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Compte rendu de l’ouvrage « Retour à Imlil »  

Compte rendu de l’ouvrage "Retour à Imlil" 
Du Pr. Mohamed Mahdi
Par Soumia Oubah
Doctorante
Université Hassan II – Casablanca
Laboratoire Ladsis

"Retour à Imlil" offre un véritable voyage dans le temps à travers une réflexion patiente sur les changements sociaux, économiques et culturels qui ont transformé la tribu des Rheraya située dans le Haut-Atlas. L’ouvrage relate ces transformations et explore avec finesse, les mécanismes de changement qui redéfinissent à la fois le territoire tribal et les relations humaines qui s’y tissent.

Une immersion dans le temps et l’espace de la recherche

Mohamed Mahdi, qui a entamé ses recherches sur les Rheraya dans les années 1980 avec sa thèse publiée sous le titre Pasteur de l’Atlas, nous invite ici à un retour réflexif sur plusieurs décennies de travail de terrain. Ce retour est à la fois une réévaluation des changements observés et un examen de son propre parcours de chercheur. La véritable originalité de cet ouvrage réside dans la manière dont il met en tension le passé et le présent, créant un va et vient entre l’expérience directe du terrain et la prise de recul que permet le passage du temps. Ce passage du temps structure profondément la réflexion de l’auteur et enrichit son analyse des transformations qui affectent la société des Rheraya.

Les évolutions de cette société peuvent être vues comme une métaphore du changement global. Des sociétés rurales, jusque-là centrées sur l’agriculture et l’élevage, se sont transformées en territoires en pleine mutation, confrontés à des forces économiques, écologiques et sociales qui redéfinissent leur fonctionnement. Ce que l’auteur nous montre avec clarté, c’est l’accélération de ce processus : ce qui semblait autrefois lent et inévitable se produit aujourd’hui à une vitesse telle qu’il pourrait échapper parfois l’analyste.

Le changement comme dynamique multiscalaire et contrastée

L'une des grandes forces de cet ouvrage réside dans sa capacité à appréhender le changement sous un angle complexe et multi-dimensionnel. Mohamed Mahdi ne se contente pas d'examiner les transformations économiques de la région, telles que le passage de l’agropastoralisme à l'arboriculture et au tourisme. Il explore également les répercussions sociales, culturelles et politiques de ces évolutions. Mais ce changement n’est pas uniforme, nous dit l’auteur, qui met en évidence une différenciation grandissante entre les vallées, les douars et les familles de la tribu Rheraya. Si certaines localités, comme Imlil, deviennent des pôles dynamiques du tourisme, d’autres restent en marge, et à l’écart de ces nouvelles opportunités de développement.

Ce phénomène de polarisation sociale, qui traverse tout l’ouvrage, montre bien que le changement social ne se déploie pas de façon linéaire ni égale pour tous. Si Imlil connaît un essor économique indéniable, il ne faut pas ignorer les différenciations sociales et économiques qu'il génère. Les transformations sont vécues différemment selon les individus et les communautés : certains profitent de la modernisation et de ses retombées économiques, tandis que d'autres se sentent dépossédés ou exclus de ces avancées. Retour à Imlil invite ainsi à réfléchir sur les "gagnants" et les "perdants" du changement, tout en soulevant la question des nouvelles fractures sociales qui en découlent.

L’engagement du chercheur dans la transformation du terrain

Une autre dimension marquante de Retour à Imlil est l'auto-analyse que l’auteur fait de son rôle de chercheur. Son implication dans la société Rheraya, au fil des années, dépasse la simple observation distante ; elle se transforme en une participation active, une interaction continues avec les membres des communautés qu’il appelle « mes interlocuteurs ». M. Mahdi, tout en restant un observateur critique, se trouve plongé dans une relation dialectique avec les habitants locaux.

L’expérience personnelle de M. Mahdi, ses relations avec les membres de la tribu, ses échanges et ses réflexions sur ses propres positions enrichissent profondément son analyse. Cette approche anthropologique, qui se veut un engagement authentique et une immersion dans le vécu social, rappelle les principes de l’ethnographie réflexive. Selon cette perspective, la subjectivité du chercheur ne fait pas obstacle à la compréhension des phénomènes sociaux ; au contraire, elle en devient une clé essentielle. L’anthropologue, ici, n’est pas un simple spectateur détaché, mais un interlocuteur impliqué dans les dynamiques sociales qu’il cherche à comprendre.

Le développement territorial, une dynamique complexe

Retour à Imlil interroge également la notion de développement territorial. À une époque où la question du développement est omniprésente dans les débats politiques et académiques, l’ouvrage soulève des questions cruciales. Le développement d’Imlil, par exemple, ne se limite pas à l’installation des infrastructures, au progrès de l’agriculture ou à l’essor du tourisme. Il touche des enjeux beaucoup plus profonds : la transformation des valeurs communautaires, la redéfinition des rapports de pouvoir, et la réorganisation de l’espace.

Mohamed Mahdi, dans cet ouvrage, adopte une approche profondément empirique, pour déconstruire l’idée que le développement serait un phénomène linéaire, uniquement dicté par des facteurs économiques. Il met en lumière comment les acteurs locaux, par-delà les politiques publiques ou des interventions extérieures, façonnent leur propre trajectoire de développement. Ce qui soulève une question essentielle : le développement territorial ne doit pas se mesurer uniquement en termes de croissance économique ou du développement des infrastructures, mais aussi à travers la capacité des communautés à s’adapter, à s’organiser et à redéfinir leur propre modèle de société.

Un ouvrage au croisement de la sociologie et de l'anthropologie

L’approche théorique de l’auteur s’appuie sur une perspective wébérienne, où l’action individuelle occupe une place centrale dans le processus de transformation sociale. Elle tire également son importance du fait qu’elle contextualise les faits. Cela veut dire qu’il donne de l’importance à la situation où se produit l’action (Boudon, 2004). Mohamed Mahdi s’inspire également des travaux de Paul Pascon, qui mettait en avant une sociologie empirique, axée sur l’étude de cas concrets et des processus de changement situés. Retour à Imlil s’inscrit parfaitement dans cette tradition, en combinant les outils de l’anthropologie et de la sociologie pour offrir une vue d’ensemble des mutations affectant une société en transition.

Cet ouvrage ne se contente pas d’étudier simplement les effets du changement sur la société et le territoire, il nous invite à une réflexion plus large sur la façon dont les sociétés rurales, confrontées à la modernité, réagissent et participent à la redéfinition de leur identité. Mohamed Mahdi adopte ainsi une démarche profondément critique, en documentant les faits et essayant de comprendre les conséquences humaines, sociales et culturelles des dynamiques de développement.

Retour à Imlil : Un ouvrage qui nous pousse à repenser le développement

Retour à Imlil dépasse largement l’étude d’une simple région du Haut-Atlas. Il agit comme un miroir où pourrait se refléter les sociétés rurales contemporaine, nous incitant à réfléchir le changement social non pas comme un processus uniforme et linéaire, mais comme un phénomène complexe, marqué par des tensions, des contradictions et des inégalités. L’ouvrage nous invite à réfléchir sur la manière dont les sociétés rurales s’adaptent à des évolutions rapides, sur les fractures sociales qui en résultent, mais aussi sur la capacité de communautés à participer activement à leur propre développement. Ce développement, mené par les habitants eux-mêmes, est un développement endogène, enraciné dans leurs propres dynamiques et aspirations.

Retour à Imlil propose une analyse profonde et éclairante des multiples transformations qui ont affecté la tribu des Rheraya, en abordant les aspects technico-économiques, territoriaux et culturels. Par-delà les descriptions très fines des faits observés, il nous invite à réfléchir sur les dynamiques locales, collectives et individuelles qui ont façonné l’émergence d’Imlil comme localité émergente. Il explore les tensions et contradictions entre tradition et modernité, tout en s’interrogeant sur la pérennité de ces transformations.

Mohamed Mahdi interroge les changements du système agropastoral traditionnel des Rheraya, qui s’oriente désormais vers des activités commerciales comme l’arboriculture fruitière et le tourisme. Car, si ces changements ont contribué à améliorer les conditions de vie de la population, elles ont aussi créé une économie de rente, vulnérable aux fluctuations du marché. Le passage à une économie monétarisée a marginalisé les anciennes pratiques agropastorales, générant des inégalités dans la répartition des bénéfices du tourisme et soulevant des questions sur la durabilité économique et social de ce modèle à long terme.

Simultanément, l’ouvrage met en lumière la restructuration du territoire des Rheraya, en particulier l’émergence d’Imlil comme un nouveau centre, défini par des projets collectifs axés sur l’agriculture et le tourisme. Ce processus a permis de dépasser les anciennes divisions ethniques et tribales pour construire un espace de développement plus inclusif.

Mohamed Mahdi, en étudiant ce processus de changement, a aussi observé des tensions entre la tradition et la modernité. La jeunesse, en rejetant certaines pratiques rituelles traditionnelles comme la vénération des saints, et en se tournant vers une vision plus « purifiée » de l'islam, révèle un véritable conflit idéologique et générationnel. Cette évolution montre clairement l'impact de la mondialisation et du tourisme sur l’identité culturelle des Rheraya, mettant en évidence la difficulté à concilier les valeurs traditionnelles avec les nouvelles influences économiques et sociales qui émergent.

Pour conclure, Retour à Imlil offre, à partir d’un cas, une réflexion approfondie sur les transformations complexes des sociétés rurales marocaines contemporaines. Il invite à repenser le modèle de développement qui cherche à concilier modernisation et préservation de l’identité culturelle, tout en prenant en compte les défis posés par la mondialisation et la durabilité. L’ouvrage met en lumière l’importance des acteurs locaux dans la construction de leur avenir, tout en soulignant les tensions et contradictions inhérentes à ces évolutions. C’est une lecture essentielle pour comprendre les enjeux du développement rural et de la modernisation dans des sociétés en pleine mutation.

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