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Rapport introductif

ÉTATS, NATIONS, PEUPLES ET FRONTIÈRES…

Pr. Abdelmoughit Benmessaoud Tredano[1]

      Il n’est pas question de développer d’une manière approfondie ces notions qui méritent des études spécifiques[2] ; l’objectif de cette présentation est plus modeste, c’est de faire une ouverture sur des notions qui ont des rapports enchevêtrés avec l’État et la nation.

      En effet, on emploie indifféremment dans le langage courant les vocables et les notions d’État, de nation et de peuple…

     Au niveau infra, on évoque la notion d’ethnie que la conception européocentriste réserve aux contrées africaines, asiatiques et latino-américaines.

 En effet, les 400 000 islandais constituent une nation alors que les 40 millions de Yorubas et les 38 millions d’Haoussas du Nigeria sont des ethnies !!

Un vaste débat.

      Autre notion qui mérite une réflexion, c’est celle de l’Etat-nation où une dimension politico –juridique (Etat) et celle ethnico-morale (Nation) ont imperceptiblement fusionné pour donner lieu à une structure d’organisation des sociétés humaines depuis le XIXème siècle, notamment dans le monde occidental. En effet, elle y est relativement développée, étoffée et fonctionnelle mais embryonnaire ailleurs et parfois défaillante, voire inappropriée dans certaines sociétés.

La raison en est plus ou moins simple, c’est que ces dernières ne les ont pas vu naître chez elles ; elles y ont été greffées à la faveur des processus de la colonisation et de la décolonisation. En effet, dans ces pays, il y a les structures formelles, mais il n’y a pas la culture et l’âme qui les sous-tendent.

L’ETAT-NATION : NOTION ET STRUCTURE, QUEL AVENIR ?    

        L’Etat-nation en tant que structure (avec sa dimension ethnico-morale) regroupant des populations dans des territoires limités par des frontières reconnues, et disposant d’une histoire, d’une langue et de culture communes, est-il encore viable ?

     On emploie à dessein le vocable Etat-nation et non pas seulement Etat parce qu’il y a les cas de peuples, à l’instar des peuples kosovar, palestinien, Kurde et d’autres peuples et nations se trouvant dans des Etats centralisés (peuples basque et breton en France …) ou dans des Etats décentralisés (comme le cas la Catalogne en Espagne et la Wallonie et la Flandre en Belgique …) qui sont des peuples et nations mais ne disposant pas de la structure étatique.

L’Etat-nation, en tant que structure d’organisation des communautés humaines et en tant que sujet de droit international, a-t-il encore un avenir ?

Cette question n’est pas inopportune encore moins incongrue.

Deux thèses en conflit.

Deux thèses plus ou antagoniques mais   toutes les deux ne manquent pas d’arguments et de pertinence.

       Les partisans de la première thèse considèrent que l’Etat-nation, en tant que structure d’organisation des communautés humaines, n’a plus d’avenir et qu’il est obsolète, voire qu’il constitue un frein au développement et l’épanouissement des sociétés.

Rien que ça !

 La mondialisation, avec l'idéologie ultra libérale, installée depuis le début des années 80 par deux personnages Margaret Thatcher et Ronald Reagan, avec ses effets destructeurs, a contribué à la déliquescence de cet acteur du droit international.

En plus, pour étayer cette thèse, on peut invoquer un double mouvement qui s’opère au niveau mondial : en parallèle avec la mondialisation, il y’a un retour ou régional et au local.

Entre le mondial et le local, l'État-nation se trouve écrasé.

      Cette double tendance ne peut que conforter les partisans de la mondialisation dans leur conviction de détruire l'État-nation en tant que structure. Ainsi, face à la mondialisation, incarnée par des mastodontes que sont les GAFAM, il n'y aurait que des structures ethniques faibles et sans moyens de défense et de résistance.

     Sur cette question de la destruction de l’état-nation l’auteur de la démocratie sans l’Etat, Gilles Amiel de Ménard souligne « …que nous sommes désormais gouvernés par des traités supranationaux. Ceux qui dirigent l’Etat ne sont plus que des gestionnaires d’un ordre institutionnel dont le contenu nous échappe.

On nous dit que le dépassement de l’Eta-nation est le moyen de chasser définitivement le spectre du totalitarisme et de la guerre …

Mais nous constatons que c’est l’Etat social qui se déconstruit, ainsi que le lien entre l’orientation de l’action étatique et les citoyens.

De cette déconstruction ne résulte aucune pacification, ni rien de bon » [3]

      Effectivement, le monde actuel du moins depuis les années 80, début de l’ère ultra-libérale, est un véritable théâtre de guerres permanentes. 

Ni la paix, ni le bien-être social ne sont assurés.

La guerre de tous contre tous, selon la formule de l’auteur du Léviathan, Thomas Hobbs, n’est pas à exclure[4].

     Toutefois, la pandémie de Corona a poussé les décideurs des Etats, au niveau international, à revoir la question de la mondialisation ; ils ont effet découvert qu’ils sont devenus vulnérables à cause de leur dépendance vis à vis d’autres contrées de la planète en l’occurrence l’Asie.

Ils ont découvert, à leur corps défendant, qu’ils ont perdu quatre souveraineté : Se nourrir, se vêtir, se soigner et se défendre. 

       Il s’agit là d’un des éléments qui pourraient expliquer l’attachement à l’Etat-nation avec une souveraineté éventuellement retrouvée et assurée.

D’où la deuxième thèse.

     La deuxième thèse considère que l’Etat-nation a encore un bel avenir et dispose d’une grande attractivité ; en témoigne le nombre de peuples qui se trouvent dans des Etats- nations structurés et qui aspirent à quitter un cadre considéré comme étouffant[5]

En guise de conclusion

Dans la conclusion d’une thèse en 1979,[6]nous avons résumé le rapport de l’ONU avec les Etats nouvellement indépendants et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes dans les termes suivants :

« Ainsi, dans ce monde nouveau, l'Etat est né en enterrant l'entité peuple qu'il était censé représenter et défendre... Lentement, mais sûrement, les rêves entretenus pendant les luttes de libération nationale se sont dramatiquement effondrés.

Et cela au nom du principe de non-intervention dans les affaires intérieures des Etats.

Au nom de ce principe, l'ONU s'est toujours interdite tout droit de regard sur le sort réservé à ces peuples par ce monstre froid qu'est l'Etat. Bien plus, étant faite par et pour les Etats, l'Organisation mondiale s'ingénie à préserver l'état des lieux de ses membres au détriment de ceux qui les composent, à savoir leurs peuples.

Après avoir aidé les peuples colonisés à leur libération des métropoles coloniales, peut-elle encore une fois les libérer de certains de leurs États ? Apparemment non, ou du moins difficilement.

Il faut reconnaître que son aventure décolonisatrice a été faite et acquise grâce au soutien des Etats de la majorité anticolonialiste. Appeler ces derniers à s'autodétruire relève de l'Utopie; à moins qu'on aboutisse au sein de l'ONU à établir un code de conduite minimum, en l'absence duquel les Etats coupables peuvent être remis en cause en partie (auto-détermination des minorités étouffées) ou dans leurs totalité (auto-détermination de l'ensemble du peuple pour manque de légitimité du pouvoir en place), l'Organisation mondiale après avoir entériné des légitimités différentes, serait entraînée à contribuer à la consolidation de l'ordre étatique établi ».

      Quel avenir pour cet Etat-nation face à une mondialisation dévastatrice et une avalanche de prétentions et de revendications de sentiment national, lesquelles entités aspirent à la qualité et au statut étatiques ?

     Dans un monde instable, cette entité peut paraître plus fragile que bien assise sur un territoire bien consolidé.  


Bibliographie sommaire

Cette présentation sommaire soulève beaucoup questions sur un certain nombre de concepts et de notions.

Il n’était pas possible de faire un développement exhaustif.

Pour ce faire, nous renvoyons à quelques références classiques et quelques documents récents.

Bibliographie sommaire

ALLIES Paul, l’invention du territoire, Grenoble, P.U.G, 184 p.

AMSELLE Jean-Loup et ELIKIA M’Bokolo (sous la direction de), Au cœur de l’ethnie : Ethnie, tribalisme et Etat en AFRIQUE, Paris, La découverte, 226 p.

BADIE Bertrand, la fin des territoires, CNRS Editions, 281 p.

BLUMAN Claude, La frontière, colloque de Poitiers, 17, 18 et 19 mai 1979, S.F.D.I, Pedone, 1980, 304 p.

BURDEAU Georges, L’Etat, Paris, Seuil, 1970.192 p.

BOURJORL-FLECHER Dominique, Heurs et malheurs de l’Uti possedetis, l’intangibilité des frontières africaines, R.J.P.I.C, n°3, Juillet-Septembre 1981, pp. 811- 835. 

BOUTHOUL Gaston, Frontières et traités de paix, Le monde ? 14-15 Avril 1968.

BUHER Jean-Claude, Nationalisme et litiges territoriaux, M.D, Juin 1982.    

CHEMILIER-GENDREAU Monique et ROSEMBERG Dominique, L’espace national, in Encyclopédie juridique de l’Afrique, Abidjan-Dakar-Lomé, Nouvelles Editions Africaines, 1982, t. 2, pp 67-108.   

COLIN Roland, PERSON Yves et autres, A quoi servent les frontières ? Débat, J. A., n° 919-920, 16-23 août 1978, pp. 79-84.

DEBRAY Régis, Eloge de frontières, Ed. Gallimard,91p.  

DIA VAN DUNEM Fernando José de Farça, les frontières africaines, thèse, Aix-en-Provence, 1969, 372p.

Frontière, problèmes de frontières dans le Tiers-monde, journées d’étude des 20 et 21 Mars 1981, Paris VIII, Pluriel débat l’Harmattan, 1982, 203 p.

FOUCHET Michel, Le retour des frontières, CNRS Editions, 61 p.

MAFFESOLI Michel, Le temps des tribus, Edition La table Ronde,331 p.

MANENT Pierre, La raison des nations, Ed. Gallimard, 2006,100 p.

MICHALON Thierry, Quel Etat pour l’Afrique ? Paris, l’Harmattan, 1984, 189 p.

PARADELLE Paul Gouffre (de la), la frontière, thèse, Paris, éd. Internationales, 1929, 152 p.

PERSON Yves, l’Afrique noire et ses frontières, le mois en Afrique, n°80, août 1972, pp. 18-43.

PERSON Yves, Contre l’Etat nation, Faire, n° 9-10 ? Avril 1976, pp. 15-23.

PERSON Yves, Etat et nation en Afrique noire, in V.Y. MUDIMBE : la dépendance de l’Afrique et les moyens d’y remédier, actes du congrès international des études africaines de Kinshasa, Paris, Berger-Levrault, 1980, pp. 57- 71.      

PERSON Yves, Etat et nation et l’Afrique, le mois en Afrique, n° 190- 191, octobre-novembre 1981, pp. 27- 35. 

STYLLA Lancine, Tribalisme et parti unique en Afrique noire , Université nationale de la  Cote d’ivoire ;Presse de la fondation nationale des sciences politiques , 1977, 392 p.

 RENAN Ernest ; Qu’est-ce qu’une nation ? Presse Pocket, 1992,316 p.

https://www.taurillon.org/Qu-est-ce-qu-une-nation-de-Ernest-Renan,05850 ( ce lien est un compte rendu relatif à l’ouvrage de Renan Ernest)

Pour voir les différences entre l’État, la nation et le peuple et d’autres notions, on cite ci-après les liens de  quelques vidéos qui ont intérêt pédagogique certain.

La difficile construction des États-Nations en Europe

BILLION Didier "Etat, Nation, Mondialisation : l’Etat a-t-il encore un sens ?


Denis de Rougemont, Les dangers de l’Etat-nation

Joël Gaubert, État-nation, une idée et une réalité dépassées ?

LAFORETS LUC, Quelle différence entre Peuple et Nation ?


[1] Professeur de science politique et de géopolitique, Université Mohamed V. Rabat

[2] A la fin du texte, nous renvoyons le lecteur à une documentation bibliographique non-exhaustive sur l’ensemble de ces notions.

[3] Gilles Amiel de Ménard , La démocratie sans l’Etat,L’Hamattan ,2023,283 p., la 4ème de couverture

[4] https://www.maxicours.com/se/cours/l-etat-de-nature-est-il-un-etat-de-guerre-de-tous-contre-tous/

[5]  Pascal Boniface, « Danger ! Prolifération étatique ». Le Monde diplomatique, janvier 1999.

Voir aussi mon article sur cet aspect : « Demain la frontière », In. https://web.facebook.com/profile/100052188371232/search/?q=demain%20la%20fronti%C3%A8re%20

[6] Benmessaoud Abdelmoughit, "L'organisation des Nations Unies et les mouvements de libération nationale en Afrique", thèse de 3e cycle, Université de Grenoble, 1979, 384 pages. L'ouvrage est en cours d’impression.

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