Date et heure

recherche outil
La revue a mis en place un service de téléchargement des différents numéros de notre revue . *** Celui sur la pauvreté au Maroc est déjà disponible …
bannière Site 9
«Le printemps arabe contre les peuples arabes»?D’«un automne vert» à «avenir incertain»La fin d’un mythe : l’idée de l’unité arabe
Entre l’automne 2010 et le printemps 2011, le monde était témoin d’un mouvement général de contestations populaires qui traversa tous les pays arabes. Ces mouvements, bien que d’ampleur et d’intensité disparates, auront néanmoins indéniablement changé la face du monde arabe par leurs conséquences multidimensionnelles englobant un très large spectre, allant de la chute de régimes autoritaires et antidémocratiques aux guerres civiles pour les pays les plus fortement impactés, en passant par d’ambitieuses réformes sociales et politiques pour les pays qui l’ont moins été. En tout cas, ce mouvement général a débouché, en tout coin de ce monde arabe, de gré ou de force, à une avancée historique de la cause démocratique. Historique était en effet cette séquence et à laquelle on se réfèrera désormais par l’expression de « Printemps arabe ».  

Pr. BENMESSAOUD TREDANO Abdelmoughit 

I. UN ÉVÉNEMENT CERTES HISTORIQUE, MAIS PAS SI INÉDIT DANS L’HISTOIRE POLITIQUE MODERNE

Entre l’automne 2010 et le printemps 2011, le monde était témoin d’un mouvement général de contestations populaires qui traversa tous les pays arabes. Ces mouvements, bien que d’ampleur et d’intensité disparates, auront néanmoins indéniablement changé la face du monde arabe par leurs conséquences multidimensionnelles englobant un très large spectre, allant de la chute de régimes autoritaires et antidémocratiques aux guerres civiles pour les pays les plus fortement impactés, en passant par d’ambitieuses réformes sociales et politiques pour les pays qui l’ont moins été. En tout cas, ce mouvement général a débouché, en tout coin de ce monde arabe, de gré ou de force, à une avancée historique de la cause démocratique. Historique était en effet cette séquence et à laquelle on se réfèrera désormais par l’expression de « Printemps arabe ».  

Néanmoins, il convient de souligner que par-delà son caractère poétique et son style romantique, cette expression est proprement historique car elle renvoie à plusieurs évènements semblables qui se déroulèrent dans différentes régions du monde et sur une séquence historique de presque deux siècles. En effet, en 1848 déjà, une grande partie de l’Europe expérimentait des mouvements populaires révolutionnaires qui distillèrent un vent de démocratisation et de libéralisation irrésistibles, allant de la France à la Pologne, en passant par l’Autriche et principalement l’Allemagne. Ces évènements se déroulèrent principalement entre fin février et juillet de l’année : c’est ce qui leur valurent un siècle plus tard l’expression « Printemps des peuples ».

Depuis lors, nombreuses autres contestations en différentes régions du monde ayant abouti à une démocratisation et libéralisation de leurs systèmes politiques ont été à leur tour nommés poétiquement, notamment celles qui ont mené à la dislocation de l’Union Soviétique à partir de 1989. On citera la « révolution de Velours » de 1989 en Tchécoslovaquie, la « révolution des bulldozers » serbe en 2000 qui à son tour inspirera ces révolutions aux références florales et fruitées telles que la « révolution des Roses » de 2003 en Géorgie, la « révolution Orange » de 2004 en Ukraine ou encore la « révolution des Tulipes » de 2005 au Kirghizstan. 

Ainsi exprimé, le « Printemps arabe » est indéniablement un événement historique car il s’inscrit dans cette histoire de révolutions de peuples convaincus de la nécessité de bâtir, et par leurs propres moyens et leurs propres actions, des systèmes politiques démocratiques, ouverts et pluralistes. D’ailleurs, ces mouvements populaires ne sont pas propres aux sociétés vivant sous des régimes autocratiques et sans expérience démocratique, mais sont tout à fait universels car ils concernent aussi bien des sociétés à systèmes politiques ouverts et ayant une expérience extensive du fait démocratique. A cet égard, le mouvement des Gilets jaunes en France en est la parfaite illustration. De même, on dénombre pas moins de 45 États au cours des seules années 2019 et 2020 ayant fait face à de fortes contestations populaires en leur sein. 

II. UN PRINTEMPS SPONTANÉ OU INSPIRÉ ?

a. Le contexte

Comme démontré précédemment, le « Printemps arabe » est un événement politique majeur ayant une portée historique et ce, bien qu’il ne soit pas inédit dans l’histoire politique moderne universelle. Sa portée historique s’illustre dans la façon avec laquelle il a refaçonné le Monde arabe dans son unité et sa diversité. Le Moyen-Orient, a notablement été impacté par le « Printemps arabe », comme l’ont illustré  les guerres civiles en Syrie et Irak. Cette région, autrefois connue comme berceau de civilisation et de l’écriture, est aujourd’hui rendue tristement célèbre par ses incessantes divisions, destructions et effusion de sang.

Si le « Printemps arabe » a eu une portée historique, il faut, pour en appréhender l’ampleur, le resituer dans un processus historique ayant débuté trois décennies plus tôt, suite à ce que l’Histoire a retenu comme « l’année qui a fait le monde actuel », à savoir 1979. En effet, cette année décisive au Moyen-Orient, et plus généralement dans le monde, a vu se concrétiser d’innombrables évènements politiques et géopolitiques majeurs : la Détente entre les deux superpuissances Américaine et Soviétique prit fin lorsque cette dernière décida d’envahir l’Afghanistan ; Afghanistan qui sera défendu par des Moudjahidines entraînés et armés par les États-Unis, aux frais de l’Arabie Saoudite. 

De même, c’est lors de cette même année que l’Égypte d’Anouar al Sadate décida de signer une paix séparée à Camp David avec son ennemi de toujours, Israël. Enfin, on retient surtout que 1979 est l’année qui vit un changement radical de régime en Iran, avec le renversement du Chah Mohammad Reza Pahlavi – allié accommodant des États-Unis et des Occidentaux en général – avec une prise de pouvoir spectaculaire et théâtralisée d’un régime de Mollahs proprement théocratique qui, en plus d’être fondamentalement hostile aux intérêts américains et occidentaux et de vouloir exporter sa révolution, ambitionne de se doter de l’arme nucléaire pour assurer sa sécurité et peut-être même, comme le prétendent certains médias occidentaux, « rayer Israël de la carte».

Depuis lors, des évènements politiques et géopolitiques de natures et de formes diverses, mais tout à fait impactant sur l’ordre international existant depuis 1945, eurent lieu. Cependant, il convient de souligner un trait particulier depuis lors en le retour du fait religieux comme facteur déterminant et prépondérant dans les affaires politiques et internationales, et en particulier en ce qui concerne les affaires arabes et moyen-orientales. 

En effet, des évènements majeurs depuis la Révolution Islamique d’Iran et jusqu’à la veille du déclenchement du Printemps arabe participeront d’un processus d’enracineront du fait religieux dans les affaires politiques et de la consécration de l’islam politique. Les attentats du 11 Septembre 2001 verront les États-Unis, puissance hégémonique depuis la chute du Mur de Berlin, déployer une politique globale de « guerre contre le terrorisme » qui déstabilisera indéfiniment le Moyen-Orient avec d’abord une guerre en Afghanistan contre les Talibans en 2001, suivie d’une invasion illégale et particulièrement destructrice de l’Irak en 2003. Ces deux guerres renforceront davantage l’enchevêtrement du religieux à l’idéologique au sein du paysage politique des sociétés arabes. Les victoires, électorale pour le mouvement palestinien islamiste Hamas en 2006, et militaire du mouvement islamiste libanais d’obédience chiite Hezbollah face à l’agression israélienne au cours de la même année ont renforcé ce fait, et exacerbé les antagonismes qui peuvent en découler.

b. Les raisons objectives d’un printemps spontané

Face à cette ébullition de la scène internationale mettant aux prises le Moyen-Orient, la scène interne demeurait au contraire dans une atonie stupéfiante dans la majeure partie des sociétés arabes, et ce jusqu’à la veille des contestations populaires enclenchées en Tunisie en Décembre 2010, suite à la mort de Mohamed Bouazizi. Ce vendeur à la criée de quatre-saisons décida de mettre fin à ses jours suite à la confiscation de son outil de travail par les autorités locales, en plus de l’humilier. Son acte radical, exprimant un désespoir incommensurable face à une structure verticale, anti-démocratique et fort corrompue, embrasera la Tunisie jusqu’à la chute du régime autocratique de Ben Ali en un mois seulement, alors que celui-ci semblait auparavant consubstantiel au destin de la nation tunisienne. D’autres régimes arabes, qui le semblaient tout autant consubstantiels aux nations dont ils étaient maîtres, disparaîtront dans les mois qui suivront ou bien seront empêtrés dans des guerres civiles, à défaut de pouvoir se réformer.

En effet, le souffle de l’embrasement démocratique tunisien atteindra jusqu’aux confins du monde arabe, et des régimes notoirement autoritaires depuis plusieurs décennies en seront renversés, notamment celui de Kadhafi et sa famille, qui régnaient en maître sur la Libye depuis 1969, celui d’Abdallah Saleh au Yémen depuis 1978 ou encore de Moubarak en Égypte depuis 1981. D’autres régimes seront empêtrés depuis lors dans des guerres civiles aux conséquences humanitaires des plus désastreuses du 21e siècle, notamment celui de la famille Al Assad en Syrie, au pouvoir depuis 1970. Ces régimes, tous républicains et autocratiques, seront les plus durement secoués, sinon renversés. Néanmoins, il convient de noter que les régimes monarchiques arabes, dont le degré d’absolutisme varie d’un pays à l’autre, seront aussi fortement impactés par les effets de ce souffle démocratique, avec notamment des réformes démocratiques et sociales au Maroc ou encore en Jordanie. 

Ce souffle démocratique est venu donc bouleverser cette pusillanimité démocratique à peine masquée que vivaient ces pays et dont les gouvernements, rentiers idéologiques de systèmes politiques dont les nombreux échecs n’étaient plus à prouver tels que le Nassérisme en Égypte, le Baathisme en Irak et Syrie ou encore le communisme au Yémen du sud, n’ont jamais pu faire face courageusement et efficacement aux très nombreux dysfonctionnements économiques, sociaux et politiques que connaissaient leurs populations. Les fléaux endémiques du monde arabe, à savoir la pauvreté, l’analphabétisme et l’autoritarisme transcendaient les différences de systèmes socio-économiques et politiques, les monarchies libérales-autoritaires étant ainsi tout autant concernées par ces mêmes dysfonctionnements. 

Ainsi, comment peut-on attendre du citoyen arabe qu’il ne se lève pas à un moment pour réclamer immédiatement ce qu’on lui promet depuis l’indépendance de son pays ?

Certes, toutes les raisons mentionnées ci-dessus laissent peu place au doute à propos du caractère spontané du Printemps arabe. Néanmoins, il convient de souligner une grande spécificité à l’Histoire politique contemporaine du Moyen-Orient qui reste la région, plus que toute autre, la plus poreuse aux ingérences étrangères. D’ailleurs, la « main étrangère » a été constamment soupçonnée lorsqu’il s’agissait de protéger l’allié israélien, ou miner une opposition démocratique ou toute partie souhaitant défendre la souveraineté politique et économique face aux appétits des puissances néo-impérialistes. 

III. LA GÉOPOLITIQUE DU MONDE ARABE HÉRITÉE DU PRINTEMPS ARABE

Considérant la portée historique de cet événement sur le Monde arabe contemporain, celle-ci portera en elle les germes d’une nouvelle configuration géopolitique de ce dernier : une nouvelle géopolitique du Monde arabe naîtra du Printemps arabe.

Ce monde désormais bousculé dans et en son ensemble, devra recomposer avec une nouvelle donne géopolitique marquée par une plus grande intensité des antagonismes préexistant au printemps, et par la naissance d’une myriade de nouvelles rivalités. Cette nouvelle donne poussa à leurs paroxysmes le soupçon et la méfiance, et les ingérences des puissances étrangères n’ont fait qu’ajouter de l’huile au brasier constaté. 

En effet, à l’exception de la région du Maghreb où le Maroc et l’Algérie restent rivés sur leurs constantes géopolitiques et idéologiques depuis près d’un demi-siècle autour de la question du Sahara, le Moyen-Orient connaîtra une plus grande intensité dans les frictions entre les plaques tectoniques qui soutiennent cette nouvelle configuration géopolitique, mettant aux prises factions, États, et blocs géopolitiques rivaux dans un système complexe et multidimensionnel d’alliance et d’inimité entre ces acteurs. 

Cette nouvelle donne hautement volatile du Moyen-Orient sera rythmée aux grés de la qualité et de l’intensité des relations qu’entretient l’Iran avec son voisinage, mais aussi de sa prétention nucléaire qui reste son objectif ultime. Si ceci est l’objectif ultime de la République Islamique, il en dérivent les objectifs ultimes de ses rivaux et ennemis étatiques, à savoir l’empêcher à tout prix et par tous les moyens de se doter d’une capacité nucléaire, car celle-ci présenterait une menace existentielle à leur égard. À ces inimitiés et rivalités interétatiques concourant à l’hégémonie régionale et l’éternel enlisement de la question palestinienne, s’ajoutent désormais le péril des régimes islamistes servant de cinquième colonnes à des puissances exogènes prédatrices et déstabilisatrices de ce Monde arabe. Concomitamment à cette situation d’instabilité, plusieurs États de ce monde arabe qui portaient traditionnellement une vision globalement positive pour celui-ci et qui disposaient de moyens à leurs ambitions, n’ont pas su capitaliser sur cet élan printanier afin d’insuffler un paradigme radicalement nouveau pour la région et le citoyen arabe. 

L’Égypte par exemple est plombée par les incertitudes politiques, surtout que le Conseil supérieur de l’armée a décidé de mettre un terme au processus de démocratisation, processus qui pouvait dans son accomplissement stabiliser le champ politique. De même, son poids démographique, couplé aux vives tensions avec l’Éthiopie en rapport au barrage du Nil, pèsent comme une épée de Damoclès sur le pays des pharaons. L’Irak, autrefois le pays le plus développé du monde arabe, a été ramené à l’ère préindustriel en 1991 selon un responsable de l’ONU. Le « pays des deux fleuves », berceau de civilisation, vit une instabilité permanente et la souveraineté de son État a été intégralement bafouée par les puissances étrangères, qu’elles soient occidentales ou régionales. À ce propos, il n’est pas exagéré de dire que le pays vit désormais véritablement sous tutelle iranienne.

En 1973, le secrétaire d’État américain Henry Kissinger déclarait : « Il ne peut y avoir de guerre dans le Moyen-Orient sans l’Égypte […] Mais il ne peut y avoir de paix dans le Moyen-Orient sans la Syrie » lors de sa première visite en Syrie, afin de témoigner de l’importance souveraine dont jouissait alors le pays au lendemain de la Guerre du Kippour, ainsi que de son influence sur la région. On pourrait toujours admettre aujourd’hui qu’il « ne peut y avoir de paix dans le Moyen-Orient sans la Syrie » car le pays est depuis le déclenchement du printemps arabe le théâtre d’une guerre civile internationalisée catastrophique autant sur le plan humanitaire que sur les perspectives de paix régionale. 

En effet, le « Pays du Levant » est la scène de guerre par procuration menée par des puissances étrangères rivales employant d’important moyens comme l’Arabie Saoudite, l’Occident, Israël, la Turquie et l’Iran. La République Islamique reste effectivement le centre à atteindre et le terrain syrien en constitue la périphérie à déstabiliser. Enfin, de nombreux sommets organisés par des pays charitables et dits « amis de la Syrie » n’ont fait qu’alimenter et cristalliser les antagonismes entre les différentes factions syriennes, renvoyant une paix syrienne véritable aux calendes grecques. D’ailleurs, ce procédé n’est pas sans rappeler le tragique destin de la question palestinienne, reléguée depuis longtemps aux oubliettes.

Les pays du Golfe sont quant à eux engagés dans une guerre par procuration multidimensionnelle face à leur adversaire iranien et ses alliés composant l’« arc chiite », arc mêlant États et acteurs armés non étatiques. Cette guerre par procuration réalisée à une échelle sous-étatique vivifie une animosité entre factions chiites et sunnites, radicalisés par un discours idéologique et manipulateur de la part de leurs États patrons. Il convient cependant de souligner que cette exacerbation est aussi une conséquence d’une certaine mise sous tutelle occidentale pro-israélienne des États du Golfe, qui espère bien et travaille à créer les conditions d’une alliance forcée entre ces monarchies du Golfe et Israël pour faire face à un péril commun, en l’occurrence iranien. 

Un autre acteur, et non des moindres, de la scène géopolitique moyen-orientale depuis le Printemps arabe est la Turquie. Ce pays, à cheval entre les mondes orientaux et occidentaux, turciques et slaves, musulmans et laïques, a témoigné d’un parcours de politique étrangère que l’on pourrait qualifier pour le moins de hautement volatil.

D’une politique précédemment établie comme celle du « zéro problème avec les voisins » qui ambitionnait d’éliminer tout problème dans ses relations avec ses voisins, voire construire des liens de coopérations multidimensionnelles avec ces derniers, la Turquie la fit progressivement évoluer vers une politique qualifiée désormais de néo-ottomane. Cette nouvelle version de sa politique étrangère se mesure à un interventionnisme tout azimut dans son entourage en feu, qui se trouve être aussi des contrées ottomanes par le passé.

En effet, autrefois engagée pour le leadership du monde musulman sunnite en se portant bouclier autoproclamé de la cause Palestinienne et engageant une posture d’une hostilité inédite à l’encontre d’Israël depuis l’épisode du Forum de Davos de 2009, la Turquie fût néanmoins amenée à aplanir ses relations avec Israël. Ce changement d’attitude envers l’État juif est venu pour contrer la menace d’une contagion de velléités du Kurdistan Syrien, et assurer une présence militaire au nord du pays pour empêcher tout risque de contagion aux zones d’Anatolie peuplées par les Kurdes. Enfin, la Turquie s’est projetée en dehors de son voisinage immédiat avec une présence notable en Libye, au Qatar ou encore en Somalie.

Enfin, pour clôturer ce tour d’horizon de la géopolitique du monde arabe héritée des révoltes populaires de 2011, le cas du Soudan condense aussi les maux dont souffrent ces pays arabes qui, au départ, jouissent d’une situation plutôt favorable pour le développement et l’épanouissement de leurs citoyens. Le pays, autrefois le plus grand du monde arabe et véritable grenier de ce dernier, fût départi de toute sa partie Sud, riche en pétrole, et qui constitue depuis 2011 un État indépendant. De même, le pays connaît toujours une situation de guerre civile au Darfour, région ouest du pays riche en cuivre et en uranium. Ce conflit armé est par ailleurs considéré comme étant la plus grande catastrophe humanitaire avec plus de 300 000 morts. Cet enchaînement de tragédies et de divisions incombe amplement au régime folklorique et exotique de Khartoum. 

IV. L’ÉTAT GÉOPOLITIQUE DU MONDE ARABE ET SES PERSPECTIVES

L’état géopolitique actuel du monde arabe est le fruit de dynamiques rivales, voire antagoniques menées par les puissances que sont Israël, l’Iran, l’Arabie Saoudite et la Turquie ; dynamiques dont l’inertie mène inévitablement à une désagrégation de ce monde et qui enterrent de fait l’idée, ou plutôt le mythe, de son unité. Cette inertie reconfigure la région à travers de nouveaux clivages qui, se fossilisant, admettent désormais une logique de blocs dont chacun porte une conception et des finalités propres. En effet, il semble que le monde arabe soit désormais le terrain de compétition entre trois blocs que l’on aura identifiés comme : le bloc iranien, le bloc des pays du Golfe et le bloc occidental. 

En ce qui concerne le bloc iranien, celui-ci intègre dans ses rangs principalement des acteurs non étatiques, sans que les acteurs étatiques ne soient pour autant en reste. Parmi le premier type d’acteurs, les Houthis au Yémen, le Hachd al-Chaabi en Irak ainsi que le Hezbollah en Syrie et au Liban contribuent à la défense des intérêts du bloc iranien, et mènent généralement des guerres par procuration pour la défense de ce qu’ils appellent affectueusement « le grande frère » iranien. Outre ce type d’acteur non étatique, il faut soulever que ce bloc a été renforcé par l’intervention d’une puissance étatique de premier plan à compter de 2015, la Russie. En intégrant le terrain syrien et en combattant aux côtés de l’État syrien dirigé par Bachar al Assad, tout porte à observer que les intérêts russes et ceux du bloc iranien dans la région sont globalement convergents.

Face à ce bloc iranien, le bloc du Golfe est composé des monarchies de la péninsule arabique et du Golfe, en plus de la Jordanie et de l’Égypte. Ce bloc, mené par l’Arabie Saoudite, admet à son actif une richesse en ressources pétrolières et gazières, richesses qui constituent depuis le choc pétrolier de 1973 une carte géopolitique majeure. De même, le bloc est aussi connu pour sa stabilité, bien qu’elle reste tributaire de la bonne exploitation de ces richesses. Enfin, toujours en ce qui concerne ses atouts, le bloc est organisé institutionnellement à travers le Conseil de Coopération du Golfe, popularisé sous l’acronyme « GCC », afin que ses membres agissent comme « un seul homme » lorsqu’il s’agit de la mise en danger des intérêts d’un d’entre eux. Néanmoins, ce bloc est aussi marqué par l’autoritarisme et surtout, la personnalisation du pouvoir qui peut porter préjudice à la conduite d’une politique étrangère stablement structurée, car cette dernière caractéristique conduit souvent à la prise de décisions hâtives générant des tensions ; tensions qui constituent une brèche pour l’ingérence afin de semer la discorde et attiser la méfiance. 

Sur ce dernier point, l’Occident a toujours été prompt à le mettre à son profit afin de garder une main sur la région et qui est davantage prédatrice et parasitaire, plutôt qu’utile et serviable. Cet Occident, organisé aussi en bloc, rassemble de manière hybride un ensemble hétéroclite d’acteurs avec à leur tête les États-Unis qui chapeautent ce bloc composé de leurs alliés traditionnels, à savoir Israël ainsi que les cinq pays du Golfe qui accueillent des bases militaires américaines. Ce bloc a été récemment renforcé avec la série de normalisation des relations entre quelques-uns des États du Golfe et Israël. Dans les autres États de la région qui déchirés entre les blocs iranien d’une part et ceux du Golfe et de l’Occident d’autre part, les États-Unis intensifient les liens avec des forces politiques locales : les sunnites en Irak, les Kurdes en Syrie, les chrétiens et les sunnites au Liban.

Ainsi, ces blocs enchevêtrés et paramétrés dans une logique de confrontation multidimensionnelle et sur plusieurs niveaux, posent les enjeux suivants qui seront déterminants pour le futur du monde arabe : le nucléaire iranien, le départ des puissances étrangères de la région (États-Unis, Turquie et Iran) et enfin, la sécurité d’Israël.

V. PERSPECTIVES

Le Monde arabe semble, au vu de ce qui précède, bien infortuné de la tournure qui semble avoir été engendrée par le Printemps éponyme de 2011. Néanmoins, il existe de bonnes et nombreuses raisons d’espérer que cet événement, que l’on a compris comme proprement historique, soit catalyseur d’une nouvelle séquence historique marquée par une régénérescence multiforme de ce monde, le convergeant vers les idéaux qui animent chaque citoyen dignement arabe de ce monde : la justice et l’équité.

Cette régénérescence peut s’appuyer sur plusieurs atouts que présente ce monde arabe afin de réduire les chances de contre-révolutions, que l’on croît abusivement et bien souvent, irréversibles. En effet, l’on peut citer parmi ces atouts tout d’abord un élément psychologique, à savoir le syndrome de la peur qui a pratiquement disparu, alors qu’il muselait autrefois toute initiative jusque même dans la sphère privée. Avec la disparition de ce syndrome de la peur, la prise d’initiative repris ses droits au sein des sociétés civiles arabes qui désormais s’organisent, débattent et n’hésitent plus à s’opposer aujourd’hui ; et c’est cette prise d’initiative retrouvée qui mis fin au fatalisme des pays arabes que l’on croyait condamnés à des régimes despotiques.

De même, l’image de l’Arabe aux yeux de l’autre, non-arabe, a fondamentalement changé. En effet, en reprenant son destin entre ses mains et en s’imposant au gré de son courage et de sa haute aspiration à la dignité, le citoyen arabe s’est extirpé de cette position où il était constamment infantilisé, que ce soit par les autorités de son pays ou par les sociétés étrangères non peu fières de leurs « libertés individuelles » et autonomie politique, et qui aiment à l’occasion endosser le rôle non sollicité de tuteur, – wâli –, au citoyen arabe.

Néanmoins, il convient aussi de prendre en compte quelques réalités de ce monde qui constituent des défis structurels aux sociétés arabes post-printanières. Ces sociétés sont caractérisées par une pyramide des âges dominée par une jeunesse diplômée mais bien souvent désœuvrée, du fait de timides et insuffisantes opportunités professionnelles qui s’y trouvent, et qui font d’eux depuis plusieurs décennies des candidats à l’exode. Ainsi, il s’agirait désormais de mettre à niveau l’infrastructure économique aux besoins et attentes de cette jeunesse dont la volonté de bâtir son propre futur n’est plus à prouver, et qui à terme améliorera sensiblement la situation socio-économique de ces sociétés.

Enfin, le citoyen arabe est plus que jamais conscient, dans ce monde désormais rétréci en village planétaire, de son identité propre. Ainsi, il est prompt à non seulement la protéger et la sauvegarder, mais il est aussi animé par une volonté de la partager avec le reste du monde au moyen d’une image de soi revalorisée, et d’une confiance renouvelée en son génie culturel. D’ailleurs, le génie propre à cette civilisation arabe est sa langue infiniment riche et constituant une source intarissable pour la créativité conceptuelle et pour la structuration de modèles renouvelés dans tous les champs de l’expérience humaine. Enfin, cette langue raffinée à l’écoute, à l’écriture ainsi qu’à la prononciation doit pouvoir s’exprimer sous toutes les formes. Tout compte fait, il est grand temps de frotter La lampe merveilleuse au sein de laquelle somnole depuis fort longtemps le génie arabe : voici donc un conte inscrit dans notre tradition et avec lequel il s’agirait de renouer aujourd’hui, pour avoir à conter demain.

CONCLUSION

L’histoire de l’humanité nous apprend que les révolutions n’ont jamais connu d’évolution linéaire et ne se sont pas accomplies en quelques années seulement. Des résistances réactionnaires, voire des reflux, sont possibles. Cependant, le processus de mutation de l’ensemble des pays arabes semble être quasi irréversible en ce qu’il y a l’instauration au sein de ces sociétés comme valeurs suprêmes et points cardinaux la dignité et la liberté. Enfin, il y a la reprise de la parole par des citoyens cantonnés des décennies durant par différents pouvoirs aux affres de la marginalité, de la misère et de la non-participation à la chose politique.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *