L’accès à l’eau, un Droit.
Consacrée dans les déclarations et agendas des nations unies (2010, 2015, 2016) et la constitution marocaine de 2011 (art. 31) , ainsi que par la loi 36-15 telle que promulguée en 2016, l’eau est un ‘’Bien commun'’, qui ne peut être considéré comme un bien économique, au sens de bien marchand. Ou, autrement exprimé, de bien dont certains pourraient être privés pour incapacité d’aller au marché. Cependant, les modes de gouvernance, d’exploitation et les choix agricoles des dernières décennies au Maroc (privatisation de la gestion, cultures intensives, modes d’irrigation obsolètes, puits anarchiques , etc.) soulèvent des incohérences à fort impact sur les ressources hydriques, et vont à contre-courant des proclamations de foi officielles ainsi que des objectifs de développement durable et de protection de l’environnement et de la reconstitution du capital forestier du pays. Un seul indicateur en dit long sur le stress hydrique. La quantité d'eau par habitant, annuellement disponible pour chaque Marocain, est passée de près 2000 m³ en 1965 à moins de 700 m³ depuis 2020.
Pour infléchir cette tendance, il est temps d’agir dans le sens de la réduction des usages agricoles de l’eau à moins de 50% des ressources mobilisées, au lieu de plus de 80% actuellement, le dessalement de l’eau de mer, le recyclage des eaux usées pour les usages touristiques, la lutte contre les pollutions et, à plus long terme, le reboisement du pays qui perd annuellement près de 30.000 h de son couvert végétal.
La présente communication traite principalement de l’eau domestique – dite également Eau à boire, par opposition à l’eau à usage agricole, qualifiée d’Eau à manger – en milieu urbain, dont la gestion est symptomatique, depuis la fin du 20ᵉ siècle, d’une sorte de schizophrénie de l’approche des politiques publiques en la matière, tiraillées entre un discours social, adossé au droit, et une pratique de marché, à fondement essentiellement d’ordre financier.
L’Eau, bien naturel, universel, vital, non substituable, longtemps considéré comme inépuisable, parce que renouvelable, est, désormais, une ressource rare.
Si les premières caractéristiques en faisaient, et en font toujours, un bien à part, l’abondance relative qui marquait globalement sa disponibilité jusqu’au milieu du XXe siècle conduisait la plupart des économistes à le considérer comme un bien non économique. Étant donné que c’est la rareté, en plus de l’utilité, qui confère à n’importe quel élément pouvant satisfaire un quelconque besoin humain la possibilité d’être offert et demandé dans un système déterminé d’échange. Cependant, et quand bien même la rareté de l’eau soit dorénavant tout à fait avérée et indiscutable, il n’existe pas de bien, à l’heure actuelle, dont le qualificatif d’économique ou de simple bien marchand, soit autant objet à réserves.
La rareté de plus en plus affirmée de l’eau est l’une des conséquences les plus importantes de l’augmentation rapide de la population mondiale enregistrée, surtout au cours des 50 dernières années du 20ᵉ siècle, et de l’accentuation des pollutions qui ont rendu une grande partie des eaux de surface et souterraines impropres à la con-sommation. Et encore davantage au cours du premier quart du 21ᵉe pendant lequel le dérèglement climatique a combiné sécheresses sévères et inondations catastrophiques dans toutes les régions du monde.
Cette tendance à la raréfaction s’exprime par une baisse très rapide des disponibilités en eau par habitant, particulièrement dans les zones les plus sèches, qui sont aussi les régions où vivent les populations des pays les plus pauvres.
Globalement, et sur la base des deux notions prises en considération pour approcher une situation de rareté de l’eau qui sont celles de l’état d’alerte et de l’état de pénurie, l’ONU avait retenu en 1996, partant d’une hypothèse moyenne de croissance de la population mondiale, que 2,2 milliards de personnes connaîtraient en 2050 une situation de pénurie d’eau, et 4,6 milliards vivraient une situation d’alerte. Ce qui devrait représenter un total de 6,8 milliards de personnes vivant dans plus de 60 pays.
Et dès 2015, on estimait que plus d’une personne sur dix sur terre n’avait pas d’accès à une eau potable, comme cela est indiqué dans le tableau ci-après.
*Accès à l’eau potable « en toute sécurité », c’est-à-dire à la fois à domicile, au moins douze heures par jour et eau non contaminée.
Source : OMS, Unicef. Données 2015 – © Observatoire des inégalités.
Dans cette configuration globale, le Maroc cumule deux caractéristiques. En effet, il est l’un des pays du pourtour méditerranéen les plus affectés par le stress hydrique, comme il enregistre, du point de vue de sa politique de l’eau, un bien grand décalage entre les proclamations ‘’Droits de l’homme’’ en la matière de ses autorités publiques et le primat ‘’capital privé‘’ des interventions effectives de ces mêmes autorités.
- 1945-1980 : 21,7 Milliards de m³ (MM m³).
- 1945-2021 : 17,9 MMm³, soit 17,5% de réduction.
- 1981-2021 : 14,6 MMm³, soit 32,9% de réduction.
- 2015-2021 : 10,4 MMm³, soit 52,1% de réduction par rapport à 40 ans plus tôt.
Et, au 13 avril 2023 (jour de l’organisation de cet atelier) le taux de remplissage des principaux barrages du pays était de 33,9 %, en recul de 0,5 point par rapport au même jour, une année plus tôt, soit 5,46 milliards de m3 contre 5,54 milliards de m3 (au 13 avril 2022) . Deux an-nées parmi les plus sèches que le Maroc ait jamais con-nues.
Par ailleurs, une telle baisse tendancielle, sur plusieurs décennies, couvre une très grande variabilité dans les hauteurs des précipitations selon les années. On estime de la sorte les ressources en eau superficielle tombant sur l’ensemble du territoire marocain à une moyenne annuelle de près de 18 milliards de m³, mais variant selon les années de 3 Milliards à 48 Milliards de m³, soit dans une échelle de 1 à… 16 .
Dans le même sens, cette variabilité temporelle de la quantité de pluie s’accompagne d’un grand déséquilibre spatial. Ainsi, sur la période allant de 1940 à 2017, les précipitations annuelles se répartissent, globalement, comme suit :
- + de 800 mm dans la région Nord-Ouest du pays ;
- Entre 400 à 600 mm dans la région du Centre ;
- Entre 200 et 400 mm dans la région de l’Oriental et du Souss ;
- Entre 50 et 200 mm dans les zones sud-atlasiques . Hauteurs des précipitations dans les différentes régions du Maroc.
Source : Direction de la Météorologie nationale.
Une telle évolution, est-elle inexorable ? Nous verrons dans les propositions de solutions, avancées en conclusion de ce texte, que non, notamment en luttant plus activement contre le réchauffement du climat et en renforçant le cou-vert végétal du pays.
Comment les autorités publiques sont-elles tenté d’y remédier ? Elles ont suivi pour cela deux approches parallèles, dont tout indique que la première a servi de marche pied à la seconde.
l’État au Maroc a justifié l’approche qu’il a adoptée en matière de gestion de l’eau par le fait que les ressources hydriques du pays sont devenues rares, comme cela vient d’être indiqué, ce qui oblige, selon la doctrine qui est la sienne depuis les années 1990, à de nouveaux modes de gestion, ne pouvant plus relever de la seule sphère pu-blique et non-marchande.
Or, en se plaçant dans une telle posture, il fait claire-ment fi autant de l’article 31 de la constitution marocaine, telle qu’adoptée par le référendum du 1er juillet 2011, que de la loi sur l’eau de 1995, modifiée par celle de 2016, comme de la déclaration de l’Assemblée générale des Nations-Unies, que le pays a signée, avec 121 autres États, au mois de juillet 2010.
Jusqu’au cours de la dernière décennie (2010/2020), le Maroc faisait partie des rares pays à travers le monde (14) à voir rendu constitutionnel le droit d’accès à l’eau . Dans ce sens, on peut lire à l’article 31 de la Constitution adoptée le 1ᵉʳ juillet 2011 que :
Jusqu’au cours de la dernière décennie (2010/2020), le Maroc faisait partie des rares pays à travers le monde (14) à voir rendu constitutionnel le droit d’accès à l’eau . Dans ce sens, on peut lire à l’article 31 de la Constitution adoptée le 1ᵉʳ juillet 2011 que :
'’L'État, les établissements publics et les collectivités territoriales œuvrent à la mobilisation de tous les moyens à disposition pour faciliter l'égal accès des citoyennes et des citoyens aux conditions leur permettant de jouir des droits :
- aux soins de santé ;
- à la protection sociale, à la couverture médicale et à la solidarité mutualiste ou organisée par l'État ;
- à une éducation moderne, accessible et de qualité ;
- à l'éducation sur l'attachement à l'identité marocaine et aux constantes nationales immuables ;
- à la formation professionnelle et à l'éducation physique et artistique ;
- à un logement décent ;
- au travail et à l'appui des pouvoirs publics en matière de recherche d'emploi ou d'auto-emploi ;
- à l'accès aux fonctions publiques selon le mérite ;
- à l'accès à l'eau et à un environnement sain ; - au développement durable.’’
Avant comme après la constitutionnalisation de l’accès à l’eau pour tous les citoyens, le législateur marocain a re-tenu dans une première loi sur l’eau du pays, publiée en 1995, puis dans une seconde, publiée en 2016, que ‘’l'eau est un bien public et ne peut faire l'objet d'appropriation privée'’.
Ainsi, le chapitre 1ᵉʳ de la Loi n° 10-95 sur l'eau énonce que L'eau est un bien public et ne peut faire l'objet d'appropriation privée (sous réserve des dispositions du chapitre II). Quant à l’article 2 du même chapitre, il énumère l’ensemble des éléments faisant partie du domaine public hydraulique au sens de la loi, dont, notamment : a/ toutes les nappes d'eau, qu'elles soient superficielles ou souterraines ; les cours d'eau de toutes sortes et les sources de toutes natures ; b/ les lacs, étangs et sebkhas ainsi que les lagunes, marais salants et marais de toute espèce ne communiquant pas directement avec la mer ; c/ les puits artésiens, les puits et abreuvoirs à usage public réalisés par l'État ou pour son compte ainsi que leurs zones de protection délimitées par voie réglementaire ; d/ les canaux de navigation, d'irrigation ou d'assainissement affectés à un usage public ; e/ les digues, barrages, aqueducs, canalisations, conduites d'eau et séguias affectés à un usage public en vue de la défense des terres contre les eaux, de l'irrigation, de l'alimentation en eau des centres urbains et agglomérations rurales ou de l'utilisation des forces hydrauliques.
Pour sa part, La Loi n 36-15 du 10 août 2016 relative à l’eau, tout en mettant l’accent sur la gestion des risques liés à l’eau (les inondations, protection et prévention des risques d'inondations, dispositifs de détection, de surveillance et d'alerte, gestion des évènements d'inondations, la pénurie d'eau), confirme que cette ressource ‘’constitue un bien public qui, sous réserve des dispositions de la section 2 du chapitre II de la présente loi, ne peut pas faire l’objet d’appropriation privée et de transaction par vente et achat.’’
L'Assemblée générale des Nations-Unies a reconnu, mercredi 28 juillet 2010, ‘’l'accès à une eau de qualité et à des installations sanitaires comme un droit humain.’’ (Voir, par ailleurs, l’encadré 1 à la fin de ce texte).
Après plus de quinze ans de débats sur la question, les délégations de 122 pays, dont celle du Maroc, ont voté en faveur d'une résolution de compromis rédigée par la Bolivie et consacrant ce droit, tandis que 41 autres se sont abstenus. Le texte retenu déclare que ‘’le droit à une eau po-table propre et de qualité et à des installations sanitaires est un droit de l'homme, indispensable à la pleine jouissance du droit à la vie.’’ Cette déclaration part, notamment, du constat fait à l’échelle du monde que, 884 millions de per-sonnes dans le monde n'avaient pas alors accès à une eau potable de qualité et que plus de 2,6 milliards ne disposaient pas d'installations sanitaires de base. Elle souligne qu'environ deux millions de personnes, pour la plupart des jeunes enfants, meurent chaque année des suites de maladies causées par une eau impropre à la consommation et l'absence de sanitaires.
Comme si le discours autour du droit d’accès à l’eau, de l’eau bien commun, et de l’eau bien non marchande, qui ne peut être ‘’ni acheté ni vendu'’, est dirigé vers l’opinion publique internationale, n’intervient que pour mieux couvrir le penchant libéral des politiques publiques au Maroc, davantage axées sur la ‘’couverture des frais/coûts’’ (attachés à l’eau potable, plus spécifiquement) et la rentabilité financière des actions engagées que sur leurs effets sociaux. Et, de fait, ces politiques prennent l’orientation exactement opposée aux proclamations de foi officielles
En réalité, si on omettait cela, on ne comprendrait pas pourquoi la gestion de l’eau et de l’assainissement liquide et la distribution de l’électricité ont été déléguées au capital privé dans certaines des principales agglomérations du pays, Casablanca-Mohammadia/Rabat-Salé/Tanger et Tétouan en l’occurrence. On ne comprendrait pas non plus pourquoi des sources d’eau douce ont été cédées à des particuliers sans autre forme de procès, en 2006/2007, dans le cas d’Aïn Sultan, et en 2010, dans celui de Ben S’mime. Ces deux sources venant s’ajouter aux cessions plus anciennes des eaux d’Oulmès/Sidi Ali, de Sidi Hara-zem ou de Aïn Fès, notamment.
On ne comprendrait pas, également, pourquoi l’État s’est décidé à créer plus récemment – en 2023 – des Sociétés dites régionales multiservices, hors toute approche participative ou transparente, dans les objectifs ultimes de se sortir du système de délégation des services de l’eau, tel qu’engagé en 1997 dans la grande métropole de Casablanca, et de le remplacer par une gestion directe opérée par des sociétés privées.
La privatisation des services de distribution de l’eau et de l’électricité au Maroc a pris la forme juridique, à partir de 1997, d’une « gestion déléguée ». Celle-ci devait se traduire progressivement dans les faits, alors même qu’aucune loi ne l’encadrait encore à l’époque , par le passage au privé, en l’occurrence ici à deux grands groupes français, de la distribution de l’eau et de l’électricité et de l’assainissement dans trois des plus grands importants centres urbains du Maroc, Casablanca, Rabat-Salé et Tanger-Tétouan
En 1997, la Lyonnaise des eaux prit le contrôle de la régie publique (Régie autonome de distribution) à Casablanca ; l’ancienne RAD devint la Lydec. En 1998, la même opération fut effectuée à Rabat au profit d’investisseurs espagnols et portugais, n’ayant jamais intervenu dans le secteur de l’eau, y compris dans leurs propres pays. Ceux-ci furent supplantés par Veolia (alors Vivendi Environnement, devenu aujourd’hui, Suez), via sa filiale Veolia Water, en 2002. La régie publique locale, à qui personne n’avait rien demandé, fut alors remplacée par la REDAL.
Cette même année (2002), Veolia Environnement-Maroc reprit la gestion des deux régies autonomes de distribution à Tanger et Tétouan, qui furent fusionnées et pri-rent le nom d’Amendis (Amen signifiant eau en langue amazigh)
En l’espace de 6 années (1997-2002), la délégation de service public de l’eau (et de l’électricité) concerna 50% du volume d’eau distribuée dans les grandes villes marocaines par 17 opérateurs (13 régies locales et quatre opérateurs privés). Dans les seules villes de Casablanca, Rabat-Salé et Tanger-Tétouan, le chiffre d’affaires (lié à la distribution) des sociétés privées avait été estimé en 2005 à plus de 8 milliards de dirhams, soit entre 2 et 2,5 % du Produit intérieur brut global du pays. Et, en 2012, ce chiffre d’affaires était passé à près de 11,2 milliards de dirhams, et concernait 1,764 million d’usagers (devenus de simples clients), soit 36% des usagers du service public de l’eau, de l’assainissement et de l’électricité, en cette même an-née .
Introduite sur la base de soubassements essentiellement économiques, financiers et idéologiques, la gestion déléguée visait, notamment, en plus, de ‘’soulager l’État'’ du poids financier et « managérial » lié à la distribution de l’eau et de l’électricité en milieu urbain, à ‘’l’amélioration de la qualité du service’’ à tous les stades opérationnels d’intervention des opérateurs désignés ; à la facilitation et la diminution des délais de branchement des ‘’usagers/clients’’ ; à la facilitation et la diminution des délais de recouvrement.
Mais, très rapidement, toutefois, les principes économiques et « sociaux » à l’origine de la volonté de recourir au mécanisme juridique de la gestion déléguée – qui équivaut dans les faits à une privatisation de service – se heurtèrent à la pauvreté de la population, spécialement dans les quartiers périphériques des centres urbains concernés. Les principes de consentement à payer, de recouvrement intégral des coûts et celui selon lequel « l’eau paie l’eau » furent appliqués à l’ensemble des abonnés. Une application qui sera rendue d’autant plus douloureuse pour la population que, concomitamment, l’État instituera, en 2006, une TVA sur l’eau et l’assainissement (voir ci-après – encadré 2 - que cette TVA va fortement augmenter entre 2024 et 2026, comme cela a été retenu dans le projet de loi de finances, présenté par le gouvernement marocain au parle-ment, le 23 octobre 2022). Les Opérations de branchements sociaux qui devaient faciliter l’accès des plus pauvres au réseau ne donnèrent pas les résultats escomptés : pour Casablanca par exemple, 10.000 branchements annuels étaient annoncés contractuellement, mais les branchements effectivement réalisés n’ont pas dépassé 1.250 entre 1997 et 2007. Le coût du raccordement est resté prohibitif pour une grande partie de la population dont le re-venu moyen est à la fois très faible et volatile, de crise financière (2008 à 2011/2013) en crise sanitaire (entre 2020 et 2021), en crise cumulant effets conjoints de l’inflation et de la sécheresse qui perdure (2022).
Normalement, les délégataires de service public dans le secteur de l’eau, l’assainissement et l’électricité sont sou-mis à un audit (avec révision de certains termes de leurs contrats) tous les cinq ans . Or, nul ne semble avoir été in-cité à opérer un tel contrôle, et lorsque cela a pu être fait, rien de fiable et de vérifiable n’en a été publié. Cependant, une enquête a été menée sur la gestion déléguée à Casablanca, en 2007, et est restée la seule connue par la suite. Menée par une équipe de consultants indépendants , cette enquête démontra toute une série de « défaillances », « dépassements » et autres comportements « non respectueux des engagements contractuels » de la part de la société privée qui avait bénéficié du premier contrat de gestion déléguée dans la plus grande ville du Maroc.
Les résultats de cette enquête révélaient en particulier l’ampleur des écarts, pour tous les paramètres — financiers, entre ce qui avait été initialement prévu par l’autorité délégante (l’administration marocaine) et ce que la société délégataire (à capitaux privés majoritairement français) a effectivement réalisé. Ces écarts illustrent une situation que l’on peut résumer ainsi : en dix ans, un contrat qui avait été présenté a l’origine comme « équilibré » par la société dé-légataire s’est transformé, en fait, en une très efficace entreprise d’enrichissement pour ses actionnaires privés étrangers ainsi que ses partenaires locaux.
- Au sujet de la libération du capital : le capital apporté par la Lydec devait être libéré dans les 3 années suivant la signature du contrat, soit en 2000. Il ne l’a été tout à fait qu’en 2003, soit donc avec un retard de 3 années.
- Au sujet des investissements à réaliser (dans le contrat) par la Lydec : l’enquête a conclu à un écart sur les investissements (entre 1997 à 2006) de 2,074 milliards de dirhams par rapport à un investissement contractuel actualisé de 3,815 milliards de dirhams.
- Au sujet de la distribution des bénéfices réalisés par la société délégataire : le contrat ne prévoyait aucune distribution de dividendes jusqu’en 2009 ; or, de 2003 à 2006, la Lydec en a distribué pour 560 millions de dirhams. Et, pour l’autorité délégante, il existe un lien entre le non-respect par le délégataire de ses obligations d’investissements et ce paiement prématuré des dividendes.
- Enfin, au sujet des transferts de devises au profit des actionnaires de la Lydec et de certains de ses fournisseurs à l’étranger : les enquêteurs ont conclu à des transferts non justifiés de devises de l’ordre de 678 millions de dirhams, ce qui correspond à 85 % du capital théoriquement apporté par la Lydec.
De fait, ce qui représentait – d’un point de vue théorique et du point de vue du droit – des motifs pour refuser l’intervention du marché pour prétendument « gérer l’offre et la demande de l’eau », a été confirmé de façon éclatante par les résultats, même partiels, évoqués ci-dessus.
Pour le reste, le CESE, dans sa saisine de 2015, con-firme largement ce constat pour l’ensemble des contrats de gestion déléguée de l’eau, de l’assainissement et de l’électricité, en soutenant que ‘’ Certes, ce mode de gestion a permis de professionnaliser les secteurs dans lesquels ont été scellés des contrats de gestion déléguée et ont conduit à l’émergence d’un secteur privé plus dynamique, plus efficace et attirant des opérateurs internationaux. Mais le modèle en question est confronté à des carences importantes, relatives à des manquements et des insuffisances de la part des délégataires quant à l’exécution des contrats, notamment en raison du non-respect des cahiers de charge. En effet, les délégataires ne respectent pas systématiquement leurs engagements en termes d’investissement, au même titre qu’ils ne respectent pas totalement leurs obligations de rendre un service public de qualité aux usagers, comme le stipulent en priorité les contrats signés.’’
Avant d’asséner, en forme de coup de pied de l’âne, que ‘’ Par ailleurs, le comité de suivi institué pour assurer le suivi du contrat de gestion déléguée et de la relation entre le délégataire et le délégant découlant de l’exécution de ce contrat est fragilisé. En effet, certaines de ses prérogatives n’ont pas été exercées pleinement, spécifiquement en matière d’examen des projets de marchés, de contrats, de conventions à passer directement ou indirectement avec le groupe contrôlant la société délégataire. De plus, les décisions prises s’appuient généralement sur les données produites par les délégataires sans s’assurer forcément de leur fiabilité, qu’il s’agisse des investissements, des budgets ou encore des révisions et ajustements tarifaires. Aussi, les services de contrôle institués par le délégant ne dis-posent pas de ressources humaines et matérielles leur per-mettant d’assumer convenablement leur rôle. Le service permanent de contrôle qui exerce les contrôles économique, financier, technique et de gestion des services délégués qui lui sont dévolus par l’autorité délégante et pour son compte, n’est pas totalement indépendant du délégataire. Ce dernier assure la gestion de la carrière des membres du service de contrôle et décide des ressources humaines qui lui sont affectées en termes d’effectifs et de moyens. Aussi, le délégant n’exerce pas de contrôles sur place. Il se contente de vérifications sur pièces sur la base de l’information transmise par le délégataire.’’ Ce qui, somme toutes, enlève au modèle toute légitimité opérationnelle et institutionnelle, puisque échappant de fait à tout véritable contrôle et toute reddition des comptes dignes de ce principe, tel qu’universellement admis.