivement de 466, 489 et 489 moyen. Les scores du Maroc étaient de 353, 368 et 377.
Encore plus préoccupant, des proportions importantes des élèves marocains n’atteignent pas « le niveau minimal de compétence : 73% en compréhension de l’écrit, 76% en mathématiques et 69% en sciences ». A signaler que les résultats des élèves dans le privé sont meilleurs avec plus de 30 à 41 points.
Le maroc est cité par PISA parmi les pays où les enseignants sont ‘les moins qualifiés » sur la base de leur niveau d’éducation, la durée de la formation initiale et du développement professionnel. Ils sont à peine 10% à détenir un master, contre une moyenne de 42% dans les pays de l’OCDE. 22% des enseignants ayant pris part à l’enquête ont achevé un programme de formation d’une année ou plus. Le pourcentage de ceux qui ont participé au programme de développement professionnel ne dépasse pas 29%, alors qu’il se situe à 53% dans les pays de l’OCDE.
A ce niveau, les résultats PISA soulignent que l’enseignement au maroc est affecté par le manque ou l’inadéquation des ressources humaines. Selon les directeurs interrogés dans cette enquête, 46% des élèves sont scolarisés dans des établissements où l’enseignement en est très affecté, alors qu’en moyenne, ce taux est de 8% dans les pays de l’OCDE. Il est utile d’ajouter que les carences en ressources TIC sont également importantes. 24% des élèves sont scolarisés dans des établissements ne disposant pas d’ordinateurs, tandis que seulement 1% le sont, en moyenne, dans les pays de l’OCDE. La part des ordinateurs connectés à internet des élèves marocains est en deçà de ce qui est observé dans tous les pays enquêtés. Les directeurs interrogés signalent un manque ou insuffisance des appareils et d’outils numériques (ordinateurs, tablettes, internet), mais aussi l’existence de problèmes de qualité : puissance des appareils, débit et vitesse de la connexion Internet et du manque de ressources telles que les plateformes et les logiciels.
Les conclusions des différentes études sur les acquis et les compétences des élèves appellent, non seulement à une réforme des contenus et des méthodes d’enseignement, mais requièrent un sursaut national impliquant tous les acteurs éducatifs pour les améliorer de manière urgente et prioritaire.
La promotion d’une nouvelle gouvernance éducative est indispensable. Des progrès dans ce sens sont cruciaux, mais leur concrétisation reste à voir. Il y a lieu de rappeler que le système éducatif est fortement centralisé dans sa gestion. Peu de place est laissée aux structures de base et les principaux acteurs.
Quelques choix déterminants erronés ont été pris à des moments décisifs de l’évolution du secteur éducatif. Ils ont eu des effets dévastateurs, dans la durée. Parmi lesquels figurent :
1. Une politique de dévalorisation de la formation et du statut des enseignants (ENS, CPR, Centre régionaux des métiers de l’enseignement, CRMEF) ;
2. L’augmentation des horaires aux enseignants - au détriment de la qualité - pour atténuer la contrainte budgétaire et l’organisation de l’encombrement ;
3. Le recrutement des enseignants selon la formule contractuelle à partir de 2016 ;
4. L’arabisation précipitée et non préparée (c’est le cas de l’ensemble de la politique des langues) ;
5. L’opération départ volontaire demandé (DVD) ou la liquidation volontaire des compétences pour des considérations liées à la masse salariale. Ceci a été fait à un moment où il fallait mettre en place un plan de préparation de la relève consistant des ressources humaines. Un grand effort a été fait dans la formation et le recrutement des enseignants durant les années 60 et surtout les années 70. Ces cohortes d’enseignants et de formateurs arrivaient à la retraite, avec plus d’intensité, au moment de l’adoption du DVD.
Les dégâts produits et qui vont persister sur une longue période ne peuvent être facilement dépassés par l’orientation actuelle qui instaure une formation initiale de base correspondant au cycle de licence d’éducation (CLE) suivie d’une qualification professionnlle dans les centres régiaux des métiers de l’éducation et de la formation (CRMEF) pour les candidat du concours retenus .
Les grèves à grandes échelle intervenues au premier trimestre de l’année scolaire 2023-24, ont été l’expression de mécontentements associés aux mauvaises conditions de travail des enseignants, la réforme de leur statut et leurs rémunérations. La majorité des enseignants regroupés dans des coordinations régionales ont reproché au ministère leur manque d’implication et ont rejeté le statut qui leur a été proposé même avec l’aval des syndicats majoritaires.
Les grèves et la crise que nous avons vécues dans l’enseignement ces dernières années, et surtout en 2023, illustrent l’existence de problèmes importants de gouvernance éducative : un manque de participation et une marginalisation des enseignants et des parents et des élèves.
Des conditions de travail, de rémunération et de recrutement sont à l’origine des grèves dans l’enseignement. Elles représentent un sérieux problème de gouvernance, qui a un coût financier appréciable sur le plan des déperditions et surtout elles produisent des effets négatifs sur l’enseignement et sa qualité. Ceci vient après une période de la gestion de la Covid – un enseignement à distance médiocre et problématique - qui a malmené l’enseignement et les apprentissages des élèves.
La contestation des enseignants a porté sur les rémunérations, l’intégration claire et franche au statut de la fonction publique (et la suppression du statut des contractuels), la fixation du volume horaire, ainsi que la promotion et l’évolution des carrières et l’évaluation du travail des enseignants et les résultats.
Les discussions menées ont finalement abouti à un accord qui semble apaiser les tensions sur les questions du statut, de la promotion et la rémunération. Mais certains facteurs déterminants qui agissent sur la situation très dégradée des acquis scolaires n’ont pas trouvé de réponses adéquates. Ces questions qui handicapent et affaiblissent les résultats scolaires devraient faire l’objet d’une analyse et discussion approfondies. Nous faisons référence au moins aux 6 thématiques suivantes :
1. La formation et la motivation des enseignants ;
2. Les conditions de travail et surtout l’encombrement ;
3. Les mécanismes d’évaluation de l’effort, des résultats et un meilleur moyen de compensation ;
4. La reddition du personnel enseignant et administratif ;
5. Les perspectives d’autonomisation et de responsabilisation des unités de base d’enseignement et de formation ;
6. L’évaluation des moyens mis en place et des résultats.
Nous avons mis l’accent dans les développements précédents sur l’Enseignement général qui représente l’essentiel des effectifs de l’éducation nationale. Sans s’attarder sur les détails, nous allons évoquer certaines caractéristiques de l’enseignement supérieur et les problèmes qu’il partage avec l’enseignement général.
Les effectifs de l’enseignement supérieur sont estimés à 1,3 millions d’étudiants dont 94% relèvent du système public. 1037 filières de formation sont accréditées actuellement.
Au niveau de l’enseignement les officiels annoncent l’extension de l’offre universitaire et l’amélioration de sa qualité ainsi que la valorisation du capital humain par la mise en place du plan national d’accélération de la transformation de l’écosystème de l’ESR 2030. Cette réforme est supposée se faire selon les axes stratégiques suivants : une réforme pédagogique globale et intégrée ; la recherche scientifique alignée sur les priorités nationales ; un système d’innovation performant et un nouveau modèle alliant innovation et performance.
Est annoncée aussi, l’optimisation des parcours de la formation, l’introduction de modules power skills ( !) pour impulser les capacités transversales et digitales des étudiants, la certification des langues étrangères, l’introduction du système de crédit.
Au niveau de la recherche et innovation, plusieurs dispositions sont prévues:
o le lancement de la formation de 1 000 doctorants-moniteurs, dédiés à la recherche et impliqués dans l’encadrement pédagogique ;
oLa création de trois nouvelles cités d’innovation ;o La création de 63 centres d’excellence pour une offre de 18370 places pédagogiques.
o Le renforcement de l’appui social aux étudiants ; o
Le relèvement des capacités d’accueil de 5 520 lits supplémentaires,
o L’augmentation des étudiants couverts par l’AMO.Il est remarquable de constater que ces priorités et objectifs ont été annoncés depuis plus de deux décennies sans véritable concrétisation. Tel est le cas en particulier de l’introduction du système des crédits, de la mobilité, etc. L’enseignement supérieur souffre également d’une dualité entre l’enseignement à accès libre et l’enseignement sélectif. Le premier qui est largement dominant souffre de l’encombrement, de niveaux de déperditions très élevés et souvent d’une qualité problématique des formations.
Résumé - conclusion :
La réforme du système éducatif a été lancée il y a presque un quart de siècle avec l’adoption de la Charte Nationale de l’Education et la formation. Ses principaux objectifs visaient la concrétisation de la généralisation, l’éducation de qualité pour tous, la réduction des déperditions scolaires et universitaires considérables.
Le maroc a mis en œuvre la décennie de la réforme éducative (2000-2010), dont les résultats non pas été concluants. Le programme d’urgence – appelé aussi nouveau souffre de la réforme – avec un effort de financement exceptionnel et de gestion par projet, était censé réparer les déficits et mettre en place de manière significative les objectifs de la réforme. En 2013-14, le bilan effectué par le Conseil Supérieur de l’Enneigement était toujours non satisfaisant. Entre temps, est apparu de manière plus aigüe des questions de mauvaise gestion et de gouvernance. Les responsables du secteur éducatif ont été appelé à adopter un nouveau plan qui se situe à un horizon plus lointain appelé Vision stratégique de l’éducation 2030. En fait, les résultats ne sont toujours pas atteints. L’examen de la situation, en 2024, en rapport avec les objectifs initiaux de la réforme éducative souligne la persistance des problèmes majeurs de l’éducation : l’encombrement des classes et amphis, des déperditions scolaires et universitaires importantes, l’existence de sérieux problèmes de qualité et des objectifs éducatifs généralement loin d’être atteints. Il est surprenant de constater que 24 années après l’adoption de la Charte de l’Education, le maroc ne parvient pas à réaliser ses objectifs même de manière partielle. On peut se demander quelles sont les raisons de cet échec ?
Des pistes explicatives sont nombreuses. Nous avons d’abord des décisions prises et des choix majeurs effectués non pertinents ou erronés. Ils ont eu des effets dommageables sur l’ensemble du système (approche comptable et restrictions budgétaires, l’opération départ volontaire, gestion malthusienne des ressources humaines et des recrutements, politique des langues mal préparée et improvisée…).
Ces éléments de la politique éducative mise en œuvre et d’autres renvoient à une gouvernance centralisée et à une mise sous tutelle du système éducatif (gestion par les circulaires sans prise en compte et en déconnexion avec ce qui se passe sur le terrain). La mise en place des académies régionales a pris la forme d’une duplication de la centralisation au niveau régional. Cette orientation a tourné le dos à la régionalisation qui offrirait l’autonomie et la flexibilité aux structures de base : les établissements scolaires et de formation. Le département de l’éducation nationale dispose de structures et de capacités importantes de planification et préparation de la carte éducative. Dans les faits la carte scolaire est écartée. Elle devient théorique, facultative !
La participation des acteurs est également marginalisée dans les faits. Le report répété de la réforme toujours projetée sur des échéances lointaines étant une indication de l’absence de mécanismes de reddition à tous les échelons du système éducatif.
Au niveau des programmes scolaires – le curricula -, malgré de nombreuses révisions des manuels scolaires, leur contenu demeure souvent incohérent (combinaison de dogmes, de tabous et d’un semblant contenu sur les droits humains). Les programmes sont surchargés et n’incitent pas à l’initiative et à l’innovation (ce qui compte c’est de « finir le programme »). Ils développent très peu l’esprit critique et la pensée libre. Malgré des volumes horaires très importants en langues, une majorité des élèves n’acquièrent pas les bases indispensables qui permettent de bâtir des méthodes et de construire le savoir.
Le dépassement de cette situation nécessite la mobilisation politique et l’implication de tous les acteurs, la refonte de la gouvernance éducative : autonomisation des établissements scolaires et reponsabilisation des principaux acteurs sous à à la réddition et l’évaluation régulière. Ce sont des éléments indispensables pour promouvoir un système éducatif moderne et performant.