De Nour-eddine Saoudi et Abelali Benchekroun
Cet ouvrage essaie de répondre à la question fondamentale suivante: pourquoi, malgré un potentiel non négligeable en structures institutionnelles (un Etat plusieurs fois millénaire, une continuité dynastique de près de 4 siècles…), en ressources humaines
(transition démographique favorable : importante proportion de la population en âge de travailler, urbanisation avancée…), en ressources naturelles (minières, halieutiques, agricoles…), en atouts touristiques (riche patrimoine culturel, artisanal et artistique, grande diversité géographique, climat tempéré, proximité de l’Europe, premier marché émetteur de touristes dans le monde…) et de par sa position géostratégique (porte entre l’Europe et l’Afrique), le Maroc a été incapable de garantir aux larges couches sociales marocaines une vie décente, des services publics de qualité et une répartition un tant soit peu équitable des richesses du pays et des fruits de la croissance économique.
La situation est tellement préoccupante que les très officiels « Conseil économique, social et environnemental » (CESE), et le « Haut-commissariat au plan » (HCP) tirent la sonnette d’alarme, le premier en soulignant que : « La pauvreté, le chômage des jeunes et les inégalités sont de “moins en moins acceptés” au Maroc.» et le second en s’inquiétant d’une pauvreté et d’un chômage galopants. M. Abdellatif Jouahri, wali de Bank Al Maghrib, estime pour sa part, qu’en « dépit de tous les efforts déployés en faveur de notre système productif, force est de constater que son état aujourd’hui reste encore préoccupant »(…), il demeure « fragmenté, fragile et affaibli par l’informel, les pratiques déloyales, la corruption et les délais de paiement. »
Aux classements internationaux, le Maroc est passé, en 2015, de la case des régimes « autoritaires » à celle des régimes « hybrides », dans laquelle il demeure toujours classé (2018), alors que, la Tunisie est classée dans la case des régimes à « démocratie imparfaite », selon le rapport sur « L’indice de démocratie », établi annuellement par The Economist et Intelligence Unit. Les régimes hybrides sont caractérisés, selon cet indice, par la pression exercée par le pouvoir sur les partis politiques et sur les journalistes; par la corruption endémique et par la non indépendance du pouvoir judiciaire.
L’ouvrage adopte une démarche d’analyse globale (sociopolitique, socioéconomique, socioculturelle…), qui serait à même de permettre de fonder une stratégie globale de développement génératrice d’équité économique, de justice sociale et de progrès partagé. Et opte pour une méthode de présentation didactique des thèmes traités, se déclinant ainsi : 1. Position du problème ; 2. Diagnostic ; 3. Propositions alternatives…
Cela permet sa consultation « à la carte », chacun pouvant lire ce qui l’intéresse. L’architecture de cet essai s’articule autour de trois parties.
La première traite des préalables pour un autre développement du Maroc. Ils se déclinent en trois axes :
1. les réformes politiques et institutionnelles : une véritable séparation des pouvoirs, instaurer un Etat de droit et la redevabilité, mettre fin aux privilèges, aux passe-droit, aux relations incestueuses entre monde politique et monde économique et à la corruption ; garantie de voies de recours contre les abus de l’administration ; stratégie de lutte contre l’impunité ; gouvernance sécuritaire.
.Adopter un Pacte national pour rétablir la confiance de la société dans l’Etat.
2.Revitalisation des partis politiques et les autres acteurs de l’intermédiation sociale (organisations professionnelles, associations…) en opérant un assainissement régénérateur de leurs structures, par la rénovation démocratique de leurs conceptions et de leurs pratiques ainsi que par le dépassement de la mentalité corporatiste/sectaire et ce, afin de refonder leur crédibilité et améliorer la qualité de leur action et de leur contribution à la marche du Maroc vers un progrès sociétal partagé ;
- Imposer l’engagement éthique ferme de tous les acteurs, pour recrédibiliser les processus électoraux ;
- Appliquer rigoureusement la loi et réprimer les tentatives de malversation, de manipulation, de fraude ou de corruption électorales.
3. Réformer en profondeur le système d’éducation et de recherche : afin de mieux répondre aux besoins socio-économiques et promouvoir l’innovation.
- Ériger le secteur de l'Enseignement comme priorité des priorités du Maroc et œuvrer pour une mobilisation nationale en vue de sa refondation et le changement y afférent, en dehors de tout calcul politicien.
- Renforcer qualitativement les dispositifs de formation et de pédagogie des enseignants, en assurant à ces derniers des conditions matérielles et morales valorisantes et motivantes, à même de revaloriser leur statut
- Planifier le recours à l’enseignement par l’e-Learning afin d’étendre l’éducation et la formation (initiale et continue) à un large public d’apprenants et/ou de formateurs.
La deuxième partie, aborde l’analyse des différents aspects des politiques économiques et propose des pistes pour une stratégie alternative. L’état des lieux peut être résumé ainsi :
- La croissance économique marocaine demeure faible et vulnérable, compte tenu de sa forte dépendance de l’agriculture qui demeure soumise aux aléas climatiques. Ainsi le taux du PIB au cours de la décennie 2006-2017 a été de 3 à 4% seulement.
- Le poids de l’industrie de transformation dans le PIB, reste faible variant entre 15% et 16%, loin de l’objectif du Plan d’Accélération Industrielle fixé à de 23% pour 2020.
- Des déséquilibres inquiétants: déficit structurel durable de la balance commerciale (177 milliards de dirhams, en moyenne sur la période 2007-2017 et 204 MM Dh en 2018, soit 18,6% du PIB) et de la balance des paiements (5% du PIB en 2008, 5,7% en 2014 et 5,4% en 2018), endettement croissant, poids important de l’économie de rente, corruption endémique…
- Si le PIB a été multiplié par 3 entre 2000 et 2017, le PIB par habitant est resté modeste, passant de 3575 à 8216 $. Alors que la Tunisie, éprouvée pars le « printemps arabe », a un PIB/hb de 12047 $ en 2017, soit 1,5 fois celui du Maroc !
- En 2018, le Maroc « reste le pays le plus inégalitaire du Maghreb et le taux de chômage des jeunes serait de 26,5% en 2017, un taux qui culmine à 42,8 % en milieu urbain.
La stratégie alternative sera axée sur l’être humain, comme étant le sujet, l’acteur, et le bénéficiaire central du développement. Car le développement est un droit pour les citoyens, que leur Etat est tenu de leur assurer (en principe), selon la Déclaration de l’ONU de 1986. Le développement alternatif est entendu comme un processus de changement multidimensionnel.
Le système de production et le modèle de consommation nationaux répondraient de façon privilégiée aux besoins nationaux et les échanges du pays seraient adaptés à ces stratégies socioéconomiques réajustées. Il doit œuvrer à satisfaire les besoins locaux, pour préserver la souveraineté alimentaire notamment. L’Etat assumerait une mission de développeur et de stratège, en pilotant le processus de développement alternatif, auquel doivent contribuer le secteur privé, le secteur de l’Economie Sociale et Solidaire (ESS) et les structures de la société civile.
Unemise en œuvre d’une régionalisation effective, est impérative, en vued’instaurer une équité territoriale.
Le développement, ainsi appréhendé comme catalyseur/porteur de « progrès », d’amélioration du niveau de vie des habitants et du bien-être social, est nécessairement le fruit d’un processus de mutations et de transformations des structures sociopolitiques, socioéconomiques, culturelles et des mentalités….
A ce niveau, la véritable émancipation de la femme et son autonomisation effective constituent un axe essentiel de cette stratégie. Une grande mobilisation (du système d’éducation-formation et du tissu associatif) pour la mise en œuvre d’une politique active d’accès à l’éducation et à la formation des filles et des femmes est indispensable.
- Encourager l’entrepreneuriat : Fournir des financements adaptés et des programmes de formation pour soutenir les jeunes entrepreneurs.
- Promouvoir les modèles économiques collaboratifs et des mécanismes tels que le financement participatif pour soutenir les petites entreprises et les start-ups.
- Équité fiscale : Recommandent des mesures visant à instaurer une fiscalité plus juste et à réduire les comportements rentiers.
La troisième partie, traite des dimensions sociales du développement qui constituent un pilier essentiel pour assurer une justice sociale et une cohésion nationale. Principales propositions :
- Lutte contre la pauvreté et les inégalités par des interventions ciblées pour réduire les disparités en matière de revenus, d’éducation et de santé.
- Renforcer les programmes d’aide sociale pour inclure les groupes les plus vulnérables, tels que les femmes, les enfants et les personnes âgées.