L’auteur de L’analyse
Pr. Rachid HAMIMAZ
« Le grand remplacement est celui des idées humanistes et émancipatrices par les idées suprémacistes et xénophobes. ». Edgar Morin, sociologue
Edgar Morin dresse ici un constat inquiétant, sans toutefois avancer les causes profondes qui ont conduit à cette situation. Pourquoi en sommes-nous arrivés là ?
Les facteurs explicatifs
Plusieurs facteurs peuvent être avancés. Tout d’abord, la disparition des grandes idéologies mobilisatrices, qui autrefois inspiraient des luttes collectives pour des causes dépassant les simples intérêts individuels. Ensuite, le triomphe du néolibéralisme, qui a imposé une vision du monde centrée sur la matérialité et l’individualisme. Cette vision du monde a emprisonné les individus dans l’idée que seul leur confort personnel compte, reléguant ainsi les idéaux de justice et de solidarité à l’arrière-plan.
Parallèlement, la montée des idées libertaires, qui placent la liberté individuelle comme la seule valeur digne d’être poursuivie, a accentué cette dérive. Cette consécration de l’individu tout puissant, détachée de toute responsabilité collective, a progressivement effrité les valeurs humanistes fondées sur l’empathie, le respect mutuel et la justice collective sans distinction de race ou de religion.
La montée du suprémacisme et de la xénophobie
Dans ce contexte, le suprémacisme et la xénophobie ont trouvé un terrain fertile. Ces idées se nourrissent principalement de la peur de la perte de privilèges : la peur que le confort matériel auquel nous sommes habitués soit menacé par des “hordes d’étrangers” qui viendraient, selon cette logique biaisée, “prendre ce qui nous appartient”, “manger notre gâteau”. Cette vision caricaturale déforme la réalité et repose sur une conception loufoque : celle que notre civilisation matérielle est la seule civilisation légitime.
L’islam : une menace pour l’hégémonie matérialiste
L’islam, précisément parce qu’il remet en question cette vision individualiste et matérialiste, constitue une alternative puissante. Il invite à se libérer des illusions de la matérialité et prône un détachement des biens éphémères au profit de valeurs plus universelles, comme la solidarité humaine qui transcende les intérêts personnels. C’est cette idée, profondément subversive pour l’édifice idéologique dominant, qui constitue une menace. Pour la contrer, il devient impératif de la discréditer : en enlaidissant l’image de l’islam et en transformant ses adeptes en consommateurs d’opulence, détachés de leurs traditions et de leurs valeurs fondamentales.
Chez certains, cette xénophobie se voit justifiée par une interprétation dévoyée du sacré : la croyance que Dieu aurait élu un peuple ou une civilisation pour dominer les autres, conférant ainsi une apparence de légitimité divine à des idéologies de supériorité.
La rupture avec les valeurs transcendantes
En observant ces dynamiques, on constate que la source profonde de ce glissement réside dans l’effacement de Dieu et des valeurs transcendantes qu’Il incarne. Avec l’absence de Dieu dans la conscience collective, c’est l’ego qui a pris toute la place. Un ego qui se nourrit de l’illusion de sa toute-puissance et refuse d’accepter sa propre finitude. Dans une maison où la lumière ne pénètre plus, prolifèrent toutes sortes de créatures et de nuisibles. Il en va de même pour le cœur.
La résistance palestinienne : au-delà de la lutte pour la terre
Il convient donc de comprendre que la résistance palestinienne dépasse largement le cadre d’une simple lutte pour la terre. Elle incarne un rejet profond d’un monde dominé par la matérialité et le suprémacisme de l’ego. Il n’est pas surprenant que de nombreux observateurs, impuissants face à la tragédie qui se déroule à Gaza, aient été profondément impressionnés par la résilience de ce peuple, par son attachement aux valeurs humanistes, solidaires et inclusives qu’il continue de défendre, ainsi que par la force qu’il puise dans la prière et la méditation du texte sacré, qui lui offrent un refuge spirituel et une source de courage face à l’adversité.
Biographie
Edgar Morin, né en 1921, est reconnu comme l’un des plus grands intellectuels français. Sociologue et philosophe de la complexité, il est également une figure majeure de la pensée systémique. Observateur lucide de son époque et véritable lanceur d’alerte mondial, il dénonce inlassablement les dérives de la mondialisation et les excès d’un système soumis au culte de la croissance. Auteur prolifique, il a abordé des sujets aussi variés que l’épistémologie, les sciences sociales, l’écologie et l’éthique. Son œuvre majeure, La Méthode, propose une approche transdisciplinaire pour comprendre la complexité du monde. Humaniste militant, il invite à repenser les crises contemporaines en rétablissant des liens profonds entre science, culture et spiritualité.
Installé à Marrakech, Edgar Morin est marié depuis 2012 à Sabah Abouessalam, sociologue d’origine marocaine.