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Eau
Les ressources renouvelables sont en baisse substantielle du fait des impacts des changements climatiques et de la surexploitation parfois abusive et non contrôlée. Le diagnostic établi, a montré un manque de cohérence entre la capacité hydrique du pays et les politiques sectorielles qui utilisent les ressources hydriques comme principale intrant. Le Maroc, en effet, dispose d’une importante infrastructure hydraulique et d’une expertise reconnue en matière de gestion des ressources en eau, qui fait de lui un modèle au niveau régional et continental. Malgré cette expertise reconnue, le mode de gouvernance adopté s’avère incohérent avec les contraintes climatiques que le pays subit et avec la raréfaction des ressources en eau qui devient une réalité constante. Le maintien de certains choix des politiques publiques ne fait qu’accentuer la crise.....

les opinions et les idées exprimées dans cette Revue n'engagent
que leurs auteurs

ISSN: 2351-9134
Dépôt légal: 2011 PE 0003
Janvier 2024
Impression: Imp. Roa Print - Salé

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Abdelmoughit Benmessaoud Tredano

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Directrice administrative
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Nidal Oukacha

Abonnement et documentation
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2 - Faculté des Sciences Juridiques Economiques et Sociales Souissi, Université Mohamed V, Rabat
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Revue Marocaine de Sciences Politiques et Sociales

Conseil scientifique

Le regretté Driss Benali*
Mohammed Ayat, Mohammed Othman Benjelloun, Mohammed Bennani, Aziz Chahir, Mohammed Chiguer, Abdeslam Cheddadi, Ahmed El Bouz, Azedine Ghoufrane, Mohamed Hamoudi, Omar Hniche, Abdelaziz Karraky, Bichara Khader, Mohammed Khachani, Amal Khider, Abdelatif Laabi, Mohammed Margadi, Mohammed Mouaqit, Jean-Yves Moisseron, Hassan Rachik, Hicham Sadok, Ali Seghrouchni, Hassan Tariq, Abderrahmane Zanane
Comité de rédaction

Wafae Belarbi, Abdelmounim El Gueddari, Abdelhafid Idmino, Ghassane Lamrani, Samira Mizbar, Nizar Kadiri, Sanae Kasmi, Larbi Koulou, Najia Abdallaoui Maan, Maati Monjib, Mohamed Oubenal, Benali Sadiqui, Yasser Yeddir Tamsamani, Abdellatif Zaroual, Hassan Zouaoui.
Liste de correspondants et de collaborateurs

Asma Abkari, Samira Bikerden, Meryem Chellal, Abdelwahad Ghayate, Aziz Tanany, Bouchra El Aouni, Boutaina Talibi, Jalal Mabrouk, Lahcen Aqartit, Hicham Nekkach, Mustapha Khalid, Nidal Oukacha, Steve Codjo.

  • Les regrettés Driss Benali, Mohamed Hamoudi et
    Abderrahman Zanane ont été parmi les fondateurs de la revue

Sommaire

Avertissement 7
I- LA QUESTION DE L’EAU : ENJEUX NATIONAUX ET INTERNATIONAUX 9
Stress hydrique au Maroc : repenser le mode de gouvernance une priorité nationale
Charafat AFAILAL 15
L’impact des choix politiques sur l’eau
Mehdi LAHLOU 23
L’agriculture en prise avec la crise de l’eau : Entre caprices du ciel et choix irrationnels
Najib Akesbi 45
La crise géopolitique de l’eau au bassin du Jourdain
Bouchra ELAOUNI 71
Synthèse du 1èr atelier sur : La question de l’eau : quels enjeux nationaux et internationaux
M. KHEIREDDINE 115
II- LA QUESTION ENERGETIQUE : ENTRE SOURCE FOSSILE ET ENERGIE RENOUVELABLE ? 120
La transition énergétique : entre continuité et singularité
Pr. Driss ZEJLI 126
Quand les lois des renouvelables bloquent les renouvelables
Dr. Said GUEMRA 140
Economie circulaire et transition énergétique : Perspectives et enjeux au Maroc
Hicham El YOUSFI 152
La nature de la relation entre la consommation d’énergie et la croissance économique au Maroc
Hicham SADOK & Youssef LEFHEL 164
L’accord sur la frontière maritime Libano-Israélienne Les richesses gazières comme enjeu majeur
Asma ABKARI 190
Les enjeux géopolitiques du gaz et la bataille Nord Stream
Boutaina TALIBI 214
III- VARIA 230
Sécurisation des politiques migratoires européennes : entre le paradoxe libéral et la notion de Policy Gaps
Mustapha KHALID 232
Réflexions en sciences sociales et les communautés du Haut Atlas
Rachid HAMIMAZ 250

Avertissement

La Revue Marocaine des Sciences Politiques et Sociales a organisé en mars 2023 deux ateliers sur l’eau et l’énergie et leurs enjeux au niveau national et international.
Universitaires, experts et praticiens ont été conviés pour animer ces ateliers.
Le choix de ces thématiques n’est pas le fruit du hasard ; avec la question du climat, personne ne conteste l’urgence et les enjeux que revêtent les questions de l’eau et de l’énergie au sein des Etats et dans les rapports internationaux.
En effet, en raison de la pression démographique, de l’augmentation des besoins en eau potable, des déperditions observées un peu partout dans le monde, de la pratique d’une agriculture dévoreuse des quantités importantes d’eau, la gestion en commun et la recherche de nouveaux modes de consommation s’impose plus que jamais.
Sinon, l’eau serait une des causes d’instabilité et de conflits dans le monde.
En plus de la question de l’eau, de son urgence et de ses enjeux, celle de l’énergie pose des problèmes aussi importants.
Le défi posé demain à l’humanité, si ce n’est déjà fait, c’est comment assurer la transition d’une économie mondiale basée sur les énergies fossiles vers des énergies renouvelables.
Les différents intervenants ont essayé d’apporter un éclairage sur l’ensemble de ces questions et les différents enjeux qu'elles posent.
1 décembre 2023

I- LA QUESTION DE L’EAU :
ENJEUX NATIONAUX
ET INTERNATIONAUX

≈≈≈
Les ressources renouvelables sont en baisse substantielle du fait des impacts des changements climatiques et de la surexploitation parfois abusive et non contrôlée.
Le diagnostic établi, a montré un manque de cohérence entre la capacité hydrique du pays et les politiques sectorielles qui utilisent les ressources hydriques comme principale intrant.
Le Maroc, en effet, dispose d’une importante infrastructure hydraulique et d’une expertise reconnue en matière de gestion des ressources en eau, qui fait de lui un modèle au niveau régional et continental. Malgré cette expertise reconnue, le mode de gouvernance adopté s’avère incohérent avec les contraintes climatiques que le pays subit et avec la raréfaction des ressources en eau qui devient une réalité constante. Le maintien de certains choix des politiques publiques ne fait qu’accentuer la crise.
Par ailleurs, une révision du mode de production pour un rééquilibrage entre l’offre et la demande devient une urgence pour le pays.
Afilal Charafat
Experte en ressources en eau
et ancien ministre chargée de l'eau

L’impact des choix politiques sur l’eau
La question de l'eau ne se ramène pas au mode de facturation de ses usages ou à la délégation au secteur privé de sa gestion, en ce sens qu’il ne s’agit pas d'une simple ressource naturelle renouvelable, d’un quelconque bien économique. C'est en droit un bien commun, et dans les faits une denrée qui se raréfie en raison tant du réchauffement climatique que, plus grave, de sa surexploitation y compris là où elle manque le plus, des pollutions qui l'affectent ou, encore, de l'incohérence des politiques publiques qui prétendent la gérer, notamment dans les secteurs agricole et touristique.
Or, il y a lieu aujourd'hui de réduire - à terme prévisible - les usages agricoles de l'eau à moins de 50% des disponibilités du pays, contre 80% actuellement, tout en limitant les gaspillages liés aux modes d'irrigation en place, bien souvent obsolètes, ou les cultures incompatibles avec des situations de grande rareté de l’eau. Dans le secteur touristique, il faudra parvenir à remplir les piscines des hôtels et à irriguer les dizaines de golfs déjà réalisés ou en projet grâce au dessalement de l'eau de mer ou au recyclage des eaux usées des villes. Comme il faudra, d’une façon ou d’une autre, recouvrir le pays de forêts, puisque là où il n’y plus d’arbres, le risque est grand de voir s’effriter, année après année, et ses sols et ses ressources hydriques.
Quant à la politique de l'eau, sa préservation et sa répartition entre ses différents utilisateurs, elles doivent être menées par une instance nationale unique, dotée de pouvoirs réglementaires et de moyens tels qu'elle ne soit au service d'aucun ministère et d'aucun secteur en particulier.
Pr.Mehdi Lahlou
Economiste

La crise de l’eau, entre caprices du ciel
et choix irrationnels
La crise actuelle de l’eau était prévisible, et même attendue, tant les conditions de son avènement sont à l’œuvre depuis longtemps et, du reste, identifiées et analysées par des études, académiques et de terrain, qui ne datent pas d’hier…

Cette contribution va principalement s’attacher à examiner les conditions liées aux politiques agricoles et aux choix ayant déterminé l’évolution de l’agriculture marocaine. Une attention particulière sera accordée à la politique d’irrigation, en rapport avec les choix de production et de commercialisation, cristallisés dans ce qu’il est convenu d’appeler le « modèle agro-exportateur ».

On verra notamment comment le Plan Maroc Vert a amplifié ces choix et en a considérablement accru les moyens. Cette évolution s’est avérée d’autant plus lourde de conséquences que, parallèlement, les changements climatiques se sont accentués, générant, entre autres, des sécheresses de plus en plus fréquentes et de plus en plus sévères.
Pr .Najib Akesbi,
Économiste

Stress hydrique au Maroc :
repenser le mode de gouvernance
une priorité nationale
Charafat AFAILAL
Experte en ressources en eau
Ancienne ministre chargée de l’eau
De par sa situation géographique, le Maroc est caractérisé par un climat aride à semi-aride. Les précipitations se distinguent par leur répartition inégale dans l'espace et le temps. En effet, 51% des précipitations se concentrent dans seulement deux bassins (Sebou et Lukkos), couvrant à peine 7% du territoire national.
Cette réalité place le Maroc en première ligne face aux impacts des changements climatiques, qui perturbent considérablement le cycle traditionnel de l'eau. Cette perturbation se traduit par une augmentation des températures et une diminution significative des précipitations.
La dotation moyenne annuelle en eau par habitant a drastiquement chuté, passant de 2560 mètres cubes par habitant par an en 1960 à seulement 650 mètres cubes par habitant par an en 2019. Ce ratio est prévu de chuter en dessous de 500 mètres cubes par habitant par an d'ici à 2030 en raison de l'aggravation des changements climatiques, ce qui placera le Maroc en tant que pays pauvre en eau.
La sécurité hydrique est devenue une préoccupation majeure pour le Maroc, en raison de son impact direct sur la stabilité et la cohésion sociale du pays. L’État est désormais confronté à une pression croissante pour prendre des mesures significatives en ce qui concerne la gouvernance des ressources en eau et la révision des politiques sectorielles qui considèrent souvent l'eau comme une ressource inépuisable.
La crise imminente de l'eau exige une réflexion approfondie sur la manière dont les ressources en eau sont gérées, utilisées et réparties. Il est impératif de mettre en place une gouvernance plus efficace et intégrée des ressources en eau, avec une coordination entre les différents acteurs et une prise en compte des besoins de l'ensemble de la société.
Il est indispensable de repenser les politiques sectorielles qui dépendent fortement des ressources en eau comme intrant. Cela peut signifier la promotion de pratiques agricoles plus efficaces et économes en eau, la diversification des sources d'approvisionnement en eau, la réutilisation des eaux usées traitées et la mise en place de mécanismes de tarification plus équitables.
Politique hydrique au Maroc : grandes réalisations
La politique de l'eau au Maroc a été marquée, depuis son indépendance, par d'importantes réalisations. Le pays s'est engagé dans une politique de mobilisation des ressources hydriques à travers d'ambitieux projets d'aménagements hydrauliques grâce à d'importants investissements publics mobilisés à cet effet.
Le Maroc compte actuellement 149 grands barrages d'une capacité de stockage totale de 19 milliards de mètres cubes, ainsi que des centaines de petits et moyens barrages qui jouent un rôle essentiel dans la création de dynamiques économiques locales.
D’autre part, le Maroc a développé son expertise dans la mobilisation des eaux non conventionnelles, en particulier par le biais de la technologie de dessalement de l'eau de mer. Cette technologie a été expérimentée dans les provinces sahariennes avant d'être étendue aux villes côtières. Actuellement, le pays compte 9 stations de dessalement, avec plusieurs autres projets phares pour le futur.
Ces infrastructures ont permis de sécuriser l'accès à l'eau pendant les périodes de sécheresse sévère et de promouvoir l'agriculture irriguée à grande échelle.
En outre, le Maroc a jeté les bases d'une gestion intégrée des ressources en eau en mettant en place des organismes de bassin chargés de la gestion et de la régulation des ressources à l'échelle des bassins hydrographiques. Cette approche repose sur une gestion participative et décentralisée des ressources en eau, avec des organes de bassin administrés par des conseils d'administration regroupant la représentation de toutes les parties prenantes.
La politique hydrique nationale reflète l'engagement de l’État à faire de la sécurité de l’eau une question de souveraineté nationale et à asseoir les bases d’une utilisation durable et équitable de ses ressources hydriques.
D’autre part, Le Maroc a pris des dispositions précoces pour établir une législation de l'eau solide en adoptant la loi 10/95 sur l'eau, qui a ensuite été réformée en 2015 par l'adoption de la loi 36/15. Cette évolution législative a permis de moderniser et de renforcer le cadre réglementaire relatif à la gestion de l'eau dans le pays.
La nouvelle législation, notamment la loi 36/15, a opté des mesures pour une gestion plus intégrée des ressources en eau, en ouvrant des voies règlementaires relatives à la valorisation et l'utilisation des ressources en eau non conventionnelles, ce qui est indispensable pour faire face aux défis liés à la rareté.
De ce fait, la loi a introduit des mécanismes tels que les contrats de concessions, qui ont contribué à la promotion de la technologie de dessalement et à une participation accrue du secteur privé dans les investissements dans ce domaine.
La lutte contre la pollution de l'eau a également été un objectif majeur de cette législation, renforçant ainsi les mesures de protection de la qualité de l'eau. De plus, elle a encouragé la valorisation économique de l'eau en promouvant son utilisation efficace dans différents secteurs, y compris l'agriculture et l'industrie.
Enfin, la loi a pris en compte la gestion des aléas climatiques, ce qui est particulièrement important dans un contexte de changement climatique. Elle a prévu des stratégies et des plans d'adaptation pour faire face aux phénomènes extrêmes, notamment les inondations et la sècheresse à travers des plans de protection contre les inondations et les plans de gestion des sècheresses.
Dans l'ensemble, la législation de l'eau au Maroc, notamment la loi 36/15, témoigne de l'engagement continu du pays à gérer efficacement et durablement ses ressources en eau tout en relevant les défis liés à la rareté et aux changements climatiques.
Gouvernance institutionnelle : défis et contraintes
La gouvernance institutionnelle du secteur de l'eau au Maroc présente un défi complexe en raison de la multitude d'acteurs et d'intervenants impliqués, ce qui rend la gestion et la coordination délicates, mettant ainsi en jeu la durabilité des ressources disponibles.
La fragmentation des acteurs peut entraîner des défis majeurs liés à la gouvernance du secteur, tels que des conflits d'intérêts, une planification incohérente et déphasée et des retards dans la prise de décisions cruciales. De plus, elle peut compliquer la mise en œuvre de politiques visant à assurer la durabilité des ressources en eau du pays.
L'un des dysfonctionnements majeurs dans la gouvernance du secteur de l'eau au Maroc est l'absence d'un organe de régulation et d'arbitrage indépendant, similaire à celui existant dans d’autres secteurs, notamment celui de l'électricité. Malgré la création du Comité Interministériel de l'Eau par décret, son rôle est principalement limité aux échanges d'informations, sans pour autant arriver à exercer parfois ses pouvoirs d’arbitrage et de prise de décision pour résoudre efficacement les conflits liés à l'eau.
Un exemple concret de cette problématique est le cas de Zagora, qui avait mis en évidence les tensions entre une activité agricole inadaptée au contexte climatique de la région du sud-est du Maroc et les besoins en eau de la population locale.
Défis liés à la rareté et aux effets liés aux changements climatiques
La situation hydrique au Maroc est confrontée à de nombreuses contraintes naturelles liées à la raréfaction des ressources en eau et aux effets du changement climatique qui impacte directement le cycle traditionnel de l’eau.
L'impact des changements climatiques est particulièrement préoccupant, avec une augmentation des phénomènes extrêmes tels que des sécheresses prolongées et des inondations dévastatrices.
Cela a entraîné une baisse substantielle des précipitations, avec une diminution de 43 % pendant la saison printanière et de 26 % pendant la saison hivernale (décembre-février) et une augmentation significative des températures, avec un pic de 2,6°C enregistré dans la région de Taza.
Selon le rapport du GIEC, les bassins du nord du Maroc connaitront une baisse prévue des ressources en eau allant de 5 à 35 %, ce qui va accentuer la pression et les conflits sur les ressources disponibles.
Une autre contrainte majeure est la surexploitation alarmante des réserves d'eau souterraines, entraînant un déficit annuel de 1 Milliard de mètres cubes, ce qui a des répercussions significatives sur la durabilité de l'eau dans le pays.
Cette situation est principalement attribuée au développement non contrôlé de l'agriculture irriguée, combiné aux subventions accordées aux agriculteurs pour encourager cette pratique.
L'agriculture irriguée est essentielle pour la sécurité alimentaire et l'économie du Maroc, mais son expansion sans régulation et sans adaptation au contexte climatique de chaque région a conduit à une surexploitation de toutes les nappes stratégiques du pays. L'irrigation intensive a entraîné une diminution drastique du niveau des nappes phréatiques, mettant en danger la durabilité à long terme de ces ressources.
Contraintes liées au financement du secteur de l’eau
Le secteur de l'eau au Maroc est confronté à plusieurs contraintes de financement qui entravent sa capacité à répondre efficacement aux besoins croissants en termes d’infrastructures. Parmi les principales contraintes figurent :

  1. Concordance entre la planification des investissements publics et la planification sectorielle : L'alignement des investissements publics avec le plan et les priorités sectoriels peut souvent être difficile à réaliser. Les projets d'infrastructure nécessitent une planification à long terme, mais il peut y avoir des décalages entre les besoins réels et les budgets alloués, ce qui peut entraîner des retards dans la réalisation des projets prioritaires, impactant de ce fait la pérennité de la fourniture d’eau,
  2. Contraintes liées à l'engagement de l'investissement privé dans le secteur de l'eau : Bien que le partenariat public privé puisse jouer un rôle clé dans le financement des infrastructures hydrauliques, il peut y avoir des obstacles à sa participation. Ces obstacles peuvent inclure des préoccupations concernant la rentabilité des investissements, la rigidité du cadre réglementation encadrant ce partenariat, et éventuellement les garanties de retour sur investissement,
  3. Tarification : La tarification de l'eau peut également être un défi. L’ajustement d’une tarification appropriée pour l'eau est essentiel pour couvrir les coûts de production, de distribution et d'assainissement, mais cela peut être politiquement délicat. Des tarifs sous-estimés, surtout pour les gros consommateurs, peuvent entraîner des pertes financières et compromettre la durabilité du service.
    Gestion de la demande : résultats non satisfaisants
    L’insuffisance enregistrée dans la gestion de la demande est préoccupante. Les pertes enregistrées dans les systèmes de fourniture d’eau (tous usages confondus) s’élève à 1 million de mètres cubes d'eau, d’après la déclaration de Monsieur le ministre de l’Équipement et de l’Eau au sein de parlement.
    Outre les pratiques agricoles non optimales, les ressources financières limitées allouées à la modernisation des infrastructures et à l'amélioration des performances des systèmes de fourniture d'eau contribuent de manière significative aux pertes d'eau et aux gaspillages dans le secteur, ce qui entraîne des conséquences économiques et environnementales néfastes.
    Conclusion et recommandations
    A la lumière de ce qui précède, le Maroc fait face à un stress hydrique de plus en plus alarmant et inquiétant, mettant en jeu sa sécurité hydrique et ses acquis de développement socio-économique. Repenser la gouvernance de l'eau au Maroc est devenue une priorité nationale, et ce, afin d’asseoir les bases d’une gestion durable et résiliente des ressources hydriques, soutenir et pérenniser son développement.
    La révision de la politique agricole est devenue plus qu’une nécessité, et ce, afin de promouvoir des pratiques plus efficaces en termes d'économie d'eau et des choix des cultures adaptées au contexte climatique du pays.
    D’un autre côté La création d'un organe de régulation de l'eau indépendant et compétent se dotant des pouvoirs d’arbitrage, de contrôle et de décision est une mesure cruciale pour remédier aux dysfonctionnements institutionnels. Cet organe devrait jouer un rôle clé dans la résolution des conflits, la promotion de la durabilité des ressources en eau et la régulation de l’accès équitable à la ressource en harmonie avec les priorités nationales.
    Par ailleurs et afin de faire face à l’exploitation alarmante des réserves souterraines, il est essentiel d'adopter des approches de gestion de l'eau plus durables et équilibrées. La mise en œuvre effective et efficiente des contrats de nappe, comme un cadre contractuel et collégiale de gouvernance des eaux souterraines, devrait se faire de manière à mettre fin à l’abus et aux décisions unilatérales prises en dehors du cadre de concertation avec les organismes des bassins. La régulation stricte et/ou l’interdiction des prélèvements d'eau souterraine dans des nappes asséchées et des politiques de subvention plus ciblées sont des mesures qui s’imposent avec acuité.
    D’autre part, les insuffisances enregistrés dans la gestion de la demande interpellent fortement les acteurs concernés pour accorder une priorité à la mobilisation des financements suffisants pour réhabiliter les systèmes de fourniture d’eau (adductions, réseaux, canaux d’irrigation) et lutter contre le gaspillage et les pertes causés par la vétusté des infrastructures de transport et de distribution. La mise en place de pratiques d'irrigation plus efficaces et économes en eau et la promotion de la réutilisation des eaux usées traitées dans l'agriculture est sont des voies à encourager.

L’impact des choix politiques sur l’eau
Mehdi LAHLOU
professeur.
L’accès à l’eau, un Droit.
Introduction :
Consacrée dans les déclarations et agendas des nations unies (2010, 2015, 2016) et la constitution marocaine de 2011 (art. 31) , ainsi que par la loi 36-15 telle que promulguée en 2016, l’eau est un ‘’Bien commun'’, qui ne peut être considéré comme un bien économique, au sens de bien marchand. Ou, autrement exprimé, de bien dont certains pourraient être privés pour incapacité d’aller au marché. Cependant, les modes de gouvernance, d’exploitation et les choix agricoles des dernières décennies au Maroc (privatisation de la gestion, cultures intensives, modes d’irrigation obsolètes, puits anarchiques , etc.) soulèvent des incohérences à fort impact sur les ressources hydriques, et vont à contre-courant des proclamations de foi officielles ainsi que des objectifs de développement durable et de protection de l’environnement et de la reconstitution du capital forestier du pays. Un seul indicateur en dit long sur le stress hydrique. La quantité d'eau par habitant, annuellement disponible pour chaque Marocain, est passée de près 2000 m³ en 1965 à moins de 700 m³ depuis 2020.
Pour infléchir cette tendance, il est temps d’agir dans le sens de la réduction des usages agricoles de l’eau à moins de 50% des ressources mobilisées, au lieu de plus de 80% actuellement, le dessalement de l’eau de mer, le recyclage des eaux usées pour les usages touristiques, la lutte contre les pollutions et, à plus long terme, le reboisement du pays qui perd annuellement près de 30.000 h de son couvert végétal.
La présente communication traite principalement de l’eau domestique – dite également Eau à boire, par opposition à l’eau à usage agricole, qualifiée d’Eau à manger – en milieu urbain, dont la gestion est symptomatique, depuis la fin du 20ᵉ siècle, d’une sorte de schizophrénie de l’approche des politiques publiques en la matière, tiraillées entre un discours social, adossé au droit, et une pratique de marché, à fondement essentiellement d’ordre financier.
Contexte général
L’Eau, bien naturel, universel, vital, non substituable, longtemps considéré comme inépuisable, parce que renouvelable, est, désormais, une ressource rare.
Si les premières caractéristiques en faisaient, et en font toujours, un bien à part, l’abondance relative qui marquait globalement sa disponibilité jusqu’au milieu du XXe siècle conduisait la plupart des économistes à le considérer comme un bien non économique. Étant donné que c’est la rareté, en plus de l’utilité, qui confère à n’importe quel élément pouvant satisfaire un quelconque besoin humain la possibilité d’être offert et demandé dans un système déterminé d’échange. Cependant, et quand bien même la rareté de l’eau soit dorénavant tout à fait avérée et indiscutable, il n’existe pas de bien, à l’heure actuelle, dont le qualificatif d’économique ou de simple bien marchand, soit autant objet à réserves.
L’eau, une ressource de plus en plus rare de par le monde :
La rareté de plus en plus affirmée de l’eau est l’une des conséquences les plus importantes de l’augmentation rapide de la population mondiale enregistrée, surtout au cours des 50 dernières années du 20ᵉ siècle, et de l’accentuation des pollutions qui ont rendu une grande partie des eaux de surface et souterraines impropres à la consommation. Et encore davantage au cours du premier quart du 21ᵉe pendant lequel le dérèglement climatique a combiné sécheresses sévères et inondations catastrophiques dans toutes les régions du monde.
Cette tendance à la raréfaction s’exprime par une baisse très rapide des disponibilités en eau par habitant, particulièrement dans les zones les plus sèches, qui sont aussi les régions où vivent les populations des pays les plus pauvres.
Globalement, et sur la base des deux notions prises en considération pour approcher une situation de rareté de l’eau qui sont celles de l’état d’alerte et de l’état de pénurie, l’ONU avait retenu en 1996, partant d’une hypothèse moyenne de croissance de la population mondiale, que 2,2 milliards de personnes connaîtraient en 2050 une situation de pénurie d’eau, et 4,6 milliards vivraient une situation d’alerte. Ce qui devrait représenter un total de 6,8 milliards de personnes vivant dans plus de 60 pays.
Et dès 2015, on estimait que plus d’une personne sur dix sur terre n’avait pas d’accès à une eau potable, comme cela est indiqué dans le tableau ci-après.
Répartition de la population mondiale selon son accès à l’eau potable
Nombre en millions Répartition en %
Eau potable à domicile* 5 230 71
Accès à l'eau potable à moins de 30 min. aller-retour 1 275 17
Population ayant accès à l'eau potable 6 505 89

Accès à l'eau potable à plus de 30 min. 263 4
Puits ou source non protégé 423 6
Eaux de surface 159 2
Population sans accès à l'eau potable 844 11

Ensemble 7 349 100
*Accès à l’eau potable « en toute sécurité », c’est-à-dire à la fois à domicile, au moins douze heures par jour et eau non contaminée.
Source : OMS, Unicef. Données 2015 – © Observatoire des inégalités.
Dans cette configuration globale, le Maroc cumule deux caractéristiques. En effet, il est l’un des pays du pourtour méditerranéen les plus affectés par le stress hydrique, comme il enregistre, du point de vue de sa politique de l’eau, un bien grand décalage entre les proclamations ‘’Droits de l’homme’’ en la matière de ses autorités publiques et le primat ‘’capital privé‘’ des interventions effectives de ces mêmes autorités.
L’eau, une ressource de plus en plus rare au Maroc :
Entre 1960 et 2020, et à l’exception de certaines années de grandes inondations (1962/1963, notamment) les ressources hydriques renouvelables disponibles – compte non tenu des nappes phréatiques – ont diminué progressivement au Maroc, pour passer d’une moyenne de 2.560 m³ à environ 620 m³ par personne et par an, entraînant le pays dans une situation de « stress hydrique structurel » . Plus globalement, durant la période 1971 - 2000, les apports pluviométriques ont enregistré une diminution de l’ordre de 15% par rapport à ceux de la période 1961-1990. Sur une plus longue période, la baisse des précipitations a engendré une baisse sensible des apports annuels d’eau de surface qui ont baissé graduellement, comme suit :

  1. 1945-1980 : 21,7 Milliards de m³ (MM m³).
  2. 1945-2021 : 17,9 MMm³, soit 17,5% de réduction.
  3. 1981-2021 : 14,6 MMm³, soit 32,9% de réduction.
  4. 2015-2021 : 10,4 MMm³, soit 52,1% de réduction par rapport à 40 ans plus tôt.
    Et, au 13 avril 2023 (jour de l’organisation de cet atelier) le taux de remplissage des principaux barrages du pays était de 33,9 %, en recul de 0,5 point par rapport au même jour, une année plus tôt, soit 5,46 milliards de m3 contre 5,54 milliards de m3 (au 13 avril 2022) . Deux années parmi les plus sèches que le Maroc ait jamais connues.
    Par ailleurs, une telle baisse tendancielle, sur plusieurs décennies, couvre une très grande variabilité dans les hauteurs des précipitations selon les années. On estime de la sorte les ressources en eau superficielle tombant sur l’ensemble du territoire marocain à une moyenne annuelle de près de 18 milliards de m³, mais variant selon les années de 3 Milliards à 48 Milliards de m³, soit dans une échelle de 1 à… 16 .
    Dans le même sens, cette variabilité temporelle de la quantité de pluie s’accompagne d’un grand déséquilibre spatial. Ainsi, sur la période allant de 1940 à 2017, les précipitations annuelles se répartissent, globalement, comme suit :
  • + de 800 mm dans la région Nord-Ouest du pays ;
  • Entre 400 à 600 mm dans la région du Centre ;
  • Entre 200 et 400 mm dans la région de l’Oriental et du Souss ;
  • Entre 50 et 200 mm dans les zones sud-atlasiques .
    Hauteurs des précipitations dans les différentes régions du Maroc.

Source : Direction de la Météorologie nationale.
Une telle évolution, est-elle inexorable ? Nous verrons dans les propositions de solutions, avancées en conclusion de ce texte, que non, notamment en luttant plus activement contre le réchauffement du climat et en renforçant le couvert végétal du pays.
Comment les autorités publiques sont-elles tenté d’y remédier ? Elles ont suivi pour cela deux approches parallèles, dont tout indique que la première a servi de marche pied à la seconde.
La politique marocaine de l’eau, une approche liquide : pompeuse en matière de Droit, bienveillante pour le marché, dans les faits.
Un arsenal juridique enviable… !
l’État au Maroc a justifié l’approche qu’il a adoptée en matière de gestion de l’eau par le fait que les ressources hydriques du pays sont devenues rares, comme cela vient d’être indiqué, ce qui oblige, selon la doctrine qui est la sienne depuis les années 1990, à de nouveaux modes de gestion, ne pouvant plus relever de la seule sphère publique et non-marchande.
Or, en se plaçant dans une telle posture, il fait clairement fi autant de l’article 31 de la constitution marocaine, telle qu’adoptée par le référendum du 1er juillet 2011, que de la loi sur l’eau de 1995, modifiée par celle de 2016, comme de la déclaration de l’Assemblée générale des Nations-Unies, que le pays a signée, avec 121 autres États, au mois de juillet 2010.
L’accès à l’eau, un droit constitutionnel depuis 2011
Jusqu’au cours de la dernière décennie (2010/2020), le Maroc faisait partie des rares pays à travers le monde (14) à voir rendu constitutionnel le droit d’accès à l’eau . Dans ce sens, on peut lire à l’article 31 de la Constitution adoptée le 1ᵉʳ juillet 2011 que :
'’L'État, les établissements publics et les collectivités territoriales œuvrent à la mobilisation de tous les moyens à disposition pour faciliter l'égal accès des citoyennes et des citoyens aux conditions leur permettant de jouir des droits :

  • aux soins de santé ;
  • à la protection sociale, à la couverture médicale et à la solidarité mutualiste ou organisée par l'État ;
  • à une éducation moderne, accessible et de qualité ;
  • à l'éducation sur l'attachement à l'identité marocaine et aux constantes nationales immuables ;
  • à la formation professionnelle et à l'éducation physique et artistique ;
  • à un logement décent ;
  • au travail et à l'appui des pouvoirs publics en matière de recherche d'emploi ou d'auto-emploi ;
  • à l'accès aux fonctions publiques selon le mérite ;
  • à l'accès à l'eau et à un environnement sain ;
  • au développement durable.’’
    L’eau, un bien public et une ressource vitale, non marchande, de par la loi :
    Avant comme après la constitutionnalisation de l’accès à l’eau pour tous les citoyens, le législateur marocain a retenu dans une première loi sur l’eau du pays, publiée en 1995, puis dans une seconde, publiée en 2016, que ‘’l'eau est un bien public et ne peut faire l'objet d'appropriation privée'’.
    Ainsi, le chapitre 1ᵉʳ de la Loi n° 10-95 sur l'eau énonce que L'eau est un bien public et ne peut faire l'objet d'appropriation privée (sous réserve des dispositions du chapitre II). Quant à l’article 2 du même chapitre, il énumère l’ensemble des éléments faisant partie du domaine public hydraulique au sens de la loi, dont, notamment : a/ toutes les nappes d'eau, qu'elles soient superficielles ou souterraines ; les cours d'eau de toutes sortes et les sources de toutes natures ; b/ les lacs, étangs et sebkhas ainsi que les lagunes, marais salants et marais de toute espèce ne communiquant pas directement avec la mer ; c/ les puits artésiens, les puits et abreuvoirs à usage public réalisés par l'État ou pour son compte ainsi que leurs zones de protection délimitées par voie réglementaire ; d/ les canaux de navigation, d'irrigation ou d'assainissement affectés à un usage public ; e/ les digues, barrages, aqueducs, canalisations, conduites d'eau et séguias affectés à un usage public en vue de la défense des terres contre les eaux, de l'irrigation, de l'alimentation en eau des centres urbains et agglomérations rurales ou de l'utilisation des forces hydrauliques.
    Pour sa part, La Loi n 36-15 du 10 août 2016 relative à l’eau, tout en mettant l’accent sur la gestion des risques liés à l’eau (les inondations, protection et prévention des risques d'inondations, dispositifs de détection, de surveillance et d'alerte, gestion des évènements d'inondations, la pénurie d'eau), confirme que cette ressource ‘’constitue un bien public qui, sous réserve des dispositions de la section 2 du chapitre II de la présente loi, ne peut pas faire l’objet d’appropriation privée et de transaction par vente et achat.’’
    Droit d’accès à l’eau, le Maroc joint sa voix à la communauté des Nations
    L'Assemblée générale des Nations-Unies a reconnu, mercredi 28 juillet 2010, ‘’l'accès à une eau de qualité et à des installations sanitaires comme un droit humain.’’ (Voir, par ailleurs, l’encadré 1 à la fin de ce texte).
    Après plus de quinze ans de débats sur la question, les délégations de 122 pays, dont celle du Maroc, ont voté en faveur d'une résolution de compromis rédigée par la Bolivie et consacrant ce droit, tandis que 41 autres se sont abstenus. Le texte retenu déclare que ‘’le droit à une eau potable propre et de qualité et à des installations sanitaires est un droit de l'homme, indispensable à la pleine jouissance du droit à la vie.’’ Cette déclaration part, notamment, du constat fait à l’échelle du monde que, 884 millions de personnes dans le monde n'avaient pas alors accès à une eau potable de qualité et que plus de 2,6 milliards ne disposaient pas d'installations sanitaires de base. Elle souligne qu'environ deux millions de personnes, pour la plupart des jeunes enfants, meurent chaque année des suites de maladies causées par une eau impropre à la consommation et l'absence de sanitaires.
    Une approche pragmatique tournant le dos aux velléités sociales…
    Comme si le discours autour du droit d’accès à l’eau, de l’eau bien commun, et de l’eau bien non marchande, qui ne peut être ‘’ni acheté ni vendu'’, est dirigé vers l’opinion publique internationale, n’intervient que pour mieux couvrir le penchant libéral des politiques publiques au Maroc, davantage axées sur la ‘’couverture des frais/coûts’’ (attachés à l’eau potable, plus spécifiquement) et la rentabilité financière des actions engagées que sur leurs effets sociaux. Et, de fait, ces politiques prennent l’orientation exactement opposée aux proclamations de foi officielles
    En réalité, si on omettait cela, on ne comprendrait pas pourquoi la gestion de l’eau et de l’assainissement liquide et la distribution de l’électricité ont été déléguées au capital privé dans certaines des principales agglomérations du pays, Casablanca-Mohammadia/Rabat-Salé/Tanger et Tétouan en l’occurrence. On ne comprendrait pas non plus pourquoi des sources d’eau douce ont été cédées à des particuliers sans autre forme de procès, en 2006/2007, dans le cas d’Aïn Sultan, et en 2010, dans celui de Ben S’mime. Ces deux sources venant s’ajouter aux cessions plus anciennes des eaux d’Oulmès/Sidi Ali, de Sidi Harazem ou de Aïn Fès, notamment.
    On ne comprendrait pas, également, pourquoi l’État s’est décidé à créer plus récemment – en 2023 – des Sociétés dites régionales multiservices, hors toute approche participative ou transparente, dans les objectifs ultimes de se sortir du système de délégation des services de l’eau, tel qu’engagé en 1997 dans la grande métropole de Casablanca, et de le remplacer par une gestion directe opérée par des sociétés privées.
    Le modèle de la « Gestion déléguée » ou la privatisation de la gestion de l’eau au Maroc
    Mise en œuvre du modèle
    La privatisation des services de distribution de l’eau et de l’électricité au Maroc a pris la forme juridique, à partir de 1997, d’une « gestion déléguée ». Celle-ci devait se traduire progressivement dans les faits, alors même qu’aucune loi ne l’encadrait encore à l’époque , par le passage au privé, en l’occurrence ici à deux grands groupes français, de la distribution de l’eau et de l’électricité et de l’assainissement dans trois des plus grands importants centres urbains du Maroc, Casablanca, Rabat-Salé et Tanger-Tétouan
    En 1997, la Lyonnaise des eaux prit le contrôle de la régie publique (Régie autonome de distribution) à Casablanca ; l’ancienne RAD devint la Lydec. En 1998, la même opération fut effectuée à Rabat au profit d’investisseurs espagnols et portugais, n’ayant jamais intervenu dans le secteur de l’eau, y compris dans leurs propres pays. Ceux-ci furent supplantés par Veolia (alors Vivendi Environnement, devenu aujourd’hui, Suez), via sa filiale Veolia Water, en 2002. La régie publique locale, à qui personne n’avait rien demandé, fut alors remplacée par la REDAL.
    Cette même année (2002), Veolia Environnement-Maroc reprit la gestion des deux régies autonomes de distribution à Tanger et Tétouan, qui furent fusionnées et prirent le nom d’Amendis (Amen signifiant eau en langue amazigh)
    En l’espace de 6 années (1997-2002), la délégation de service public de l’eau (et de l’électricité) concerna 50% du volume d’eau distribuée dans les grandes villes marocaines par 17 opérateurs (13 régies locales et quatre opérateurs privés). Dans les seules villes de Casablanca, Rabat-Salé et Tanger-Tétouan, le chiffre d’affaires (lié à la distribution) des sociétés privées avait été estimé en 2005 à plus de 8 milliards de dirhams, soit entre 2 et 2,5 % du Produit intérieur brut global du pays. Et, en 2012, ce chiffre d’affaires était passé à près de 11,2 milliards de dirhams, et concernait 1,764 million d’usagers (devenus de simples clients), soit 36% des usagers du service public de l’eau, de l’assainissement et de l’électricité, en cette même année .
    Introduite sur la base de soubassements essentiellement économiques, financiers et idéologiques, la gestion déléguée visait, notamment, en plus, de ‘’soulager l’État'’ du poids financier et « managérial » lié à la distribution de l’eau et de l’électricité en milieu urbain, à ‘’l’amélioration de la qualité du service’’ à tous les stades opérationnels d’intervention des opérateurs désignés ; à la facilitation et la diminution des délais de branchement des ‘’usagers/clients’’ ; à la facilitation et la diminution des délais de recouvrement.
    Mais, très rapidement, toutefois, les principes économiques et « sociaux » à l’origine de la volonté de recourir au mécanisme juridique de la gestion déléguée – qui équivaut dans les faits à une privatisation de service – se heurtèrent à la pauvreté de la population, spécialement dans les quartiers périphériques des centres urbains concernés. Les principes de consentement à payer, de recouvrement intégral des coûts et celui selon lequel « l’eau paie l’eau » furent appliqués à l’ensemble des abonnés. Une application qui sera rendue d’autant plus douloureuse pour la population que, concomitamment, l’État instituera, en 2006, une TVA sur l’eau et l’assainissement (voir ci-après – encadré 2 - que cette TVA va fortement augmenter entre 2024 et 2026, comme cela a été retenu dans le projet de loi de finances, présenté par le gouvernement marocain au parlement, le 23 octobre 2022). Les Opérations de branchements sociaux qui devaient faciliter l’accès des plus pauvres au réseau ne donnèrent pas les résultats escomptés : pour Casablanca par exemple, 10.000 branchements annuels étaient annoncés contractuellement, mais les branchements effectivement réalisés n’ont pas dépassé 1.250 entre 1997 et 2007. Le coût du raccordement est resté prohibitif pour une grande partie de la population dont le revenu moyen est à la fois très faible et volatile, de crise financière (2008 à 2011/2013) en crise sanitaire (entre 2020 et 2021), en crise cumulant effets conjoints de l’inflation et de la sécheresse qui perdure (2022).
    Pour quel résultat ?
    Normalement, les délégataires de service public dans le secteur de l’eau, l’assainissement et l’électricité sont soumis à un audit (avec révision de certains termes de leurs contrats) tous les cinq ans . Or, nul ne semble avoir été incité à opérer un tel contrôle, et lorsque cela a pu être fait, rien de fiable et de vérifiable n’en a été publié. Cependant, une enquête a été menée sur la gestion déléguée à Casablanca, en 2007, et est restée la seule connue par la suite. Menée par une équipe de consultants indépendants , cette enquête démontra toute une série de « défaillances », « dépassements » et autres comportements « non respectueux des engagements contractuels » de la part de la société privée qui avait bénéficié du premier contrat de gestion déléguée dans la plus grande ville du Maroc.
    Les résultats de cette enquête révélaient en particulier l’ampleur des écarts, pour tous les paramètres — financiers, entre ce qui avait été initialement prévu par l’autorité délégante (l’administration marocaine) et ce que la société délégataire (à capitaux privés majoritairement français) a effectivement réalisé. Ces écarts illustrent une situation que l’on peut résumer ainsi : en dix ans, un contrat qui avait été présenté a l’origine comme « équilibré » par la société délégataire s’est transformé, en fait, en une très efficace entreprise d’enrichissement pour ses actionnaires privés étrangers ainsi que ses partenaires locaux .
    À partir de la même enquête, on a découvert, plus précisément, que :
  • Au sujet de la libération du capital : le capital apporté par la Lydec devait être libéré dans les 3 années suivant la signature du contrat, soit en 2000. Il ne l’a été tout à fait qu’en 2003, soit donc avec un retard de 3 années.
  • Au sujet des investissements à réaliser (dans le contrat) par la Lydec : l’enquête a conclu à un écart sur les investissements (entre 1997 à 2006) de 2,074 milliards de dirhams par rapport à un investissement contractuel actualisé de 3,815 milliards de dirhams.
  • Au sujet de la distribution des bénéfices réalisés par la société délégataire : le contrat ne prévoyait aucune distribution de dividendes jusqu’en 2009 ; or, de 2003 à 2006, la Lydec en a distribué pour 560 millions de dirhams. Et, pour l’autorité délégante, il existe un lien entre le non-respect par le délégataire de ses obligations d’investissements et ce paiement prématuré des dividendes.
  • Enfin, au sujet des transferts de devises au profit des actionnaires de la Lydec et de certains de ses fournisseurs à l’étranger : les enquêteurs ont conclu à des transferts non justifiés de devises de l’ordre de 678 millions de dirhams, ce qui correspond à 85 % du capital théoriquement apporté par la Lydec.
    De fait, ce qui représentait – d’un point de vue théorique et du point de vue du droit – des motifs pour refuser l’intervention du marché pour prétendument « gérer l’offre et la demande de l’eau », a été confirmé de façon éclatante par les résultats, même partiels, évoqués ci-dessus.
    Pour le reste, le CESE, dans sa saisine de 2015, confirme largement ce constat pour l’ensemble des contrats de gestion déléguée de l’eau, de l’assainissement et de l’électricité, en soutenant que ‘’ Certes, ce mode de gestion a permis de professionnaliser les secteurs dans lesquels ont été scellés des contrats de gestion déléguée et ont conduit à l’émergence d’un secteur privé plus dynamique, plus efficace et attirant des opérateurs internationaux. Mais le modèle en question est confronté à des carences importantes, relatives à des manquements et des insuffisances de la part des délégataires quant à l’exécution des contrats, notamment en raison du non-respect des cahiers de charge. En effet, les délégataires ne respectent pas systématiquement leurs engagements en termes d’investissement, au même titre qu’ils ne respectent pas totalement leurs obligations de rendre un service public de qualité aux usagers, comme le stipulent en priorité les contrats signés.’’
    Avant d’asséner, en forme de coup de pied de l’âne, que ‘’ Par ailleurs, le comité de suivi institué pour assurer le suivi du contrat de gestion déléguée et de la relation entre le délégataire et le délégant découlant de l’exécution de ce contrat est fragilisé. En effet, certaines de ses prérogatives n’ont pas été exercées pleinement, spécifiquement en matière d’examen des projets de marchés, de contrats, de conventions à passer directement ou indirectement avec le groupe contrôlant la société délégataire. De plus, les décisions prises s’appuient généralement sur les données produites par les délégataires sans s’assurer forcément de leur fiabilité, qu’il s’agisse des investissements, des budgets ou encore des révisions et ajustements tarifaires. Aussi, les services de contrôle institués par le délégant ne disposent pas de ressources humaines et matérielles leur permettant d’assumer convenablement leur rôle. Le service permanent de contrôle qui exerce les contrôles économique, financier, technique et de gestion des services délégués qui lui sont dévolus par l’autorité délégante et pour son compte, n’est pas totalement indépendant du délégataire. Ce dernier assure la gestion de la carrière des membres du service de contrôle et décide des ressources humaines qui lui sont affectées en termes d’effectifs et de moyens. Aussi, le délégant n’exerce pas de contrôles sur place. Il se contente de vérifications sur pièces sur la base de l’information transmise par le délégataire.’’ Ce qui, somme toutes, enlève au modèle toute légitimité opérationnelle et institutionnelle, puisque échappant de fait à tout véritable contrôle et toute reddition des comptes dignes de ce principe, tel qu’universellement admis.
    Et le même CESE de conclure, p.50 de son rapport de 2015 sur le sujet, ‘’ Les limites qui caractérisent ce modèle de gestion constituent une barrière à l’installation de la pratique de la gestion déléguée comme un mode soutenu et durable, capable de répondre aux attentes légitimes des citoyens — usagers en termes de bien-être, de solidarité, d’équité et de justice sociale.’’
    Or, non seulement l’État ne semble pas avoir prêté attention à une telle perspective, mais il est allé bien plus loin, en prenant l’exact contre-pied en poussant à l’adoption d’une véritable loi de privatisation de la gestion de l’eau , de l’assainissement et de l’électricité à l’échelle de l’ensemble du pays.
    Cette loi – soumise au parlement au début de l’année 2023 (et finalement votée le 13 juillet), sans aucune consultation avec les partis politiques ou avec la société civile, en évitant d’avoir quelque référence que ce soit à l’article 31 de la constitution ou aux lois sur l’eau de 1995 et 2015, ou encore à l’engagement pris par le Maroc en matière de droit d’accès à l’eau pour tous les citoyens, lors de l’AG de l’ONU du 28 juillet 2010 – qui prive, en passant, les collectivités locales de l’une des parties les plus importantes de leurs missions, énonce dans certains de ses 17 articles que :
  • Les ‘’Sociétés régionales multiservices’’, ont pour missions principales la gestion du service de la distribution d’eau et d’électricité, celle des services d’assainissement et de l’éclairage public, ainsi que le suivi de ces secteurs en cas de délégation (art. 2) ;
  • Les personnes susceptibles de participer au capital des sociétés régionales multiservices, sont l’État, les établissements et entreprises publiques et les collectivités territoriales, outre les personnes privées qui peuvent y souscrire à condition que la participation de l’État ne soit pas inférieure à 10 % (art. 8) ;
  • Il y transfert/affectation aux Sociétés régionales multiservices, à partir de la signature du contrat de gestion, des missions jusque-là dévolues à l’Office national d’eau et d’électricité (ONEE) et aux régies d’eau et d’électricité (art. 15) ainsi que ‘’transmission’’, à ces sociétés, du personnel des organismes suscités (art. 16).
    Ce faisant, les autorités publiques marocaines en charge de ce dossier, politiquement extrêmement sensible et socialement inflammable, ignorent les avertissements de certaines de leurs propres instances, le CESE en l’occurrence, ne prêtent aucune attention aux revendications de la société civile pour l’accès à l’eau pour tous, vont à l’encontre de l’histoire, laquelle, même dans les pays du libéralisme, va dans le sens de la remunicipalisation et du retour des services de l’eau et de l’assainissement au secteur public (étatique et communal) et jettent la distribution de l’eau, l’assainissement et l’électricité dans l’inconnu absolu. Puisque nul ne savait, au moment de la présentation de la nouvelle loi au parlement, de quelles sociétés multiservices, il s’agit, quel sera le montant du capital de chacune, quelles seraient les compétences de leurs dirigeants, quelles sont leurs références, de quels moyens de contrôle disposeraient l’État, les collectivités locales, le parlement, ou encore les citoyens à leur égard.
    Axes de solutions
    Dans ce véritable déni de droit/des droits attachés à l’eau, dans un pays où le concept récemment usité ‘’d’État social'’ ne quitte plus le discours public, et pas que, comment faire pour, justement, garantir le droit d’accès à l’eau à chaque citoyen/citoyenne et pour faire en sorte que cette eau soit préservée au bénéfice des générations à venir.
    Des solutions de principe d’abord
  • L’eau est un bien commun, de ce point de vue, elle ne peut relever que d’une gestion publique/communautaire. Autrement exprimé, c’est aux collectivités locales, sous la supervision de l’État – garant du respect de la constitution et de la bonne exécution des lois – qu’il revient de rendre l’eau potable accessible à tous les citoyens/citoyennes, dans des conditions qui en pérennisent la disponibilité.
  • Dans cette même veine, l’article 31 de la constitution de 2011 de même que la résolution de l’Assemblée générale des Nations-Unies de juillet 2010 garantissent l’accès à l’eau pour tous, abstraction de la question du revenu, il faudrait mettre en place un fonds national de l’eau permettant aux classes, très nombreuses , en situation de précarité d’accéder gratuitement à l’eau.
  • Reprendre la gestion de l’eau, de l’électricité et de l’assainissement dans les communes où elle était passée en gestion déléguée. Se servir de l’argent de l’eau non pas pour payer des dividendes – en rétribuant le capital privé, très souvent à travers des sorties de devises, induisant par la même un creusement du déficit de la balance de paiement du pays — mais pour améliorer les services de l’eau et de l’assainissement et pour, notamment, permettre le recyclage et la réutilisation des eaux usées (dont on considère que près de 700 millions de m3 sont encore rejetées en l’état en mer ou dans les rivières, en y aggravant toutes les formes de pollution).
    Des solutions plus opérationnelles
  • Considérer l’eau orientée vers les cultures de rente/d’exportation comme un vrai facteur de production et la tarifer en conséquence. Procéder de la sorte aussi bien pour les grandes exploitations reliées aux réseaux des barrages que pour les eaux puisées dans les nappes phréatiques. En ce sens, imposer la mise en place de compteurs dans toutes ces exploitations, spécialement dans les régions où domine désormais le palmier-dattier. Cela pour s’assurer des usages les plus économes d’eau.
  • Concomitamment à cette dernière mesure, revoir la politique agricole du pays. Faire le bilan des programmes ‘’Maroc vert’, à l’œuvre depuis 2008, et ‘’Green generation’’, qui ont fortement contribué à la pression sur les diverses nappes phréatiques à travers le territoire national, ont profité à de gros agriculteurs, exportateurs de pastèque, d’avocat et autres fruits rouges, sans pour autant améliorer le sort des petits et moyens paysans et sans avoir eu aucun effet sur la sécurité alimentaire. À ce propos, en revenant plus fermement à des cultures méditerranéennes (olivier, figuier, amandier, légumineuses, grenadier, etc…), en recourant à des productions plus adaptées à un climat chaud et sec (pistachier, par exemple), en renforçant la culture du maïs blanc, de l’orge ou du blé dure, etc… et en rationalisant les systèmes d’irrigation à la disposition des agriculteurs, on devrait parvenir à abaisser la part de l’agriculture dans les usages de l’eau, de près de 80% en moyenne, aujourd’hui, à moins de 50%.
  • En tant qu’axe de solution sur le long terme, et vu l’importance primordiale des arbres dans le cycle de la pluie et dans le fonctionnement du système hydrique naturel dans son ensemble , procéder à des campagnes nationales de forestation/reforestation : couvrir d’arbres les bassins versants – en limitant par la même occasion le processus d’envasement des barrages – faire de même avec les piémonts, et renforcer/protéger le couvert forestier des versants est et sud des chaînes de l’Atlas, châteaux d’eau en péril du pays et du Rif….
  • À ce niveau, faire en sorte de couvrir entre 8 et 10 millions d’hectares de forêts. Et le faire très vite . On est bien loin des 50.000/100.000 h. annuels prévus pour être reboisés d’ici à 2030 . On y arriverait dans… 70 à 140 ans.
  • Dans le même objectif, utiliser une partie des eaux qui seront produites par les stations de dessalement de l’eau de mer – et qui ne pourrait pas être transférée à l’intérieur des terres, pour des raisons de coût élevé - pour irriguer certains espaces le long de la côte atlantique, entre le Souss et la Mauritanie, et établir dans les zones sahariennes du pays des ceintures vertes, comme barrières face à l’avancée des sables et comme moyens de lutte contre le réchauffement climatique.
  • Sauvegarder les lacs du Moyen et du Haut Atlas, assurer leur dépollution, permettre la couverture forestière de leurs bordures…
  • Faire de la récupération des eaux de pluie une obligation dans les plans d’urbanisation et les règles architecturales. En ce sens, toutes les administrations publiques, ainsi que les entreprises industrielles/hôtelières, comme les résidences collectives – aussi bien publiques que privées – devraient équiper leurs bâtiments (s’équiper) de systèmes de récupération des eaux de pluie à partir de leurs terrasses pour leurs divers usages d’eau non potable
  • Obliger toutes les entreprises grosses consommatrices d’eau à s’équiper en moyens de dépollution et de récupération/réutilisation des eaux à leur disposition. Et fermement appliquer, à ce niveau, le principe prévu par la loi sur l’eau de 2015 du ‘’pollueur payeur'’.
  • Obliger les entreprises minières – dont les opérations de production polluent les eaux de surface comme celles des nappes phréatiques ou détruisent leur environnement forestier – de remettre le milieu où s’exercent leurs activités en situation viable sur le plan environnemental, au moment de l’arrêt de telles activités (c’est le cas de l’OCP aussi bien dans les zones d’extraction – Khouribga, Oued Zem, Ben G’rir, etc… que sur les lieux de transformation – Jorf Lasfar, Safi).
  • Réhabiliter les systèmes d’irrigation traditionnels, les khettaras notamment, dans les zones où ils étaient la base de l’irrigation. Il s’agit, entre autres, des régions du Tafilalet, de Zagora, de Ouarzazate, ou encore de Marrakech. À ce propos, lancer des projets de coopération avec des pays qui disposent des mêmes systèmes, comme la Tunisie, l’Iran ou le Sultanat d’Oman. Ce dernier a pu, au cours des dernières années, procéder avec l’aide de l’UNESCO à la remise en l’état de ses Aflaj (nom local des Khattaras) permettant de rendre utilisables des milliers d’hectares dans des zones aussi arides que de grandes parties du Sud-Est et du Sud du Maroc.
    Encadré 1:
    Le droit à l’eau
    Le Comité a adopté en 2002 l’Observation générale 15 sur le droit à l’eau (art. 11 et 12 du Pacte). L’observation générale 15 est le premier document qui a détaillé ce que ce droit sous-entend et énoncé clairement que le droit à l’eau émanait d’un niveau de vie adéquat, mais qu’étant une des conditions fondamentales de la survie, il était également indispensable pour assurer un niveau de vie suffisant. Le droit à l’eau donne à chacun le droit à des ressources en eau suffisantes, saines, acceptables, physiquement accessibles et abordables pour ses besoins personnels et domestiques. La disponibilité suppose que pour chaque personne l’approvisionnement en eau est suffisant et permanent pour l’eau potable, l’assainissement, le lavage des vêtements, la préparation des aliments et l’hygiène personnelle et du ménage. Il ne doit pas présenter de micro-organismes, ni de substances chimiques, ni de risque d’origine radiologique susceptibles de menacer la santé des personnes. L’eau et les installations et services d’eau doivent être physiquement et économiquement accessibles à tous sans discrimination.
    L’eau est également associée à la jouissance d’un certain nombre d’autres droits. L’utilisation de l’eau pour assurer l’hygiène du milieu fait partie du droit à la santé. L’eau nécessaire à la jouissance de certaines pratiques culturelles est protégée par le droit à prendre part à une vie culturelle. Le droit de gagner sa vie en travaillant inclut celui sur l’eau qui permet la garantie des moyens d’existence. Enfin, comme nous l’avons vu précédemment, l’eau qui permet de produire les aliments est nécessaire pour que les personnes puissent jouir du droit à une alimentation suffisante. En cas d’utilisations concurrentielles, la priorité d’attribution doit être accordée au droit à l’eau pour les utilisations personnelles et domestiques ainsi que pour la prévention des famines et des maladies.
    '’Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies’’.
    https://www.fao.org/3/y4683f/y4683f0d.htm

Encadré 2:
Alors que ce texte était finalisé pour publication, nous avons appris que le gouvernement a décidé de procéder à de fortes augmentations de la TVA sur l’eau, l’assainissement et l’électricité, comme cela est indiqué ci-après.
Augmentation de la TVA sur l’eau et l’assainissement de 7 % actuellement à :
8 % à partir du 1er janvier 2024
9 % à partir du 1er janvier 2025
10 % à partir du 1er janvier 2026
Augmentation de la TVA sur la location des compteurs de l’électricité de 7 % actuellement à :
11 % à partir du 1er janvier 2024
15 % à partir du 1er janvier 2025
20 % à partir du 1er janvier 2026
Augmentation de la TVA sur l’électricité de 14 % actuellement à :
16 % à partir du 1er janvier 2024
18 % à partir du 1er janvier 2025
20 % à partir du 1er janvier 2026
Source : Projet de loi de finances. N° 23 – 55/2024.

L’agriculture en prise avec la crise de l’eau :
Entre caprices du ciel et choix irrationnels
Najib Akesbi
Économiste, enseignant-chercheur
Depuis le milieu des années soixante du siècle précédent, la politique agricole au Maroc s’était longtemps identifiée à ce qu’il convenait d’appeler « la politique des barrages ». Elle se voulait ainsi dès l’origine fondamentalement ancrée dans la problématique de l’eau. En fait, à l’époque, pour qui prenait la peine d’observer une carte pédologique, projetée sur une autre, pluviométrique, il n’était guère difficile de faire le constat suivant: Dans l’ensemble, le pays n’était pas seulement semi-aride, mais aussi en prise avec un redoutable paradoxe: alors que la pluviométrie diminue selon un gradient allant du Nord-ouest vers le Sud-est, la qualité des sols, elle, se dégrade à mesure que l’on remonte des riches pleines du Souss ou du Haouz vers les monts et les plateaux du Nord et du Nord-est. Autrement dit, et en forçant un peu les traits, là où il pleut, les terres sont plutôt de qualité moyenne ou médiocre, et là où c’est l’eau qui manque, les sols sont plutôt de bonne qualité… Ce à quoi il faut encore ajouter le fait que 51% des précipitations sont concentrées sur seulement 7% du territoire national, plus exactement dans les bassins du Loukkos et du Sebou, dans le Nord du pays . Difficile dans ces conditions de considérer que le pays a naturellement une “vocation agricole”.
Et pourtant, c’est bien ce que les gouvernants, fortement “conseillés” par les Institutions financières internationales (Banque mondiale en tête), vont solennellement décréter. Les plans nationaux de développement qui s’étaient succédé à partir de 1965 vont, en vertu de ce postulat, ériger l’agriculture en secteur prioritaire. Il ne s’agira cependant que d’une certaine agriculture, principalement exportatrice, et avant tout adossée à une “politique des barrages” qui accaparera la plus grande part des ressources du pays. D’où cet autre paradoxe, vécu avec de plus en plus d’acuité ces dernières années : Après avoir investi tant et tant et pendant tant d’années dans l’effort de maitrise de l’eau, le pays se trouve aujourd’hui en quasi-pénurie hydrique , acculé à faire face à une crise de l’eau comme il n’en avait jamais connu ! Le paradoxe est que le pays dispose aujourd’hui de près de 150 grands barrages, mais que les dernières statistiques officielles nous disent qu’ils sont aux trois quarts vides ! Et pour cause puisque, selon le Chef du Gouvernement, « la période entre 2018 et 2022 reste parmi les périodes les plus sèches de tous les temps », avec un volume de précipitations « le plus faible - en cinq années consécutives- dans l'histoire du Maroc » . Le paradoxe encore est que, au bout de plusieurs décennies d’une coûteuse politique d’irrigation, ce sont encore les précipitations et partant les aléas climatiques qui continuent de rythmer les campagnes agricoles et partant l’évolution de l’ensemble de l'économie du pays, avec des taux de croissance qui peuvent tomber à 1% ou remonter à 4% selon que le ciel a été clément ou dément avec nous !
Certes, les changements climatiques et les sécheresses de plus en plus fréquentes et de plus en plus intenses apportent une part d’explication essentielle à cette évolution. Mais notre propos ici est de nous demander si, au-delà des caprices du ciel, « l’autre part » n’est pas due à des choix irrationnels, faits ici-bas, sur terre, par des responsables qui ont manqué, par-dessus tout, simplement de bon sens.
Nous commencerons par prendre connaissance des choix fondateurs du modèle agricole qui a prévalu à ce jour, puis nous verrons comment la crise actuelle de l’eau puise ses racines dans des politiques qui, en plus d’être de classe, sont « irrationnelles ». Conduites depuis bien longtemps, en tout cas bien avant le « Plan Maroc Vert » et la nouvelle « Stratégie Génération Green », elles ont été amplifiées par le premier, à un niveau inédit, quasiment absurde. Nous pourrons alors en analyser les effets néfastes sur la sécurité hydrique du pays, notamment lorsque, à des politiques irrationnelles, sont associées des pratiques délictuelles. Nous suggérerons en conclusion quelques idées et pistes alternatives, à tout le moins à même de mieux mettre en cohérence les choix de politique agricole et la réalité de la ressource hydrique dans notre pays.

  1. Choix fondateurs et logique « hydrique » du modèle agro-exportateur
    Au début des années 1960, le Maroc connaît une crise financière aigüe, se traduisant par des déficits budgétaires et externes lourds, une pénurie des réserves de change… Le roi Hassan II, qui s’active pour imposer le régime autoritaire que l’on sait, cherche des alliances et des soutiens externes. Il fera donc appel au Fonds monétaire international et à la Banque mondiale, dont les équipes d’experts et de consultants débarquent et s’installent alors durablement dans le pays. Les rapports qu’ils rédigeront et les « recommandations » qu’ils feront dessinent le contenu du « modèle de développement » qui commence à prendre forme dans l'agriculture marocaine.
    Délaissant toute réforme de structure, ce « modèle » repose sur deux concepts majeurs qui sont la modernisation et la rentabilisation, l’un et l’autre se voulant d’ailleurs procéder d’une approche plutôt « technique » que « politique ». La stratégie de l'État dans l'agriculture s'identifie dès lors à « la politique des barrages ». Ayant pour ambition de développer un secteur moderne performant, cette politique se fixa pour objectif-symbole l'irrigation d'un million d'hectares à l'horizon 2000, et pour y parvenir prit la voie de la grande hydraulique, c'est-à-dire l'édification d'imposants ouvrages de retenue d'eau, et l'équipement à leur aval de périmètres appelés à être les foyers privilégiés du développement recherché. Ce fut une politique volontariste, globale, et cependant éminemment sélective, puisque par nature, elle se proposait de concentrer d’énormes ressources sur des « périmètres » qui ne pouvaient tout au plus guère représenter plus du dixième des terres cultivables, et par là-même abriter une proportion équivalente de la population rurale du pays .
    Cependant, comme une telle politique exigeait de lourds investissements publics, et compte tenu de la situation financière du pays, elle devait être largement financée par des emprunts externes, lesquels devaient bien être remboursés en devises. C’est cet argument qui allait permettre de « boucler » le modèle : Sur les précieuses terres aménagées par l’État et irriguées à partir des grands barrages, il fallait privilégier les cultures destinées à l’exportation non seulement parce qu’elles étaient sensées mieux rentabiliser les investissements, mais aussi parce qu’elles devaient générer les devises si nécessaires au remboursement de la dette. Ainsi, à son tour, la politique des barrages allait pour une bonne part s’identifier au « modèle agro-exportateur ».
    Toujours est-il qu’au service de cette politique, l’État s'était appliqué des décennies durant à investir lui-même massivement dans les infrastructures de base, organiser les conditions d'exploitation des terres ainsi mises en valeur (aménagements fonciers, plans d'assolement, encadrement technique et logistique…), distribuer primes et subventions pour favoriser l'intensification de la production, assurer une quasi-défiscalisation du secteur, accorder les crédits nécessaires, signer les accords commerciaux préférentiels pour l’ouverture des marchés extérieurs, mettre en place une politique des prix conciliant les intérêts des producteurs et ceux des consommateurs.
    Il faut ajouter que jusqu’aux années 1980, ce modèle agro-exportateur coexistait plus ou moins avec une certaine volonté de recherche de « l’autosuffisance alimentaire » (puisque telle était l’expression et le concept en cours alors), notamment à travers le développement de productions nécessitant l’irrigation mais permettant la satisfaction de la demande interne, telles les cultures fourragères pour le lait, la betterave et la canne à sucre, quelques céréales (maïs et blé tendre) …
    Mais les années 1980 marquent un tournant, avec la vague néolibérale qui submerge le monde. Dans les pays en développement, elle prend concrètement la forme de politiques dites « d’ajustement structurel », étroitement contrôlées par les Institutions financières internationales, puisque liées à des programmes de rééchelonnement de la dette qui n’avait pu être honorée. La politique agricole, jusqu’alors volontariste et interventionniste, est fortement remise en cause par des « programmes d’ajustement structurels » qui s’articulent autour d'un double axe : le désengagement de l’État d’une part et l’accentuation de la libéralisation des échanges pour une pleine intégration dans la mondialisation d’autre part. Il s’agissait donc d’œuvrer à la redéfinition du rôle des organismes publics d'intervention et la soumission de leur gestion aux impératifs du marché, l'élimination des obstacles aux échanges intérieurs et extérieurs (monopoles, quotas), la suppression des subventions aux facteurs de production et l'affirmation d'une politique de "vérité des prix" à la production et à la consommation .
    Ces politiques de désengagement de l’État et de libéralisation des échanges se sont poursuivies après la fin officielle des programmes d’ajustement structurel en 1993, notamment à travers la signature d’un nombre impressionnant d’accords de libre-échange et la libéralisation des marchés et des prix, de produits alimentaires en particulier .
    Dans le cadre de cette orientation générale, deux mouvements de fond, qui ne vont cesser d’être confirmés par la suite, méritent d’être examinés parce que nous en subissons aujourd’hui les implications. En fait ils ont constitué le ferment d’une crise annoncée.
  2. Crise de l’eau : Chronique d’une crise annoncée…
    Le premier mouvement de fond, engagé avec la libéralisation des assolements dans les zones irriguées, est sans doute l'un des changements majeurs, qui n’a pas tardé à conduire dans certaines régions à des reclassements dans les choix des agriculteurs. La libéralisation des assolements a en effet entraîné la régression des superficies consacrées à des cultures de base stratégiques, au profit de spéculations à rentabilité plus élevée et plus rapide. Cette orientation a été d’autant confortée par la nouvelle conception de la « sécurité alimentaire » imposée par la Banque mondiale, laquelle nous rassurait que celle-ci était désormais obtenue sur le marché mondial, et qu’il suffisait d’exporter toujours plus pour éloigner le spectre de l’insécurité alimentaire. De surcroît, tout au long de la décennie 1990 et jusqu’en 2005, les cours mondiaux des principaux produits alimentaires étaient assez bas, ce qui favorisait le pari sur l’approvisionnement à partir des marchés mondiaux plutôt que sur la capacité à développer sa propre production, à même d’améliorer l’autosuffisance nationale. Tout cela a contribué à nourrir une certaine irresponsabilité des gouvernants à l’égard de la question alimentaire, désormais réduite à une simple question de devises qu’on peut se procurer… en intensifiant les exportations !
    Le deuxième mouvement de fond a concerné précisément la ressource hydrique. Les erreurs de choix et les carences de la politique de la grande hydraulique étaient à cet égard patents dès les deux premières décennies de sa mise en œuvre : Ouvrages de retenue disproportionnés, érosion des bassins versants faute de plantations appropriées, système gravitaire occasionnant des pertes estimées à près de 45% des quantités d’eau drainées des barrages vers les exploitations, énorme décalage entre les surfaces « dominées » et les surfaces équipées pour être irriguées, de sorte que plus du quart des terres irrigables sont restées non irriguées, faute d’aménagements conséquents …
    Mais si ces défaillances sont demeurées persistantes jusqu’à nos jours, une évolution encore plus inquiétante a concerné l’exploitation, ou plutôt la surexploitation des ressources hydriques, dans le secteur agricole en particulier, qui est utilisateur de pas moins de 87% des quantités disponibles dans le pays . Effectivement, en ouvrant dans les périmètres irrigués la voie à un accroissement considérable des surfaces consacrées aux cultures –rentables- d’exportation, la libéralisation des assolements a généré par là-même une pression plus forte sur les ressources hydriques disponibles, puisqu’on sait que ces productions sont souvent fortement consommatrices d’eau . Plus grave encore, depuis une vingtaine d’années, on assiste, hors des périmètres irrigués, à un mouvement d’extension démesurée et souvent anarchique de l’irrigation, dite « privée », par les eaux souterraines. Cette pratique s’est d’autant plus étendue qu’elle n’a quasiment guère été entravée par des contraintes institutionnelles ou réglementaires, les autorités faisant alors très souvent preuve d’un laxisme coupable . Elle s’est aussi largement développée parce que, de surcroît, et comme on y reviendra plus loin, elle a bénéficié d’une forte subvention de l’État ! En effet, profitant du fait que le gaz butane demeure parmi les rares produits de large consommation encore fortement subventionnés par l’État via la Caisse de compensation, de nombreux agriculteurs, souvent également exportateurs, se sont hâtés de tirer avantage de cette aubaine pour développer leur système d’irrigation, en puisant à bon marché l’eau de la nappe phréatique !
    Ces germes de la crise annoncée étaient déjà à l’œuvre avant l’avènement du Plan Maroc Vert (PMV). Mais celui-ci va amplifier une dynamique, avec ses dérives, engagée depuis longtemps.
  3. Plan Maroc Vert, Génération Green : Comment amplifier les dérives ?
    Réalisé par un bureau d’étude étranger en moins de 5 mois et dans une opacité quasi-totale, le PMV avait été lancé en 2008 . D’emblée, il affichait son ambition de réhabiliter l’agriculture, la doter des moyens dont elle avait manqué et en faire le « principal moteur de croissance et de lutte contre la pauvreté au Maroc » à l’horizon 2020. L'impact attendu à l’horizon 2020 était ambitieux, tant au niveau de la croissance du PIB que de l’emploi ou encore du revenu des ruraux.
    Cette stratégie adoptait une approche globale et reposait sur deux piliers qui reproduisaient en fait le vieux schéma dualiste hérité de la colonisation et rebaptisé avec de nouvelles appellations, les « piliers » 1 et 2. Le pilier 1 visait à développer une agriculture moderne, compétitive et adaptée aux règles du marché, grâce à une nouvelle vague d’investissements privés, organisés autour de nouveaux « modèles d’agrégation ». Le pilier 2 quant à lui devait être celui de l’agriculture dite « solidaire », avec une approche orientée vers la lutte contre la pauvreté, par l’amélioration du revenu agricole des exploitants les plus fragiles, notamment dans les zones défavorisées ou périphériques. Par ailleurs étaient également prévues des actions « transversales », destinées à créer un environnement plus favorable à l’investissement et la croissance, telles la mise en concession des terres collectives et domaniales, la modernisation de la distribution, l’accès aux marchés étrangers, le renforcement de l'interprofession, la réforme du Ministère de l'Agriculture et des fonctions d'encadrement de l'État…
    Au niveau des productions, bien que le PMV affirmait qu'aucune filière n'était condamnée et que « toutes peuvent et doivent réussir », une liste limitée de filières était identifiée pour être érigées en « filières de croissance », à haute valeur ajoutée et haute productivité dans le cadre du premier pilier : agrumes, olives, maraîchage, horticulture, céréales, lait, aviculture et viande bovine. Si les céréales et les productions animales faisaient partie de ces filières à « privilégier », l’expérience et les faits montreront que ce sont surtout les premières (les fruits et légumes en somme) qui allaient bénéficier d’une attention particulière. Les autres filières pour leur part devaient se contenter de « l'accompagnement solidaire » du second pilier. En tout cas, le PMV prévoit dans le cadre de projet dits de « reconversion » ou de « diversification » de réduire les surfaces céréalières de 20% (soit près de 1.2 million d’hectares) pour y développer des plantations arboricoles censées être plus rentables et « moins sensibles à la volatilité de la pluie » …
    Par ailleurs, il faut ajouter que le PMV se distinguait par le fait qu’il était le premier plan sectoriel à être décliné au niveau régional, puisque 12 Plans Agricoles Régionaux avaient été élaborés et mis en œuvre en fonction des possibilités et des engagements de chacune des régions du pays.
    Enfin, en termes d’investissements, l’effort programmé par le PMV était considérable : 147 milliards de dirhams (dont 75 milliards pour le pilier 1, 20 milliards pour le pilier 2, et 52 milliards pour les actions transversales), à mobiliser en une douzaine d’années à travers 1506 projets (dont 961 pour le pilier 1 et 545 pour le pilier 2). En fait, les quelques 40% de l’enveloppe globale que l’État allait prendre en charge l’étaient sous forme de subventions directes, principalement aux investissements que le secteur privé était incité à réaliser. Ainsi, le Fonds de Développement Agricole dont le budget stagnait entre 400 et 500 millions de dirhams avant 2007, avait subitement vu ses dotations fortement augmenter, pour se situer à plus de 3 milliards de dirhams depuis 2015 .
    Arrivé à son terme, le PMV a été relayé par la stratégie appelée « Génération Green » , pour la décennie 2020-2030. Cette dernière s’inscrit explicitement dans la continuité du premier, même si elle se veut porteuse d’une certaine inflexion de la politique agricole qui prend acte de ce qui a été reconnu comme n’ayant pu être (ou ayant été mal) réalisé par le PMV . En effet, le Roi avait reçu en octobre 2018 le principal responsable de ce plan pour lui demander de le « réviser », notamment en réaffirmant « l’importance d’intégrer les questions de l’emploi et de la réduction des inégalités et de lutte contre la pauvreté et l’exode rural au cœur des priorités de la stratégie de développement agricole » . Depuis lors, l’appréciation que chacun gardait est que le bilan dudit plan n’était pas une réussite éclatante . D’autant plus que le Monarque, dans son discours au Parlement la même année, avait insisté pour qu’une réflexion soit engagée « sur les meilleurs moyens à mettre en œuvre pour rendre justice aux petits agriculteurs, particulièrement en ce qui concerne la commercialisation de leurs produits, et la lutte vigoureuse contre les spéculations et la multiplication des intermédiaires » .
    De sorte que lorsque Génération Green (GG) est officiellement lancée en février 2020 , on ne sera guère étonnés d’y retrouver « l’empreinte » des critiques plus ou moins officiellement reconnues auparavant : l’emploi, la jeunesse, la lutte contre la pauvreté, la réduction des inégalités, l’émergence d’une classe moyenne rurale, mais aussi au niveau des filières de production, les problèmes de valorisation des produits agricoles, de leur commercialisation… Plus concrètement, la GG pour sa part ne va reposer que sur deux piliers : le premier concerne « la priorité à l’élément humain », et le second « la pérennité du développement agricole ». Le premier pilier comporte quatre axes qui commencent tous par « Nouvelle génération de… » : de classe moyenne, de jeunes entrepreneurs, d’organisations agricoles, de mécanismes d’accompagnement. Quant au second pilier, il projette de consolider les filières agricoles, structurer et moderniser les chaînes de distribution modernes, améliorer la qualité de la production et l'adapter aux tendances agricoles et aux nouveaux modes de consommation, investir dans l'efficacité hydrique et énergétique afin de préserver les ressources naturelles.
    Pour L. Zagdouni, GG 2020-2030 « semble traduire une inflexion de la politique agricole en faveur de “l’agriculture sociale et solidaire”, objet du pilier II du PMV », et les axes d’intervention qui traduisent cette inflexion sont les « nouvelles générations » (de classe moyenne, de jeunes entrepreneurs agricoles…) . Cependant, pour le sujet qui nous occupe ici, celui de l’eau agricole et de sa gestion, M.T. Srairi considère que « l’idée première de Génération Green est de continuer sur (cette) voie du Plan Maroc Vert, celle de la plantation de plus d’arbres, avec plus de goutte à goutte, pour augmenter la production et les volumes à l’export » .
    Notre propos ici n’est pas de procéder à une évaluation du PMV, et encore moins de la GG (qui est du reste encore trop récente et ne démarre que très lentement…), mais seulement d’éclairer certains de leurs traits marquants directement liés à la question de l’eau, pour mettre en évidence leurs conséquences à l’œuvre aujourd’hui, notamment au niveau de la sécurité hydrique du pays.
  4. PMV : l’oubli puis l’excès…
    En effet, il faut de prime abord noter que dès la lecture des premières versions du PMV, chacun avait pu relever tant au niveau des « fondements » que des objectifs du PMV, un « oubli » de taille qui n’était autre que la préservation des ressources naturelles, parmi les « six fondements » initialement arrêtés pour soutenir le PMV . On avait du mal à comprendre une telle lacune quand on sait que toutes les recherches et toutes les études, marocaines et étrangères, s’accordaient sans mal et depuis longtemps sur l’ampleur de la dégradation des ressources naturelles au Maroc et les contraintes accablantes que cela impose à l’agriculture du pays . Comment bâtir une stratégie de développement agricole sans se préoccuper de son « milieu », de ses « fondements naturels » que sont les sols, l’eau, les parcours, les forêts, le tout sous changements climatiques accélérés ?!
    En réalité, cet « oubli » est tout à fait significatif parce que révélateur de la vraie nature et des objectifs réels du PMV. En effet, clairement, celui-ci adopte une approche techniciste qui se met au service d’un modèle qui n’est autre que celui de la « grande ferme » : un modèle ultra-productiviste, fortement utilisateur d’engrais, de pesticides, gaspilleur d’eau, et ne jurant que par les bienfaits de l’intensification, de la productivité et de la compétitivité. En cela au demeurant, le PMV ne faisait qu’accentuer et renforcer le choix pour le modèle agro-exportateur engagé quatre décennies plus tôt. En tout cas le modèle productiviste avait pourtant fait son temps même dans les pays du Nord qui l’avaient adopté au cours de la deuxième moitié du XXème siècle, tant ses conséquences écologiques s’étaient révélées catastrophiques, et ses risques pour la santé humaine et animale tout à fait préoccupants . N’étions-nous donc pas capables de tirer les leçons des expériences des autres ? Alors que partout il n’était alors question que d’agro-écologie, d’agriculture « raisonnée » et respectueuse de la nature, on pouvait légitimement se demander si l’on pouvait se permettre un modèle si destructeur des ressources naturelles dans un pays où précisément la dégradation de ces dernières apparaissait déjà si inquiétante ? Avait-t-on examiné l’adéquation entre les objectifs de production arrêtés et l’état des ressources disponibles et à préserver (l’eau en particulier) ? Avait-t-on réfléchi à un minimum de cohérence entre les besoins, notamment en eau, générés par les projections de production du PMV et ceux revendiqués par les mêmes projections des autres plans sectoriels (tourisme, industrie, eau potable)?
    Certes, une telle carence a pu assez rapidement être identifiée et, face à la perplexité générale, a fini par être plus ou moins « rattrapée », du moins formellement. Dans un document PowerPoint conjoint du Département de l’Agriculture et de l’Agence pour le Développement Agricole, daté du mois d’octobre 2010, un septième « fondement » est discrètement rajouté, et intitulé « sauvegarde des ressources naturelles pour une agriculture durable » . En réalité, et au regard des faits constatés depuis, un tel ajout s’est pour l’essentiel réduit à de très généreuses subventions gratifiant l’acquisition de systèmes d’irrigation localisée, plus économe en consommation d’eau… Autrement dit, après « l’oubli », arrive le temps de l’excès.
    Le PMV va donc « récupérer » le « Plan national d'économie d'eau en irrigation » (PNEEI), lancé en 2007 , et le doter de nouvelles ambitions et -plus encore- de nouveaux moyens. Et tout au long de la décennie qui allait suivre (pour une bonne part aujourd’hui encore), à chaque fois que les responsables sont interpellés sur la question de l’impact du PMV sur les ressources naturelles, leur réponse tient en quelques mots : le programme d’irrigation localisée ! Cette dernière a effectivement beaucoup progressé, puisqu’on est passé de 155 000 ha en 2008 à près de 700 000 ha actuellement . Une telle évolution est facilement compréhensive lorsqu’on connaît les conditions de financement du forage et du matériel de micro-irrigation, notamment l’ampleur des subventions publiques accordées en la matière par le Fonds de développement agricole : Jusqu’à 5 ha, un tel équipement bénéficie d’une subvention de 100%, et au-delà celle-ci s’élève à 80%. Pour les équipements acquis dans le cadre d’une agrégation, la subvention atteint 100% sans limite de surface . Sauf dans le second cas, la subvention revient donc à offrir le matériel quasi-gratuitement !
    Une telle générosité du programme « goutte-à-goutte » n’a pas manqué de générer des dérapages et même des effets pervers.
  5. Effets pervers et « paradoxe de Jevons »
    C’est ainsi que ce sont largement les grands et moyens agriculteurs qui ont le plus bénéficié de la subvention, tant elle reste consistante même « réduite » à 80% . Au niveau de certains petits agriculteurs, ayant bénéficié gratuitement du matériel, on a pu constater des signes du « syndrome de l’assistanat », en tout cas un manque de motivation à l’égard d’un investissement pour lequel ils n’ont gère fourni d’effort particulier et qui dans certains cas ne répond même pas à leurs propres souhaits . Ces mêmes petits agriculteurs ont çà et là fait l’objet de manipulations de la part d’intermédiaires peu scrupuleux, et dont la presse a rapporté des pratiques de corruption et de détournement de fonds publics .
    Mais l’effet pervers le plus grave est, pourrait-on dire, éco-hydrique. En fait, nous avons déjà expliqué comment, dès les années 1980 et 1990, s’étaient développées des pratiques de surexploitation des nappes phréatiques. On peut noter à présent que le PMV a objectivement amplifié une telle évolution en favorisant l’acquisition quasi-gratuite d’une bonne partie des équipements d’irrigation, en maintenant la possibilité d’accès à la nappe phréatique dans des conditions illégales et à un coût modique (puisque subventionné à travers le gaz butane, en plus des coûts de forage également pris en charge), et enfin en encourageant les productions dites « à haute valeur ajoutée », lesquelles sont le plus souvent aussi des productions fortement utilisatrices d’eau, et principalement destinées à l’exportation. Diverses études, notamment dans la plaine du Saïss, ont montré que, en l'absence de contraintes sur la ressource, les agriculteurs préfèrent apporter un excès d'eau afin d'éviter tout stress et pertes de rendement potentiel, de sorte que les pratiques de sur-irrigation, voire de gaspillage pur et simple d’eau, sont fréquentes, avec des efficiences d'irrigation à la parcelle entre 25% et 90% . M.T. Sraïri considère que les taux de subvention à la micro-irrigation, très élevés, ont accéléré l'adoption de cette technologie mais pas sa maîtrise technique .
    Au final, avec l’irrigation localisée, on prétend économiser l’eau, alors que, en étendant les surfaces irriguées et en irriguant plus souvent, avec l’accélération des cycles de cultures, c’est le contraire qu’on obtient : Au lieu d’économiser l’eau, on surconsomme les volumes encore disponibles . C’est ce qu’il est convenu d’appeler « l’effet rebond », voire le « paradoxe de Jevons » lorsque l’effet est encore plus marqué . En tout cas, le résultat au niveau de l’état de la ressource est bien une baisse tout à fait inquiétante du niveau des nappes dans la plupart des bassins hydrauliques du pays. Contrairement à l’objectif affiché d’une économie d’eau comprise entre 0.8 et 4 milliards de m3 d’eau, et alors que les ressources hydriques souterraines sont estimées à 4 milliards de m3 par an, le volume prélevé est évalué à 5.11 milliards de m3/an (dont 4.3 milliards pour l’irrigation). De sorte que la surexploitation des eaux souterraines, autrement dit le déstockage des nappes, s’établit annuellement à 1.11 milliards de m3, « l’équivalent de 22% du volume prélevé et de 28% du volume renouvelable » . Dans la plaine du Saïss à titre d’exemple, le nombre de puits et péages était passé de 900 à 12 000, soit une multiplication par 13 en 35 ans (entre 1980 et 2015), impliquant une surexploitation annuelle de l’ordre de 100 millions de m3. La nappe de Chtouka, dans la région du Souss-Massa, a vu son niveau piézométrique diminuer de 30 mètres en 30 ans (1993-2023), alors que la baisse « n’avait » été que de 8 mètres au cours des 30 années précédentes (1970-1993). L’aquifère de Haouz Mejjat pour sa part a accusé une baisse encore plus importante, de 55 mètres entre 1999 et 2021, soit au rythme de 2.5 m/an .
  6. Spéculations hydrovores… pour l’export !
    Sur le terrain, cette stratégie a donc plutôt conduit à une substitution accélérée de cultures hivernales, alimentées par les eaux pluviales (les céréales, l’élevage pastoral, les légumineuses, les fourrages, etc.), par des spéculations estivales dépendant entièrement de l’irrigation (arboriculture, maraîchage, fourrages, etc.). De nombreuses études de terrain et dans diverses régions du pays (Doukkala, Tadla, Saïss, Gharb, Haouz…), ont montré que cette « irrigation-là » a le plus souvent conduit à un changement d’assolement et de sensibles augmentations de consommations par hectare au niveau de l'exploitation . L’extension des surfaces arboricoles en particulier a non seulement accru considérablement la demande d’eau, mais créé de surcroît une demande durable et « rigide », puisqu’un arbre doit absolument être irrigué au moment opportun (notamment entre les mois de mai à octobre), faute de quoi c’est « le capital » qui est en danger et non seulement le « fruit », comme c’est le cas des cultures annuelles .
    Plus encore, dans une sorte de fuite en avant, se sont fortement développées au cours des quinze dernières années des spéculations connues pour leur caractère particulièrement hydrovore, tels les fruits rouges, la pastèque, l’avocat, les dattes … Pour la plupart de contre-saison et essentiellement destinées aux marchés extérieurs, ces nouvelles productions revigorent le « modèle agro-exportateur » et lui donnent un nouvel élan, avec cette fois cette circonstance aggravante que « nous exportons sous forme de fruits l’eau qui nous manque » . Des cas extrêmes de ces logiques sont illustrés par l’augmentation démesurée des surfaces cultivées dans des zones désertiques ou semi-désertiques, à l’instar de la pastèque dans les régions de Zagora ou de Tata, ou les extensions de palmeraies sur des centaines d’hectares, dans les confins des oasis de l’Est… De ce fait, le stress hydrique continue de s’aggraver, allant jusqu’à compromettre les possibilités d’accès à l’eau potable pour les populations des centres urbains environnants, notamment au Sud et à l’Est du pays .
    Autrement dit, « nous prenons de l’eau de la bouche de la population en surexploitant les eaux souterraines, pour faire un produit destiné à l’exportation ». En somme, une autre façon de « marcher sur la tête » …
    Toujours est-il que, au total, il apparaît clairement que la conjugaison de phénomènes tels l'intensification des processus de production, les changements d'assolement, et l’extension des superficies irriguées favorisée autant par la reconversion de l'irrigation traditionnelle en goutte-à-goutte que par la facilité d’accès à l’eau souterraine, tout cela a contribué à accroître considérablement les quantités d'eau consommées par l’agriculture, et partant exercer une pression excessive et inédite sur les disponibilités hydriques du pays. En définitive, c’est l’équilibre des écosystèmes qui a été rompu .
    On voit ainsi comment, paradoxalement, des équipements et des techniques ayant à priori pour objet d’économiser l’eau, et donc de réduire la pression sur les stocks d’eaux souterraines, peuvent aboutir à une pression encore plus forte sur ceux-ci, et donc à l’inverse de l’objectif recherché… Plus généralement, il apparaît clairement que la modernisation recherchée dans le secteur agricole est fort peu compatible avec les ressources en eau du pays. Paradoxalement, le PMV ( relayé depuis 2020 par GG), par sa générosité financière et son laxisme réglementaire , tend souvent à amplifier le problème de l’eau, et ce alors même qu’il prétend agir pour l’atténuer. En somme on a là une illustration flagrante de ce que F. Molle et O. Tanouti considèrent être un « coûteux malentendu » entre politique agricole et politique de l’eau .
  7. Mettre en cohérence politique agricole et politique de l’eau
    En effet, il est maintenant tout à fait évident qu’il existe une contradiction fondamentale entre les choix du modèle agro-exportateur et l’état ainsi que l’évolution des ressources hydriques du pays. En encourageant, voire en finançant la surexploitation de ces dernières, le « modèle » a accéléré une fuite en avant vers une impasse dont tout un chacun mesure aujourd’hui la gravité. Selon le Conseil économique, social et environnemental, et pour tout dire, « La demande en eau est aujourd’hui supérieure à la quantité disponible en ressources naturelles renouvelables d’eau douce » . C’est dire en d’autres termes qu’un tel déséquilibre des « flux » entrants et sortants conduit inéluctablement à entamer dangereusement le capital, ce qui revient encore à dire, en l’occurrence, qu’après avoir largement surexploité nos ressources hydriques de surface, renouvelables, on en arrive à la destruction des « réserves stratégiques » que sont les nappes souterraines les plus profondes , et dont les rythmes de constitution, ou de reconstitution prennent des siècles, voire des millénaires…
    En maintenant contre vents et marées les choix de production d’une agriculture intensive, de plus en plus incompatible avec la ressource hydrique disponible, la politique agricole accélère le pas pour aller droit dans le mur ! Car ce ne sont malheureusement guère les velléités annoncées et les quelques mesures partielles et remèdes palliatifs pris ces derniers temps, sous la pression des contraintes, qui risquent d’inverser les tendances lourdes, à l’œuvre. En effet, dans le cadre de la déclinaison de la stratégie Génération Green, les responsables nous annoncent qu’un dispositif de suivi des assolements et des cultures installées est mis en place, « notamment dans les zones irriguées, pour s’assurer de leur adéquation avec les potentialités régionales et les objectifs de production » . Par ailleurs, en septembre 2022, les pouvoirs publics avaient fini par mettre fin aux subventions accordées pour les cultures d’agrumes, de pastèques et d’avocats, de sorte que, notamment, il n’est plus permis de bénéficier des généreuses aides de l’Etat pour investir dans l’irrigation localisée destinée à ces productions . Enfin, quelques mesures de restrictions des surfaces sont prises par les autorités locales dans quelques régions du Sud où « le problème de la pastèque » est devenu particulièrement sensibles .
    Si de telles mesures indiquent une certaine prise de conscience par les responsables de la gravité de la situation et de la dimension des enjeux , on voit bien que leur impact risque d’être bien dérisoire, ne serait-ce que parce que les gros agriculteurs –responsables des prélèvements d’eau les plus importants- ont maintenant les moyens de se passer des subventions et, surtout, comme le souligne S. Belemkaddem, « parce que les grandes fermes qui pratiquent ces cultures intensives et irriguées existent déjà et suffisent à tout assécher » . Car au-delà de ces velléités, le fond du problème reste bien et toujours au niveau de l’orientation générale et majeure, en faveur d’une agriculture objectivement hydrovore et partant outrageusement gaspilleuse d’une ressource hydrique dont le pays manque tant. Même si l’on retient l’hypothèse optimiste que de telles mesures finissent par avoir quelque effet, on voit bien que face au rouleau compresseur du « modèle agro-exportateur », l’image qui vient à l’esprit est que lorsque ce dernier prend l’ascenseur, les mesures supposées en limiter les dégâts prennent l’escalier !
    L’alternative ne nous semble donc pas être dans les demi-mesures, les mesures de replâtrage ou les palliatifs qui peuvent aggraver le mal au lieu de le guérir. Ce dont nous avons besoin aujourd’hui, c’est de repenser de fond en comble nos choix fondamentaux en matière de politique agricole et de politique de l’eau. La problématique est telle qu’elle impose de nouveaux choix radicalement différents de ceux qui ont produit la situation actuelle. On se contentera ici d’esquisser les axes d’une alternative capable de mieux accorder les choix de politique agricoles avec les contraintes hydriques du pays.
    Au niveau de la politique agricole, il apparaît maintenant clairement que ce sont désormais les choix de production qui devront nécessairement être subordonnées aux contraintes de l’eau et non l’inverse . Ces choix devraient donc intérioriser un meilleur équilibre entre l’offre et la demande hydriques existantes et potentielles. Ils devraient être déterminés par deux facteurs : l’un en amont et l’autre en aval. En amont, le critère devrait être la préservation des ressources naturelles et l’adéquation avec les contraintes et les possibilités existantes à ce niveau. Toute production dont les besoins en eau apparaitront peu compatibles avec les ressources disponibles au niveau de l’espace territorial concerné devra être purement et simplement écartée. Quel que ce soit par ailleurs leur attrait (économique, financier, voire alimentaire…), les cultures dont les besoins en eau dépassent les possibilités de l’écosystème concerné deviennent malheureusement « un luxe » que l’on ne peut plus se permettre. En aval, ce sont les besoins du consommateur qui devront déterminer les choix de production. Car l’autre facteur à prendre en considération est évidemment celui de la souveraineté alimentaire, qui est aussi l’autre leçon retenue de l’expérience récente, notamment lors de la pandémie du Covid-19 . Ainsi, c’est la demande interne qui devrait orienter nos choix de production et non pas la demande extérieure.
    Au total, à la politique du « tout-export » et du « déni des ressources », il faudrait substituer une politique de souveraineté alimentaire et de préservation des ressources naturelles. Il faudrait donc décliner au niveau de chaque espace pédoclimatique les choix de production en fonction de leur concordance avec l’état des ressources naturelles d’une part et les besoins de consommation intérieure et donc de souveraineté alimentaire d’autre part. Finalement, ce dont il est question est bien la recherche d’une double souveraineté : hydrique et alimentaire.
    La politique de l’eau devrait également être entièrement repensée, dans une optique qui articule les actions simultanées sur l’offre et la demande en eau pour en optimiser l’équilibre et le rendement. « La politique des barrages » a connu ses heures de gloire, mais a également essuyé bien des déboires… En tout cas, alors que les barrages existants sont remplis à moins du quart de leurs capacités, et que les perspectives climatiques ne portent guère à l’optimisme, projeter - comme le fait le nouveau plan national de l’eau- la construction d’une cinquantaine de nouveaux barrages à l’horizon 2050, comme l’affirme M. Bazza, « n’a pas de sens et doit être révisé » . Ce dernier au demeurant confirme seulement le point de vue qui avait été affirmé par le groupe d’experts dans leur Livre blanc sur les ressources en eau au Maroc, déjà cité . Cette propension à construire toujours plus de barrages est d’autant moins compréhensible que –comme cela a déjà été évoqué plus haut- depuis des décennies, d’énormes surfaces, « dominées » par les barrages mais non aménagées, donc irrigables mais non irriguées, témoignent de l’ampleur du gaspillage des ressources généré par une telle politique. C’est dire que s’il y a une priorité en la matière, c’est bien celle d’investissements tendant à résorber ce décalage entre surfaces dominées et surfaces équipées, et que la Cour des Comptes a évalué à près de 160 000 ha . Il reste que la recherche d’un meilleur équilibre entre Grande hydraulique et Petite et moyenne hydraulique devrait nécessairement conduire à arbitrer en faveur de cette dernière, d’autant plus que, par nature plus intégrée dans l’espace où elle se déploie, elle apparaît aujourd’hui encore mieux adaptée aux contraintes hydriques variées sur le territoire national.
    Naturellement, l’irrigation localisée devrait être réexaminée et soumise à de nouvelles règles et de nouvelles conditions. Sauf exception dûment justifiée, celle alimentée par les nappes souterraines devrait être urgemment interdite, et à l’avenir, de nouvelles autorisations ne devraient être accordées que dans le cadre de « contrats de nappe » mûrement réfléchis, concertés, et inscrits dans une vision d’ensemble garantissant la pérennité de la ressource hydrique. D’autres possibilités alternatives existent, tel le transfert d’eau, le dessalement de l’eau de mer, le traitement et la réutilisation des eaux usées, la collecte des eaux pluviales… Cependant, les spécialistes du domaine s’accordent généralement pour considérer que ce sont des possibilités « pouvant certes constituer des appoints non négligeables et stratégiques », mais qui restent « sans commune mesure avec le volume d’eaux conventionnelles » .
    En définitive, peut-être que la question lancinante pour la prochaine décennie n’est autre que celle posée par les auteurs de cet article déjà cité ? Quelle est la priorité : battre des records d’exportation de tomates pendant 10 ans, ou avoir de l’eau à boire dans 10 ans ?

La crise géopolitique de l’eau
au bassin du Jourdain
Bouchra ELAOUNI
RÉSUME
Région aride par excellence, le bassin du Jourdain est confronté à des pénuries d'eau et la crise s’intensifie, en raison du changement climatique, de l'accroissement démographique, l'extension des surfaces irriguées, le développement industriel et l’incapacité de certaines sociétés à mobiliser et gérer efficacement les ressources.
En plus, bon nombre de pays de ces régions dépendent pour leur approvisionnement en eau de ressources extérieures à leur territoire comme la Syrie et la Palestine. L’eau est soumise à un système de partage inéquitable, et injuste. Les Etats comme Israël, contrôlent les cours d’eau les utilisent en premier et au mieux de leurs propres besoins agricoles et industriels.
Dans ce contexte, l’eau, qui conditionne la vie de tous les jours, est devenue une préoccupation croissante à l’échelle nationale et internationale, un enjeu géopolitique majeur. Et son partage constituerait alors, une source potentielle de conflits qui ne font qu’aggraver les tensions déjà présentes au sein des relations entre Etats ou communautés lesquelles poussées à l’extrême, pourraient déboucher sur de véritables « guerres de l’eau ».
ABSTRACT
Known as an arid region par excellence, the Jordan basin is facing water shortage crises intensified by climate change, population growth, and extension of irrigated areas, industrial development and the inability of some companies to mobilize and manage resources effectively.
In addition, many countries in these regions depend for their water supply on resources outside their territory such as Syria and Palestine. Water is subject to an unfair and unjust sharing system. The States that control the rivers use them first for their own agricultural and industrial needs. In particular Israel.
In this context, water has become a growing national and international concern, a major geopolitical issue. And its sharing would then constitute a potential source of conflicts that only aggravate the tensions already present in relations between States or communities, which pushed to the extreme, could lead to real «water wars».
Mots clefs : L'eau | Partage de l'eau | Politique hydrique | Infrastructures hydrauliques | Aquifères transfrontaliers | basins transfrontaliers | Conflit israélo-arabe | Géopolitique et paix | bassin du Jourdain.
Introduction
L'eau nous apparaît comme une ressource inépuisable, mais l'eau douce, indispensable à la vie, est une denrée rare. Ce n’est pas par hasard que Boutros Boutros-Ghali l’ex-secrétaire général des Nations – Unies, a prédit que « La prochaine guerre au Moyen-Orient sera menée sur l'eau, pas sur la politique » .
La planète Terre est recouverte à plus de 70% d’eau, dont 97,5 % est salée. Elle forme les océans, les mers intérieures et aussi certaines nappes souterraines. Toutefois, l’ensemble des eaux douces ne représente que 2,5% du volume total, soit environ 35,2 millions de milliards de mètres cubes dont les deux tiers sont inexploitables puisqu’ils sont sous forme de glace essentiellement en Arctique et en Antarctique. C'est donc moins de 1% de l'eau douce disponible qui peut satisfaire les besoins de l’humanité. Elle compte à la fois les eaux de surface (baies côtières, lacs, fleuves, cours d’eau) et les eaux souterraines (aquifères).
Derrière ces chiffres, se cachent de très grandes disparités en termes de qualité et de quantité, « l’or bleu » devant répondre à une demande croissante de la population mondiale. Au moment où la consommation d’eau a été multipliée par six, sa répartition est inégale ; un habitant sur trois n’a pas accès à une eau de qualité suffisante et chaque jour, des personnes, et surtout des enfants, meurent de maladies liées à l’eau .
Plusieurs pays sont menacés par l’épuisement de leurs ressources en eau potable, ils se trouvent dans ce qu’on appelle des zones de stress hydrique. Ces régions comportent des zones désertiques et arides, notamment le Moyen-Orient qui subit déjà des pénuries en eau dont les causes sont multiples et souvent cumulatives: le changement climatique, la pression démographique, l’urbanisation, la mauvaise gouvernance, l’industrialisation et l’irrigation intensive. En plus, beaucoup de pays de cette région dépendent pour leur approvisionnement en eau, de ressources extérieures à leur territoire. C’est par exemple le cas de certains pays comme la Jordanie, la Syrie, la Palestine, etc.
L’inégale répartition géographique de l’eau fait des ressources hydriques une variable géopolitique. L’eau demeure un objectif et parfois devient une arme pour les pays en amont qui contrôlent des fleuves transfrontaliers ; ainsi l’eau prend la dimension d'un outil politique tout à fait particulier. Les pays en aval sont dépendants d'un pays tiers pour une ressource dont ils ne peuvent se passer .
Se présentent à l'esprit les cas de la Turquie aux bassins du Tigre et de l’Euphrate, l'Éthiopie dans le bassin nilotique et Israël au bassin du Jourdain. Chaim Weizmann déclarât, dans une lettre adressée au Premier Ministre britannique Lloyd George, que « Tout l’avenir de la Palestine dépend de son approvisionnement en eau pour l’irrigation et pour la production d’électricité ; et l’alimentation en eau doit essentiellement provenir des pentes du Mont Hermon, des sources du Jourdain et du Fleuve Litanie » .
L’eau est désormais associée à la notion de risque ; la « menace de soif » et les « guerres de l’eau », sont, des expressions qui s’invitent de plus en plus au débat comme données impérieuses.
Par conséquent, l’eau qui est un besoin vital à satisfaire, constituerait une composante non négligeable des tensions dans la région du Moyen-Orient, et un peu plus dans la vallée du Jourdain, voire une source favorisant l’émergence de conflits potentiels autour de certaines masses d’eau. Shimon Pérès, ancien président d’Israël, soutient « qu’il est probable que la prochaine guerre dans la région sera déclenchée, non point à cause du problème des frontières, mais à cause de la lutte pour le partage des eaux régionales » .
Le monopole des ressources en eau devient de ce fait un enjeu stratégique et politique pour les Etats, en l’occurrence au bassin du Jourdain. Ainsi, pour assurer la survie et la sécurité de leurs populations, les États de la région mettent en priorité, la gestion et l’approvisionnement en eau.
Les principaux enjeux de l’eau dans la vallée du Jourdain
L’eau est un droit humain, qui a pour but la satisfaction des besoins les plus élémentaires : eau potable, irrigation, électricité, etc, tous des éléments indispensables à la vie et au développement. Dans ce contexte, l’eau est un enjeu géopolitique majeur, vital à tout développement économique. Son partage constituerait alors, une source éventuelle de conflits qui s’ajoute à des rivalités politiques et à des contentieux plus anciens entre États ou communautés, lesquelles poussés à l’extrême, pourraient déboucher sur de véritables «guerres de l’eau ».
Parmi les enjeux de l’eau, relevés sur le bassin du Jourdain on cite :

  1. Le déséquilibre quantitatif entre la ressource hydrique dans la région et la demande croissante pour les différents usages ;
  2. Préserver la qualité de cette ressource contre toute forme de pollution,
  3. Protéger et restaurer l’état des cours d’eau et des milieux aquatiques ;
  4. Intégrer les enjeux de l’eau dans les politiques d’aménagement du territoire ;
  5. Développer une politique de gestion commune à l’échelle régionale.
    Le bassin du Jourdain est donc, une région complexe qui concentre les difficultés que pose aujourd’hui la question de l’eau. Ce qui obligerait les États riverains à adopter, dans un esprit de stabilisation et de coopération, une politique de développement durable interétatique, afin d’assurer une gestion raisonnable et durable de cette denrée rare.
    Les enjeux posés par les grands bassins fluviaux de la région (Jourdain, Litanie, Yarmouk) et les nappes souterraines nécessitent, en effet, une voie de solution possible en vue d’atténuer, voire de surmonter cette crise de l’eau. Ainsi, tensions et conflits internationaux inhérents à l'eau demeureront confinés à l'arène diplomatique et l'eau, du fait de son caractère vital, constituerait un outil de coopération, voire un vecteur de paix dans la région.
    En définitive, ce sont précisément deux concepts, à savoir la notion de « risque » et celle de la « sécurité hydrique » qui auront un rôle structurant dans notre démarche pour appréhender l'étude de la vallée du Jourdain. Cette approche multiforme tient compte non seulement de la géographie des ressources hydriques dans cette région, mais elle implique également leur importance tant sur le plan économique que social.
    Le but est de comprendre certains enjeux relatifs aux politiques des États et leurs stratégies de partage des ressources hydriques de ce territoire afin de surmonter la problématique de la pénurie de l’eau et d’épargner à leurs populations, « le spectre de la soif ». .
    Il est question, au préalable, de présenter le tableau géopolitique de la vallée du Jourdain, afin de mieux comprendre des enjeux liés au partage de l’eau. Ensuite, il s’agira d’analyser les politiques des États face à la rareté de la ressource hydrique d’une part et les démarches de gestion des conflits entre les États concernés d’autre part. Enfin, seront traitées les mesures de préservation de l’eau, l’un des facteurs essentiels de l’équilibre structurel et durable de cette région.
    I. Repères « géographiques» de la vallée du Jourdain
    L'un des défis majeurs que doivent relever les États riverains du bassin du Jourdain sans conteste celui de l’approvisionnement et de la gestion des rares ressources en eau. Face à la soif, les États seront livrés à des violences et à des guerres interétatiques interminables. Des conflits hydriques intra-étatiques surgiront, plongeant les populations dans des guerres civiles. Cette situation impose une réflexion commune pour à la fois trouver une issue au conflit israélo-arabe et garantir un partage « équitable » de l’eau. Ceci est d’autant plus vrai que la région n’est pas dépourvue de ressources hydrique mais plutôt caractérisée par une inégale répartition de l’eau dans l’espace et dans le temps.
    Eau et conflits dans le bassin du Jourdain

En effet, à travers son histoire, la région a connu plusieurs civilisations ; les premières à avoir d’ailleurs la maîtrise de l’eau. L’aridité du climat et la rareté de cette ressource ont renforcé la symbolique de l’eau chez ces civilisations et dans les religions monothéistes. Les livres sacrés du Judaïsme, du Christianisme et de l’Islam, tissent un lien mystique avec l’eau. .
La description géographique de la vallée présente l'avantage de discerner les multiples provenances des ressources hydriques et de déterminer leur répartition au sein des territoires israélien, jordanien, syrien, libanais, ainsi que sous la juridiction de l'Autorité palestinienne. .
Ces Etats se partagent les cours d’eau de la région. Il s’agit des grands bassins fluviaux, comme le Jourdain et les fleuves de moindre débit, à l’instar du Yarmouk, ainsi que des nappes aquifères présentes à Gaza ou en Cisjordanie (les aquifères montagneux et l’aquifère côtier). C’est une région complexe qui concentre les difficultés que pose aujourd’hui la question de l’eau.
Dans la vallée du Jourdain comme partout ailleurs, les ressources hydrauliques ne sont pas uniquement d’origine fluviale. Contrairement à l’idée reçue, la région ne manque pas d’eau. Les aquifères souterrains et surtout les précipitations constituent des réserves non négligeables. En effet, cette région est caractérisée par une pluviométrie méditerranéenne très irrégulière tant dans le temps que dans l'espace, puisqu’elle est concentrée sur les hauteurs et les côtes méditerranéennes, loin des zones arides et désertiques (le désert du Néguev). .

L’addition des différentes ressources constitue ce que l'on désigne sous le terme de "bilan hydraulique". Cette démarche implique nécessairement la prise en compte de l'ensemble des "pertes", qu'elles résultent de l'évaporation, l'infiltration, ou les écoulements non récupérables.
Le bilan hydraulique met, de ce fait, en lumière une disparité entre les apports et les rejets d'eau, révélant ainsi des irrégularités significatives dans les précipitations, attribuables à un taux d'évaporation élevé et aux pertes d'eau inhérentes aux fluctuations climatiques et géographiques de cette région.
Loin d’être abondantes, les réserves en eau du bassin du Jourdain proviennent de deux sortes de sources hydriques : les ressources en eau de surface et les ressources hydriques souterraines dites aquifères .

  1. Les ressources hydriques de surface
    Le Jourdain prend sa source dans le Jabal El-Cheikh (Mont Hermon) au Liban et y parcourt 50 km avant d’entrer en Israël. Il est alimenté par des affluents du Liban, de Syrie, de Jordanie et d’Israël respectivement, le Hasbani, le Banias et le Dan, avant d’atteindre le lac de Tibériade, puis la rivière du Yarmouk et se jette par la suite dans la mer morte.
    Les capacités hydriques du Jourdain varient selon trois zones géographiques différentes les unes des autres, par leurs origines fluviales, la quantité d’eau de surface et sa qualité. Ainsi, l’espace de la vallée du Jourdain compte le Haut Jourdain ; la vallée centrale et le bas Jourdain.

    a. « Le Haut Jourdain »
    Située à une altitude de 2814 mètres, cette région de la vallée jouit d'une abondance d'eau, résultant de la conjonction des précipitations et des nappes souterraines nichées au cœur du mont Hermon (Jabel Al-Sheik). Le Jourdain est la source qui alimente cette portion du Haut Jourdain, tandis que le mont Hermon s'étend sur une distance de plus de 40 kilomètres. À partir de ses pentes occidentales, émerge la Litanie, le principal fleuve du Liban, dont proviennent les sources des trois rivières (la Hasbani, la Dan et la Banias), qui se rejoignent pour former le Haut Jourdain. Cette région se distingue par une relative abondance, tant en termes de volume d'eau que de qualité, contribuant à hauteur de " 60 % du débit total du fleuve".
    La Hasbani prend sa source au Mont Hermon, en territoire libanais et descend vers la région du Galilée dans les territoires palestiniens occupés. Elle forme ensuite le Jourdain en rejoignant la Banias et la Dan.
    Avec un débit de près de 138 millions de m3 d’eau par an, son volume est soumis à de fortes fluctuations annuelles et saisonnières, le faisant ainsi basculer de 236 à 52 millions de m3 d’eau. Un indicateur qui confirme la crise en termes de volume que subissent les eaux du Jourdain
    Par ailleurs, il convient de mentionner que la rivière Banias, la plus orientale parmi les trois affluents principaux venant du nord du Jourdain, se trouve à une distance inférieure à deux kilomètres de la frontière israélienne, dans le cœur du Haut Golan syrien. Cette rivière est fortement prisée en tant que source prédominante du Jourdain. De type pluviométrique, son débit annuel varie entre 63 et 197 millions de mètres cubes et se démarque par la qualité exceptionnelle de ses eaux.
    Enfin, la troisième rivière est la Dan qui est alimentée par de plusieurs rivières secondaires. Elle a la particularité d’avoir un débit constant qui avoisine les 245 millions de m3 et compte 50% du « volume total du haut Jourdain ».
    La rivière Dan rejoint la rivière Hasbani en un point du nord d'Israël pour former un cours unique. Ces ressources d’eau permettent à la vallée centrale du Jourdain de bénéficier d’une certaine abondance hydrique.
    b. La vallée centrale du Jourdain
    Le Jourdain s'écoule en direction de la vallée centrale et alimente le lac de Tibériade, lequel se pose comme un véritable réservoir d’eau. Le lac s'étend sur une longueur de 20 kilomètres et une largeur de 8 kilomètres, couvrant ainsi une superficie de 166 kilomètres carrés, tout en stockant chaque année entre 660 et 770 millions de mètres cubes d'eau douce.
    Cependant, la jonction de plusieurs facteurs humains et naturels, à savoir l’effet de l’évaporation, a drastiquement réduit la capacité du lac. Son niveau est descendu à plusieurs reprises ces dernières années.
    c. Le bas Jourdain
    Cette région est située entre le lac de Tibériade et la mer Morte. Elle est parcourue par plusieurs autres cours d'eau, dont le plus important est la rivière Yarmouk. Cette rivière prend son origine dans le Jebel Alawi et participe à l'approvisionnement du Jourdain, avec une capacité variant entre 400 et 500 millions de mètres cubes, ce qui en fait la dernière source d'"abondance hydrique" pour le Jourdain.
    La surexploitation des eaux du Jourdain par les États riverains, en plus de la forte évaporation, ont produit un affaiblissement de la capacité hydrique de cette zone. Avec une remarquable augmentation du degré de salinité, la situation est critique. La région est face à « une crise hydrique » qui pousse les États riverains à exploiter, voire épuiser les eaux souterraines afin de subvenir à leurs besoins en eau.
  2. Les eaux souterraines
    Les réserves d'eau souterraine jouent un rôle significatif en matière d'approvisionnement en eau, elles sont surexploitées par les États. Le principal aquifère se situe dans les régions sous le contrôle d'Israël, en raison la structure géologique de la Cisjordanie est calcaire avec une couche imperméable. De plus, c'est dans cette zone que les précipitations contribuent de manière cruciale au renouvellement des eaux souterraines, qui s'écoulent principalement sous la surface de la Cisjordanie en direction du nord-est et de l'ouest d'Israël.
    Les eaux souterraines sont subdivisées en trois réservoirs : l’aquifère montagneux du nord, l’aquifère montagneux occidental, et l’aquifère côtier.
    a. L’aquifère montagneux
    C’est le plus important en Israël et dans les territoires occupés de la Cisjordanie et Gaza. Il comprend plusieurs aquifères, avec une capacité totale d’environ de 660 millions de mètres cubes d’eau par an.
    L’aquifère du nord prend son origine près de Naplouse et s'écoule en direction de Jabal Fuqou’a et de la vallée de Jezréel au nord-est, avec un débit estimé à environ 130 millions de mètres cubes par an. La grande partie de cet aquifère de montagne se trouve ainsi dans les territoires occupés. La plupart des eaux souterraines dans cet aquifère provient des précipitations internes aux territoires palestiniens, représentant ainsi 60% à 80 % de l'approvisionnement en eau de l'aquifère occidental.
    L’aquifère occidental est le plus important pour Israël, la Cisjordanie et la Bande de Gaza. Il coule vers la Méditerranée et assure une production annuelle moyenne de 350 millions de m³.
    b. L’aquifère côtier
    En traversant la bande de Gaza, l'aquifère côtier revêt une importance moindre. La portion de la nappe phréatique qui s'étend sur le territoire de Gaza a une capacité totale de 60 millions de mètres cubes d'eau. Cependant, l'exploitation intensive de cette nappe par les colons israéliens depuis 1967 a entraîné des infiltrations d'eaux salines, principalement de l'eau de mer, ainsi que de nitrates provenant des eaux usées.
    En plus des ressources d’eau souterraines, les Palestiniens de la Cisjordanie utilisent des puits artésiens qui constituent une source d’alimentation en eau avec 50 millions de m3 d’eau par an, ainsi que les eaux de ruissellement et des citernes de récupération des eaux de pluie .
    Quant à la Jordanie, ce sont les eaux souterraines qui sont les plus importantes pour l’utilisation en tant qu’eau potable ou pour l’irrigation, surtout qu’Israël pollue le cours d’eau du Jourdain. On assiste à une dégradation qualitative due à l'augmentation du taux des déchets des fermes piscicoles, d'engrais chimiques, des exfoliants, des insecticides et pesticides et des eaux usées infiltrés dans les sources et les nappes phréatiques.
    Il y a lieu de souligner, qu’il est très difficile de trouver dans des publications officielles des données exactes concernant les moyennes des crues et des débits du Jourdain. Les écarts entre les différentes sources peuvent atteindre les 10 % à 20 %.
    En raison de la nature stratégique de cette ressource, chaque État préserve les données concernant ses caractéristiques hydrologiques. De ce fait, lors des négociations sur des modalités de partage des eaux communes, les parties s’accrocheront aux chiffres qui leur sont les plus avantageux .
    Au-delà de l’inexactitude des données hydrographiques, elles révèlent quand même une vulnérabilité des pays par rapport à l’accès et à la distribution de l’eau. Sachant que la moyenne générale annuelle du ratio individuel en eau dans les pays du Moyen-Orient est de 1400m3 par an, alors qu’en Syrie, en Jordanie, au Liban, et en Israël le ratio est à 680m3 par an.
    II. L’inégale équation entre une demande croissante et une quantité d'eau décroissante
    La question de l’eau au Moyen-Orient présente des problèmes d’approvisionnement auxquels s’ajoutent des baisses inquiétantes de la moyenne annuelle en eau, surtout pour les pays du bassin du Jourdain. Différentes études scientifiques récentes ont mis en avant une préoccupante baisse des niveaux d’eau dans ces pays .
    Ces baisses ne peuvent être limitées au simple contexte hydro-climatique, mais également aux politiques de captations des États riverains, afin de répondre à leurs besoins socio-économiques respectifs, aggravant ainsi la situation de rareté.
    Parmi les causes identifiées, on peut citer :
  • La croissance démographique ;
  • Le développement agricole ;
  • Les mouvements de migration et les tensions sociales ;
  • L’accès inégal à l’eau ;
  • Les effets du changement climatique.
    Le bassin du Jourdain est très sollicité par les politiques de captation des États riverains, au point que son débit est réduit à presque rien dans certaines régions, un phénomène d’autant plus accentué par les effets du changement climatique.
  1. Les effets du changement climatique sur la vallée du Jourdain
    L’impact du changement climatique commence à se faire sentir sur les ressources en eau de la région à travers une augmentation des températures et une diminution des précipitations.
    Les conséquences de ce changement climatique se déclinent en :
  • Une élévation du niveau de la mer ;
  • Une récurrence des périodes de sécheresse ;
  • Une évaporation plus rapide des précipitations ;
  • Un recul des eaux de la mer morte ;
  • Un impact non négligeable sur les économies locales.
    Le Moyen-Orient connait une sécheresse sans précédent qui a eu un impact plus profond en Syrie, en Jordanie et dans les territoires palestiniens , en raison d’une hydro politique inefficace d’une part et d’une forte croissance démographique pesant sur les faibles ressources hydriques de la région d’autre part.
  1. La croissance démographique, élément de pression sur les rares ressources en eau.
    Dans un premier temps, il est nécessaire de considérer l’ampleur des changements démographiques ayant transformé le bassin du Jourdain en l’espace de 40 ans.
    La région est marquée, depuis les années 70, par une transformation démographique importante. Le taux d’accroissement de la population dans les pays de cette région est relativement élevé : 1,6 % en Israël en 2021, 0,6% en Jordanie, 0,8% au Liban et 2,5% en Palestine .
    Cette transition démographique, toujours en cours, a de nombreuses incidences, à court et moyen terme, sur le devenir de la région par rapport à la question de l’eau . Les ressources des fleuves, rivières et nappes souterraines ne suffisent pas toujours à répondre aux besoins agricoles, industriels et de consommation urbaine. Par conséquent, les pays sont confrontés à un déséquilibre entre leur "capital" en eau et la croissance de leur consommation.
  2. Le développement agricole face à la réalité de l’appauvrissement en eau.
    Dans le secteur agricole, les pratiques sont de plus en plus agressives, visant une augmentation de la productivité. En plus de ces pratiques, l’usage de plus en plus intensif des pesticides a contribué à la pollution des terres agricoles tout en augmentant le gaspillage en eau .

En Syrie, les initiatives de développement agricole, parfois ambitieuses, ont eu pour conséquence une détérioration de la situation, marquée par des chutes parfois foudroyantes du niveau des nappes phréatiques. Cela est en grande partie attribuable à la nécessité d'une irrigation extensive, financée par des subventions.
Certains pays, tel qu’Israël, puisent largement dans les nappes souterraines, dont le renouvellement est très loin d'être assuré. Dans l’ensemble, plus de 70 % de la consommation d’eau est affectée à l’irrigation, surtout dans les colonies. L’État hébreu craint de modifier les quantités ainsi que les conditions d’accès à l’eau du secteur agricole, ce qui risquerait d’entraîner de profondes réactions sociales et politiques.
Par conséquent, la gestion trop dispendieuse de ces nappes a des effets néfastes sur les pays riverains, surtout, les territoires occupés de Palestine.
La bande de Gaza souffre des effets dramatiques du pompage excessif et des différentes pratiques agricoles sur les ressources souterraines, quiont entraîné des contaminations de l’aquifère littoral par divers composants toxiques tels que les sels et les nitrates, rendant des eaux de puits impropres à la consommation et favorisant la salinisation des terres.
La Jordanie accuse Israël de surexploitation et de détournement des eaux du Jourdain. En plus, les parts cédées au royaume, suite aux accords de paix jordano-israéliens de Wadi Araba , sont polluées par des déchets toxiques et les eaux usées des usines.
La distribution inégale des ressources en eau, en plus de sa mauvaise gouvernance, pèsent lourdement sur les pays de la région. Les inégalités d’accès à l’eau sont régulièrement pointées du doigt par les populations actives dans le milieu agricole.

  1. Mauvaise gouvernance de l’eau
    Aux pressions quantitatives sur les ressources hydriques, s’ajoutent une défaillance quant aux modalités de captation et de stockage des réserves d’eau.
    Les canalisations passant par des zones souvent arides et désertiques sont souvent à découvert, presque la moitié de l’eau transportée s’évapore. Le taux de déperdition est trop élevé pour une zone de « stresse hydrique ». On constate également un très mauvais état du réseau ancien d'adduction d'eau et d'égouts, et des retards en matière de traitement des eaux usées. C’est le cas notamment de la Syrie, des Territoires palestiniens et du Liban à cause de la guerre et surtout de la politique israélienne de captation.
    En Palestine, la vétusté du système de distribution entraîne de nombreuses déperditions, voire des coupures plus ou moins longues suivant les régions. De ce fait, les habitants se trouvent obligés à faire des réserves d’eau dans des conditions d’hygiène souvent douteuses, ou même à acheter de l'eau au marché noir à des prix extravagants.
    De plus, en raison des infrastructures financées par l’État d’Israël, les implantations israéliennes en Cisjordanie perçoivent en moyenne plus d’eau que les Palestiniens, qui subissent des coupures répétées et arbitraires dans l’approvisionnement en eau, en particulier pendant la saison sèche. L’inégalité des prix vient renforcer cette disparité quant à l’accès à l’eau. En effet, le palestinien doit payer son eau agricole au prix de l’eau potable alors que l’eau est fortement subventionnée dans les colonies juives. « Mekorot » fait payer, à des prix différenciés, le mètre cube pour usage domestique et celui à usage agricole aux israéliens.
    Pour, le Liban et la Jordanie, les zones rurales échappent largement à une distribution d’eau assurée par les services publics et reposent donc sur des systèmes anciens, inefficaces ou très limités en saison de sécheresse, provoquant alors ce qu’on appelle une « migration de la soif » vers les zones urbaines.
    Quant à la Syrie, les guerres et tensions dans la région sont à l’origine de la destruction d’un nombre important d’infrastructures hydrauliques. De plus, les afflux massifs de Réfugiés renforcent l’état de précarité d’une population face à une eau insalubre et impropre à la consommation laissant planer des menaces sanitaires graves, voire pandémiques (toxi-infections) comme le choléra.
  2. Migrations et tensions sociales
    La question migratoire devient de plus en plus prégnante dans les espaces touchés par la pénurie ou la rareté de l’eau.
    Sur le plan interne, les politiques locales et nationales ont une influence sur l’immigration environnementale. Le niveau de soutien reçu de l’État, l’accès aux opportunités économiques, l’efficacité des processus de prise de décision et l’étendue de la cohésion sociale au sein et autour des groupes vulnérables sont les seuls moyens capables de soutenir les communautés subissant ces impacts environnementaux et climatiques.
    Rappelons que les conflits et les guerres dans la région sont à l’origine de flux de réfugiés. Un fait qui vient alourdir une situation déjà critique, ce qui interpelle les États de la région afin d’œuvrer pour une coopération régionale plus efficace, capable de faciliter le traitement et offrir des solutions viables à cette crise de l’eau. Sinon, et face au manque de réponses adéquates, les migrations environnementales finiraient par devenir un impératif. Elles se réaliseraient vers des villes déjà frappées par la précarité et l’absence d’infrastructures d’accueil efficaces, rendant les conséquences de ces déplacements encore plus problématiques .
    La croissante rareté des ressources hydriques dans une région conflictuelle peut être un facteur facilitant le passage vers des violences entre les États riverains.
    En effet, prenant sa source au Liban, le Jourdain sépare Israël des États arabes voisins, la Syrie et la Jordanie. La problématique de l’eau dans le bassin du Jourdain s’inscrit donc pleinement dans le conflit israélo-palestinien. L’enjeu de l’eau demeure un élément sécuritaire en Israël. Pour elle, son futur et son développement dans la région sont étroitement liés à sa sécurité hydrique. Alors, elle déploie tous les moyens, notamment sa domination militaire qui est un facteur de pression dans la gestion et le partage des eaux de la région.
    III. L’eau un enjeu crucial noyé sous d’autres litiges régionaux
    Dans cette région, au climat semi-désertique, la question de l’eau prend une dimension cruciale dans le processus de paix régionale. « Conflits hydriques » ou « guerre de l’eau » sont de plus en plus présent dans les discours officielles, alors que dans les années soixante-dix, on parlait davantage de crise du pétrole. De nos jours, cette question suscite de plus en plus de polémiques, surtout que le bassin du Jourdain souffre d’autres conflits régionaux.
    A. L’eau au bassin du Jourdain : une source de tensions dans une région conflictuelle
    De nombreuses études ont pointé le rôle non négligeable de l’eau dans les contentieux hydro-politiques au bassin de Jourdain . Dans l’imaginaire politique des pays concernés, l’eau joue un rôle éminemment symbolique. Elle touche au sentiment national d’indépendance et de sécurité. L’utilisation et l’aménagement des ressources sont, alors, un enjeu de première importance, et le Jourdain, fait l’objet de toutes les attentions, bien qu’il soit un fleuve aux dimensions et aux propriétés réduites :
  • Cours non navigable;
  • Difficilement aménageable;
  • Débits changeants et faibles;
  • Eaux fortement salées et polluées.
    En outre, les conflits et les tensions en cours en Syrie, au Liban, en Jordanie et en Palestine pèsent négativement sur la situation de rareté qui frappe la région.
    En Syrie, le conflit qui ravage le pays, a engendré une crise de l’eau sans précédent, les infrastructures liées à la distribution et à la gestion de l’eau ont subi des destructions massives. En conséquence, les réseaux ont été endommagés durant les combats et les capacités de distribution d’eau dans le pays ont été réduites de moitié .
    C’est ce que confirme Christophe Martin en précisant que : « Les grandes installations de distribution d'eau potable, très centralisées, qui forment les huit principaux réseaux d'approvisionnement en eau de la Syrie, ont été gravement endommagées dans les hostilités. N'ayant pas été suffisamment utilisées et entretenues, elles se sont détériorées davantage ces dix dernières années. En cause également, le manque de pièces de rechange et de personnel compétent » .
    La migration de masse ainsi que l'afflux des réfugiés dans les pays limitrophes se répercutent sur la crise hydrique déjà profonde .
    Au Liban, l'arrivée massive des réfugiés syriens accroît la pression qui pesait déjà sur les infrastructures hydriques d'approvisionnement, dont les installations délabrées provoquent la déperdition de l’eau. La population a connu une augmentation soudaine qui équivaut à près de 30%. Par conséquent, les pénuries d’eau sont fréquentes à cause de l’incapacité de production ou du manque d'entretien des stations et des installations.
    En Jordanie, la situation est très critique ; le pays est face à une vulnérabilité hydrique exponentielle. En effet, ces dernières années, la ressource hydrique est en constante diminution, tandis que, la population jordanienne connaît une forte croissance démographique, couplé à un afflux de réfugiés syriens, ce qui a créé un déséquilibre notable entre, les besoins d’approvisionnement et les ressources hydriques disponibles. La Jordanie doit trouver des réserves supplémentaires à court terme.
    Les solutions envisagées reposent toutes sur de nouvelles ressources d'eau de surface, car les nappes souterraines sont désormais largement surexploitées. Mais les volumes à récupérer sont insignifiants puisque le Royaume Hachémite souffre également d’une sécheresse croissante liée aux changements climatiques ainsi que d’un partage inégal de l’essentiel de ses ressources hydriques avec ses voisins.
    À nos jours, Israël s’oppose fermement et par la force militaire à tout équipement du bassin et a tout projets hydriques sur ce dernier. Israël tire de son côté 100 millions de m3 de ce cours d'eau depuis l'occupation du triangle du Yarmouk en 1967.
    Hormis quelques traités bilatéraux, Israël n’entretient pas, une diplomatie hydrique loyale avec ses voisins.
    L'accord de Wadi Araba , de 1994, laissait entrevoir certaines possibilités qui ne se sont pas encore toutes vérifiées. Le traité de paix Israélo-jordanien reconnaît les droits du Royaume Hachémite sur les eaux du Jourdain, alors que, ces eaux sont entièrement exploitées par l'État hébreu.
    La Jordanie a commencé à recevoir, à première vue, de l'eau d'Israël après la construction d'une conduite reliant le lac de Tibériade au canal du roi Abdallah. Néanmoins, les parts cédées au royaume sont polluées par des particules toxiques et les eaux usées des usines israéliennes !
    La réalisation des ouvrages hydrauliques reste malheureusement suspendue à l'éventuel règlement de paix israélo-arabe, car elle implique une coordination entre les pays riverains en matière hydraulique.
    En Palestine, les attaques israéliennes visent, comme cible prioritaire, l’infrastructure déjà précaire des Palestiniens, menaçant, par conséquent, leurs maigres ou faibles moyens de subsistance et faisant ainsi de l’eau une arme de persécution et de dissuasion. Nous assistons ici à une nouvelle forme d’apartheid envers les Palestiniens quant à leurs droits à l’eau.
    Au centre de telles tensions, l'eau, convoitée par tous, pourrait être l'un des principaux déclencheurs de conflits dans le futur. Le contrôle des ressources hydriques serait alors un facteur de violence, voire, des « guerres de l’eau » au bassin du Jourdain.
    Les États sont dans l’obligation d’imposer leurs stratégies quant à l’accès et au partage de l’eau, quitte à user de la force. La supériorité militaire israélienne, lui assure la mainmise sur cette ressource au-delà de ses frontières, par voie d’occupation. Pour elle, sa sécurité hydrique conditionne son futur dans la région. L’eau demeure une priorité dans toutes les politiques de ses gouvernements successifs.
    B. L’eau, une ressource stratégique au cœur des préoccupations d’Israël
    L’eau est au cœur du conflit israélo-arabe ; dans cette région, la question de l’eau prend une dimension cruciale dans le processus de paix israélo-arabe. Les acteurs régionaux considèrent que les guerres de l’eau sont éminentes, un fait acquis de la géopolitique régionale . Le roi Abdallah de Jordanie déclarait que "les conflits potentiels dans la zone ne naîtront pas du sol, mais de l’eau" .
    En effet, au-delà des enjeux territoriaux, politiques et religieux et par sa symbolique ancestrale et sa rareté, l’eau du bassin du Jourdain serait un enjeu dissimulé dans les conflits agitant le Proche-Orient. Des conflits, amplifiés par le mouvement sioniste et la création de l’État hébreu en 1948.
    Déjà en 1919, à l'issue de la « Déclaration BALFOUR», WEIZMANN demande lors de la conférence de Paris, que les frontières de la Palestine soient déterminées à partir de considérations hydrauliques en englobant les sources du Jourdain et du Litani, le Golan ainsi que le Yarmouk. Grâce à ses victoires militaires de 1948 et 1967, l'État hébreu a pu contrôler ces ressources hydrauliques.
    En 1959, Israël entame la construction d’un aqueduc pour détourner les eaux du lac de Tibériade, Israël occupe désormais l’essentiel de la vallée du Jourdain, la Cisjordanie et ses nappes phréatiques, et les plateaux du Golan riches en eau, résultat de la guerre de 1967 qui éclatât dans un contexte de tensions hydriques, le Liban, la Syrie et la Jordanie amorçaient des travaux de détournement du Jourdain En outre, l'invasion du sud-Liban en 1978 lui a permis de prendre le contrôle des fleuves Litani et Wazzani. Une situation, qui a durée jusqu’ en 2000, avec le départ d’Israël du Sud du Liban
    En 1959, Israël entame la construction d’un aqueduc pour détourner les eaux du lac de Tibériade. En outre, l'invasion du sud-Liban en 1978 lui a permis de prendre le contrôle des fleuves Litani et Wazzani. Israël occupe désormais l’essentiel de la vallée du Jourdain, la Cisjordanie et ses nappes phréatiques et les plateaux du Golan riches en eau et comme résultat de la guerre de 1967 qui éclatât dans un contexte de tensions hydriques, le Liban, la Syrie et la Jordanie amorçaient des travaux de détournement du Jourdain .
    Israël a ainsi augmenté son potentiel en eau et assuré sa sécurité hydrique en mettant fin aux projets hydrauliques arabes . Elle en a même fait un moyen de coercition.
    Par conséquent, sécurité d'approvisionnement et ressource en eau, sont les préoccupations sous-jacentes des conquêtes territoriales successives israéliennes, aux dépens des États voisins.
    À présent, Israël est maître de la totalité de la vallée du Jourdain jusqu'à la Mer Morte, mais surtout des aquifères montagneux de la Cisjordanie et de l'aquifère côtier de la bande de Gaza. Ces aquifères sont d'une importance exceptionnelle dans une zone de « stresse hydrique ».
    Ainsi, la Jordanie se trouve privée d’une grande part des eaux du Jourdain, qu’elle doit partager avec Israël et la Palestine, ce qui suscite des rivalités entre les pays, et ce, malgré le traité israélo-jordanien du 26 octobre 1994. Ce traité prévoit que « Les parties s’accordent mutuellement pour reconnaitre à chacune d’elles une répartition équitable des eaux du Jourdain et du Yarmouk » .
    Une situation qui oblige la Jordanie à mettre en place une politique de restriction de sa consommation en eau, et à faire face à ses besoins en exploitant ses nappes fossiles non renouvelables.
    Plus au nord, des tensions liées au partage des sources du Jourdain, opposent Israël, au Liban et à la Syrie, par rapport notamment au Dan, Hasbani, Wazzani, Banias. Quant au Golan, on est bien loin d’un accord entre Damas et Israël .
    La situation est encore plus critique pour les Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie, où l’accès à l’eau est fortement contrôlé par Israël, tandis que les colonies juives opèrent des forages sans aucune restriction.
    Le monopole des ressources en eau est bien un enjeu stratégique et politique, voire même un moyen de coercition pour Israël. En fait, la délégation de la gestion de cette ressource à Mekorot renforce cette idée . Il s’agit là d’une compagnie sous monopole étatique avec une totale maîtrise du système hydraulique et des réseaux de distributions des eaux. Elle permet aux autorités israéliennes de perturber les livraisons d’eau ; elle peut couper, à tout instant, l’eau aux Palestiniens, en fonction de l’évolution politique. Ce qui constitue une violation du droit international .
    Historiquement, Israël a, maintes fois, transgressé les conventions de Genève dans son exploitation de l’eau en l’utilisant comme outil de pression. De plus, les accords d’Oslo I et II, nécessitent une renégociation qui s’appuie sur la Convention de Genève de 1997 sur les droits relatifs à l’utilisation des cours d’eaux internationaux à des fins autres que la navigation, et en particulier sur les principes de l’utilisation « équitable et raisonnable » des ressources en eau, ainsi que « l'obligation de ne pas causer de dommages significatifs» aux pays voisins.
    Cependant, le droit international reste flou et les termes utilisés peuvent avoir plusieurs interprétations. C'est aux pays eux-mêmes de clarifier la signification précise de ces termes dans leurs bassins versants.
    En espérant des solutions à cette mainmise israélienne sur les ressources hydriques, les répercussions de la privation de l’eau potable pour une partie importante de la population palestinienne sont nombreuses, particulièrement :
  • La dégradation de l’environnement ;
  • Les dangers pour la santé publique ;
  • L’atteinte au développement économique et social etc.
    De plus, le ciblage par Israël des infrastructures hydrauliques impacte profondément la relation que les Palestiniens entretiennent avec leur terre. En privant les agriculteurs d’accéder à l’eau, Israël les pousse à abandonner leurs terres vidant ainsi des villages riches par leurs familles et leur culture. On peut dire clairement qu’il s’agit d’une guerre menée contre les Palestiniens et dont la principale arme est l’eau, à travers laquelle l’occupant cherche à modifier la nature même de la société palestinienne.
    Pour Thomas Naff "Il ne peut y avoir de paix sans régler les problèmes de l’eau et vice-versa […]. C’est l’eau qui déterminera l’avenir des Territoires occupés et, au-delà, la paix ou la guerre. Si la crise n’est pas résolue, il en résultera une plus grande probabilité d’un conflit entre la Jordanie et Israël, qui entraînerait certainement d’autres pays arabes ."
    Aujourd'hui, Israël bénéficie d’une «hydro-hégémonie », car elle dispose d’une importante supériorité militaire. Pourtant, cette prédominance, ne lui permet pas de résoudre le problème de pénurie auquel elle fait face, et qui devrait s’amplifier au futur.
    Il en est de même pour les Etats riverains, d’autant plus qu’ils ne…ne sont pas dotés des mêmes technologies hydriques, ni même de politiques efficaces de gestion de leurs rares ressources en eau.
    Aussi, les États du bassin du Jourdain vont-ils devoir gérer un écart croissant entre la quantité d'eau disponible et leurs consommations nationales.
    Dès lors, il est important de faire progresser la réflexion et si possible des concepts communs. Ensuite, adopter une vision élargie qui prend en compte, toutes les solutions équitables et durables. Cela implique une politique territoriale judicieuse et des garanties internationales pour résoudre un problème majeur qui menace la paix dans la région .
    IV. L’eau au bassin du Jourdain : Les perspectives d’une coopération régionale
    Selon les chiffres de l'ONU, d'ici à 2050, la consommation d'eau augmentera de 44 % pour répondre aux besoins de l'industrie et de la population . L'organisation internationale a également fourni des données relatives aux conflits, soulignant qu'il existe environ 300 zones dans le monde où des conflits liés à l'eau sont prévisibles en 2025.
    A. Une hydro-diplomatie pour la paix au bassin du Jourdain
    Les pays du bassin du Jourdain gèrent l'eau en termes de distribution plus qu'en termes d'économie et de conservation. Dans un tel contexte, les Territoires palestiniens, la Jordanie, la Syrie et Israël sont en première ligne, des pays les plus menacés de pénurie. Quant au Liban, qui voit augmenter ses besoins en eau, devra résoudre le problème, en l’occurrence la bonne gouvernance et la qualité de ces ressources hydriques. Pourtant, la question de l’eau apparaît d’une certaine manière secondaire et les différents États s’inquiètent, d’abord, de l’évolution du processus de paix régionale.
    L’accès à l’eau et sa disponibilité à court et à moyen terme sont de plus en plus importantes dans la région où les différents États sont touchés par la sécheresse. Ainsi, l'absence d'accords politiques, et de coopération dans le développement des nouvelles techniques hydrauliques, fera de l'eau le principal déclencheur de conflits futurs.
    Dans ce cas, des solutions fortes doivent être engagées afin de sortir d’une situation critique. Au bassin du Jourdain, comme partout ailleurs, les mesures sont nombreuses dans le but de combler les besoins des uns et des autres. S’il y a une réelle volonté politique pour une paix régionale, l’eau ne sera pas un obstacle. Tout est prêt pour la coopération avec la mise en commun des techniques, des connaissances et du savoir-faire.
    Autrement dit, les meilleures solutions sont celles qui recourent à l’entente et la négociation autour de solutions modernes et durables. Seule une coopération régionale qui vise la mise en place des mécanismes et des techniques innovantes est capable de résoudre ces crises. Nous en citons entre autres, le recours à des technologies plus adaptées dans le domaine de la désalinisation de l’eau de mer ou des projets de recyclage, la conciliation entre développement économique, l’aménagement du territoire et la gestion durable des ressources en eaux…, etc. Des techniques dont peuvent bénéficier tous les pays de la région.
    On peut classer ces mesures en plusieurs catégories : techniques, écologiques, culturelles, politiques.
  1. Des solutions techniques :
    La demande croissante en eau dans le monde augmente les risques de surexploitation et de contamination des sources hydrauliques naturelles. Dans ce contexte, les solutions techniques sont l’une des réponses à la pénurie d’eau et au stress hydrique. Les ressources ne seront plus limitées aux seules ressources conventionnelles, surtout, les ressources de surface, l’eau de pluie et les nappes phréatiques.
    En conséquence, les acteurs bénéficieront d’une plus grande flexibilité en matière de gestion de cette matière et essentiellement des eaux transfrontalières. Les technologies hydrauliques ont innové en matière de gestion et préservation de l’eau, parmi ces solutions : la désalinisation, la réutilisation des eaux usées, l’extraction d’eau de l’air, le goutte-à-goutte, etc.
    Le dessalement
    Le dessalement de l’eau de mer à grande échelle pourrait s’avérer être facteur déterminant. Malgré certaines barrières économiques, la technologie a la capacité de modifier les capacités hydrologiques dans la région. Autrement dit, et grâce au dessalement, les pays en aval dans le bassin du Jourdain, se verront, dotée d’une source non-naturelle d’eau douce en provenance des côtes maritimes. Cette nouvelle source hydrique transfèrerait le monopole hydrique de l’amont en aval.
    Par conséquent, la géopolitique de l’eau changera sur le long terme. Surtout que le dessalement devient plus accessible et avec des prix de plus en plus abordables pour tous les États riverains. Dans cette optique, le gouvernement israélien a lancé, dès 1999, un programme de dessalement de l’eau de mer, qui a abouti à la mise en place de cinq usines. L’une des plus grandes usines de désalinisation au monde se trouve à Hadera en Israël.
    Si l’eau douce ne représente que 2,5% de l’eau présente à la surface de la planète, l’eau de mer en constitue 97,5%. Le dessalement serait une alternative durable pour alimenter en eau potable les populations de régions côtières, soit 40% de la population mondiale. Pourtant, moins de 1% de la quantité d’eau potable produite dans le monde est issue du dessalement.
    La réutilisation des eaux usées
    La réutilisation des eaux usées, après épuration, constitue une solution alternative en faveur de la protection de la ressource. Aujourd’hui, seulement 2 % des 165 milliards de m³ des eaux collectées et traitées dans le monde sont réutilisées.
    Plusieurs pays ont déjà pris une avance considérable sur ce sujet. Avec l’objectif principal de fournir une quantité supplémentaire d'eau dont la qualité convient à un usage déterminé.
    Les traitements se font par filtration, microfiltration ou ultrafiltration selon les usages (urbains, industriels, agricoles). Les eaux usées sont nettoyées à des niveaux proches de la qualité potable pour éviter la contamination, et leur réutilisation se fait en trois étapes :
    1. Récupération des eaux usées traitées,
    2. Traitement complémentaire de ces eaux usées, que l’on peut adapter aux usages. Il s’agit de se débarrasser des impuretés dangereuses et toxiques.
    3. Utiliser l'eau à nouveau en fonction des niveaux de traitement :
  • L’usage agricole qui est sans doute celui avec le plus fort potentiel ;
  • L’usage municipal pour le nettoyage des voiries ou l’arrosage des espaces verts ;
  • La recharge artificielle de nappe;
  • La remise en état de milieux naturels.
    Cette solution est adoptée par la Jordanie, un pays pour lequel l’irrigation agricole représente 60% de la consommation des ressources d’eau douce. Quant à Israël, elle a depuis 2015 réussi à traiter et à recycler 86 % de ses eaux usées, pour les exploitations agricoles.
    Le goutte-à-goutte
    L’idée est d’amener l’eau directement aux racines des cultures à travers un réseau de tubes, de vannes et goutteurs plutôt que par aspersion massive et ce pour éviter le gaspillage.
    L'irrigation goutte à goutte, et elle est considérée comme la meilleure et la plus simple en raison des économies de quantités d'eau, de la diminution de la propagation des mauvaises herbes et de la possibilité d'ajouter des engrais à l'eau d'irrigation qui atteignent directement les racines. Elle permet de réduire les consommations d’eau de 40% à 60%, puis ce qu’elle permet aux gouttes d'eau d'atteindre directement les racines des cultures, à travers un réseau de tubes, de vannes et goutteurs plutôt que par aspersion massive et éviter le gaspillage .
    Cette méthode d'irrigation est connue pour être l'une des nouvelles méthodes qui contribuent à conserver les ressources en eau en réduisant l’évaporation et le gaspillage d'eau et en améliorant l'efficacité globale de son utilisation dans les activités agricoles et surtout, les cultures sur sols sableux et le milieu désertique comme celui du désert du Néguev.
    Mais de nouvelles études ont révélé les inconvénients qui pourraient être engendrés de la méthode d'irrigation goutte à goutte si elle est appliquée sur certaines terres agricoles dans des conditions météorologiques spécifiques, sans prendre en considération, l’étude des terres et les types de cultures dans lesquelles cette technologie serait utilisée.
    L’extraction d’eau de l’air
    Cette technologie permet d’extraire l’eau de l’air, une ressource inépuisable, grâce au refroidissement direct (direct cooling).
    De nombreuses parties du monde manquent d’eau douce dont la production est très coûteuse. Les communautés proches de l’océan peuvent bien sûr dessaler l’eau de mer. Plus loin de la côte, la seule solution qui reste envisageable, consiste souvent à condenser l’humidité atmosphérique par refroidissement, par des processus qui exploitent les variations de température entre le jour et la nuit. La vapeur d’eau contenue dans l’air se condense en eau. Ce processus est le même que celui qu’on peut observer sur des fenêtres mal isolées en hiver .
    La limitation des fuites d’eau et réhabilitation des réseaux d'adduction
    L’inefficacité des équipements appelle à une modernisation urgente des infrastructures. En effet, beaucoup de pertes au cours du transport dans les canalisations ou bien par évaporation, nécessitent une amélioration de l’efficacité des modes de gouvernance locale.
    Dans le monde, environ 30% de l’eau est perdue à cause des fuites et du manque d’entretien des canalisations, ce taux atteint plus de 50% dans certains pays.
    Au bassin du Jourdain, les réseaux d’adduction en eau potable enregistrent 40 % de pertes dues aux des fuites contre 10 % en Europe.
    Les réservoirs d’eau de pluie
    Pour des raisons économiques ou environnementales et afin de réduire l'utilisation de l'eau du réseau et favoriser l'autosuffisance, des réservoirs sont installés pour utiliser l'eau de pluie. L'eau stockée peut être utilisée pour arroser les jardins, l'agriculture, les usages domestiques, etc, surtout quand les autres sources d'eau sont indisponibles, chères ou de mauvaise qualité.
    Les réservoirs d'eau de pluie souterrains peuvent également être utilisés pour la rétention des eaux pluviales dans les climats arides. Les citernes à eau de pluie sont souvent utilisées pour stocker l'eau pendant la saison des pluies, pour une utilisation ultérieure durant les périodes de sécheresse.
    Dans les territoires occupés de Palestine, Israël contrôle la collecte de l’eau de pluie et comme arme de répression, les forces militaires israéliennes détruisent les réservoirs d’eau palestiniens destinés à recueillir cette eau. Par conséquent, les Palestiniens sont obligés de s’approvisionner en eau par tous les moyens possibles, notamment dans des bouteilles en plastique ou des barils. L’absence de coopération entre les États aggrave la situation et un soutien international en la matière est vivement sollicité.
  1. Des solutions écologiques :
    Maîtriser l’eau urbaine
    Le ruissellement des eaux pluviales urbaines entraîne des polluants, métaux lourds, huiles, nitrates… se déversent dans les rivières et la mer. Les villes doivent protéger leurs écosystèmes et créer des microclimats pour atténuer la température, on parle de « villes sensibilisées à l’eau ».
  2. Des solutions culturelles :
    Rompre avec des pratiques traditionnelles désuètes et non durables par la réforme du système agricole est une mesure indispensable. Il faut choisir des cultures moins consommatrices d’eau et mieux adaptées au climat régional. Autrement dit, il est impératif d’inciter les agriculteurs à adopter un mode durable de consommation d’eau. et surtout , limiter la surconsommation des eaux par les citoyens notamment, les colons qui suivent un mode de vie occidental dans leurs consommations en eau.
  3. Des solutions politico-juridiques :
    Une coopération régionale sur l’accès et la redistribution des ressources en eau doit être enclenchée. L’eau n’est pas uniquement une ressource économique, mais aussi un bien et un droit qui doit être accessible à tous. Les États du bassin du Jourdain devraient penser l’eau selon une vision politique et stratégique, compatible et étroitement liée aux autres politiques nationales. .
    Différents engagements et traités bilatéraux ont été signés dans ce sens, mais l’absence d’un accord global entre les différentes parties concernées empêche l’affermissement du Droit International de l’eau, particulièrement, la distinction des droits relatifs des pays riverains, en amont et en aval .
    B. La place du droit international dans le règlement des hydro-conflits au Moyen-Orient
    La crise de l’eau fait partie des préoccupations de la communauté internationale eu égard au fait qu’elle concerne la plupart des États du monde. Au cours du siècle dernier, et face à diverses tensions liées à l’utilisation et au partage de l’eau, des négociations et des traités ont été initiés afin de combler les lacunes juridiques de la Convention des Nations Unies de 1997sur le droit relatif aux utilisations des cours d'eau internationaux à des fins autres que la navigation .
    La prise de conscience de la nécessité de mettre sur pied, des instruments juridiques à même de régler les différends qui pourraient éclater entre les différentes nations, à propos de la rare ressource en eau qu'elles ont en partage, s'est faite de manière lente et évolutive. Ce long processus a abouti à l'émergence de deux conventions cadres :
  4. La Convention d’Helsinki de 1992 ;
  5. La convention de New York de 1997 relative aux cours d'eaux internationaux.
    Le nombre et l'étendue de ces traités restent limités, la plupart d'entre eux ne sont pas respectés. Nous citons à titre d'exemple : le Nil, le lac Tchad en Afrique, les bassins du Mékong, le Rio de la Plata en Amérique, etc.
    D'autres traités ont été également conclus en Europe, parmi lesquels figurent des traités relatifs au Rhin et au Danube.
    La convention, conclue à Helsinki, sous l'égide de la Commission Economique des Nations Unies pour l'Europe, le 17 mars 1992, a été le premier traité à codifier de manière générale les règles gouvernant les cours d'eaux, la protection et l'utilisation des cours d'eaux internationaux.
    Cinq ans après et suite à un long processus de négociations, la convention de New York de 1997, relative à l'utilisation des cours d'eaux à des fins autres que la navigation, a été adopté. Elle témoigne de la difficulté de concilier les principes légaux et hydrologiques, de faire accepter la limitation de la souveraineté territoriale impliquée par l'unité hydrologique et de codifier l'application du principe d'équité.
    Une autre difficulté est liée à l’opposabilité de cette convention aux États, surtout que, trois pays (Chine, Turquie et Burundi) ont voté contre la convention. Ce cas montre les limites de la Convention Internationale de New York, en cas de relations fortement conflictuelles, l'application des principes établis, devient très difficile. C'est le cas du conflit entre la Turquie, la Syrie et l'Irak pour la répartition de l'eau du Tigre et de l'Euphrate.
    De manière plus spécifique, cette convention, énonce des principes, très largement admis dans les relations interétatiques, en ce qui concerne la gestion de l'eau.
    En somme, le droit international de l’eau reste flou et embryonnaire. Par leur caractère international, ces conventions, ont une faible opposabilité et les termes utilisés peuvent avoir plusieurs significations. C'est aux pays eux-mêmes de clarifier la signification précise de ces termes. Ce qui poussa certains à envisager un autre mode de régulation des conflits liés à la question de l'eau.
    L'eau, du fait de son caractère vital, constituerait un outil de coopération, comme c'est le cas dans de nombreuses situations pourtant à première vue hautement volatiles. A titre illustratif, l'Inde et le Pakistan, qui malgré leur rivalité fratricide, ont signé un traité sur le partage des eaux de l'Indus. Ainsi, tensions et conflits internationaux liés à l'eau demeureront confinés à l'arène diplomatique ; seule une hydro-diplomatie efficace, résoudrait la menace d’une « guerre de l’eau ».
    Conclusion
    Aujourd’hui, la sensibilisation internationale aux enjeux de la préservation et du partage équitable de l’eau, constitue un encouragement pour une paix hydrique dans la région du bassin du Jourdain.
    Il est vrai que les conventions, accords et traités signés sont un aboutissement en soi, mais sans solutions durables et une éventuelle paix équitable et globale, la stabilité et la pacification de cette région, déjà durement traversée par les conflits, risquent de rester des vœux pieux .
    Autrement dit, c’est la paix, et non la guerre, qui procurera aux pays du Moyen-Orient les ressources indispensables à la réalisation de leurs besoins légitimes. Les meilleures solutions sont celles qui recourent à l’entente et la négociation, autour de solutions modernes et durables.
    Une coopération régionale, encouragée par le droit international qui vise la mise en place de mécanismes capables de résoudre ces crises, ou des technologies désalinisation de l’eau de mer ou des projets de recyclage, dont la technique peut profiter à tous les pays de la région. Un ensemble de mesures qui contribueraient évidemment à éloigner le spectre d’une « guerre de l’eau ».

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    Glossaire
    L’eau douce : par opposition à l’eau de mer, est une eau dont la salinité est suffisamment faible pour pouvoir être consommée. Elle contient moins d’un gramme par litre de matières solides dissoutes (sels, métaux, oligo-éléments) alors que l’eau de mer compte près de 35 g de sels dissous et l’eau saumâtre en contient entre 1 et 10g.
    Eau potable C’est une eau que l’on peut boire ou utiliser à des fins domestiques et industrielles sans risque pour la santé. Elle peut être distribuée sous forme d’eau en bouteille (eau minérale ou eau de source, eau plate ou eau gazeuse), d’eau courante (eau du robinet) ou encore dans des citernes pour un usage industriel.
    Stress hydrique : Selon l’OMS, le stress hydrique est déclaré dans le cas d’une :
  • D’une situation de pénurie d’eau si une population dispose entre 1700 m3, et 10003 d’eau par habitant et par an
  • D’une situation rareté d’eau si une population qui dispose de moins de 1000 m3 d’eau ³par /habitant et par an.
    Bassins transfrontaliers : Eaux transfrontalières, consistent en les aquifères et bassins lacustres et fluviaux partagés par deux pays ou plus. 263 bassins transfrontaliers de lacs et de rivières couvrent presque la moitié de la surface de la Terre. 145 États ont un territoire dans ces bassins et 30 pays y sont entièrement rattachés
    La pénurie de l’eau : Également appelé « pénurie d'eau », voire « rareté de l'eau » dans les cas les plus extrêmes, le stress hydrique est une situation critique qui surgit lorsque les ressources en eau disponibles sont inférieures à la demande en eau.
    Une pénurie d'eau : C’est le moment où la demande en eau de tous les secteurs ne peut être entièrement satisfaite. L'impact total de tout l’usage (r)s affecte l'alimentation ou la qualité de l'eau. La pénurie d'eau intervient dans le cadre des arrangements institutionnels et environnementaux en vigueur.
    Un déficit hydrique : C’est la différence cumulée entre l'évapotranspiration potentielle et les précipitations pendant une période où ces dernières lui sont inférieures à la première. Généralement, les averses brutales viennent compenser un déficit hydrique provoquant un stress, appelé stress hydrique. Le déficit hydrique climatique (CWD) quantifie la demande évaporative dépassant l'humidité du sol disponible, où S = humidité du sol, AET = évapotranspiration réelle, D = déficit hydrique climatique.
    Un stress hydrique : correspond à une pénurie d'eau, ou un déficit des précipitations. Le concept relativement nouveau du stress hydrique est la difficulté à obtenir des sources d'eau douce pour une utilisation pendant une période de temps; il peut en résulter un nouvel appauvrissement et la détérioration des ressources disponibles en eau.
    En écologie, quand il n'y a pas assez d'eau potable pour une population donnée, la menace d'une crise de l'eau est active. Ainsi, plus d'une personne sur six dans le monde est en stress hydrique, ce qui signifie qu'ils n'ont pas accès à l'eau potable.
    L’aridité du climat : Une aridité est une sécheresse importante d'un milieu ou d'un climat aride, sec, avec des précipitations annuelles inférieures à 200 mm. Elle traduit le manque d'eau dans le sol et de l'humidité dans l'air avec lequel il est en contact.
    Le débit des fleuves : Dans le cadre de l'eau, le débit correspond à un volume d'eau s'écoulant dans un cours d'eau par unité de temps à un endroit donné. Le débit s'exprime en m3/h, ou pour les pompes d'aquarium, en litres par heure (L/h). Pour un cours d'eau, il peut être un débit de base ou un débit de pointe (pour ses extrêmes).
    Le cours d'eau : C’est le nom générique des eaux courantes qui circulent à travers un canal fixe; les cours d'eau sont nommés en fonction de caractéristiques de débit ou flux, de dimensions…, comme les fleuves, les rivières, les ravines, les ruisseaux, les torrents… Si la majorité des cours d'eau sont visibles en permanence à la surface, certains sont souterrains et d'autres encore sont temporaires.
    Les aquifères : Un aquifère est une couche souterraine de roches poreuses et perméables à l'eau, de roches fracturées ou de matériaux non consolidés (gravier, sable ou limon) à partir desquels les eaux souterraines peuvent être extraites à l'aide d'un puits d'eau. La nappe aquifère en est le réservoir de stockage.
    Hydrauliques : Ce qui est hydraulique désigne, se rapporte à, ou est actionné par un liquide se déplaçant dans un espace confiné sous pression.
    Hydraulique définit la partie et branche de la science qui s'occupe de l'étude de la pression des liquides, de la flottaison et son gradient, de l'écoulement des liquides avec sa résistivité et des équipements hydrauliques tel que les pompes.
    Hydriques : Ce qui est hydrique est relatif à l'eau, comme un bilan hydrique, une maladie hydrique, un potentiel hydrique ou un stress hydrique. L'eau est l'oxyde hydrique, un composé de corps simples incluant l'hydrogène. Le stress hydrique correspond à un manque d'eau pour les organismes.
    Un sous-bassin hydrographique : définit une zone dans laquelle toutes les eaux de ruissellement convergent, à travers un réseau de rivières, fleuves et éventuellement de lacs, vers un point particulier d'un cours d'eau (normalement un lac ou un confluent).
    Un sous-bassin versant est n'importe laquelle de plusieurs parties d'un bassin versant qui s'écoule vers un emplacement spécifique.
    Le cycle hydrologique : qualifie le cycle naturel de l'eau, de l'atmosphère vers la terre et de celle-ci vers l'atmosphère. Un cycle hydrologique est une partie du cycle de l'eau localisé et daté en un lieu et temps précis, en dressant un bilan hydrologique.
    Les cycles hydrologiques sont constitués de la succession des phases par lesquelles l'eau passe de l'atmosphère à la terre, pour ensuite retourner à l'atmosphère; c'est l'évaporation de l'eau à partir des terres, des mers ou des nappes d'eau continentales, sa condensation sous forme de nuages, de précipitations, son accumulation dans le sol ou à sa surface et sa ré-évaporation.
    Escarpement : Un escarpement est un cas particulier de falaise, formé par le mouvement d'une faille tectonique ou d'un effondrement. Assez élevé, quasiment vertical, surplombant une étendue d'eau (mer, océan, lac) ou des terres plus basses. La plupart des falaises finissent par dépendre de leur base; dans les régions arides ou sous de grandes falaises, la pente est généralement une accumulation de roches détachées, tandis que dans les zones d'humidité plus élevée, les roches de la pente sont recouvertes d'une couche de terre compactée par l'humidité formant un sol.
    Le dessalement : Processus par lequel les sels minéraux dissous dans l'eau sont éliminés. Actuellement, ce procédé, appliqué à l'eau de mer, est l'un des plus utilisés pour obtenir de l'eau douce destinée à la consommation humaine ou à des fins agricoles.
    Le dessalement de l'eau consiste en une extraction du sel de l'eau de mer ou des eaux saumâtres. Plusieurs méthodes peuvent être utilisées, par exemple la distillation, l'électrodialyse, l'échange d'ions et l'évaporation solaire suivie par condensation de la vapeur d'eau. Le dessalement ne doit pas être confondu avec la désalinisation qui concerne essentiellement les sols et non l'eau salée.
    La désalinisation est l'action d'extraction du sel d'un sol par des moyens artificiels, en général le lessivage. Elle est l'opération inverse d'une salinisation. Si le dessalement concerne l'eau de mer, la désalinisation concerne les sols. La salinité peut augmenter dans un sol par des processus naturels. Le taux de sel d'un sol est mesuré par son indice de salinité.
    La Filtration : Une technique permettant de procéder au passage d'un liquide ou d'un gaz à travers un appareil ou un mécanisme organique servant de filtre. La filtration est aussi un moyen de stériliser des milieux liquides ou des substances qui ne peuvent pas être chauffées. Il existe alors des techniques comme la microfiltration et l'ultrafiltration, avant d'arriver jusqu'à l'osmose inverse.
    L'ultrafiltration : couramment abrégée en UF, est un type de technique de filtration au travers d'une membrane semi-perméable. Les industries chimiques et pharmaceutiques, de fabrication de nourriture et boissons, et le traitement des eaux usées, emploient l'ultrafiltration afin de recycler les liquides ou de flux de valeur ajoutée aux produits plus tard.

Synthèse du 1èr atelier sur :
La question de l’eau : quels enjeux nationaux et internationaux
Elaborée par :
M. KHEIREDDINE
Chercheur en gouvernance et développement urbain
Consacré à la question des enjeux nationaux et internationaux de l’eau, un atelier a été organisé par la Revue Marocaine des Sciences Politiques et Sociales (RMSPS), en partenariat avec la Fondation Hans Seidel, le jeudi 13 avril 2013 à Rabat. Ont pris part aux travaux scientifiques de cet atelier des anciens hauts responsables du secteur de l’eau, des experts, des universitaires, des journalistes, des doctorants, des étudiants et des acteurs de la société civile. Centrés sur la question de l’eau, trois axes d’intervention ont façonné l’ossature des travaux de ce deuxième atelier inscrit sur l’agenda de la RMSPS après celui sur la question énergétique.
L’atelier s’est déroulé en trois temps au cours desquels ont été présentées trois interventions, où ont été exposées les questions de la gouvernance des ressources hydriques par Mme C. Afilal , l’impact des choix politiques sur l’eau par Mr M. Lahlou , et la crise de l’eau accentuée par un modèle agro-exportateur par Mr N. Akesbi .
Quels enseignements tirés de plusieurs décennies de gouvernance de l’eau (données sur les ressources, infrastructures, acteurs, instances (CSE ), outils juridiques, échelles de décision, couverture territoriale, etc.) ? Quels choix politiques pour une gestion durable et efficiente de l’eau dans un contexte de stress hydrique (Régie/privatisation/SRM) ? Quels effets des choix agricoles sur la crise de l’eau ? Quelle instance de décision pour arbitrer entre les différents usages de l’eau (ménages, agriculture, industrie et tourisme) ? Peut-on parler d’une capitalisation des acquis dans la gestion de l’eau ?

  1. Une gouvernance à repenser
    Répartie entre trois secteurs d’activités (domestique, agricole et industriel), l’eau est soumise à la pression de la rareté, des aléas climatiques et d’une concentration urbanistique sur l’axe atlantique. Sa gouvernance est sous-tendue par un certain nombre de questionnements qui caractérisent les écarts entre le déclaré (22 milliards m3) et le réel-mobilisable (entre 10 et 15 milliards m3) et les superficies irriguées (700 000 ha Vs 1 millions ha). La multiplicité des intervenants (opérateurs publics, régies, concessionnaires) dans l’eau ajoute une nouvelle couche de complexité au déphasage entre la planification et l’investissement dans les infrastructures.
    L’architecture institutionnelle de la gouvernance du secteur de l’eau est sous le poids de la pesanteur de la verticalité, et tend à affaiblir le pouvoir de décision des principaux acteurs que sont les agences de bassin. Dans des pays du pourtour méditerranéen, ces structures ont de larges pouvoirs de régulation, de dissuasion, et de collecte des redevances qui leur permettent de se donner les moyens de la mise en œuvre de leurs politiques de gestion des ressources hydriques.
    D’aucuns soutiennent que le Maroc dispose d’acquis non négligeables en termes d’infrastructures hydrauliques , d’expertise, et d’encadrement juridique pour la gestion des ressources en eau. Cependant, il convient de souligner que cet édifice s’affecte aux premiers aléas climatiques. D’où l’urgence de repenser le mode de gouvernance et de production pour un approvisionnement en eau répondant aux besoins des établissements humaines et aux activités économiques à l’échelle du Maroc.
  2. La question de l’eau, entre bien commun et bien marchand
    Consacré dans les déclarations et agendas des nations unies (2010, 2015, 2016) et la constitution marocaine de 2011 (art. 31) , l’accès à l’eau est un bien commun et ne peut être considéré comme un bien économique. Cependant, les modes de gouvernance et les choix agricoles des dernières décennies (privatisation, cultures intensives, modes d’irrigation obsolètes, puits anarchiques , etc.) soulèvent des incohérences à fort impact sur les ressources hydriques, et vont à contre-courant des objectifs de développement durable et de la protection de l’environnement et de la reconstitution du capital forestier. Un seul indicateur en dit long sur le stress hydrique. Preuve en est la consommation annuelle d'eau par habitant au Maroc est passée de 2000 m3 en 1965 à 650 m3 en 2020.
    Pour infléchir cette tendance, il est temps d’agir sur la réduction des usages agricoles de l’eau à moins de 50%, le dessalement de l’eau de mer et le recyclage des eaux usées pour les usages touristiques.
  3. Une crise de l’eau accentuée par un ‘’modèle agro-exportateur’’
    L’absence de données actualisées sur les ressources hydriques rend difficile l’analyse d’un secteur aussi stratégique comme l’eau. Du stress hydrique à la rareté hydrique, la situation exige une maitrise des flux d’eau pour éviter les concentrations des moyens sur des surfaces agricoles réduites. D’autant plus, que les dettes liées aux infrastructures (barrages) pèse de leur poids sur les choix agricoles. En effet, le modèle agro-exportateur génère certes de la valeur, il est toutefois, orienté vers des cultures hydrovores et basé sur les subventions.
    Dans un contexte de rareté de l’eau, les ressources hydriques doivent être réorientées vers des cultures concourant à la souveraineté alimentaire. La crise sanitaire du covid-19 et la guerre en Ukraine, viennent rappeler les politiques de l’intérêt de se décider sur les besoins productifs agricoles pour que le Maroc puisse être maitre de sa souveraineté alimentaire.
    Conclusions : Unanimité sur une crise de l’eau accentuée par les aléas climatiques et les choix politiques
    Si le Maroc dispose au fil des ans d’atouts indéniables dans la gestion de l’eau. Il importe de préciser que les intervenants et les participants aux débats sont unanimes sur la faible capitalisation des pratiques dans ce secteur. Accentuée par la faible pluviométrie, le prix de l’essence à la pompe et la crise Ukrainienne, la question de la rareté de l’eau interpelle les politiques et les acteurs de l’eau.
    A l’aune de la mise en place d’un modèle de développement économique, le mode de gestion de l’eau doit être revisité pour relever ses limites plurielles et introduire les ruptures nécessaires dans sa gouvernance. A l’issu des débats et échanges avec les participants, les propositions et recommandations ont été avancées :
    La généralisation du recours à des modèles de production et de consommation à fort rendement hydrique dans les différents secteurs productifs ;
    L’urgence de la mise en place de la carte des surfaces agricoles.
    La mise en place du système d’information relatif à l’eau à l’échelle national ;
    L’élaboration des plans directeurs d’aménagement intégré des ressources en eau à l’échelle des bassins hydrauliques ;
    L’affectation prioritaire des ressources hydriques aux cultures concourant à la souveraineté alimentaire ;
    La révision de la politique de l’aménagement du territoire dans ses déclinaisons régionales (SRAT ) pour la prise en considération de la question des changements climatiques et de la rareté de l’eau.

II- LA QUESTION ENERGETIQUE :
ENTRE SOURCE FOSSILE
ET ENERGIE RENOUVELABLE ?

Transition énergétique, Historique et perspectives
Depuis 1982, date de la création du Centre de Développement des Energies Renouvelables (CDER) , à 2009, avec une politique volontariste et une lettre royale très claire qui a donné la priorité aux énergies renouvelables et à l’efficacité énergétique dans le cadre de la politique énergétique, le Maroc continue à déployer les énergies renouvelables pour garantir l’indépendance énergétique, réduire les dépenses budgétaires en énergies fossiles, réduire les émissions de gaz à effet de serre et gérer la demande d'énergie grâce à une utilisation rationnelle de l'énergie, ce qui rentre dans les missions principales de l’Agence Marocaine pour l’Efficacité Énergétique, qui se positionne sur le développement de l’efficacité énergétique dans les cinq secteurs clés (industrie, transport, bâtiment, agriculture et pêche) en plus, depuis 2020 de la mobilité durable et de la production propre dans l’industrie avec un objectif de décarbonation et de transition vers une économie verte. S’ajoutent aujourd’hui les nouvelles opportunités liées à l’hydrogène vert, de prometteuses perspectives pour que notre pays bascule d’un pays importateur d’énergie grise à celui d’exportateur d’énergie verte.
Saïd MOULINE
Directeur général de l’Agence Marocaine
pour l’Efficacité Energétique (AMEE)

La transition énergétique entre continuité et singularité
Il fut un temps, pas si éloigné, où quiconque prétendait défendre les énergies renouvelables était taxé d'utopiste et d'irrationnel. Désormais, il devient de plus en plus admis que nous vivons un grand tournant dans la politique énergétique mondiale.
Jamais les arguments n’ont été aussi nombreux et aussi convaincants pour justifier une transformation de grande ampleur des stratégies énergétiques nationales. En effet, le décollage des énergies renouvelables semble bien avoir commencé, les technologies éoliennes et photovoltaïques sont devenues compétitives.
Cependant, l’histoire nous enseigne que jamais une vraie transition n’a eu lieu. Ce que l’homme a toujours fait, c’est d’empiler les sources d’énergie les unes sur les autres en se basant particulièrement sur la dernière qui est la plus performante.
Un paradoxe se pose alors à nous : soit que l’humanité retourne aux énergies renouvelables moins performantes que les combustibles fossiles, et donc s’acheminera vers une singularité dans l’histoire de l’énergie ; soit qu’il se produise une rupture technologique majeure offrant la possibilité d’exploiter une source d’énergie plus concentrée que le pétrole, et donc inscrira ladite transition dans la continuité historique des révolutions énergétiques.
Driss ZEJLI
Directeur du Laboratoire d’Ingénierie
des Systèmes Avancés de l’ENSA-K

مستقبل الطاقة البترولية في زمن التحول الطاقي
عناصر المداخلة، في موضوع: مستقبل الطاقة البترولية في زمن التحول الطاقي:
✓المزيج الطاقي العالمي وسناريوهات التحول الطاقي
✓السلة الطاقية للمغرب ومتطلبات تأمين الحاجيات الوطنية في زمن التحول الطاقي.
✓موقع النفط ومشتقاته في المعادلة الطاقية للمغرب ورهانات الاستقلال والأمن الطاقي.
Elhoussine ELYAMANI
Secrétaire général du syndicat national des industries
du pétrole et du gaz

La transition énergétique :
entre continuité et singularité
Pr. Driss ZEJLI
Ecole Nationale des Sciences Appliquées
Kénitra
I-introduction
Si la présence de l'eau était nécessaire à l'apparition de la vie sur terre, le vivant a en plus requis de l'énergie en qualité et en quantité pour se développer. Mieux encore, plus une société devient complexe et avancée, plus elle réclame de l'énergie pour se maintenir. L'histoire des civilisations humaines en donne le meilleur exemple puisqu'elle peut être décrite comme une suite de découvertes et d'inventions de moyens de plus en plus performants de contrôle et de maîtrise des sources d'énergie et de l'eau. En ne se référant qu'aux deux siècles derniers, les grandes économies du monde doivent leurs progrès et leurs prospérités, à l'exploitation éhontée des ressources en eau et du carbone fossile. Disponibles à faible coût, les pays développés se sont approprié les sources d'énergie fossiles qu’ils n’ont cessé de puiser du sous-sol par différents moyens, pour faire tourner leur propre machine industrielle. C'est un peu comme nos ancêtres nomades, chasseurs-cueilleurs, à la recherche continue de nourriture et de points d'eau, se déplaçaient d'un territoire à un autre une fois les ressources commençaient à leur faire défaut. Ce mode de vie risquait à long terme d'engendrer une famine généralisée si le salut n'est pas venu de la domestication de l'énergie solaire par le développement de l'agriculture il y a près de 12.000 ans.
A (l'instar de nos ancêtres qui sont devenus des exploitants agricoles pour vaincre une famine certaine, l'homme du 21ème siècle peut devenir à son tour un exploitant de l'énergie en domestiquant à sa façon l'énergie solaire et les autres formes d'énergie qui en dérivent, et ce par l'installation entre autres, de centrales solaires et de parcs éoliens. L'objectif étant double : d'une part, tenter de stopper les dégâts dévastateurs de l'effet de serre qui risque de menacer l'équilibre subtil et fragile de notre climat qu'un rien peut rompre et d'autre part, faire face au spectre de pénurie des combustibles fossiles qui plane à l'horizon. Cependant, s’agit-il de l’unique voie dont dispose l’Homme pour sortir de l’impasse que lui imposent l’épuisement éventuel des combustibles fossiles et le réchauffement climatique qui ne cesse de s’emballer ou assisterons-nous à des ruptures technologiques à même d’impulser l’exploitation de sources d’énergie plus performantes, générant moins d’impact sur l’environnement ?
II. Contexte énergétique mondial
II. 1. Introduction
Durant la quasi-totalité de l’histoire de l’Homme jusqu’au 19ème siècle, l’effectif de l’humanité est resté très faible. Deux siècles ont suffi à la population mondiale de passer de 1 milliard à plus de 8 milliards. Les mêmes deux cents ans ont suffi à l’Homme de passer de la diligence à la navette spatiale grâce à la révolution industrielle qui était à l’origine une révolution énergétique par l'invention de la machine à vapeur. Cette machine a servi comme un ressort à la révolution industrielle qui à son tour a créé un besoin concentré en combustibles fossiles. L’utilisation de ces combustibles a permis à l'Homme un développement sans précédent. Toute la vie moderne est organisée autour de l’utilisation massive des énergies fossiles et les peuples qui en manquent n’aspirent qu’à en avoir. Tous les conflits armés qu’a connus le monde depuis la première guerre mondiale sont directement ou indirectement liés à l’énergie.
Cependant, autant le pétrole était source de conflits, de guerres, et surtout de malheur pour les pays qui regorgent en ressources, de ce produit qui attise tellement les convoitises, autant il était à l’origine à la fois du développement sans précédent qu’a connu l’humanité et de l’ouverture des pays les uns vers les autres.
II. 2. Accès à l'énergie à tous : un des défis majeurs du 21ème siècle
Le monde connaît une avidité jamais assouvie à l’énergie et les pays en voie de développement sont souvent montrés du doigt comme étant responsables de l'augmentation de la consommation de l'énergie. Or, il subsiste une véritable fracture Nord-Sud dans l'accès à l'énergie. La consommation d’énergie primaire par habitant dans les pays en voie de développement est pourtant cinq fois moins élevée que dans les pays industrialisés [1]. Pour les pays en voie de développement, le problème n’est donc pas forcément de maîtriser la consommation, comme c'est le cas dans les pays riches, mais d’assurer à tous un accès minimum à l’énergie.
Comme il ressort de la figure 1, la moitié de l’énergie consommée dans le monde en 1950 l’était en Amérique du Nord et le quart en Europe de l’Ouest, les pays en développement ne représentant à cette date que 8% de la consommation mondiale.
En l’an 2017, le poids des pays industrialisés a baissé, mais ces pays continuent à absorber plus de la moitié de cette consommation.
Figure 1 : Evolution de la consommation d'énergie primaire
par grandes régions [2-3]

La part de l'Asie a par contre considérablement augmenté avec les années. En effet, admise en 2001 au sein de l’Organisation Mondiale du Commerce, la Chine est désormais l’une des plus grandes économies du monde, exactement la deuxième après les Etats Unis d’Amérique. Elle est devenue un grand consommateur de combustibles fossiles. Elle consomme plus de 40% de la production mondiale de charbon dont elle est, et de très loin, le premier producteur mondial [4] et elle a pris la place du Japon comme deuxième consommateur mondial de pétrole derrière les Etats-Unis d'Amérique. La consommation d’énergie primaire dans le monde est actuellement dominée par les combustibles fossiles (pétrole, charbon, gaz) qui demeurent responsables à eux seuls de près de 80% de la consommation totale. Celle-ci a été de près de 15,15 Gtep en 2019, dont près du tiers est utilisé pour produire de l'électricité [5]. La figure 2 éclate la consommation d’énergie primaire au niveau mondial sur ses différentes sources pour les années 1973 et 2019. De cette figure, il découle que la structure de la consommation n’a pas trop changé sur plus de 40 ans, à moins d’une légère régression du pétrole de 46% à 31% en faveur à la fois du gaz naturel et du nucléaire, et qui trouve son explication dans la production d’électricité où une grande partie des installations basées sur le fuel ont été substituées par celles utilisant le charbon, le gaz naturel ou le nucléaire.
Figure 2 : Répartition de la consommation d'énergie primaire au niveau mondial sur ses différentes sources pour les années 1973 et 2019 [6]

              6,35 GTEP                                                     15,15 GTEP

S'agissant de la consommation d’électricité au niveau mondial, la fracture énergétique Nord/Sud est encore beaucoup plus importante que dans le cas de l’énergie primaire : la consommation électrique moyenne dans les pays industrialisés est cent fois plus élevée que dans les pays pauvres. Par Ailleurs, plus de 1,3 milliard de personnes (près de 20% de la population mondiale) ne bénéficient pas, aujourd'hui, d'un accès à l'électricité. Les figures 3 et 4 dressent les capacités électriques installées respectivement dans le monde et en Afrique en 2014.
Avec près de 16% de la population mondiale, la puissance installée en Afrique en 2014 (145,7GW sur 5700 GW dans le monde) ne représentait que 2,5% de puissance installée mondialement.
La figure 5 éclate quant à elle la production d’électricité sur ses différentes sources de production pour les années 1973 et 2019. Il en ressort un net changement de la structure de cette consommation avec une forte régression de la part du pétrole qui est passée de 24,8% en 1973 à 2,8% en 2019 en faveur à la fois du gaz naturel et du nucléaire. Ceci est dû à la facilité de substitution du pétrole par d’autres sources d'énergie dans le cas de la production d’électricité, ce qui n’est pas le cas pour le transport par exemple.
Figure 3 : Capacités électriques installées dans le monde

Figure 4 : Capacités électriques installées en Afrique

Figure 5 : Répartition de la production d'électricité au niveau mondial
sur ses différentes sources pour les années 1973 et 2019 [6]

III. Contexte énergétique national
III.1. Introduction : situation énergétique nationale
Au Maroc, avec un doublement de la population entre 1971 et 2011, la consommation a plus que sextuplé entre les deux dates en passant de 2,47 Mtep à 15,5 Mtep. Cette consommation a progressé de 5,6% en moyenne par an entre 2002 et 2011. Elle a progressé ensuite en moyenne de 2,5 jusqu’à 2019 pour s’établir à 23 Mtep.
Cependant, si l’augmentation de la consommation semble paraître importante, la consommation en elle-même demeure très faible et reste même très en deçà de celle des pays développés et même de ceux dont l’économie est comparable à la nôtre. La consommation énergétique par habitant est passée ainsi de 0,23 tep/hab en 1973 à 0,65 tep/hab en 2019.
De plus, la dépendance du Maroc vis-à-vis de l’extérieur pour ses besoins en énergie commerciale met notre pays dans une situation pour le moins inconfortable puisqu’elle a atteint les 90,36% en l’an 2021 [7] avec une facture chiffrée à 153 milliards de Dh en 2022 [8].
Les figures 6 présente la structure de la consommation de l'énergie primaire commerciale au Maroc.
Le gaz naturel a fait sa véritable apparition dans notre bilan énergétique national à partir de l'année 2005, avec la centrale de Tahaddart qui en consomme près de 500 millions m3 /an.
La consommation finale totale est dominée par trois secteurs : le transport (37%), le résidentiel (26%) et l’industrie (21%).
Figure 6 : Répartition de la consommation d'énergie primaire au Maroc
en 2010 et 2017 [9]
2010 2017

La puissance électrique installée est passée de près de 950 MW en 1977 à près de 10830 MW en 2022 [9] ; le secteur électrique au Maroc est caractérisé par une croissance pratiquement constante de la demande qui s'est située aux alentours de 6 à 7% durant la dernière décennie.
Depuis 1990, le Maroc a plus que quadruplé son approvisionnement en électricité, passant de moins de 10TWh à 42TWh en 2022. Celle-ci continue de s’appuyer sur les combustibles fossiles et ce à hauteur de 81% en 2019. Le charbon est privilégié comme combustible de base avec une contribution de 67% en 2019, suivi du gaz naturel (12%).
La dépendance du Maroc par rapport aux importations de l’électricité de l’Espagne a nettement baissé au cours des dernières années. En 2019, le bilan des échanges en électricité entre les deux pays était excédentaire au profit du Maroc [10].
L'électrification rurale s'est accélérée rapidement, passant de 18% en 1995 à pratiquement 100% en 2019 (figure 7).
La consommation par habitant est la plus faible parmi les pays d’Afrique du Nord et se situe autour de 1400 kWh/hab.an.
Figure 7 : Evolution du taux d'électrification rurale sur la période 1996-2021 [11]

III. 2. Le développement des énergies renouvelables au Maroc. Entre tendances mondiales et réalisations locales
III. 2. 1. Introduction : Virage de la politique énergétique nationale
En phase avec les mutations profondes qu’a connues le monde dans le domaine énergétique, et dans l’objectif de faire face à la problématique récurrente de la forte dépendance énergétique du Maroc vis-à-vis de l'extérieur, le Maroc a adopté en 2009 une nouvelle politique énergétique érigeant les énergies renouvelables au rang de priorité. Ainsi, il a été énoncé d’atteindre à l'horizon 2020, 42% de la puissance électrique totale installée au Maroc à partir des énergies renouvelables, où le solaire, l’éolien et l’hydraulique occuperaient chacun 14% (2000 MW) du parc électrique installé. Le 30 novembre 2015, le Maroc a rehaussé ses ambitions à l’horizon 2030. L’objectif étant de consacrer aux énergies renouvelables 52% de la puissance électrique installée. Pour atteindre cet objectif, le Maroc prévoyait de développer, entre 2016 et 2030, une capacité additionnelle de production d’électricité à partir de sources renouvelables d’environ 10.100 MW dont 4.560 MW solaire, 4.200 MW éolien, et 1.330 MW hydro-électrique [9].
Les sources d’énergies renouvelables ont contribué en 2019 à 19 % de l’offre en électricité du pays. La majeure partie de cette contribution provenait de l’éolien (62 % du total des renouvelables). La part de l’hydraulique s’est située à 17% et n’a cessé de baisser face à la montée en puissance des filières solaires et éoliennes. En valeur absolue, à la fin de 2021, le Maroc disposait de 3950 MW de puissance installée renouvelable : 1770 MW d’hydraulique, 1430 MW d’éolien et 750 MW de thermosolaire à concentration [9].
III. 2. 2. Le Plan Solaire Marocain
La première centrale solaire du programme marocain, et baptisée Noor Ouarzazate 1, a été inaugurée le 4 février 2016. Elle est dotée d’une puissance de 160 MW avec une capacité de stockage de 3 heures et utilise la technologie thermosolaire à concentration avec un champ de miroirs cylindro-paraboliques. Le prix de vente du kWh produit a été fixé à 1,62 Dh. Le programme relatif à Ouarzazate comprend aussi trois autres centrales. Il s’agit de Noor II, d’une puissance de 200 MW, avec une technologie similaire à celle déployée pour Noor I et avec une capacité de stockage de 7 heures. Le tarif de vente négocié est de 1,38 dirham/kWh. Quant à Noor III, elle utilise la technologie thermosolaire à tour, avec une puissance installée de 150 MW. Le prix du kWh produit est alors dans ce cas de 1,42 dirham [12], pour une capacité de stockage comprise entre 7 et 8 heures. Quant à la dernière tranche Noor IV, elle est d’une puissance de 70 MW et utilisant cette fois-ci et pour la première fois dans le cadre de ce plan, la technologie photovoltaïque.
Si on jette un coup d’œil sur l’évolution du thermosolaire à concentration et du photovoltaïque dans le monde entre 2006 et 2016, comme le montre la figure 8, on découvre une différence flagrante entre les deux. D’un côté, une croissance fulgurante du photovoltaïque et de l’autre, une évolution timide pour ne pas dire stagnante du thermosolaire à concentration, sauf en Espagne où le photovoltaïque reste quand même dominant. Le Maroc constitue un des rares pays qui a fait exception et qui a enregistré une évolution inverse en ayant opté pour le thermosolaire à concentration dès le lancement du plan solaire (Figure 8).
Figure 8 : Evolution du thermosolaire et le photovoltaïque
dans le monde et au Maroc

(CSP : Thermosolaire à Concentration, PV : Photovoltaïque)
IV. Quelle rupture technologique pour une réelle transition énergétique ?
L’histoire nous enseigne sur moult choses. Entre autres, elle nous dit qu’une réelle transition énergétique n’a jamais encore eu lieu. L’Homme n’a fait qu’élargir son assiette énergétique en empilant les sources d’énergie les unes sur les autres en faisant appel majoritairement à la dernière qui selon la règle historique est la plus concentrée en énergie. Si on se limite aux trois derniers siècles, quand on est passé du bois au charbon, c’est le charbon qui présentait le contenu énergétique le plus élevé, de même quand on est passé du charbon au pétrole, c’est le pétrole qui offrait la plus grande densité énergétique.
L'histoire de l’énergie nous enseigne aussi que les cycles de l’énergie sont des cycles longs et que les grandes transitions énergétiques ont nécessité plusieurs décennies. C’est le cas du grand basculement des économies européennes et américaines de la biomasse aux machines à vapeur alimentées au charbon et qui a eu lieu en un demi-siècle [13].
Aussi, plus d’un siècle s’est écoulé entre les débuts de la production de pétrole dans les années 1860, et son apogée dans les années 1970 [14]. Il a fallu en effet un demi-siècle à ce combustible pour que celui-ci absorbe 10% de la demande en énergie primaire et 40 autres années pour qu’il atteigne 25% de ce marché. Le nucléaire a nécessité quant à lui près de 30 ans pour s’approprier de 10% de la demande mondiale en électricité [15].
Donc au cours de l’histoire, et fonctionnant à l’image de la sélection naturelle, nous n’avons fait que passer d’une source d’énergie à une autre plus concentrée ou plus performante tout en gardant les précédentes.
Le défi qui se pose à l’humanité aujourd’hui, est que depuis deux siècles, l’Homme a tout fait pour passer des énergies renouvelables aux fossiles. Maintenant, il se trouve qu’il veut faire le chemin inverse, en d’autres termes retourner à des sources d’énergies moins performantes et donc marquer une singularité dans l’histoire énergétique en inversant la flèche du temps.
Ce qui conforte cette hypothèse est la décarbonation de l’offre des combustibles qui a accompagné les transitions énergétiques de ces 3 derniers siècles. En fait durant ces transitions et comme l’illustre la figure 9, le rapport atomique Hydrogène/Carbone de ceux-ci a augmenté de 0,1 pour le bois à 1 pour le charbon, 2 pour le pétrole et 4 pour le méthane. Tout se passe comme s'il y a une tendance logique et spontanée au niveau mondial de la substitution à long terme du carbone par l'hydrogène dans les supports énergétiques [16]. L'hydrogène semble se présenter à l'image de l'électricité comme un vecteur énergétique en harmonie avec les exigences fondamentales du concept du développement durable à condition bien sûr qu'il soit produit par des procédés non émetteurs de CO2 et en premier lieu les énergies renouvelables
Il constitue depuis plusieurs années l’un des fondements majeurs autour duquel plusieurs pays industrialisés axent une partie de leur politique énergétique future.
Figure 9 : Evolution du rapport de l'hydrogène au carbone dans les combustibles utilisés au niveau mondial [16]

Contrairement aux combustibles fossiles qui sont épuisables et munis tous d’un support carboné, principal responsable du réchauffement climatique, le couple alliant énergies renouvelables et hydrogène semble constituer par certains la panacée, en offrant une énergie inépuisable sans support et répondant aux conditions à la fois nécessaires et suffisantes d’un développement énergétique durable.
Malgré toutes les forces et opportunités que peut offrir ce couple, et pour rester dans la logique de l’histoire de l’énergie et donc dans la continuité, la fusion nucléaire s’affiche désormais dans l’état actuel des connaissances comme le salut ultime contre à la fois les changements climatiques et la forte dépendance de l’humanité vis-à-vis des combustibles fossiles tout en offrant une densité énergétique beaucoup plus forte que les combustibles fossiles et aussi plus importante que la fission nucléaire. Il reste cependant à lui espérer des percées majeures dans les décennies à venir.
IV. Conclusion
Avec l'histoire qui va toujours vers plus de progrès, on doit avoir l’humilité d’admettre qu’on est loin de savoir ce sur quoi pourrait déboucher les fulgurants développements de la science et de la technologie dans les années à venir. Des nouvelles technologies seront certainement développées pour venir à la rescousse.

Bibliographie
[1] F. Cattier, L. Guarrera, P. Pourouchottamin. L'accès à l'énergie : un défi majeur du XXIème siècle. Géopolitique, n°93, janvier 2006, 11–18.
[2] Enerdata.
[3] AIE. Key World Energy Statistics.
[4] J. Wang, Y. Dong, J. Wu, R. Mu, H. Jiang. Coal production forecast and low carbon policies in China. Energy Policy 39 (2011) 5970–5979.
[5] P. Bacher. L'énergie au 21ème siècle. Enjeux, défis et perspectives. Géopolitique, n°93, janvier 2006, 52–62.
[6] IEA. Key World Energy Statistics 2021. Septembre 2021.
[7] Ministère de la Transition Energétique et du Développement Durable. Secteur de l’énergie. Chiffres clés. Edition 2022
[8] Ministère de l’Economie et des Finances. Note de Conjoncture N°312, Février 2023
[9] Ministère de la Transition Energétique et du Développement Durable.
https://www.mem.gov.ma/Pages/index.aspx
[10] T. Amegroud. Comment produit-on l’électricité au Maroc. Heinrich Böll Stiftung, mars 2022.
[11] Ministère de la Transition Energétique et du Développement Durable. Secteur de l’énergie – chiffres clés. Edition 2022.
[12] Avis du Conseil Économique, Social et Environnemental (CESE), « Accélérer la transition énergétique pour installer le Maroc dans la croissance verte », 2020.
http://www.cese.ma/media/2020/11/Av-transitionEnergetique-f-1.pdf
[13] J. Rifkin. La troisième révolution industrielle. Les Liens Qui Libèrent, 2011.
[14] Ch. de Boissieu. La croissance : rupture ou continuité ? Problèmes économiques n°3006, mercredi 10 novembre 2010, 19-23.
[15] P. Dickerson.
http://www.thebusinessmakers.com/episodes/shows/2010/november-2010/episode-283/paul-dickerson.html
[16] C. MARCHETTI (2005). On Decarbonization: Historically and Perspectively Interim Report. International Institute for Applied Systems Analysis Schlossplatz 1, A-2361 Laxenburg, Austria.

Quand les lois des renouvelables
bloquent les renouvelables
Dr. Said GUEMRA
Expert conseil en management de l’énergie. GemTech
L’engagement du Maroc dans la transition énergétique
L’engagement du Maroc dans le processus de transition énergétique, a été initié par la feuille de route royale du 6 Mars 2009 à l’occasion des premières assises de l’énergie. Face aux déséquilibres profonds entre la sphère financière et l’économie réelle, la volatilité des prix et ses variations erratiques, il est devenu nécessaire de changer profondément les modes actuels de production et de consommation de l’énergie.
Le défi n’est pas tant de manquer de ressources énergétiques, que de mobiliser les investissements indispensables en la matière, il était donc nécessaire de construire les infrastructures énergétiques, et de développer des technologies alternatives. Partant d’une vision royale à long terme, la sécurité d’approvisionnement, et la préservation de l’environnement sont ainsi en tête des préoccupations, d’où la nécessaire adaptation aux différents changements, pour être en mesure d’assurer le développement économique et social, répondant durablement aux besoins croissants en énergie.
C’est ainsi que l’efficacité énergétique a été hissée par Sa Majesté, au rang de priorité nationale, constituant ainsi le premier pilier de la transition énergétique du Maroc. Les renouvelables sont le deuxième pilier de cette transition. Le troisième pilier de la transition énergétique marocaine, est relatif à la nature du futur mix électrique décarbonné, la feuille de route royale, laisse ainsi la porte ouverte à toutes les options, y compris l’électronucléaire, et au solaire de puissance, lorsque les conditions économiques et technologiques, et les critères de sécurité de leur approvisionnement et de leur compétitivité seront remplis.
(Ces conditions de la feuille de route royale, n’ont pas été remplies pour le projet solaire Noor)
Une reconnaissance mondiale du plan de transition marocain
Huit ans plus tard, la communauté scientifique internationale à Washington a remis le prestigieux prix du visionnaire en Efficacité Energétique (Energy Efficency Visionary Award) en 2017, à Sa Majesté le Roi Mohamed VI, lors du forum mondial de l’efficacité énergétique, en consécration au leadership du Souverain en matière d’efficacité énergétique. La méthodologie marocaine élaborée en 2009, a été reprise par plusieurs pays. La possibilité du nucléaire bas carbone, a été initiée à cette époque. Cette option, fait aujourd’hui l’objet de débats pour intégrer le nucléaire comme source d’énergie bas carbone, voire renouvelables.
Le Maroc, avait ainsi en 2009, tous les outils en main, pour réussir une transition énergétique des plus exemplaires dans le monde, caractérisée par la qualité de sa feuille route, et l’appui de sa politique énergétique par les grands bailleurs de fonds.
Pourquoi nous avons trébuché ?
Pour comprendre la modestie des résultats de la transition énergétique à ce jour, il faut comparer la situation actuelle avec les objectifs émis en 2010, et qui se résument comme suit :

  • Efficacité énergétique : Economie de 12% entre 2010 et 2020
  • Efficacité énergétique : Economie de 20% entre 2020 et 2030.
  • Renouvelables : 42% de la puissance installée en 2020
  • Renouvelables : 52% de la puissance installée en 2030
  • Réduction des gaz à effet de serre : 45.5% en 2030.
    Sur la période 2010-2020, le Maroc devait réduire sa consommation d’énergie, grâce à l’efficacité énergétique d’un pourcentage de 12%. Ce qui veut dire que les entreprises, les ménages, les bâtiments tertiaires… devaient disposer à fin 2020, des équipements et systèmes qui allaient leur permettre de réaliser une économie de 12%. Cette économie transposée à 2022, ou la facture énergie du Maroc était de 153 Milliards de Dirhams, aurait été de 18.4 milliards.
    A ce jour, l’agence chargée de l’efficacité énergétique, n’arrive pas justifier 1% de cette économie, à travers la banque de projets d’efficacité énergétique censés être réalisés, le processus de Mesures et de Vérification qui valide ces économies. Ce 1% représente 1.53 Milliards de Dirhams en 2022. Mieux encore, l’objectif d’économie d’énergie, vient d’être relevé par la ministre de transition énergétique à 20% entre 2020 et 2030.
    Comment peut-on réaliser une économie de 20%, alors qu’on n’arrive pas à démontrer une économie de 1% ? C’est la grande question qui se pose. Sans pouvoir le démontrer, ou indiquer les projets d’efficacité énergétique, la ministre de la transition, affirme que cette économie a été de 6.5%, soit une économie ramenée à l’année 2022 de 10 Milliards de Dirhams, ou sont les bâtiments et industries, qui ont réalisé cette économie astronomique ? Avons-nous des preuves de baisses sur les factures d’énergies, ou autre mode de management de l’énergie ?
    Pour les renouvelables, l’objectif a été de 42% de la puissance installée en 2020. Cette même année, les réalisations ont été de l’ordre de 31.7%, plus de 10 points de retard par rapport à l’objectif assigné. Ces réalisations ont été faites en exclusivité sur la Haute et très Haute tension. Sur certaines publications, on peut voir des écarts de 3 à 4% en plus du fait de l’intégration de 460 MW de la Step d’Affourer : Stations de Transfert d’Energie par Pompage, avec les puissances renouvelables. La Step utilise l’électricité du réseau pour son fonctionnement, ce n’est pas une énergie renouvelable, aucun pays n’intègre les Step comme énergie renouvelable. A 2022, le solaire était à 828 MW, l’éolien a 1 801 MW, et l’hydroélectricité à 1 306 MW, soit un total de 3 935 MW, ce qui représente 34% de la puissance installée. A 2022 et pour une production électrique totale de 41 411 GWh, des renouvelables à 7 092 GWh/an, le mix électrique pour 2022 a été de 17% : 17 kWh sur 100 sont renouvelables.
    Le ministère de la transition énergétique, déclare également à ONU que le Maroc va réduire ses émissions des gaz à effet de serre de 45.5% à 2030. Or les projets les plus significatifs en matière de décarbonation, sont les projets renouvelables. En 2022, la production des renouvelables a atteint 7 TWh pour une production nationale de 42 TWh, soit un pourcentage de 17 % dans le mix électrique national. Cette même année, l’énergie totale consommée au Maroc, a été de 23.8 MTep, les énergies renouvelables ont représentée 1.84 MTep, soit un taux de décarbonation de 7.8%. Comment pouvons-nous, décarbonner nos énergies à hauteur de 45.5% en 2030, alors le taux de décarbonation de l’électricité est à 7.8 % ? Déclaré officiellement à l’ONU, cet objectif irréaliste peut devenir une obligation pour le Maroc, avec toutes les conséquences que cela peut comporter, par exemple des sanctions contre le Maroc, pour non atteinte des objectifs climatiques.
    Le jeu de mots : Le mix électrique politique
    Dans le monde entier, la part des renouvelables dans le mix électrique est exprimée comme étant le rapport des énergies renouvelables au total des énergies consommées par le pays, dans le cas du Maroc en 2022, ce pourcentage du mix a été de 17 %, mais si ce pourcentage est exprimé en puissance installée, il serait le double, de l’ordre de 34%, et si on ajoute la Step, qui n’est pas une énergie renouvelable, on aboutit à 38%, voire 40% comme annoncé. Ce sont deux grandes entorses de science, pour gonfler la part des énergies renouvelables, cette confusion volontaire, ne nous rend pas service. Pourquoi ne pas adopter la définition du mix électrique retenue par le monde entier ?
    Le projet solaire Noor Ouarzazate : 10 Points de perdus sur le mix électrique national, et 36% de perte sur les énergies renouvelables.
    Premier projet du gouvernement de l’époque, en réponse à la feuille de route royale relative à la transition énergétique, avec le non-respect par ce gouvernement des conditions économiques et technologiques contenus dans la feuille de route royale, ce projet, premier de son genre, est actuellement avec un déficit de 800 MDh/an, selon le CESE, pour le projet Noor Ouarzazate, avec des couts d’achat du kWh par Masen très exorbitants. Sur le plan technique, des pannes a répétitions, avec chute du productible solaire de 41%, au début de l’année 2022, selon le rapport de Bank Al Maghrib.
    Ce projet comporte trois technologies, c’est un projet pilote de Recherche et Développement, avec trois prix différents : 1.62 Dh/kWh pour Noor 1 CSP, 1.36 Dh/kWh pour Noor 2, 1.42 Dh/kWh pour Noor 3, et 0.46 Dh/kWh pour Noor 4. Le présent tableau résume les données techniques et économiques des grands projets initiés entre 2012 et 2015. On voit par exemple que l’investissement par MW pour le projet Noor 1 a été de 43.8 MDh/MW, alors qu’il est de l’ordre de 16 MDh/MW pour les deux projets éoliens. Trois fois plus d’investissement, pour trois fois moins de production !
    Pour ce projet, Masen joue le rôle de caisse de compensation, entre les prix d’achat cités plus haut, et 0.85 Dh/kWh qui est le prix de vente de Masen à ONEE, qui doit également supporter la différence de prix par rapport à son prix de revient de l’époque, et qui se situait entre 0.5 et 0.6 Dh/kWh. Plus le soleil brille, et plus le contribuable augmente sa subvention à ce projet.

Le cout du projet solaire pour les quatre stations a été de 24 Milliards de Dh, avec un cout moyen de 43 MDh/MW. Entre 2012 et 2015, l’éolien avait le cout de production et d’installation le plus compétitif, soit 16.3 MDh/MW, avec une production trois fois plus importante que le solaire. Les décideurs avaient tout en main pour faire le choix de l’éolien.
Si le montant de 24 Milliards de Dirhams qui représente le cout du solaire, étaient investi dans l’éolien, le Maroc aurait pu installer 1 465 MW d’éolien au prix de l’époque, et produire dans les 5 400 GWh/an, avec le même investissement.
En 2022, le solaire a produit 1 452 GWh, plus que trois fois moins que l’option de l’éolien, pour une production nationale renouvelable de 7 092 GWh, une électricité totale brute de 41 411 GWh/an, et une part des renouvelables de 17 %. Si l’éolien avait été retenu à la place du solaire, la production renouvelable du Maroc aura été de 11 000 GWh en 2022, soit une perte de 4 000 GWh/an, ou encore 36% de la production renouvelable théorique en 2022, avec l’option la plus économique de l’époque en base éolien, ou une part des renouvelables dans le mix électrique de 27% au lieu des 17% actuels.
Si la part renouvelable dans le mix national est par exemple de 17%, cela veut dire que 17 kWh sur 100 kWh proviennent du renouvelable. Si le choix de ce projet a été judicieux, en 2022, nous aurions pu avoir 27 kWh renouvelables sur 100 kWh.
Ainsi le projet solaire a donc fait perdre au Maroc 10 précieux points de renouvelables sur son mix électrique. Nous aurions été à trois points de l’objectif national de 30% EnR dans le mix, soit 52% de la puissance installée. Une très grande erreur qui aurait pu être évitée, si ce projet avait été soumis à la consultation publique, ou des spécialistes qui auraient donné leurs avis, à l’instar de plusieurs pays.
A ce jour, et dans le monde entier, on ne voit pas de projets solaires à concentration, en raison de son cout et de sa faible performance. Les projets les plus importants sont réalisés soit avec du photovoltaïque, l’éolien, ou les deux à la fois.
Ce qui reste incompréhensible c’est l’option de 600 MW en solaire à concentration sur les 1 600 MW retenus par Masen pour le projet de Midelt. Le CESE a recommandé dans son rapport de ne plus retenir l’option du CSP pour les projets futurs du Maroc, le stockage de quelques heures ne peut justifier une telle aberration de coût du kWh. Pourquoi les futurs développeurs d’hydrogène vert au Maroc, ne proposent pas le solaire à concentration CSP pour produire de l’hydrogène ? Et pourquoi nous cherchons impérativement à retomber dans la même erreur avec Midelt ? Il est bien triste qu’on n’arrive pas à retenir la leçon, dont les résultats sont devant nous.
Que veut dire le plan de transition énergétique à l’échelle de l’entreprise ?
Telle que définie par la Souverain, l’efficacité énergétique est la priorité du plan de transition énergétique du Maroc. Une entreprise industrielle, doit dans premier temps engager des actions d’efficacité énergétique pour réduire sa consommation. Cette réduction des consommations commence par la sobriété énergétique, qui concerne en général la chasse aux pertes énergétiques, avec très peu d’investissement.
La deuxième phase concerne la mise en place des projets d’efficacité énergétique, grâce à ces deux actions, l’entreprise peut réduire ses consommations de plus de 50% dans certains cas. (Le potentiel maximum de la sobriété énergétique au Maroc est de 52%). Ainsi, l’investissement dans les renouvelables, ne va concerner que les 50% restants, au lieu de 100%, l’investissement est tout simplement coupé en deux, ce qui explique la priorité nationale accordée à l’efficacité énergétique dans la feuille de route de la transition énergétique.
Si la possibilité d’achat de l’énergie électrique en hors site était ouverte par la loi, le complément renouvelable peut être acquis auprès d’un développeur privé, et l’entreprises serait à 100% en électricité renouvelable. Cette possibilité existe bel et bien, mais elle n’est applicable en raison de la réglementation. Le plan de transition marocain, tel que défini en 2009, alors qu’un grand nombre de pays n’avaient pas encore de plan de transition énergétique, permet aux entreprises d’atteindre le net zéro électrique, et de pouvoir faire face à la taxe carbone aux frontières de l’Europe.
Les lois de renouvelables bloquent les renouvelables
Dans le domaine des renouvelables, il y’a deux type de productions, la première sur site, l’électricité est produite et consommée chez l’utilisateur, la deuxième est relative à une production hors site, l’électricité est injectée dans le réseau par le développeur, et récupérée par le consommateur, moyennant le payement d’un timbre de transport, à régler au distributeur, et un contrat d’achat à long terme : PPA (Power Purchase Agreement)
La loi 13/09 telle qu’elle a fonctionné depuis sa sortie en 2010, est une loi de production en hors site : Tous les projets de la loi 13/09 sont en hors site. En théorie cette loi offre la possibilité à un exploitant des énergies renouvelables, de vendre son électricité à des entreprises en Moyenne, haute, et très haute tension, qui peuvent être à des centaines de kilomètre du lieu de production de l’électricité renouvelable. Il existe environ 140 entreprises en Haute et très haute tension exclusivement gérés par ONEE, et 12 000 entreprises industrielle en moyenne tension, gérés par l’ONEE, et les autres distributeurs.
L’article 26 de la loi 13/09 précise bien la possibilité d’alimenter des entreprises en moyenne tension. Le décret qui devait réglementer cette possibilité n’est jamais sorti depuis 13 ans, et donc seuls les quelques entreprises en haute tension desservis par ONEE ont pu bénéficier des renouvelables dans le cadre des contrats à long terme, soit 1 %, du total de la clientèle industrielle. Un très grand nombre de projets auraient pu être réalisés, si le décret qui permet la vente de l’électricité renouvelable à 99% de la population industrielle en moyenne tension a été activé, le Maroc aura été à plus de 10 GW de puissance renouvelable installée au lieu des 4 GW actuels. Donc à ce jour, aucun moyen de mettre l’électricité renouvelable en hors site au profit des industriels en moyenne tension.
Blocage de la moyenne tension : les industries
Sur un même registre, le décret 2-15-772 du 28 Octobre 2015 définit une limite d’injection des renouvelables en moyenne tension, qui prend le nom d’enveloppe, au lieu de limite. Un seul petit projet de 5 MW peut saturer cette enveloppe, et il faut attendre 6 à 12 ans, pour que le deuxième projet soit réalisé dans la région en question. A l’échelle nationale cette injection varie de 1% en 2023 à 2% de toute l’électricité nationale, pour ne pas dire rien. Au plus, les renouvelables en moyenne tension, ne vont représenter que 2% de toute l’électricité nationale en 2031, c’est bien triste. C’est une véritable fermeture des toutes les possibilités d’investissement dans les renouvelables en moyenne tension.
Actuellement un nouveau projet décret, est en circulation qui va abroger le décret 2-15-772, et permettre aux distributeurs d’acheter 40% de la production renouvelable des projets en moyenne tension. Les distributeurs vont ainsi, sans rien investir payer une électricité renouvelable aux industriels à moins de 0.4 Dh/kWh, alors qu’ils l’achètent de chez l’ONEE à 0.88 Dh/kWh. Les renouvelables vont être limités à 7% des ventes des distributeurs, selon ce même projet de décret, dans un pays qui aspire disposer de 30% d’énergie renouvelable dans son mix électrique en 2030, et nettement bien plus dans les années avenirs.
Ainsi la fermeture de la moyenne tension, prive le Maroc d’un très grand nombre de projets : production d’électricité surtout en campagne à l’aide de la biomasse, photovoltaïque agricole, injections renouvelables avec stockage pour l’éclairage des villes… les investissements industriels renouvelables en hors site pour les besoins de décarbonation : c’est l’un des volets les plus importants. Si un industriel, un hôtelier, ou tout autre grand consommateur d’électricité dispose d’un terrain bien loin de son site de production, il aurait pu par exemple investir dans un projet renouvelable, injecter en moyenne tension, et récupérer au niveau de son usine. Une autre entrave de la réglementation, est la puissance minimale imposée aux projets, et qui est de 5 MW, alors que la majorité écrasante des besoins, situe entre 1 et 3 MW. Tout est calculé, de sorte à éliminer un maximum de projets !
Blocage de la basse tension : les ménages
La basse tension est également fermée pour les renouvelables. Dans un grand nombre de pays, un utilisateur peut récupérer l’électricité d’une petite éolienne située à des centaines de kilomètres, pour les besoins de son domicile en basse tension. La loi 82/21 est sensée encourager la production des renouvelables pour les propres besoins de l’utilisateur, par exemple les ménages et les industries. Dans un premier temps, cette loi ne comporte pas l’autoproduction collective, comme c’est le cas de plusieurs pays ou par exemple les habitants d’un quartier peuvent produire de l’électricité et la partager la production, certains habitants sont producteurs, d’autres sont consommateurs. Ceci est valable également pour des groupements d’industriels qui investissent dans des moyens renouvelables, et se partagent la production. Ces deux possibilités ne sont pas permises par la loi 82/21, moralité, tous les immeubles, R+2, regroupements de magasins de commerce… ne peuvent bénéficier de l’autoproduction collective des énergies renouvelables, dans la mesure où la notion de partage de la production est inexistante… Tout le Maroc, est pratiquement éliminé !
La seule possibilité qui reste, ce sont les grandes villas, et qui doivent avoir une consommation de jour très importante : filtration piscine, frigos, congélateurs, climatisation.. Par hasard la loi 82/21 s’adresse à une catégorie de citoyens bien particulière. Le Maroc compte 7 millions de ménages dont 4.6 millions urbains, et 2.4 millions ruraux, la majorité des urbains sont en immeubles ou R+2, ne peuvent en aucun cas bénéficier des renouvelables. Les immeubles sociaux qui auraient pu être soulagés à plus de 50% du cout de l’électricité, ne sont pas éligibles !
Dans les pays avancés, et qui disposent de millions d’installations d’autoproduction en raison d’un cadre réglementaire encourageant, le distributeur de l’électricité est en mesure de récupérer 100% de la production renouvelable de son client, avec la formule du net metering qui permet de déduire les productions renouvelables du total consommé, la loi 82/21 limite cette injection à 20% du productible renouvelable annuel. Les ménages et les industries qui peuvent avoir des besoins d’injection entre 40% et 80%, ne savent pas quoi faire du surplus d’électricité, qui va au profit du distributeur, qui le revend immédiatement au voisin (principe du moindre éffort). Ceci explique pourquoi on ne voit pas de plaques solaires sur les toits de nos immeubles, et de nos industries. Le cas d’un utilisateur à Casablanca du solaire a été publié récemment, la perte varie entre 40% et 60% de la production solaire totale.
Cas réel : Prenons l’exemple d’un simple ménage qui installe 1 kWc de solaire, il va produire son électricité le jour à raison de 4 kWh par jour. Or durant la journée, le seul consommateur d’électricité pendant les 10 heures de soleil est le réfrigérateur, qui consomme en moyenne 0.8 kWh sur 10 heures de soleil, il a donc un besoin d’injecter 3.2 kWh/jour dans le réseau, soit 80 % de sa production solaire. Or le distributeur ne lui payera que 20% dans quatre ans, en clair, il perd 60% de production au profit du distributeur, qui va la revendre à son voisin. Même chose pour l’industrie qui peut perdre jusqu’à 42% de sa production. A noter que le décret de la loi 82/21 ne sortira que dans 4 ans selon le ministère de la transition énergétique. Pour l’instant, il est interdit d’injecter dans le réseau, alors que d’autres pays permettent une injection illimitée qui peut être de 300 ou 500% des besoins d’une famille utilisant le solaire (autorisation de surinvestissement), d’où la naissance de millions de petits producteurs d’énergies renouvelables, qui sont les ménages et les industries. Nous sommes complètement dans la logique inverse de ce qui se passe dans les pays qui encouragent les renouvelables.
Il existe encore deux autres lois. La 58/15 qui viennent modifier la loi 13/09, et la loi 58/15 qui vient amender cette même loi. Au final il n’existe pas un document de loi clair qui explique aux investisseurs une démarche logique et cohérente par utilisateur : ménage, industrie, regroupement, production sur site, hors site. Avec la loi 40/19, et le décret de 2015, nous avons labyrinthe de quatre lois, ou le citoyen lambda ne peut en aucun cas se retrouver. Le processus d’autorisation implique sept à huit organismes, ce qui complique largement l’obtention de ces autorisations en raison de la multiplicité des intervenants. En Tunisie, l’exploitant des énergies renouvelables doit signer un contrat avec la STEG, pour que le projet puisse commencer, c’est la STEG qui se concerte avec les organismes impliqués, cas de besoin.
De la nécessité d’instaurer de nouvelles lois dans le domaine des renouvelables.
Pour atteindre les 52% de la puissance installée en 2030, qui sera vers 17/18 GW, il faudra installer plus de 1 000 MW/an, ou 1 300 MW/an comme annoncé par la ministre de la transition énergétique, le pari, ne sera pas évident, avec uniquement les grands projets en HT et THT de la loi 13/09, puisque les lois bloquent la basse et la moyenne tension.
Il y’a eu un grand nombre de débats relatifs aux lois des énergies renouvelables, un grand nombre de spécialistes affirment que les lois actuelles bloquent les renouvelables en moyenne et basse tension, la preuve on ne voit pas de plaques photovoltaïques sur les toits de nos maisons (basse tension), et encore moins sur les toits de nos industries (moyenne tension). Ainsi on peut affirmer que la transition énergétique, ne peut pas s’effectuer uniquement avec la haute et très haute tension au détriment de l’ONEE qui gère cette catégorie de clientèle. Les raisons de ce blocage par les lois, ne sont pas très compliquées à comprendre.
L’autoproduction en Italie représente 19% du mix électrique, avec plus d’un million d’installations d’autoproduction (l’Australie c’est 3 millions). On peut comprendre rapidement, que c’est bien le cadre réglementaire qui fait la différence entre le Maroc qui dispose de quelques dizaines d’installations, et l’Italie, qui dispose d’un million d’installations. Nous avons toutes les compétences en la matière, nos banques sont disposées à financer, et pourtant !
La loi marocaine 82/21 ferme cette possibilité pour les ménages et l’industrie grâce au pourcentage magique de 20% injecté dans le réseau, au lieu de 100% adopté dans un grand nombre de pays. Si on veut avancer dans les renouvelables, il est impératif d’élaborer de nouvelles lois, à la hauteur des ambitions de notre souverain, et des marocains. Ces nouvelles lois, doivent être au plus équivalentes à celles des pays qui sont bien avancés, des lois sans pièges, et sans complications administratives et techniques. Il suffit de faire l’exercice suivant : prendre une dizaine de projets type réalisés un peu partout dans le monde, neuf projets sur dix ne passeraient pas au Maroc à cause de la réglementation en basse et moyenne tension. Un industriel qui dispose d’un terrain en campagne, et qui a un besoin 2 MW, ou un projet de production électrique à base de biomasse, ou un projet d’éoliennes de 4 MW, la liste est très longue, tous ces projets ne peuvent avoir lieu, car ils sont en dessous de la limite de 5 MW. Cette limite élimine des milliers de projets renouvelables. Les lois actuelles sont plus dissuasives, qu’encourageantes.
Les marocains aussi bien industriels que ménages, ont le droit de bénéficier des coûts du kWh trois fois moins chers que le réseau. Il serait triste de ne pas avoir le courage politique pour changer ces lois, pour le plus grand bien de notre nation, pour des milliers d’emplois qui peuvent être crées. Nos universités et écoles d’ingénieurs ont développé un grand nombre de formations dans les domaines des énergies renouvelables et efficacité énergétique, la majorité de ces jeunes n’arrivent pas à trouver d’emploi du fait de la fermeture du secteur des renouvelables, en moyenne et basse tension.

Economie circulaire et transition énergétique :
Perspectives et enjeux au Maroc
Circular Economy and Energy transition:
Perspectives and challenges in Morocco
Hicham El YOUSFI
Professeur Habilité
Université Mohamed V de Rabat, Faculté des sciences Juridiques, économiques et Sociales – Souissi, Laboratoire de Recherche en management des organisations, droit des affaires et développement durable ’’LARMODAD’’ Maroc.
Résumé :
Le changement climatique, loin d'être un simple débat théorique, est une réalité palpable illustrée par l'accroissement des sécheresses. Le système énergétique fossile et l'économie linéaire sont largement responsables des défis environnementaux actuels. Le modèle de production "Prendre-Fabriquer-Jeter" épuise les ressources naturelles et produit des déchets massifs, alors que le système énergétique fossile engendre d'importantes émissions de gaz à effet de serre. L'économie circulaire et la transition énergétique sont cruciales pour mitiger ces impacts, en optimisant l'usage des ressources, en gérant les déchets et en privilégiant les énergies renouvelables. Il est également primordial de prendre en compte l'ancrage territorial dans cette dynamique. En intégrant ce concept, nous soulignons l'importance des spécificités locales dans la mise en œuvre des stratégies d'économie circulaire et de transition énergétique, mettant en avant la valeur des ressources locales, des écosystèmes et de l'engagement communautaire pour un développement durable. Cet article se propose donc de passer en revue la littérature sur ces deux concepts et d'analyser leurs particularités, en considérant la dimension territoriale.
Mots clés : Changement climatique, Économie circulaire, Transition énergétique, Développement durable.
Abstract:
Climate change, far from being a mere theoretical debate, is a palpable reality illustrated by the increase in droughts. The fossil energy system and the linear economy are largely responsible for the current environmental challenges. The "Take-Make-Dispose" production model exhausts natural resources and produces massive waste, while the fossil energy system generates significant greenhouse gas emissions. The circular economy and energy transition are crucial in mitigating these impacts, by optimizing resource use, managing waste, and favoring renewable energies. It is also essential to take into account territorial anchoring in this dynamic. By integrating this concept, we highlight the importance of local specificities in the implementation of circular economy and energy transition strategies, emphasizing the value of local resources, ecosystems, and community engagement for sustainable development. This article therefore proposes to review the literature on these two concepts and to analyze their specificities, considering the territorial dimension.
Keywords: Climate change, Circular economy, Energy transition, Sustainable development.
Introduction :
L’économie circulaire et la transition énergétique représentent deux notions clés pour répondre aux enjeux environnementaux contemporains, tout en tenant compte de l’ancrage territorial. L'économie circulaire vise à optimiser l'utilisation des ressources en encourageant la réutilisation, le recyclage et la réduction des déchets avec un impact direct sur les territoires. Parallèlement, la transition énergétique vise à substituer les énergies fossiles par des énergies renouvelables en favorisant le développement des sources d’énergie propres à l’échelle locale.
Bien que ces deux concepts soient souvent considérés comme indépendants, il devient de plus en plus évident que leurs interrelations sont étroites et qu'ils peuvent se renforcer mutuellement, en créant des bénéfices socio-économiques et environnementaux au niveau territorial. La combinaison de l’économie circulaire et de la transition énergétique permet de relever les défis liés aux émissions de gaz à effet de serre, à la dépendance aux énergies fossiles et à la gestion des ressources, tout en favorisant la résilience et le développement durable des territoires.
Cependant, pour exploiter pleinement ces spécificités, il est essentiel de comprendre les spécificités et les opportunités propres à chaque territoire. Les solutions et les stratégies doivent être adaptées aux contextes locaux et nationaux, en prenant compte des ressources disponibles, des compétences des acteurs locaux, des contraintes géographiques et des aspirations des communautés. Une approche territoriale intégrée, impliquant les parties prenantes et favorisant la coopération entre les différents acteurs du territoire, est nécessaire pour assurer le succès de cette combinaison entre économie circulaire et transition énergétique.
L’objectif du présent article est d'explorer l'interconnexion susceptible d’exister entre l'économie circulaire et la transition énergétique en mettant en lumière les avantages et les enjeux d’un modèle basé sur la combinaison de ces deux concepts, tout en analysant les grandes orientations stratégiques des nations unies en matière de développement durable qui encouragent cette transition.
Nous allons essayer à travers cet article d’enrichir la réflexion autour de la problématique suivante :
Quelles sont les particularités de l’économie circulaire et de la transition énergétique dans une perspective territoriale ?
Notre étude examine les particularités de l'économie circulaire et de la transition énergétique dans une perspective territoriale et offre une double contribution pour les chercheurs et les professionnels de la transition énergétique. En se basant sur une revue systématique de la littérature, nous proposons une synthèse complète des aspects théoriques de ces concepts, mettant en lumière leurs fondements. L'inclusion du contexte spécifique du Maroc fournit une perspective unique sur les défis et les opportunités de développement. Enfin, grâce à un modèle exportable, notre étude facilite le partage des meilleures pratiques et encourage l'adoption de politiques durables à l'échelle mondiale, soulignant l'urgence d'une approche intégrée pour ces enjeux majeurs.
1 L’évolution de la notion de l'économie circulaire
La notion d’économie circulaire est apparue dans les années 70 en réponse à la hausse massive de la consommation et de la production de déchets, ainsi qu’à l’épuisement des ressources naturelles. Elle propose une approche visant à transformer l’économie linéaire, fondée sur le schéma « extraire- produire-consommer-jeter », en un modèle circulaire qui vise à réduire les déchets et à maximiser l’utilisation des ressources. L’économie circulaire promeut la réutilisation, le recyclage et la régénération des matériaux afin de minimiser l’impact environnemental tout en maximisant la valeur économique. C’est un système de production d’échange et de consommation qui repose sur des stratégies visant à optimiser l’utilisation des ressources à chaque étape du cycle de vie des produits, dans le but de réduire les impacts environnementaux et d’améliorer le bien-être des individus et des collectivités.
1.1. Définitions de l'économie circulaire
L’économie circulaire est apparue en tant qu’alternative à l’économie linéaire. Comme son nom l’indique, l’économie linéaire est fondée sur un processus en quatre étapes : extraction, fabrication, consommation et élimination. Ce processus est considéré comme nuisible pour l’environnement et contribue directement à l’essor intensif du capital humain ainsi que les différentes ressources contribuant à la productivité.
La définition de l’économie circulaire adoptée par l’organisation des Nations unies, selon la commission Brundtland sur le développement durable, décrit l’économie circulaire comme un système de production, d’échange et de partage qui favorise le progrès social, la préservation du capital naturel et le développement économique. Son objectif est de découpler la croissance économique de l’épuisement des ressources en favorisant l’innovation dans les produits, services, modèles d’affaires et politiques publiques. L’économie circulaire repose sur une utilisation optimale des ressources, la création de boucles de valeur positive et l’adoption de nouvelles approches dans la conception, la production et la consommation. Cela implique de prolonger la durée d’utilisation des produits, de réutiliser les composants et de les recycler de manière efficiente pour maximiser leur valeur et réduire les déchets (Keeble, 1988).
Le modèle de l'économie circulaire comprend deux types de cycles : les cycles techniques et les cycles biologiques. Le cycle biologique est caractérisé par une consommation et une réintroduction des matériaux dans le système grâce à des processus tels que le compostage et la digestion anaérobie. Cela concerne notamment les aliments et les matériaux bio-basés comme le coton ou le bois. En revanche, les cycles techniques consistent à récupérer et à remettre en état les produits, les pièces et les matériaux grâce à des actions telles que le réemploi, la restauration ou la réadaptation en dernier recours.
La conception innovante, appelée également écoconception est essentielle à l’économie circulaire et traverse les déroulements de développement et de construction de biens, les institutions et les systèmes pour réutiliser, recycler et retraiter les produits en fin de vie. L'écoconception vise à prolonger la durée de vie, à simplifier le démontage pour la remise en état et le remplacement et à introduire des systèmes de revenus innovants.
2 L’émergence du concept de la transition énergétique
2.1 Le contexte historique
La transition énergétique est née dans un contexte de prise de conscience de l’épuisement des ressources fossiles et de la nécessité de limiter leur impact sur l’environnement.
Le concept de transition énergétique est apparu dans les années 1970 avec le premier choc pétrolier qui a révélé la fragilité de l’approvisionnement en énergie (IRENA, 2021). Cependant, c’est dans les années 2000 que cette notion a pris une dimension plus globale en apparaissant comme une réponse aux enjeux économiques et environnementaux actuels à savoir la nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre et de promouvoir une économie plus durable (Duruisseau, 2014).
Depuis lors, la transition énergétique est devenue un enjeu majeur de développement durable pour de nombreux pays.
2.2 Définition et les types
La transition énergétique englobe l'ensemble des transformations structurelles qui se produisent dans la production, la consommation et la distribution d'énergie pour assurer un développement durable des sociétés. Elle vise à réduire l'impact environnemental en transformant le système énergétique des énergies fossiles (pétrole, charbon, gaz…) vers les énergies renouvelables (solaire, éolienne, etc.).
Cette transition implique des changements importants dans les systèmes de production et de consommation d'énergie et est étroitement liée aux stratégies de développement durable et à la lutte contre les changements climatiques. Elle nécessite une adaptation des transports et de l'aménagement des territoires, la préservation et la restauration des écosystèmes, ainsi que l'économie circulaire (Duruisseau, 2014).
À l'heure actuelle, les énergies renouvelables comprennent diverses sources qui, lorsqu’elles sont exploitées, ne conduisent pas à l'épuisement de la ressource originelle et sont renouvelables à l'échelle humaine. Ces énergies se distinguent par leurs mécanismes physiques, chimiques ou biologiques. On peut classer les énergies renouvelables en cinq catégories principales, l’énergie solaire, l'énergie hydraulique et marine, l'énergie éolienne, la Biomasse, et la géothermie.
2.3 Les enjeux de la transition énergétique
La transition énergétique a pour objectifs majeurs la gestion des réserves décroissantes de combustibles fossiles, la réduction des émissions de gaz à effet de serre et l'adaptation aux spécificités régionales des ressources. Par exemple, les régions ensoleillées peuvent privilégier l'énergie solaire, tandis que les zones venteuses peuvent s'appuyer sur l'énergie éolienne.
Face à la hausse des coûts énergétiques et leur impact sur les économies locales, une transition vers une économie fondée sur les énergies renouvelables est primordiale. Pour ce faire, une coopération internationale est nécessaire afin de développer des innovations technologiques durables et ainsi assurer un futur énergétique propre et durable pour les générations futures.
Les enjeux de la transition énergétique sont multiples, on peut citer ; la protection de l’environnement, la raréfaction des ressources, la sécurité énergétique, l’équité énergétique et la croissance verte.
3 L’économie circulaire et la transition énergétique au Maroc pour un avenir durable
Dans le cadre de cette étude, nous avons mené une revue systématique de la littérature portant sur l'économie circulaire et la transition énergétique au Maroc. Les sources documentaires ont été sélectionnées à partir de bases de données en ligne reconnues, ainsi qu'à travers des rapports officiels du gouvernement et d'organisations internationales.
Les critères de sélection ont privilégié les publications récentes (moins de 10 ans), écrites par des experts du domaine et centrées sur le contexte marocain. Les données recueillies ont ensuite été analysées à travers une méthode d'analyse thématique, permettant d'identifier les tendances, défis et opportunités clés de l'intégration de l'économie circulaire dans la transition énergétique du Maroc.
3.1 Transition énergétique au Maroc
L’énergie n’est pas un sujet nouveau dans le débat public au Maroc. Elle a fait l’objet de nombreuses réformes avant et après l’indépendance. La quasi-absence de ressources fossiles nationales a toujours obligé notre pays à faire preuve de créativité et d’audace pour adresser une question qui était le plus souvent synonyme de risques d’approvisionnement, de coûts imprévisibles et de déficit permanent de la balance des paiements (CESE, 2020).
Le Maroc a toujours maintenu une consommation globalement en phase avec son niveau de développement. Le mix énergétique est ainsi dominé par les hydrocarbures (52% en 2019) essentiellement destinés au transport et le charbon (33% en 2019) destiné à la production d’électricité. La stratégie de 2009, qui est encore le cadre d’action actuel, avait constitué une rupture dans la mesure où elle apportait une ambition de leadership dans le domaine des énergies renouvelables.
Le Maroc a ainsi considérablement augmenté ses capacités de production d'énergies renouvelables. Ces avancées ont vu le jour dans le cadre de la stratégie énergétique prévoyant 42% de capacités d'énergies renouvelables installées d’ici 2020 et 52% d’ici 2030. Au niveau de l'efficacité énergétique, le Royaume s'est fixé 20% d'économies d'énergie d'ici 2030. Elle possède déjà les plus grandes centrales solaires du monde, NOUR I et II, à Ouarzazate. Elle possède également une douzaine de centrales éoliennes situées notamment à Tanger, Midelt, Essaouira, Tarfaya, Boujdour et Dakhla. En plus des centrales hydroélectriques traditionnelles.
Le Maroc dispose d’un potentiel en énergies éolienne et solaire exceptionnel. Il est estimé à environ 500 TWh/an2 réparti entre l’éolien onshore (350 TWh) avec un taux de charge moyen de 5 000 heures et le solaire photovoltaïque PV (150 TWh) avec un taux de charge conservateur minimal de 2 500 heures. Un même potentiel au moins équivalent est disponible autour de l’éolien offshore. De ce fait, l’exploitation de notre potentiel projetterait notre pays parmi les grands pays producteurs énergétiques, devant le Venezuela et juste derrière le Nigéria, avec une production équivalente à 86 MTep annuel, soit environ 1,65 Millions de barils par jour. Avec des ressources au moins cinq fois supérieures à sa demande énergétique considérant les perspectives des nouvelles sources à venir, le Royaume se prépare à renforcer sa position énergétique et entrevoit de grandes opportunités s’ouvrir à lui. Le Maroc a été identifié, en effet, dans plusieurs études, notamment celle du «World Energy Council et de Frontier Economics», comme un des pays dont le potentiel en énergies renouvelables est des plus compétitifs au Monde.
3.2 Économie circulaire au Maroc
Le Maroc, sous l'impulsion du Roi Mohammed VI, s'est engagé depuis plus de 20 ans en faveur de l'environnement et du développement durable. Aujourd'hui, il est en train d'opérer une transition vers une économie circulaire en mettant l'accent sur les énergies renouvelables, afin de s'adapter au changement climatique, de réduire son impact et de créer de nouvelles opportunités (Moing, 2015).
Depuis 2016, année où s'est tenue la COP22, le sommet réussi de Marrakech sur le changement climatique, une loi interdit la production, l'importation, l'exportation, la commercialisation et l'utilisation des sacs en plastique. Il existe également le plan climatique national 2020-2030, qui vise à renforcer la capacité d'adaptation et de transition vers une économie à faibles émissions, à mettre en œuvre les politiques climatiques nationales au niveau local et à promouvoir l'innovation et la sensibilisation. Le Maroc s'efforce de mettre en œuvre les principes de l'économie circulaire dans le traitement des déchets domestiques. Pour atténuer l'effet de serre, le pays traite les eaux usées dans de nombreuses stations d'épuration, tout en dessalant l'eau de mer dans des usines en pleine activité et d'autres en construction. En outre, la construction de 170 barrages est prévue d'ici à 2030.
Cependant, la transposition de ces initiatives nécessite une adaptation aux spécificités locales de chaque pays, tenant compte des ressources naturelles distinctes, des priorités environnementales et des défis uniques de chaque contexte.
Par exemple, la stratégie nationale du Maroc en matière d'économie circulaire pourrait servir de modèle pour les pays cherchant à développer leurs propres cadres stratégiques. Les projets industriels durables du Maroc offrent des exemples concrets de la mise en œuvre de l'économie circulaire, et les efforts d'innovation pourraient être encouragés à travers des investissements en recherche et développement. Le renforcement des partenariats entre les acteurs publics, privés et la société civile est également un levier essentiel pour la progression de l'économie circulaire. Enfin, l'engagement du Maroc envers l'énergie renouvelable, comme illustré par des projets tels que la centrale solaire de Noor, pourrait inspirer d'autres pays cherchant à diversifier leurs sources d'énergie.
Conclusion :
En conclusion, la transition énergétique et l'économie circulaire jouent un rôle crucial dans la durabilité environnementale du 21ème siècle, avec un impact significatif sur l'ancrage territorial. Elles offrent une solution clé pour accélérer cette transition. Dans cet article, nous avons mis en évidence les perspectives offertes par l'économie circulaire dans le contexte de la transition énergétique et avons démontré son rôle crucial dans cette démarche.
Notre étude théorique a étudié les particularités de l'économie circulaire et la transition énergétique, mettant en lumière leur importance essentielle pour la durabilité environnementale du 21ème siècle. Grâce à une revue systématique de la littérature, nous avons identifié la complémentarité de ces deux approches et comment elles peuvent soutenir conjointement des objectifs environnementaux et économiques. Bien que notre recherche se concentre sur le contexte marocain, elle offre un modèle exportable pour partager les meilleures pratiques et stratégies efficaces à une échelle plus large. L'importance de ces concepts est reflétée dans l'Agenda 2030 des Nations Unies et les Objectifs de Développement Durable.
Toutefois, une analyse empirique spécifique au contexte marocain serait nécessaire pour approfondir notre compréhension de leurs fondements. Ainsi, notre recherche offre une base solide pour des recherches futures et sert de ressource précieuse pour les chercheurs et les professionnels engagés dans la transition énergétique. Elle souligne également l'importance cruciale de l'économie circulaire et de la transition énergétique dans la réduction de l'empreinte écologique, la stimulation de la création d'emplois et la promotion d'une croissance économique durable au Maroc et au-delà.

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La nature de la relation entre la consommation d’énergie et la croissance économique au Maroc
Hicham SADOK & Youssef LEFHEL
Université Mohammed V de Rabat
Résumé
Cet article a pour objectif de rappeler les principaux débats portants sur la relation entre la consommation d’énergie et la croissance économique, tout en essayant d’appréhender le caractère de cette relation en analysant la causalité entre ces deux variables dans le contexte marocain. La question lancinante consiste à savoir si la consommation d’énergie stimule-t-elle la croissance économique ou la croissance économique conduit-elle à la consommation d’énergie ?
Pour y parvenir, nous nous sommes appuyés sur la méthode de cointégration et l’estimation d’Engle-Granger. Appliquée aux données du Maroc, les résultats révèlent que la consommation d’énergie primaire dépend positivement de la valeur du PIB décalée de deux périodes: l’augmentation de 1% de la croissance économique dans la période t-2 impactera positivement la consommation totale d’énergie primaire de 0,309% dans la période t. Ce qui confirme que, pour le cas du Maroc, la croissance économique est la cause de la consommation d’énergie primaire et non pas l’inverse.
Mots clés : Consommation d’énergie, croissance économique, cointégration, causalité, Maroc.
Introduction
Au cours des deux dernières décennies, de nombreuses études ont été menées pour examiner la relation entre la consommation d’énergie et la croissance économique. Les résultats globaux montrent qu’il existe une relation étroite entre la consommation d’énergie et la croissance économique. Par exemple, Ferguson et al. (2000) ont étudié la question dans plus de 100 pays et ont constaté que, dans l'ensemble, il existe une forte corrélation entre la consommation d'énergie et la croissance économique.
Toutefois, le fait qu’il existe une relation étroite entre la consommation d’énergie et la croissance économique n’implique pas nécessairement une relation causale. La relation pourrait très bien fonctionner de la consommation d’énergie à la croissance économique, et/ou de la croissance économique à la consommation d’énergie. Ces problèmes causals suggèrent donc la nécessité d’une étude plus approfondie. Une question majeure concernant cette problématique est de savoir quelle variable doit avoir priorité sur l’autre. La consommation d’énergie stimule-t-elle la croissance économique ou la croissance économique conduit-elle à la consommation d’énergie ?
Le Maroc est un pays dépendant de l’extérieur à plus de 95 % pour sa consommation globale d’énergie et à plus de 90 % pour la couverture de ses besoins en électricité. En effet, en 2020, la consommation énergétique s'est établie à 23 millions de tonnes équivalent pétrole (TEP) contre 10.5 millions en 2002. Un accroissement qui a presque doublé. Cependant, la demande énergétique par habitant demeure encore basse. Elle représente environ 0.47 TEP/habitant, soit 30% de la moyenne mondiale et 84% de la moyenne africaine. Par ailleurs, le bouquet énergétique est dominé par le pétrole qui représente 59% en 2020. Le charbon représente 20.3%, suivi par la biomasse et les déchets (7.2%), le gaz naturel (5.3%) et à un niveau moins important, l'énergie hydraulique (1.7%), solaire et éolienne (2.9%). La facture énergétique, quant à elle, a dépassé les 140 Milliards de Dhs en 2022, et l'intensité énergétique du Maroc demeure relativement faible comparativement à la plupart des pays de l'AIE. Ces contraintes pèsent sur les chances actuelles du développement durable du Maroc, alors que la consommation énergétique nationale (0,47 TEP par habitant) est encore bien limitée, voir même inférieure aux besoins potentiels de croissance économique pour assurer un niveau du bien-être social et de développement humain satisfaisant. En particulier, une utilisation accrue des technologies de l’information et de la communication (TIC) marque une transition mondiale vers une société numérique qui pourrait profondément affecter la consommation d’énergie ; et pour faire face de manière proactive à cette demande croissante d’énergie qui accompagne une croissance économique rapide, il est nécessaire de redécouvrir cette relation causale entre la consommation d'énergie et la croissance économique afin de mettre en place une politique énergétique appropriée.
Le but de cet article est donc d’étudier la causalité entre la consommation d’énergie et la croissance économique au Maroc, et d’obtenir des implications politiques à partir des résultats. À cette fin, nous tentons de fournir un examen plus attentif des problèmes de causalité en appliquant des techniques rigoureuses de causalité. Les méthodes adoptées ici sont de la manière suivante : premièrement, la stationnarité et la co-intégration sont testées ; deuxièmement, les modèles de correction d'erreur sont estimés si une co-intégration est détectée, et dans le cas contraire la méthode standard de causalité de Granger est appliquée; enfin, le test F est effectué pour évaluer les niveaux de causalité conjoints entre la consommation d’énergie et la croissance économique en utilisant des critères d'information appropriés pour sélectionner le décalage temporel optimal.
Le reste de l'article est organisé comme suit. Une revue de la littérature sur les études de causalité de la consommation d'énergie et de la croissance économique est présentée dans la section 1. Un aperçu de la méthodologie adoptée et les données utilisées est présenté dans la section 2. La section 3 explique et analyse les résultats empiriques obtenus. Quelques remarques finales sont formulées dans la conclusion.

  1. Revue de littérature
    Les recherches menées sur la relation entre la consommation d’énergie et la croissance économique, analysant plus particulièrement la direction entre ces deux variables, remontent aux travaux pionniers d’Engle et Granger (1987). Par la suite, de nombreuses études ultérieures ont été menées dans différents pays. Elles convergent toutes sur l’existence d’une relation de cause à effet qui stipule que la croissance économique génère une augmentation de la consommation d'énergie (Wolde-Rufael, 2006).
    D'autre part, certains auteurs ont prouvé que la relation occasionnelle entre ces deux variables peut être bidirectionnelle, c'est-à-dire qu’il existe un impact mutuel d'une variable sur l'autre : la croissance économique affecte la consommation d'énergie et vice versa (Fatai et al. 2004, et Narayan and Smyth, 2005). Kraft et Kraft (1978) ont analysé le cas des États-Unis en utilisant des données pour la période allant de 1947 à 1974 et ont conclu qu'il existe une relation unidirectionnelle entre le PNB et la consommation d'énergie, ce qui signifie que le revenu affecte la consommation d'énergie. Par contre, Yu et al (1988), dans le cas des Etats-Unis toujours, n'ont trouvé aucune relation entre la consommation d'énergie et l'emploi, et entre la consommation d'énergie et le PNB. Cependant, ils ont détecté que la consommation d'énergie a un effet négatif sur l'emploi.
    Erol et Yu (1987) ont analysé six pays industrialisés et ils n’ont constaté aucune relation de cause à effet significative entre la consommation d'énergie et la croissance du PIB où la consommation d'énergie et l'emploi.
    Cheng et Lai (1997) étudient le cas de Taïwan et constatent que l'augmentation du PNB entraîne une augmentation de la consommation d'énergie, et aussi l'augmentation de la consommation d'énergie a un impact sur l'augmentation de l'emploi sans rétroaction.
    D’autres études de résultats empiriques des tests de causalité entre la consommation d’énergie et la croissance économique ont été menées dans différents pays et sont résumés dans le tableau 1 ci-dessous. Il est intéressant de noter qu’il est rare de trouver des études de cas sur les pays européens et latino-américains. La plupart des études se concentrent sur les pays asiatiques et africains.
    Dans ce résumé de la littérature sur la relation causale entre la consommation d'énergie et la croissance économique, il existe un certain nombre de preuves en faveur d'une causalité bidirectionnelle ou unidirectionnelle, ou d'une absence de causalité entre la consommation d’énergie et la croissance économique. En d’autres termes, les études empiriques présentent des preuves différentes sur ces questions de causalité ; et les preuves allant dans un sens ou dans l’autre auront une influence significative sur la politique. Si, par exemple, il existe une causalité unidirectionnelle allant de la consommation d’énergie à la croissance économique, la réduction de la consommation d’énergie pourrait entraîner une baisse de la croissance économique. Ainsi, une causalité unidirectionnelle allant de la consommation d’énergie à la croissance économique a été détectée par Shiu et Lam (2004) pour la Chine, Wolde-Rufael (2006) pour Shanghai, Chine, pour le Bénin, le Congo, la République démocratique du Congo, l’Égypte, le Gabon, le Maroc et la Tunisie. En outre, Yoo (2005) a constaté qu’une causalité unidirectionnelle va de la consommation d’énergie nucléaire à la croissance économique en Corée.
    D’un autre côté, si une causalité unidirectionnelle va de la croissance économique à la consommation d’électricité, cela pourrait impliquer que des politiques de réduction de la consommation d’énergie puissent être mises en œuvre avec peu ou pas d’effets négatifs sur la croissance économique. Une causalité unidirectionnelle allant de la croissance économique à la consommation d’énergie a été révélée par Ghosh (2002) pour l’Inde, Wolde-Rufael (2006) pour le Cameron, le Ghana, le Nigeria, le Sénégal, la Zambie et le Zimbabwe, et Fatai et al. (2004) et Narayan et Smyth (2005) pour l'Australie.
    En revanche, si une causalité bidirectionnelle est constatée, la croissance économique peut exiger plus d’énergie alors qu’une plus grande consommation d’énergie peut induire une croissance économique. La consommation d’énergie et la croissance économique se complètent et les mesures d’économie d’énergie peuvent avoir un impact négatif sur la croissance économique. Yoo (2005), Jumbe (2004), Morimoto et Hope (2004) et Yang (2000) ont découvert une causalité bidirectionnelle entre la consommation d'énergie et la croissance économique en Corée, au Malawi, au Sri Lanka et à Taiwan, respectivement.
    Enfin, aucune causalité dans un sens ou dans l’autre n’indiquerait que les politiques visant à augmenter ou à réduire la consommation d’énergie n’affectent pas la croissance économique, et que l’augmentation du revenu réel pourrait ne pas affecter la consommation d’énergie. Aucune causalité entre la consommation d'énergie et la croissance économique n'a été constatée pour des pays comme l'Algérie, la République du Congo, le Kenya, l'Afrique du Sud et le Soudan par Wolde-Rufael (2004).
    Certaines études ont inclus une variable supplémentaire telle que le prix dans l'étude de la relation causale entre la consommation d'énergie et le revenu réel. Par exemple, Masih et Masih (1997, 1998), Asafu-Adjaye (2000) et Glasure (2002) ont considéré un système trivarié de consommation d'énergie, de revenu réel et de prix au lieu d'un système bivarié de consommation d'énergie et de revenu réel en incluant la variable prix dans les études de causalité de la consommation d’énergie et de la croissance économique.
    Tableau 1 : Comparaison des résultats empiriques du test de causalité
    Auteurs Pays étudié et période Sens de causalité
    Yu and Choi (1985) South Korea, Philippines (1954-76) GDP→ Energy
    Masih and Masih (1996) Malaysia, Singapore, Philippines, India, Indonesia, Pakistan (1955-90) Mixed
    Glasure and Lee (1997) South Korea, Singapore (1961-90) Energy ↔ GDP
    Masih and Masih (1998) Sri Lanka, Thailand (1955-91) Energy → GDP
    Asafy-Adjaye (2000) India, Indonesia, Turkey (1973-95);
    Thailand, Philippines (1973-95) Energy → GDP
    Energy ↔ GDP
    Yang (2000) Taiwan (1954-97) Energy ↔ GDP
    Soytas and Sari (2003) Argentina, South Korea, Turkey, Indonesia, Poland (1950-92) Mixed
    Fetai et al. (2004) India, Indonesia (1960-99),
    Thailand, Philippines (1960-99) Energy → GDP
    Energy ↔ GDP
    Jumbe (2004) Malawi (1970-99) GDP → Energy
    Morimoto and Hope (2004) Sri Lanka (1960-98) Energy ↔ GDP
    Oh and Lee (2004) South Korea (1970-99) Energy ↔ GDP
    Paul and Bhattacharya (2004) India (1950-96) Energy ↔ GDP
    Lee (2005) 18 pays (1975 – 2001) Energy → GDP
    Ambapour and Massamba (2005) Congo (1960-99) GDP → Energy
    Keppler (2006) China (1971-2002)
    India (1971-2002) Energy → GDP
    GDP → Energy
    Keppler (2007) Argentina, Brazil, Chile, China, Egypt, India, Indonesia, Kenya, South Africa, Thailand (1960/71-2002) Mixed
    Source: Lee, C. (2005) et Keppler, J. H. (2007)
    La table précédente révèle, d’une part, l’existence d’une influence réciproque entre la consommation d’énergie et la croissance économique : la consommation d'énergie peut avoir un impact sur la croissance économique, mais la croissance économique peut également provoquer l'augmentation de la consommation d'énergie ; et d’autre part, il existe une différence dans le traitement des données lors de l’étude de cette causalité : certains auteurs traitent la relation entre la croissance économique par une variable proxy (PIB ou PNB) et la consommation d’énergie primaire, soit d’une manière agrégée, soit désagrégé, à travers une variable proxy comme la consommation d’électricité. De ce fait, et pour comparaison sensée des résultats de cette causalité entre les diffèrent pays, une harmonisation de la démarche méthodologique s’impose.
  2. Approche méthodologique et analyse des données
    2.1 Méthodologie
    Dans une optique de déterminer la nature de la relation existante entre la croissance économique et la consommation d’énergie, nous avons fait appel à la méthodologie développée par Granger (1969).
    Cette méthodologie a pour objectif de confirmer ou d’infirmer l’impact d’une série temporelle sur la prévision d’une autre. En effet,une série temporelle X cause une série temporelle Y lorsque la connaissance du passé de X conduit à une prévision de Y autre que celle fondée uniquement sur le passé de Y. Ainsi la connaissance de la série X est nécessaire pour prédire la série Y. Pour déterminer la causalité, le test de Granger analyse l’interaction de deux ou plusieurs variables à l’aide des outils classiques de l’économétrie linéaire : régression linéaire par les moindres carrés, modèle du vecteur autorégressif, tests de significativité de paramètres. Avec une hypothèse nulle H0 qui stipule que X ne cause pas au sens de Granger Y, et une hypothèse alternative H1 qui affirme que X cause Y au sens de Granger, ces tests supposent la nullité globale des coefficients 〖(X〗(t-i)) dans l’équation suivante : Y_t=α_0+∑(i=1)^T▒α1i Y(t-i)+∑(i=1)^T▒α_2i X(t-i)+ε_t
    Avec 1 ≤ i ≤ T
    Ainsi, pour tester si Xt cause Yt, Granger (1969) recommande de régresser la valeur présente de Yt sur la valeur passée d’elle-même ainsi que la valeur passé de Xt, et de voir si les coefficients les valeurs passées de Xt sont nuls (auquel cas Xt ne cause pas Yt au sens de Granger).
    Ce test débouche généralement sur quatre situations possibles :
  • Causalité unidirectionnelle allant de Xt vers Yt ;
  • Causalité unidirectionnelle allant de Yt vers Xt ;
  • Causalité bidirectionnelle;
  • Absence de causalité.
    Tous les cas possibles reposent sur la condition de la stationnarité des données utilisées. Il existe de nombreuses définitions de la stationnarité, mais une définition simple et intuitive considère qu’une variable est stationnaire quand elle possède des caractéristiques statistiques constantes à travers les observations. La non-satisfaction de cette condition expose les données étudiées à une régression fallacieuse avec des résultats invalides (Cheng 1996). Cependant, les séries temporelles économiques et énergétiques représentent généralement ce problème de non-stationnarité dû à l’évolution du contexte économique. L’étude de la stationnarité des séries temporelles peut se faire à travers de nombreux tests statistiques, notamment le test de Dickey-Fuller et le test Augmenté de Dickey-Fuller (ADF) ; test de Philips et Perron (PP) ; et le test Kwiatkowski-Phillips-Schmidt-Shin (KPSS).
    Pour les deux premiers tests, l’hypothèse nulle indique une absence de stationnarité (H_0:X_t≠I(O)), pour le troisième test l’hypothèse nulle affirme l’existence d’une stationnarité des données de la série temporelle(H_0:X_t=I(O)). La combinaison de ces tests donne généralement lieu à quatre cas de figure :
  • Rejeter l’hypothèse nulle suivant le test ADF et PP et accepter l’hypothèse nulle suivant le test KPPS ; ce qui confère une solide garantie de la stationnarité des données analysées ;
  • Accepter l’hypothèse nulle suivant le test ADF et PP et rejeter l’hypothèse nulle suivant le test KPPS ; ce qui signifie que la série temporelle à une racine unitaire ;
  • Accepter l’hypothèse nulle suivant les trois types de tests ; ce qui conteste la représentativité de la série ;
  • Rejeter l’hypothèse nulle suivant les trois types de tests ; ce que renvoie à ce que la série temporelle n’est pas stationnaire en niveau, en première différence et en deuxième différence.
    Pour notre étude, nous recourons au test Augmenté de Dickey-Fuller (ADF), formulé par l’équation suivante : 〖∆Y〗t=a+ 〖bY〗(t-1)+∑(i=1)^t▒〖c∆Y〗(t-1) +εt Avec Yt qui représente la variable étudiée (PIB ou Consommation Totale d’Energie Primaire dans le cas de cette étude) et les paramètres a, b et c restent à estimer. Ce test repose sur la comparaison entre la statistique Augmenté de Dickey-Fuller et la valeur critique tabulé de Fuller. Si cette dernière est supérieure à la statistique ADF, nous rejetons l’hypothèse nulle et la série est réputée stationnaire ou intégrée. Au-delà de la stationnarité des séries temporelles, les questions portant sur la cointégration et sur la longueur du décalage se posent avec acuité. En effet, Il faut vérifier dans un premier temps qu’il n’existe aucune relation de cointégration entre les variables, et examiner dans un second temps que la longueur de décalage choisie est optimale. Pour estimer la cointégration qui permet d’étudier l’existence d’une relation de long terme entre deux variables non-stationnaires, il est fait généralement recours à deux tests : Test d’Engle et Granger et le Test de Johansen. Pour notre étude, nous allons utiliser le test d’Engle et Granger qui s’appuie sur l’analyse de l’équation de cointégration estimée par la méthode des moindres carrés ordinaire, synthétisée comme suit : Y_t=a_0+a_1 X_t+Z_t Yt et Xt représente respectivement la croissance économique et la consommation d’énergie. Les résidus générés par cette régression linéaire statique (Zt) sont soumis aux tests de racine unitaire, notamment le test ADF, formulé comme suit : 〖∆Z〗_t=a+ 〖b_0 Z〗(t-1)+∑(i=1)^t▒〖b_1 ∆Z〗(t-1) +ε_t
    L’hypothèse nulle sera rejetée si la tendance est négative et la statistique calculée du test ADF est inférieur à la valeur critique tabulée de Fuller. Le choix du nombre de retard optimal représente un autre aspect à prendre en considération dans la spécification d’un modèle permettant une prévision statistiquement significative. Par conséquent, le nombre de retard optimal choisi doit obligatoirement satisfaire le critère d’information d’Akaike (1969).
    Ainsi, après avoir validé ces étapes, la relation entre les variables faisant l’objet de cette étude peut être examiné à l’aide du modèle à Vecteur Autoregressif (VAR). Ce dernier permet d’envisager quatre scénarios :
  • la variable X_t influence la variable Yt ;
  • la variable Yt influence la variable X_t ;
  • l’existence d’une relation réciproque entre les deux variables ;
  • l’absence d’une relation entre les deux variables.
    Le test de causalité de granger se résume à l'estimation du modèle VAR suivant :
    Y_t=α0+∑(i=1)^T▒α1i Y(t-i)+∑(i=1)^T▒α_2i X(t-i)+εt Les hypothèses du test de causalité de Granger à tester par la suite sont : H0 : ∑(i=1)^T▒α1i =0, Xt n’influence pas Yt H1 : ∑(i=1)^T▒α_1i ≠0, Xt Influence Yt
    2.2. Données et faits stylisés
    Dans cette étude empirique, l’activité économique est représentée par le Produit Intérieur Brut (PIB), quant à la consommation d’énergie, elle est représentée par un agrégat d’énergies primaires constituant le mix énergétique dominant au Maroc, à savoir le pétrole, le charbon et le gaz. Les données s’étalent sur une période allant de 1970 jusqu’à 2020 soit 50 ans et elles ont été puisées à partir d’une publication en ligne dirigée par l’Université d’Oxford: « Our World in Data ».
    Graphique 1 : Consommation des différentes sources d’énergie
    de 1970 Jusqu’à 2020

Source : Calcul des auteurs à partir de la base de données « Our World in Data »
L’analyse du graphique 1 montre que la consommation totale d’énergie primaire a accrue de 9,1 fois durant les 50 années précédentes soit une moyenne annuelle de 4.72%. Cependant, cette tendance n’est pas linéaire, ce rythme de croissance a été interrompu plusieurs fois, notamment en 1981, où la consommation d’énergie primaire a décru de -1,75%. Cette baisse a précipité la dépression économique des années 80, dû à la sécheresse et au programme d’ajustement structurel (PAS), et qui s’est soldé par une chute de 18% du PIB. Mis à part cette période, cinq autres chutes de consommation d’énergie ont été enregistrées durant l’histoire économique récente du Maroc, dont la plus caractérisée a été enregistrée à la veille de la crise économique des « subprimes ». En effet, lors de cette crise, l’année 2008 a été une année exceptionnelle pour le Maroc, où la consommation d’énergie a augmenté de 10% et la croissance économique a frôlé les 6%. Ceci laisse présager que la baisse qui s’en est suivie n’est qu’un retour vers l’équilibre « bas » et un rattrapage décalé des effets de cette crise.
Ainsi, durant toute la période étudiée, la structure énergétique est restée presque la même avec une prédominance du pétrole. Sa consommation s’élève en moyenne à 62% du mix énergétique, suivi par le charbon par 21,7%, et en dernier lieu le gaz qui occupe 5% du dit mix énergétique. Ainsi, le graphique 2 ci-dessous expose l’évolution de la croissance économique et la consommation d’énergie durant la période étudiée.
Graphique 2: PIB et consommation totale d'énergie de 1970 à 2020

Source : Calcul des auteurs à partir de la base de données « Our World in Data »
L’axe gauche du diagramme représente la consommation d’énergie primaire donné en TWh. L’axe droit du diagramme représente la croissance économique en million de dollars constant de 2010. Ce dernier axe montre que la croissance économique a augmenté en moyenne de 4.37% durant l’horizon temporel retenu, et la consommation d’énergie de 3.97%. Cependant, la relation entre les deux variables étudiées n’est pas proportionnelle (1972,1981, etc). Elle devient même dans certaines années inversement proportionnelle (1974,1976, etc). Ce constat controversé appelle donc une analyse poussée, raison pour laquelle, nous allons emprunter à la méthodologie décrite ci dessus la démarche pour mieux élucider la nature de la relation existante entre les deux variables étudiée.

  1. Résultats et discussion
    Afin de déterminer la nature de la relation entre la croissance économique et la consommation d’énergie primaire, ce papier s’intéresse aux données collectées sur la période allant de 1970 jusqu’à 2020, et propose une analyse à l’aide du logiciel statistique Eviews pour valider une hypothèse parmi les quatre suivantes :
  • La consommation totale d’énergie primaire induit la croissance économique ;
  • La croissance économique provoque la consommation totale d’énergie primaire ;
  • Influence réciproque entre la croissance économique et la consommation d’énergie primaire,
  • Indépendance totale entre les variables étudiées.
    Les variables utilisées ont subi une transformation logarithmique pour rapprocher les valeurs extrêmes et nous libérer des unités de mesure en introduisant des unités de pourcentage. Les nouvelles variables sont définies :
  • LgPib – Logarithme de la production intérieur brut
  • LgCtep – Logarithme de la consommation totale d’énergie primaire
    Ainsi, le modèle à vecteur autorégressif, ci-dessous, sera utilisé pour spécifier le sens de la relation entre les deux variables avant d’élaborer les tests de causalité de Granger.
    Lg〖PIB〗t=a_1+∑(i=1)^n▒〖γi 〖LgCtep〗(t-i) 〗+∑(j=1)^m▒〖θ_i Lg〖PIB〗(t-j) 〗+ε1t Lg〖Ctep〗_t=a_2+∑(i=1)^n▒〖βi Lg〖Ctep〗(t-i) 〗+∑(j=1)^m▒〖∂_i Lg〖PIB〗(t-j) 〗+ε2t La causalité de Granger implique également deux hypothèses : Pour la première équation : H0 : ∑(i=1)^n▒γi =0, LgCtep n’influence pas le LgPIB ; H1 : ∑(i=1)^n▒γi ≠0, LgCtep influence le LgPIB Et inversement pour la deuxième équation : H0 : ∑(i=1)^n▒∂i =0, LgPIB n’influence pas la LgCtep H1 : ∑(i=1)^n▒∂i ≠0, LgPIB influence la LgCtep L’analyse des résultats obtenus à partir de la démarche décrite et les données présentées ci-dessus permettent de déduire, d’abord, que les test de stationnarité menées à l’aide du test statistique ADF – Table 2 et Table 4 de l’annexe– affirment que nos deux variables (LgPib et LgCtep) sont non-stationnaires au niveau. De ce fait, nous avons procédé à l’intégration des deux variables au premier niveau de différenciation dans le but de les rendre stationnaires. Ainsi, les résultats du test ADF pour les deux variables au niveau d’intégration I (1) – Table 3 et Table 5 – ressortent des valeurs probables inférieures à 5% ce qui signifie que les deux variables (LgPib et LgCtep) sont stationnaires en première différenciation, par conséquent, elles peuvent être transformer en LgPib_D et LgCtep_D pour continuer les tests. Ensuite, la détermination du nombre de retard optimal pour notre modèle statistique nous a conduits à estimer un modèle VAR pour plusieurs valeurs du retard – Table 6 –, et malgré l’existence d’une multitude de critère de choix, nous avons opté pour celui d’Akaike (AIC). Ce dernier juge la qualité relative des modèles économétrique en prenant en considération le risque de surapprentissage et le risque de sous-apprentissage. Selon l’AIC le nombre de retard optimal correspond à 2. Puis, pour l’étape qui traite directement de la problématique de cette étude, à savoir la relation de causalité qui informe sur l’antériorité des évènements entre la croissance économique et la consommation d’énergie primaire, nous recourons au test classique de Granger – Table 6 - pour vérifier le principe d’antériorité et le principe du cause à effet. Les résultats du test rejettent, ainsi, la première hypothèse qui stipule que la croissance économique ne cause pas au sens de Granger la consommation d’énergie primaire puisque la probabilité (0,0082) est inférieure à 5%, de la même manière la deuxième hypothèse qui avance que la consommation d’énergie primaire ne cause pas au sens de Granger la croissance économique a été acceptée au vu du résultat du test (Table 7). A partir de ce dernier constat, l’évaluation du vecteur autorégressif à la première différentiation est fondée statistiquement. Il permet de déduire l’existence d’une influence de la variable PIB sur la variable CTEP sans un effet de rétroaction. La modélisation de la relation, avec un risque σ=5%, un seuil critique pour la loi de Student à (n-2) degrés de liberté pour un test bilatéral de l’ordre T(1-σ/2) (46)=2,0129, est la suivante :
    ∆Lg〖Ctep〗t=5,79259-0,19224∆Lg〖Ctep〗(t-1)+0,134608∆Lg〖Ctep〗(t-2)+0,012779∆Lg〖PIB〗(t-1)-0,309027∆Lg〖PIB〗_(t-2)
    L’interprétation de ces résultats révèle que la consommation d’énergie primaire dépend négativement de la valeur du PIB décalée de deux périodes, et positivement de la valeur de la constante. Pour le reste des variables, leurs coefficients sont non-significatifs et donc n’impactent par notre variable étudiée. L’interprétation économique des variables significatives du modèle peut être synthétisée comme suit : le changement de 1% de la croissance économique dans la période t-2 impactera positivement la consommation totale d’énergie primaire de 0,309% dans la période t. Ce qui confirme clairement que pour le cas du Maroc, la croissance économique est la cause de la consommation d’énergie primaire et non pas l’inverse.
    Conclusion
    Jamais autant l’énergie n’a été, dans le monde actuel, une question au centre de l’inquiétude des gouvernements et, de plus en plus, des opinions publiques. La conscience des conséquences des émissions de gaz carbonique et de leurs effets sur les conditions climatiques et l’avenir de la planète n’est pas étrangère à l’universalité de cette inquiétude. De ce fait, le renforcement de la recherche dans le domaine de l’énergie est devenu un sujet central dans les stratégies de développement.
    Ainsi, ce travail qui revisite la relation entre la consommation d’énergie et la croissance économique confirme l’hypothèse qui suppose que cette dernière cause la consommation d’énergie primaire et non l’inverse. Les résultats de l’estimation affirment qu’un changement de 1% qui affecte le PIB dans la période t-2 peut affecter dans le même sens la consommation totale d’énergie primaire de 0,309% dans la période t. Ce qui nous amène à avancer que, dans le cadre de la politique publique, la connaissance de la croissance économique du pays permet de prédire le futur de la consommation d’énergie, et d’agir, en conséquent, dans la mis en place d’une efficacité énergétique.

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    Annexes
    Table 2: Test de stationnarité au niveau du produit intérieur brut.
    Null Hypothesis: LGPIB has a unit root
    Exogenous : Constant, Linear Trend
    Lag Length: 0 (Automatic - based on SIC, maxlag=10) T-Statistic Prob. *

Augmented Dickey-Fuller test statistic -2.668029 0.2539
Test critical values : 1% level -4.156734
5% level -3.504330
10% level -3.181826

*MacKinnon (1996) one-sided p-values.

Augmented Dickey-Fuller Test Equation
Dependent Variable : D(LGPIB)
Method : Least Squares
Date : 01/16/22 Time : 23 :48
Sample (adjusted) : 2 50
Included observations : 49 after adjustments

Variable Coefficient Std. Error t-Statistic Prob.

LGPIB (-1) -0.175421 0.065749 -2.668029 0.0105
C 0.441584 0.123596 3.572816 0.0008
@TREND ("1") 0.009303 0.004341 2.143241 0.0374

R-squared 0.202898 Mean dependent var 0.069587
Adjusted R-squared 0.168241 S.D. dependent var 0.101600
S.E. of regression 0.092660 Akaike info criterion -1.860491
Sum squared resid 0.394950 Schwarz criterion -1.744665
Log likelihood 48.58203 Hannan-Quinn criter. -1.816547
F-statistic 5.854509 Durbin-Watson stat 1.592873
Prob(F-statistic) 0.005430

Table 3 : Test de stationnarité avec différentiation première
du produit intérieur brut.
Null Hypothesis: D(LGPIB) has a unit root
Exogenous : Constant, Linear Trend
Lag Length: 0 (Automatic - based on SIC, maxlag=10)

        t-Statistic   Prob.*

Augmented Dickey-Fuller test statistic -5.572295 0.0002
Test critical values : 1% level -4.161144
5% level -3.506374
10% level -3.183002

*MacKinnon (1996) one-sided p-values.

Augmented Dickey-Fuller Test Equation
Dependent Variable : D(LGPIB,2)
Method : Least Squares
Date : 01/16/22 Time : 23:49
Sample (adjusted) : 3 50
Included observations : 48 after adjustments

Variable Coefficient Std. Error t-Statistic Prob.

D(LGPIB (-1)) -0.816117 0.146460 -5.572295 0.0000
C 0.099285 0.034787 2.854102 0.0065
@TREND ("1") -0.001697 0.001071 -1.584931 0.1200

R-squared 0.408332 Mean dependent var -0.001730
Adjusted R-squared 0.382035 S.D. dependent var 0.125811
S.E. of regression 0.098901 Akaike info criterion -1.728936
Sum squared resid 0.440162 Schwarz criterion -1.611986
Log likelihood 44.49447 Hannan-Quinn criter. -1.684741
F-statistic 15.52806 Durbin-Watson stat 2.008666
Prob(F-statistic) 0.000007

Table 4 : Test de stationnarité au niveau de la consommation totale
d’énergie primaire.
Null Hypothesis: LGCTEP has a unit root
Exogenous : Constant, Linear Trend
Lag Length: 0 (Automatic - based on SIC, maxlag=10)

        T-Statistic   Prob. *

Augmented Dickey-Fuller test statistic -3.014045 0.1389
Test critical values : 1% level -4.156734
5% level -3.504330
10% level -3.181826

*MacKinnon (1996) one-sided p-values.

Augmented Dickey-Fuller Test Equation
Dependent Variable : D(LGCTEP)
Method : Least Squares
Date : 01/16/22 Time : 23 :49
Sample (adjusted) : 2 50
Included observations : 49 after adjustments

Variable Coefficient Std. Error T-Statistic Prob.

LGCTEP (-1) -0.228382 0.075773 -3.014045 0.0042
C 0.852069 0.262147 3.250347 0.0022
@TREND ("1") 0.009006 0.003248 2.772481 0.0080

R-squared 0.207489 Mean dependent var 0.045092
Adjusted R-squared 0.173032 S.D. dependent var 0.044690
S.E. of regression 0.040640 Akaike info criterion -3.508870
Sum squared resid 0.075973 Schwarz criterion -3.393045
Log likelihood 88.96732 Hannan-Quinn criter. -3.464926
F-statistic 6.021673 Durbin-Watson stat 2.207856
Prob(F-statistic) 0.004755

Table 5 : Test de stationnarité avec différentiation première de la consommation totale d’énergie primaire.
Null Hypothesis: D(LGCTEP) has a unit root
Exogenous: Constant, Linear Trend
Lag Length: 0 (Automatic - based on SIC, maxlag=10)

        T-Statistic   Prob. *

Augmented Dickey-Fuller test statistic -7.972268 0.0000
Test critical values : 1% level -4.161144
5% level -3.506374
10% level -3.183002

*MacKinnon (1996) one-sided p-values.

Augmented Dickey-Fuller Test Equation
Dependent Variable : D(LGCTEP,2)
Method : Least Squares
Date : 01/16/22 Time : 23 :49
Sample (adjusted) : 3 50
Included observations : 48 after adjustments

Variable Coefficient Std. Error T-Statistic Prob.

D (LGCTEP (-1)) -1.193391 0.149693 -7.972268 0.0000
C 0.077888 0.016613 4.688307 0.0000
@TREND ("1") -0.000945 0.000477 -1.981422 0.0537

R-squared 0.585676 Mean dependent var 0.001194
Adjusted R-squared 0.567261 S.D. dependent var 0.066853
S.E. of regression 0.043978 Akaike info criterion -3.349791
Sum squared resid 0.087033 Schwarz criterion -3.232841
Log likelihood 83.39498 Hannan-Quinn criter. -3.305595
F-statistic 31.80530 Durbin-Watson stat 1.994979
Prob(F-statistic) 0.000000

Table 6 : Définition du nombre de retard optimal du modèle.
VAR Lag Order Selection Criteria
Endogenous variables : LGCTEP_D LGPIB_D
Exogenous variables : C
Date : 01/16/22 Time : 23 :50
Sample : 1 50
Included observations : 38

Lag LogL LR FPE AIC SC HQ

0 -92.03829 NA 0.483673 4.949384 5.035572 4.980049
1 -84.10443 14.61501 0.393467 4.742338 5.000905* 4.834334
2 -78.47084 9.784654* 0.361923* 4.656360* 5.087304 4.809686*
3 -77.25529 1.983272 0.421331 4.802910 5.406231 5.017567
4 -75.71408 2.352371 0.484277 4.932320 5.708019 5.208308
5 -74.17382 2.188783 0.559953 5.061780 6.009856 5.399098
6 -69.26614 6.457476 0.546474 5.014007 6.134461 5.412656
7 -66.19419 3.718683 0.593182 5.062852 6.355683 5.522831
8 -61.73904 4.924109 0.606100 5.038897 6.504105 5.560207
9 -57.40970 4.329341 0.633202 5.021563 6.659149 5.604204
10 -56.88888 0.465992 0.824520 5.204678 7.014642 5.848649
11 -48.12331 6.920192 0.713694 4.953858 6.936199 5.659160
12 -46.01860 1.440065 0.907237 5.053610 7.208329 5.820243

  • Indicates lag order selected by the criterion
    LR: sequential modified LR test statistic (each test at 5% level)
    FPE : Final prediction error
    AIC : Akaike information criterion
    SC : Schwarz information criterion
    HQ : Hannan-Quinn information criterion

Table 7 : Test de causalité de Granger (Différence première des variables).
Pairwise Granger Causality Tests
Date : 01/16/22 Time : 23 :50
Sample : 1 50
Lags : 2

Null Hypothesis : Obs F-Statistic Prob.

LGPIB_D does not Granger Cause LGCTEP_D 48 5.37521 0.0082
LGCTEP_D does not Granger Cause LGPIB_D 2.52235 0.0921

Table 8 : Résultats de l'estimation du modèle à vecteur autorégressif (différence première des variables).
Vector Autoregression Estimates
Date : 01/16/22 Time : 23 :51
Sample (adjusted) : 3 50
Included observations : 48 after adjustments
Standard errors in () & t-statistics in []

LGCTEP_D    LGPIB_D

LGCTEP_D (-1) -0.192241 -0.490421
(0.14074) (0.21887)
[-1.36593] [-2.24074]

LGCTEP_D (-2) 0.134608 -0.144499
(0.14733) (0.22911)
[0.91367] [-0.63070]

LGPIB_D (-1) 0.012779 -0.270881
(0.10490) (0.16313)
[0.12182] [-1.66051]

LGPIB_D (-2) -0.309027 0.066542
(0.09830) (0.15286)
[-3.14383] [0.43531]

C 5.792591 7.005703
(1.41190) (2.19565)
[4.10269] [3.19072]

R-squared 0.302353 0.133401
Adj. R-squared 0.237456 0.052787
Sum sq. resids 16.09479 38.92273
S.E. equation 0.611798 0.951409
F-statistic 4.658946 1.654817
Log likelihood -41.88412 -63.07811
Akaike AIC 1.953505 2.836588
Schwarz SC 2.148422 3.031505
Mean dependent 4.520515 3.424629
S.D. dependent 0.700609 0.977561

Determinant resid covariance (dof adj.) 0.296912
Determinant resid covariance 0.238277
Log likelihood -101.7944
Akaike information criterion 4.658098
Schwarz criterion 5.047932
Number of coefficients 10

L’accord sur la frontière maritime Libano-Israélienne
Les richesses gazières comme enjeu majeur
Asma ABKARI
RESUME
Le 10 octobre 2022, après une décennie de négociation, Israël et le Liban ont pu conclure un accord sur la démarcation de leurs frontières maritimes permettant aux deux pays d'exploiter les réserves de gaz en Méditerranée.
L’accord revêt, pour les deux parties, un intérêt majeur ; étant toujours en état de guerre. Le texte ne constitue pas un accord de paix, mais ses retombées économiques et sécuritaires méritent d’être analysées à la lumière du contexte géopolitique mouvementé au Moyen-Orient.
ABSTRACT
After a decade of negotiations, Israel and Lebanon were able to reach an agreement on the demarcation of their maritime borders on October 10, 2022. This agreement allows the two countries to exploit gas reserves in the Mediterranean Sea.
The agreement is of major interest to both parties, which remain in a state of war. The text does not constitute a peace agreement, but its economic and security benefits deserve to be analyzed in light of the turbulent geopolitical context in the Middle East.
INTRODUCTION
La notion de frontière peut être appréhendée selon plusieurs angles, non seulement géographiques mais également, sociologiques et juridiques.
Cette notion a évolué avec la maitrise des techniques de délimitation et de cartographie pour devenir une représentation de la « limite de souveraineté et de compétence territoriale d'un État » .
De ce fait, les frontières impliquent la notion de souveraineté et de l’affirmation du pouvoir de l’État à l’intérieur d’un territoire .
La frontière en droit international public est définie à travers la coutume et les conventions internationales, leur délimitation est un processus politique qui se base sur des considérations géographiques, ethnographiques, stratégiques, économiques ou autres .
Les frontières terrestres sont généralement déterminées par des faits historiques et politiques, tandis les frontières maritimes sont issues, normalement, des négociations entre les Etats côtiers, suivant le Droit international de la Mer fondé essentiellement sur la coutume et la convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer signée à Montego Bay en 1982.
Elles peuvent dans certains cas particuliers résulter des décisions juridictionnelles de la Cour Internationale de Justice (CIJ) ou d’un tribunal arbitral si les parties concernées le souhaitent.
De la frontière zone à la frontière limite
La notion de frontière a connu une évolution tant au niveau conceptuel qu’au niveau des modes de délimitation, puisqu’il est communément admis que le concept de frontière est apparu simultanément avec le concept de l’Etat-nation, cette construction a commencé au lendemain des traités de Westphalie.
En effet, le processus de délimitation des frontières a connu un « long développement à travers l’histoire de l'humanité » , évoluant d’une frontière zone vers ce qu’on appelait frontière limite avec l’apparition de l’Etat-nation.
Ce processus a connu des variations selon les contextes géographiques, sociologiques, ethniques ou autres. Alors que les frontières européennes, par exemple, sont le produit d’un rapport de force intra-européen et parfois d’une lutte sanglante, les frontières en Afrique ont été dictées par un facteur externe ; les Etats africains se sont engagés à respecter les frontières existantes au moment de leurs indépendances
A l’heure actuelle, la fixation de la frontière passe par deux étapes essentielles : La première est purement « abstraite » où l’Etat va préciser la ligne par laquelle passe la frontière. La deuxième étape, c’est la démarcation qui consiste à matérialiser le tracé théorique de la frontière sur le terrain.
La démarcation permet de fixer plus précisément la frontière, c’est une opération technique, parfois difficile à réaliser sur le terrain.
Concernant les frontières maritimes, La convention sur le Droit de la mer distingue « la mer territoriale » de la « zone économique exclusive ». La première se limite à 12 miles nautiques depuis la ligne base dans laquelle l’Etat a tous les droits souverains (Art 3), alors que dans la deuxième, allant jusqu’à 200 miles nautiques, l’Etat n’a que les droits d’exploration, d’exploitation et de recherche scientifique (Art 55, 56 et 57). Au-delà de la zone économique exclusive, c’est la haute mer.
Nombreux sont les Etats concernés par des différends frontaliers, qu’ils soient terrestres ou maritimes , en effet selon les données de la CIA , 126 Etat des 193 reconnus par l’ONU ont au moins un conflit frontalier avec un Etat voisin soit 65% des Etats .
Le Moyen-Orient est parmi les régions les plus touchées par ces conflits, notamment entre Israël et ses voisins arabes.
Le conflit frontalier entre le Liban et Israël en est l’exemple et revêt une importance particulière ; au-delà de la dimension territoriale, la découverte du gaz en Méditerranée durant les années 2000 a donné au conflit une nouvelle dimension, en effet, la découverte de champ gazier dans les frontières maritimes libano-israéliennes a suscité depuis 2010 un état de crise permanent entre les deux Etats techniquement toujours en état de guerre.
Genèse factuelle de l’accord entre le Liban et Israël
Entre le Liban et Israël, la confrontation directe remonte au début des années 80 quand Israël a envahi le pays en 1982, même si, à l’instar des pays arabes avoisinant Israël, les tensions ont débuté dès 1948, date de la création de l’Etat hébreu.
Le Liban s’est pourtant abstenu à prendre part des différentes guerres qui ont opposé Israël aux Etats arabes, notamment la guerre des six jours en 1967 et la guerre du Kippour en 1973. Le pays est resté plus ou moins à l’abri des tourments Moyen-Orientaux jusqu’aux années 1970.
L’occupation israélienne du sud du Liban en 1978, suite à une action palestinienne sur le territoire libanais, s’est vite neutralisée grâce à l’intervention de l’ONU par le biais de la résolution 425 du 19 mars1978 ; les troupes israéliennes se sont retirées du sud du Liban et l’ONU a installé les forces (FINUL) à la frontière avec Israël .
En1982, l’armée israélienne lance des attaques sur le territoire libanais visant les combattants de l’Organisation de la Libération de la Palestine (OLP) installés au Liban, les interventions ont provoqué la mort des civils libanais et palestiniens, ainsi que des réfugiés dans les camps palestiniens (massacre de Sabra et Chatila).
Les tensions entre les deux pays s’accentuent durant les années 90 et 2000 avec l’opération qui a visé le Hezbollah en 1996 engendrant le massacre de Cana. Puis avec la guerre de 2006 contre ce même parti politique, ce qui a eu comme conséquence, des pertes humaines (1183 morts et 4059 blessés) et une destruction massive de toutes les infrastructures libanaises (pertes estimées à 3,612 milliards de dollars)
L’intervention de l’ONU a permis de mettre fin à cette guerre en Août 2006.
La crise a connu un nouvel épisode en 2010, avec la découverte de plusieurs gisements de gaz naturel en Méditerranée orientale.
Il faut noter que la région du Moyen-Orient revêt une importance capitale ; c’est un carrefour entre les civilisations humaines, une région géostratégique, pleine de richesses naturelles (pétrole et gaz naturel), en permanente conflictualité.
En effet, le contexte régional et international complexe et la guerre en Ukraine comme dernière illustration, a démontré l’importance de la diversification des importations internationales en gaz naturel, afin d’éviter la dépendance au gaz russe.
Par conséquent, cette nouvelle conjoncture pourrait inciter les grandes puissances économiques à se tourner vers cette région en matière d’importation de gaz naturel.
Dans ce sillage, les Etats de la Méditerranée orientale cherchent de plus en plus à profiter de cette opportunité en développant l’exploitation de cette source d’énergie.
Le Liban et Israël ne font pas l’exception ; ils se sont engagés dans des négociations concernant leurs frontières maritimes, non délimitées, pour arriver à conclure un accord.
Les négociations ont commencé en 2010 sous l’égide des Nations Unies et avec la médiation américaine. Elles sont passées par plusieurs étapes pour donner naissance à un accord en 2022.
Cet accord permet d’exploiter cette ressource énergétique et faire profiter l’économie des deux pays, surtout celle du Liban, pays se trouvant dans une situation peu enviable.
Cet accord conclu ne constitue pas un accord de paix, mais se limite à tracer la frontière maritime entre les deux Etats en vue de l’exploitation de leurs richesses dans leurs zones respectives.
Cependant, beaucoup d’ambigüités ont été relevées puisque cet accord est la résultante de nombreux calculs géopolitiques inhérents à la nature de la configuration interne des deux pays.
L’absence de climat de confiance et la crise politique interne des deux pays, les motivations des pouvoirs en Israël et au Liban, celles de Hezbollah et des Etats Unis d’Amériques ; tous ces éléments conjugués nous incitent à explorer les différents scénarios possibles, les gains directs et indirects des parties concernées et les conséquences de cet accord sur la géopolitique régionale.
Comment cet accord s’est-il concrétisé ? Quels en sont les termes ? Quelle répartition de cette manne gazière entre le Liban, affaibli économiquement, et Israël largement plus en avancée économiquement et militairement ? Et quelles sont les conséquences d’un tel accord sur la configuration géopolitique du Moyen-Orient ?
Un rappel du contexte et l’évolution des négociations depuis 2010 s’avère essentiel (AXE I) pour comprendre les termes de l’accord (AXE II) et analyser ses conséquences internes et externes (AXE III).
AXE I : un accord conclu dans un contexte mouvementé et conflictuel
La Méditerranée orientale a connu durant les années 2000 une série de découvertes de gaz naturel ; les découvertes se faisaient consécutivement sur les larges des côtes palestiniennes, Israéliennes, Egyptiennes, Chypriotes ou encore Libanaises et Syriennes. L’ampleur des découvertes varie considérablement entre ces différents pays, mais c’est Israël qui détient la grande part de ces découvertes avec un volume de réserves prouvées estimées à 176 milliards de m3, ce qui certes ne représente qu’environ 1% des réserves d’un pays comme la Norvège, mais qui peut constituer une opportunité pour un pays longtemps dépourvu de ressources naturelles.
En parallèle, avec ces découvertes, plusieurs pays de la Méditerranée orientale ont conclu des accords pour délimiter leurs frontières maritimes, notamment le Liban, qui, en 2007, a signé un accord de délimitation avec Chypre. Cet accord n’a pas été adopté en conseil des ministres, ni ratifié par le parlement libanais.
En effet, l’accord entre le Liban et Chypre se basait sur la ligne 1, considérée comme intersection entre le Liban et Chypre. Or l'accord libano-chypriote prévoit que « si l'une des parties entame des négociations pour délimiter sa zone économique exclusive avec un État tiers, au cas où cette délimitation concerne les coordonnées » des deux points délimitant les ZEE libanaise et Chypriote, « il incombe à cette partie d'informer l'autre et de la consulter avant de parvenir à un accord définitif avec cet État tiers » . (Voir carte annexe 1)
En 2009, une commission interministérielle présidée par le directeur général du ministère des Travaux publics et des Transports, Abdel Hafiz Kaissi, établit toutes les coordonnées des frontières de la ZEE du Liban. Selon les calculs, le Liban a affirmé que la frontière sud-ouest de sa ZEE ne se situe pas au point1 mais au point 23. (Voir carte 1)
La carte de la ZEE libanaise a été approuvée en conseil des ministres en mai 2009, mais elle n’a pas été adoptée par le parlement.
En 2010, le Liban a notifié à l’ONU le tracé de sa frontière maritime avec Chypre et avec Israël en s’appuyant sur les points établis pour la détermination de sa ZEE.
Il faut signaler également que le conflit entre le Liban et Israël ne se limite pas aux frontières maritimes, Le Liban accuse Israël d’avoir placé le point de départ de la ZEE situé à Ras Naqoura, 25 mètres à l’intérieur de son territoire ce qui techniquement influence le tracé de la zone économique exclusive libanaise
Sur le plan politique interne, le Liban et Israël traversaient des moments plus au moins difficiles, ce qui était déterminant dans les décisions prises par les deux parties.
D’une part, le Liban qui connait des divergences entre les différentes factions, depuis les années 70 et qui se sont traduites durant les années 80 par une guerre civile « confessionnelle » ; en effet, la division du pouvoir politique entre la majorité musulmane et la minorité chrétienne est déclinée dans un système politique basé sur le partage des pouvoirs entre les communautés religieuses du pays, le président de la république est chrétien, le président du conseil des ministres est musulman sunnite et le président du parlement est chiite.
En 2022, date de la conclusion de l’accord avec Israël, le Liban vivait au rythme des élections législatives et présidentielles, dans un contexte marqué par l’effondrement de son système financier depuis 2019.
Michel Aoun, alors chef de l’Etat, avait intérêt à concrétiser l’accord avec Israël après plusieurs années de négociations, mais le blocage sur la présidentielle suite aux élections présidentielles organisées en octobre 2022 n’a pas abouti à la nomination d’un chef de l’Etat au moment même de la signature de l’accord entre les deux parties.
Quant aux élections législatives libanaises tenues en mai 2022, dans un contexte marqué par la contestation du pouvoir politique, les résultats ont montré qu’aucune alliance politique n’a pu obtenir la majorité absolue.
D’autre part, en Israël, les électeurs avaient un rendez-vous avec les élections législatives en novembre 2022 ; ces élections ont connu le retour en force de Benyamin Netanyahou, chef du parti Likoud arrivé en tête des élections.
Partant de ces différentes considérations, l’accord conclu entre le Liban et Israël est motivé par plusieurs éléments qui varient d’une partie à l’autre.
Les motivations israéliennes tournaient essentiellement autour de la recherche d’intérêt économique et la recherche de leadership énergétique régional ; en effet, la signature d’un accord de ce genre va faciliter l’exploration de champs gaziers découverts dans la zone, auparavant disputée, et par conséquent créer un climat plus paisible et plus sécurisé pour les compagnies gazières désirant intervenir dans cette zone.
Les négociations ont été motivées également par la stratégie « pragmatique et opportuniste » d’Israël ainsi que la stratégie de normalisation des relations avec un nombre d’Etat arabes, en l’occurrence les Emirats arabes unis, le Bahreïn, le Soudan, le Maroc
Cependant, cet argument est à relativiser quant à la situation entre Israël et le Liban, ce dernier ne reconnait pas l’Etat d’Israël malgré la signature de l’accord de délimitation frontières maritimes, une normalisation de leurs relations n’est pas pour l’instant envisageable , le seul objectif étant l’exploitation des champs de gaz naturel offshore.
Les motivations libanaises sont certes d’ordre économique puisque la conclusion de l’accord avec Israël va forcément ouvrir la porte à l’exploitation de la manne gazière potentielle ; Des études sismiques réalisées entre 2010 et 2012 par les sociétés PSG et Spectrum ont montré la probabilité de l’existence d’importantes réserves de pétrole et de gaz naturel (environ 800 millions de barils de pétrole et 25 à 30 trillions de pieds cubes en gaz naturel) ; par conséquent la possibilité d’échapper à la crise socio-économique que connait le pays depuis plusieurs années.
En effet, selon le Fonds Monétaire International (FMI), en février 2023, l’inflation annuelle au Liban a atteint 190%, les prix des dentées alimentaires ont augmenté de 261%, l’effondrement des infra structures d’accès à l’eau et d’assainissement, les coupures d’électricité, tous ces facteurs, ont accentué la pauvreté et ont favorisé une émigration des citoyens, en particulier la main d’œuvre qualifiée
Egalement, le Liban ne fait pas partie du Forum EASTMED pour le gaz, ce qui limite, jusqu’à présent, son influence et sa capacité de coopération en la matière. L’exploitation donc des richesses gazières, si leur potentiel se confirme, va permettre au Liban de jouer un rôle important dans le développement du secteur gazier en Méditerranée orientale.
De son côté le Hezbollah a également avalisé indirectement l’accord de délimitation des frontières maritimes libanaises en vue des retombées économiques espérées par le Liban tout en niant la reconnaissance de l’Etat d’Israël ; dans un discours télévisé, le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a salué « une très grande victoire pour le Liban : pour l’Etat, le peuple et la résistance » , il a insisté sur sa position ferme vis-à-vis de la normalisation des relations ou la reconnaissance de l’Etat d’Israël en précisant que l’accord est un simple arrangement technique et un simple moyen pour sécuriser la frontière maritime et permettre au Liban d’exploiter ses richesses gazières .
Notons que le Hezbollah est la seule faction politique libanaise ayant été autorisé à conserver des armes après la fin de la guère civile dans le but de combattre l’occupation israélienne au sud du Liban.
Depuis 2006, l’arsenal militaire du parti s’est rapidement développé selon Souhayb Jawar, chercheur libanais spécialiste des mouvements politiques islamistes . Il est estimé à un stock de 130 000 roquettes et missiles et compte quelque 20 000 combattants actifs ainsi que 20 000 réservistes sous ses ordres. Selon la même source, le parti possède des drones souvent utilisés pour survoler les positions ennemies avec une précision remarquable.
D’ailleurs, l’envoi de drones au dessus des champs gaziers avant la signature de l’accord témoigne de la capacité du parti de s’opposer à l’accomplissement d’un tel arrangement.
Le Hezbollah dispose également d’un vaste réseau qui transporte les armes en Syrie et au Liban, principalement par convois aériens et terrestres via l’Irak, selon le chercheur.
Il faut citer également les motivations américaines qui s’inscrivent dans la vision globale de cette puissance puisque c’est grâce à sa médiation que l’accord a été conclu, même si la médiation américaine constitue, pour une partie de la classe politique libanaise , une source de méfiance vu le rapprochement traditionnel entre les Etats unis et Israël .
En effet, à travers sa présence en Méditerranée orientale comme au Moyen-Orient ainsi que toutes les régions du monde, les Etats Unis cherchent à imposer leurs règles et réaffirmer leur rôle et leur poids en tant que première puissance mondiale.
En fin, les Etats Unis d’Amériques avaient intérêt à participer activement dans l’élaboration et la conclusion de cet accord, pour contrer la pression Russe et limiter sa capacité de s’imposer par le biais de ses exportations du gaz naturel, aux quelles dépendent un nombre de pays surtout en Europe.
Il ne faut pas oublier que L’accord de délimitation des frontières maritimes entre le Liban et Israël s’est imposé dans un contexte international particulier ; Suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, la dépendance au gaz russe était devenue une source d’inquiétude pour les pays importateurs du gaz russe et en particulier les pays européens. La Méditerranée orientale pourrait donc constituer, plus ou moins, une alternative au gaz russe.
La délimitation des frontières maritimes en Méditerranée orientale, notamment entre le Liban et Israël, permettra l’exploitation des champs gaziers et par conséquent la possibilité d’exportation du gaz vers l’Europe.
AXE II : un accord qualifié d’historique
Le différend Israélo-libanais ne s’est concrétisé que depuis le 10 juillet 2011, date à laquelle Israël a officiellement adopté le tracé de sa zone économique exclusive, le tracé israélien relie Ras Naqoura au point 1 alors que la frontière libanaise relie Ras Naqoura jusqu’au point 23, que le Liban considère comme la pointe sud-ouest de sa zone économique exclusive . Cette situation a donc engendré un litige frontalier entre le Liban et Israël sur une zone de 860 km2.
En 2020, le Liban a proposé un nouveau tracé, revendiquant une zone supplémentaire qui se prolonge jusqu'au point 29 ce qui élargie la zone de dispute à 1430 Km2
Le Liban s’est basée essentiellement sur deux études, une effectuée en 2011 par l’UKHO (United Kingdom Hydrographic Office) et une étude effectuée en 2018 par une unité hydrographique de l’armée libanaise.
Carte 1 : zone disputée entre le Liban et Israël

Source : www.lorientlejour.com
En octobre 2022, le Liban et Israël parviennent à signer un accord sur la délimitation de leurs frontières maritimes après un processus long de négociations qui se sont étalées sur plus de 10 ans.
Cet accord est qualifié d’historique étant donné que les deux parties demeurent toujours en guerre et qu’aucun accord de paix n’a été signé.
Les négociations se sont basées essentiellement sur trois conditions :

  1. L’accord dissocie le tracé de la frontière maritime du tracé de la frontière terrestre ;
  2. L’accord consacre la médiation américaine ;
  3. L’accord ne fait pas référence au droit international maritime.
    Le processus de négociation s’est inscrit dans un contexte marqué par les divergences entre les composantes du pouvoir politique libanais en général et sur ce dossier en particulier et la faillite économique au Liban ; en effet, le président du parlement était favorable aux négociations sur la base des 860 km2 alors que les revendications du président portaient sur les 1430 km2 (voir carte 1).
    Chronologie des négociations
    Les négociations entre le Liban et Israël au sujet du tracé de leurs frontières maritimes remontent à 2010, la médiation américaine assurée par le médiateur Frederic Hof entre 2010 et 2012 a abouti à tracer une ligne baptisée « ligne Hof » sur la base de laquelle 55 % (490 km2) de la zone contestée allaient être attribués au Liban et 45 % (370 km2) à Israël. La proposition du médiateur américain à l’époque n’a pas satisfait les deux parties et le dossier est resté donc sans solution.
    Il a fallu attendre 2020, date de l’annonce par le président du Parlement libanais, Nabih Berri, d’un accord-cadre pour la relance des négociations, toujours avec la médiation américaine.
    Les négociations entre Israël et le Liban ont connu plusieurs « rounds » de pourparlers depuis octobre 2020.
    Premier round : une réunion a été organisée par le 14 octobre 2020 au quartier général de la force de maintien de la paix de l’ONU (FINUL) se trouvant dans la ville de Nakoura au sud du Liban en présence des délégations libanaise et israélienne avec la médiation des Etats Unis d’Amériques.
    Les négociations concernaient la surface de 860 Km2 objet du litige maritime, sachant que le Liban est signataire de la convention de Montego Bay ce qui n’est pas le cas pour Israel
    Les revendications libanaises sont basées sur ce droit, alors que l’Etat hébreu se base sur un premier tracé maritime Libano-Chypriote datant de 2007.
    Dans son discours inaugural, le général Bassam Yassine a insisté sur le caractère « technique » et non politique de ces pourparlers, de son côté le ministre de l’Energie israélien a déclaré que ces pourparlers ne constituent en aucun cas le début d’un processus de normalisation .
    Deuxième round : les pourparlers se sont déroulés le 28 et 29 octobre 2020, au même lieu que ceux du 14 octobre, le Liban a apporté de nouvelles cartes proposant une zone supplémentaire de 1430 km2 plus au sud.
    La nouvelle proposition libanaise part du point 29 au lieu du point 23, adoptant ainsi une proposition qui inclue une partie du champ gazier Karish (Voir carte 1)
    Or, Israël n’a pas accepté cette proposition dite « maximaliste », ce qui a déclenché un désaccord entre les deux délégations.
    Troisième round : s’est déroulé le 11 novembre 2020, toujours à Nakoura. Les négociations se sont poursuivies en présence du coordinateur spécial de l’ONU pour le Liban, Jan Kubis. L’ONU et les Etats-Unis ont qualifié le troisième round de « productif » à travers un communiqué conjoint, ils ont indiqué également que « les négociations aboutiraient à un règlement tant attendu »
    Quatrième round : s’est déroulé le 4 mai 2021 sans progrès significatif.
    Les négociations ont été suspendues à partir de mai 2021 et définitivement arrêtées en octobre 2021 avec le départ à la retraite du chef de la délégation libanaise, le General Bassam Yassine.
    Le médiateur américain Amos Hochstein, désigné en août 2021 par l’administration Biden pour accompagner le dossier, a effectué une série de visites au Liban dès octobre 2021en vue de trouver une solution « pragmatique » qui consiste à repartir les richesses contenues dans la zone disputée entre les deux Etats.
    Ces visites ont été fructueuses dans la mesure où elles se sont soldées par l’acceptation du Liban d’abandonner implicitement la position maximaliste et de négocier sur la base de la ligne 23.
    Un accord pour seul objectif : l’exploitation des richesses gazières
    L’accord de délimitation de la frontière maritime entre le Liban et Israël a été signé en octobre 2022, chaque délégation a signé une lettre initiée par le médiateur américain, qui constitue le texte de l’accord, sans que les deux délégations se rencontrent, c’est ce qu’a signalé le porte-parole libanais Rafic Chelala .
    L’accord concerne trois points essentiels :
  4. L’accord situe le champ Karish en totalité dans les eaux israéliennes et donc il sera exploité par Israël.
  5. Le champ Cana situé plus au nord sera à cheval entre les eaux israéliennes et libanaises, de ce fait le Liban aura tous les droits d’exploration et d’exploitation de ce champ avec une « rémunération » versée à Israël par la firme exploitant le champ gazier, en raison de la partie présente dans les eaux israéliennes.
    La rémunération d'Israël sera déterminée lors de pourparlers séparés entre Israël et le consortium de sociétés chargé de l'exploration (Total énergies, ENI et Qatar energy).
  6. L'accord prévoit l'aide des États-Unis pour résoudre tout différend futur concernant l'accord ou tout nouveau champ transfrontalier qui serait découvert à l'avenir.
    L’accord donc ne constitue en aucun cas une reconnaissance d’Israël par le Liban, ni un accord de paix entre les deux pays toujours en état de guerre. L’accord est simplement une sorte d’arrangement technique dont le but ultime est l’exploitation des richesses gazières des deux parties.
    L’entrée en vigueur du nouvel accord entre le Liban et Israël, annulera les coordonnées des tracés adoptés par les deux parties en 2011, c’est à dire le tracé israélien se basant sur le point 1 et le tracé libanais se basant sur le point 29.
    La ligne 23 devient donc, la ligne de démarcation maritime officielle entre les deux pays, même si le point de départ terrestre reste à négocier.
    Malgré le caractère exclusivement technique de l’accord, ce dernier fait apparaître de nouveaux enjeux géopolitiques pour les deux pays ainsi que pour l’ensemble des pays de la région.
    AXE III : un accord simple avec des enjeux majeurs, entre coopération et accord de paix
    L’accord entre Israël et le Liban, qualifié « d’historique » par le médiateur américain, constitue théoriquement une opportunité pour la stabilisation des relations tendues entre les deux Pays, Cependant, ce même accord soulève un triple enjeu politique, économique et géopolitique, pour le Liban, Israël ou encore la région toute entière.
    Selon David Amsellem : « Certes, le gaz ne remplacera pas le pétrole dont le Liban manque pour faire tourner son économie. Mais il pourrait soulager le secteur électrique, éviter les pannes de courant constantes et peut-être, à terme, devenir une source d’exportation et donc de revenus » .
    En réalité, le Liban, pourrait rencontrer plusieurs obstacles dans le processus d’exploitation de cette manne gazière, d’abord parce que le potentiel du champ Cana n’est pas encore prouvé Les hypothèses les plus favorables évoquent un potentiel de 1.5 à 2.5 milliards de pieds cube, contrairement à Israël qui s’est lancé déjà dans l’exploitation d’autres champs gaziers depuis plus de 10 ans.
    Ensuite, les négociations sur les modalités de rémunération qui seront versés à Israël risqueront de s’étaler sur plusieurs années puisque le texte de l’accord signé ne précise pas des délais pour ces négociations et renvoie aux bonnes intentions des parties concernées .
    Peut-on donc parler de cet accord comme un moyen de sortie, à caractère urgent, de la crise économique au Liban ?
    Les données socioéconomiques indiquent un état de faillite de l’économie libanaise puisque la dette publique s’élève à 100 milliards de dollars , les bénéfices qui seront tirés du champ Cana ne seront pas probablement suffisantes pour combler cette dette.
    L’enjeu pour le Liban est également politique, étant donné que la signature d’un tel accord pourrait instaurer un climat de confiance entre le pouvoir politique et le peuple qui accuse les dirigeants de corruption et de pillage de richesses du pays.
    Un autre enjeu de taille pour le Liban est celui des rivalités avec d’autres pays déjà producteurs de gaz naturel en Méditerranée orientale comme Chypre ou l’Egypte qui se sont lancé dans une coopération plus large allant jusqu’à avoir des ambitions d’exportations, le Liban alors au stade d’exploration n’est pas en mesure de s’imposer en tant que futur pays exportateur.
    De son côté, Israël se trouve devant un ensemble d’enjeux liés essentiellement à ses rapports de force avec son entourage.
    Cet accord paraît comme un moyen de renforcer la position d’Israël et son alliance avec les Etats Unis face à ses voisins arabes, et par conséquent négliger la question palestinienne qui structure le paysage moyen-oriental.
    La signature de l’accord avec le Liban, va sans doute encourager d’autres pays limitrophes pour délimiter leurs frontières maritimes, notamment Chypre, considéré comme un acteur important en Méditerranée orientale du fait de son potentiel prouvé en hydrocarbures ainsi que sa position géostratégique. L’enjeu principal étant l’approvisionnement de l’Europe en gaz naturel de la Méditerranée orientale.
    Il ne faut pas oublier le rôle du Qatar (géant mondial de la production et de l’exportation du gaz naturel) dans l’exploitation du champ gazier au Liban, le 29 janvier 2023, Qatar Energy a officialisé sa participation de 30 % dans le consortium chargé d’explorer et d'exploiter les blocs gaziers 4 et 9 au large du Liban s’agissant du géant français TotalEnergies (35 %) et la compagnie italienne ENI (35 %) .
    Cette participation va sans doute assoir la position Qatarienne dans la région à travers sa diplomatie énergétique basée sur « le soft power ».
    « L'entrée du Qatar dans le consortium a une signification surtout politique… et apporte une garantie politique » a affirmé l'expert en énergie Naji Abi Aad à l’agence France presse (AFP) notamment en raison des liens du Qatar avec les pays occidentaux et même avec Israël.
    CONCLUSION
    Même si l’accord signé entre le Liban et Israël éloigne la possibilité d’un affrontement militaire et instaure un climat plus paisible entre les deux pays, ces derniers étant dans une situation conflictuelle ; il est très difficile d’imaginer une paix entre les deux parties, On pourrait plutôt parler d’un moyen de coopération mutuelle et cela pour plusieurs raisons :
    D’abord, l’accord est très récent, il n’est pas encore concrétisé sur le terrain. Le processus de mise en œuvre de cet arrangement nécessiterait probablement plusieurs années.
    Ensuite, sur le plan technique, Israël parait beaucoup plus avantagée par rapport au Liban en terme d’exploitation des richesses gazières partagées entre les deux parties ; le potentiel du champ cana n’est pas encore prouvé contrairement au champ Karish dont les réserves sont déjà connu. Ce qui pourrait créer une frustration du coté libanais.
    Enfin, Le contexte moyen oriental conflictuel par nature ne facilite pas le processus de pacification de la région. Les découvertes de gaz naturel méditerranéen seront dans des cas de figure, un élément de stabilité mais joueront dans d’autres cas, le rôle de catalyseur de conflits latents entre les Etats de la région.

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  • www.le-gaz.fr
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    Annexe 1
    Les limites de la zone économique exclusive libanaise

Source : RIZK Sibylle, « les dessous du nouveau litige frontalier entre le Liban et Israël », septembre 2011, (en ligne) https://www.lecommercedulevant.com/article/19336-les-dessous-du-nouveau-litige-frontalier-entre-le-liban-et-isral, consulté le 06/06/2023

Les enjeux géopolitiques du gaz
et la bataille Nord Stream
Boutaina TALIBI
Introduction :
Le 26 septembre 2022, les gazoducs sous-marins Nord Stream 1 et 2, reliant la Russie à l'Allemagne à travers la mer Baltique, ont été détruits.
Cette destruction, qui a soulevé de nombreuses questions, met en évidence l'importance cruciale du gaz naturel dans le monde d'aujourd'hui.
Plus qu'un simple carburant, le gaz est devenu un enjeu géopolitique majeur, influençant les relations entre les nations, en particulier en Europe.
La Russie joue un rôle prépondérant dans le secteur gazier ; elle en possède d'immenses réserves, ce qui fait d’elle l'un des plus grands producteurs au monde.
Par ailleurs, l’Europe en est le principal marché d’exportation. En effet, elle dépend du gaz russe pour une partie importante de son approvisionnement.
La proximité géographique entre la Russie et certains pays européens facilite le transport du gaz par des gazoducs, ce qui inquiète certains pays européens quant à la possibilité que la Russie exploite son gaz comme un moyen de pression politique.
Les événements géopolitiques des dernières années, notamment depuis l'arrivée de Vladimir Poutine au pouvoir en 2000, ont mis davantage l’importance du gaz dans la politique internationale.
La Russie a utilisé ses richesses en gaz comme un levier politique pour faire pression sur les pays européens, comme en témoignent les conflits en Géorgie et en Ukraine.
La Russie a cherché aussi à exercer une pression politique en coupant ou en menaçant de couper l’approvisionnement en gaz vers ces pays voisins, particulièrement l’Ukraine en 2005/2006. Suite à cette interruption d'approvisionnement en gaz, les relations diplomatiques et énergétiques entre la Russie et l'Ukraine ont atteint leur point de non-retour.
Le géant gazier russe Gazprom n’a pas exclu la Géorgie de ses menaces de couper ses livraisons, dans un discours tenu par son vice-président, lors d'une conférence de presse, tenue mardi 7 novembre 2006 à Moscou.
En 2021, Le président biélorusse, Alexandre Loukachenko, a menacé de couper le transit de gaz russe vers l'Europe en réponse à des différends commerciaux entre la Russie et la Biélorussie concernant les tarifs du gaz naturel . Ces tensions ont créé des préoccupations quant à la stabilité de l'approvisionnement en gaz pour certains pays européens qui dépendent du gaz russe, transitant par la Biélorussie pour leurs besoins énergétiques.
Pour comprendre les enjeux de ces gazoducs sous-marins, il est important de rappeler les rapports entre la Russie et l'Europe pendant les années 2000, notamment avec l'arrivée de Vladimir Poutine au pouvoir.
Nous nous pencherons sur les enjeux géopolitiques liés au gaz. Ensuite, nous mettrons en relief l'importance des gazoducs Nord Stream 1 et 2 et les conséquences subséquentes de leur destruction. Cette analyse nous permettra de saisir la complexité des relations énergétiques et géopolitiques qui lient la Russie à l'Europe.
Enfin, nous évoquerons les perspectives futures à la lumière de la guerre en Ukraine.
I- Le contexte : ambition russe et opposition occidentale, le gaz naturel comme Levier politique
La période allant de 1989 à 1991 a marqué un tournant décisif dans l’histoire contemporaine. Après l’effondrement de l’URSS, ce qui est devenue la Russie s’est affaiblie ; elle est devenue comme un pays du tiers-monde, en proie à des difficultés économiques et politiques.
Durant cette période, les oligarques ont saisi l'occasion pour occuper les leviers de commandes locales et régionales au niveau politique et économique, accentuant les inégalités et laissant l'économie russe fragile et instable.
L'arrivée de Vladimir Poutine au pouvoir, en 2000, a marqué un tournant significatif.
Animé par la volonté de réhabiliter la Russie, certains parlent même d’une revanche sur l’occident et une ambition de restaurer la grandeur de la Russie, il a cherché à rétablir le statut de la nation sur la scène mondiale. D’ailleurs, lors de sa prise de pouvoir, Poutine a publiquement déclaré que l'effondrement de l'Union Soviétique avait été l'une des plus grandes catastrophes géopolitiques du XXe siècle.
Pour ce faire, et entre 2000 et 2005, Poutine a cherché à opérer le rapprochement entre la Russie de l'Europe, cherchant à renforcer les liens diplomatiques et économiques.
Ces tentatives de rapprochement ont été entravées par des différends majeurs avec l'Ukraine, notamment sur la question des prix du gaz.
Cependant, les conflits entre la Russie et l'Ukraine ne se limitent pas aux années 2005 ou 2014 ; ils ont une histoire plus complexe et des racines profondes, notamment en ce qui concerne les révolutions colorées et les préoccupations géopolitiques.
En 1989, par exemple, les révolutions est-européennes ont rapidement balayé le camp socialiste européen, signalant un bouleversement majeur dans la région.
Puis, à partir de 2003, une série de révolutions colorées a secoué l'espace postsoviétique, avec des exemples notables tels que la "Révolution des Roses" en Géorgie en 2003 et la "Révolution Orange" en Ukraine en 2004.
Ces événements ont marqué le début de changements politiques importants, mais ils ont également contribué à intensifier les tensions géopolitiques entre la Russie et ses voisins, y compris l'Ukraine. Il est donc clair que les racines des conflits actuels sont profondément enchevêtrées découlant justement des révolutions colorées et les préoccupations géopolitiques qui en découlent.
La Russie a ensuite utilisé ses ressources naturelles, en particulier le gaz, comme instrument politique, en coupant par exemple l'approvisionnement en gaz à l'Ukraine en 2005 /2006. Cette tactique a soulevé des inquiétudes quant à la fiabilité de la Russie en tant que partenaire énergétique.
En novembre 2006, Gazprom, le géant gazier russe, a évoqué la possibilité d'interrompre ses livraisons de gaz à la Géorgie si cette dernière refusait d'accepter une augmentation substantielle du prix du gaz, passant ainsi de 110 à 230 dollars pour 1 000 mètres cubes de gaz. Cette décision a suscité des interrogations quant à son fondement politique, mettant en évidence les tensions géopolitiques et énergétiques de l'époque entre la Russie et la Géorgie, avec le gaz devenant un instrument de pression politique dans la région.
Dans ce contexte tendu, marqué par les ambitions géopolitiques de la Russie et les préoccupations en matière de sécurité énergétique en Europe, la Russie a inauguré en 2005 le premier gazoduc Nord Stream 1, qui traverse la mer Baltique pour relier directement la Russie à l'Allemagne, contournant ainsi certains pays d'Europe de l'Est jugés instables ou moins fiables, dont l'Ukraine. Ce gazoduc a été perçu comme une alternative aux itinéraires traditionnels de transit de gaz, réduisant la dépendance de l'Europe vis-à-vis de l'Ukraine en tant que pays de transit.
Le Nord Stream 1 a été suivi du Nord Stream 2, dont la construction a débuté en 2018. Ce deuxième gazoduc, conçu pour augmenter la capacité de livraison de gaz russe vers l'Europe, a suscité de vives controverses. L'opposition de certains pays européens, notamment l'Ukraine et les pays baltes, ainsi que des États-Unis, a mis en évidence les inquiétudes concernant la dépendance croissante de l'Europe à l'égard du gaz russe, ainsi que les enjeux géopolitiques qui y sont associés.
La destruction des gazoducs Nord Stream 1 et 2 en septembre 2022 a marqué un tournant dans cette dynamique énergétique et géopolitique complexe. Pour comprendre les conséquences de cet acte, il importe d’évaluer les enjeux liés à l'approvisionnement en gaz, à la sécurité énergétique et aux relations entre la Russie et l'Europe.
Pour comprendre les enjeux du gaz naturel et leur impact sur les relations internationales et les échanges entre la Russie et l’Europe en matière de gaz, il est nécessaire de se pencher sur ces deux projets majeurs de gazoducs, Nord Stream 1 et 2.
En examinant ces deux infrastructures gazières, nous pouvons saisir les complexités des relations entre la Russie, l'Europe et d'autres acteurs internationaux, tout en explorant les aspects géopolitiques et énergétiques qui en découlent.
II- Descriptif des gazoducs Nord Stream 1 et 2
Les gazoducs Nord Stream 1 et 2 sont cruciaux pour l'approvisionnement de l'Europe en gaz. Cependant, ils sont également des acteurs clés dans les tensions géopolitiques entre l'Europe et la Russie. Parallèlement, la découverte de vastes gisements de gaz en Méditerranée le long des côtes de six pays - Chypre, Syrie, Liban, Israël, Gaza et Égypte - redéfinit le paysage énergétique européen, tout en créant des défis géopolitiques.
On essaiera de donner un aperçu des gazoducs Nord Stream, Nord Stream 1 et 2 et présenter les enjeux liés à ces gazoducs, ainsi que les implications de la découverte de gaz en Méditerranée.
1-Aperçu des gazoducs Nord Stream 1 et 2 :
Le gazoduc Nord Stream 1 est un pipeline sous-marin de 1 200 kilomètres qui relie la Russie à l'Allemagne. Sa construction a été réalisée par une entreprise commune germano-russe, Nord Stream AG, composée de Gazprom (51 %), Wintershall AG/BASF AG (24,5 %) et E.ON Ruhrgas AG (24,5 %) . Il est opérationnel depuis 2012 et joue un rôle crucial dans l'approvisionnement en gaz naturel de l'Allemagne. Il fournit également du gaz aux Pays-Bas et à la République tchèque, ce qui souligne son importance stratégique pour l'Europe.
Ce gazoduc a été développé pour contourner les routes terrestres traditionnelles du gaz, telles que le gazoduc terrestre Brotherhood qui passe par l'Ukraine, ou Yamal Europe qui traverse la Biélorussie et la Pologne pour atteindre l'Allemagne. En évitant ces itinéraires, Gazprom, la société russe exploitante, économise sur les taxes de transit imposées par les pays traversés.
Le gazoduc Nord Stream 2 est le jumeau de Nord Stream 1, visant à doubler la capacité de transport annuelle de gaz vers l'Europe. Il mesure 1 230 kilomètres de long et a un diamètre de 1 220 millimètres. Sa capacité est impressionnante, atteignant 110 milliards de mètres cubes de gaz par an, soit le double de Nord Stream1.
Le tracé de Nord Stream 2 démarre dans la région de Saint-Pétersbourg en Russie, précisément à Bolchoï Kouziomkino, et se termine à Lubmin, une ville côtière située au nord de l'Allemagne, en passant par la mer Baltique. Ce projet a été financé par Gazprom, ainsi que par plusieurs sociétés énergétiques européennes, dont OMV, Engie, Wintershall Dea, Uniper et Shell. Le coût total de la construction s'élève à environ 9 milliards d'euros.

Source : Diploweb. (s.d.). Carte : "Le projet de gazoduc Nord Stream entre la Russie et l'Allemagne." Diploweb. https://www.diploweb.com/cartes/nordstream08031.htm
2- Le gaz en Méditerranée : une découverte capitale qui redéfinit l'importance énergétique
La découverte de vastes gisements de gaz le long des côtes de Chypre, de la Syrie, du Liban, d'Israël, de Gaza et de l'Égypte représente à la fois un défi et une opportunité majeurs pour l'Europe. Alors que les gazoducs Nord Stream 1 et 2 continuent de jouer un rôle vital dans l'approvisionnement gazier du continent, ces nouvelles sources méditerranéennes offrent la possibilité de diversifier les ressources gazières de l'Europe, tout en intensifiant la concurrence sur le marché gazier. Cependant, des questions géopolitiques complexes et des infrastructures de transport adéquates devront être résolues pour exploiter pleinement ce potentiel, ce qui souligne la complexité de ces enjeux énergétiques en constante évolution.
3- Les implications géopolitiques de la découverte gazière en Méditerranée :
La découverte des gisements de gaz en méditerranée a ravivé l'intérêt des pays européens afin qu’ils puissent les substituer en partie aux approvisionnements en gaz russe .
L’UE avait même élaboré le plan REPowerEU qui vise à réduire la dépendance au gaz russe, voire de l'éliminer complètement d'ici à 2027.
Mais malgré les efforts déployés dans le cadre du plan REPowerEU pour réduire la dépendance de l'Union européenne au gaz russe, des défis et des défaillances subsistent.
La transition vers une plus grande indépendance énergétique est un processus complexe. Tout d'abord, il y a des obstacles logistiques à surmonter, tels que la mise en place de nouvelles infrastructures pour diversifier l'approvisionnement en gaz, le déploiement massif des énergies renouvelables et l'amélioration de l'efficacité énergétique.
De plus, la Russie demeure un fournisseur clé de gaz pour l'UE, ce qui rend difficile une transition immédiate. Les contrats à long terme existants et les infrastructures déjà en place lient étroitement l'UE à la Russie en matière d'approvisionnement en gaz. Par conséquent, malgré les efforts de diversification, une certaine dépendance subsiste.
Enfin, des facteurs géopolitiques entrent en jeu, car les tensions avec la Russie ont un impact sur les relations énergétiques. Les conflits ou les négociations diplomatiques peuvent influencer l'approvisionnement en gaz, rendant difficile la mise en œuvre complète du plan REPowerEU.
Comprendre le rôle des gazoducs Nord Stream 1 et 2 et réaliser l’importance de la découverte de vastes réserves de gaz en Méditerranée, est une approche essentielle pour saisir les problèmes cruciaux qui se posent entre la Russie et l'Europe. Ces gazoducs jouent un rôle vital dans l'approvisionnement en gaz de l'Europe, mais il est important de noter que ces infrastructures ne sont pas à l'abri des tensions géopolitiques. En effet, les Nord Stream 1 et 2 ont été confrontés à des défis importants, y compris des tentatives de destruction et des sanctions décidées à l’encontre de la Russie.
Parallèlement, la découverte de nouvelles sources de gaz en Méditerranée offre des opportunités considérables pour l'approvisionnement en énergie en Europe, tout en créant des défis géopolitiques. Cependant, ces avancées vont de pair avec des défis géopolitiques considérables. Nous allons maintenant explorer ces enjeux, en mettant particulièrement l'accent sur la dépendance énergétique de l'Europe à l'égard de la Russie, les vulnérabilités de l'Allemagne et les implications géopolitiques qui en résultent.
III-Les enjeux géopolitiques du gaz naturel : influence, dépendance et transition énergétique
Le gaz naturel est un enjeu géopolitique majeur. Les pays importateurs en dépendent pour répondre à leurs besoins énergétiques, ce qui les rend vulnérables aux tensions avec les pays fournisseurs, quant à ces derniers, comme la Russie ou les États-Unis, exercent un pouvoir sur la scène mondiale en tant que principaux exportateurs de gaz en l’utilisant comme moyen de pression politique.
Cette partie se concentrera sur les dynamiques géopolitiques du gaz naturel, en mettant en lumière les enjeux qui découlent de la relation entre la Russie et l'Europe, où l'Union européenne (UE) dépend fortement des hydrocarbures russes pour répondre à ses besoins en énergie.
Cette dépendance expose l'Europe à un risque géopolitique, car les conflits et les tensions entre la Russie et l'UE peuvent entraîner des perturbations dans l'approvisionnement en gaz.
En outre, cet ensemble d'enjeux est étroitement lié aux objectifs de transition énergétique de l'UE, qui impliquent l'abandon progressif des usines au charbon et du nucléaire. Par conséquent, la recherche de sources d'énergie plus propres et durables est une priorité pour de nombreux pays européens.
Pour comprendre pleinement ces enjeux, il est également essentiel d'explorer les relations énergétiques avec d'autres acteurs.
1- La dépendance de l'Europe au gaz russe
L'invasion de l'Ukraine par la Russie a mis en évidence l'ampleur de la dépendance de l'Union européenne (UE) à l'égard des hydrocarbures russes. Près de la moitié (48,4 %) du gaz et plus d'un quart (25,4 %) du pétrole importés dans l'UE proviennent de la Russie. Une tendance qui, loin de s’inverser, ne cesse de se renforcer (20 % d’augmentation de ses exportations de gaz naturel vers l’Europe de l’Ouest en 2013, selon l’EIA.)
L'Europe dépend principalement des importations de gaz russe pour alimenter ses réseaux de chauffage, de production d'électricité et de gaz pour les ménages, les industries et le secteur tertiaire.
Cette dépendance expose l'Europe à un risque géopolitique, car les conflits et les tensions entre la Russie et l'UE peuvent entraîner des perturbations dans l'approvisionnement en gaz.
L'interruption de l'approvisionnement en gaz en 2005/2006 et les menaces récurrentes de la Russie de couper les livraisons à l'Ukraine ont renforcé ces préoccupations.
Comment affronter Vladimir Poutine alors que l'Europe dépend largement du gaz russe ?
Quelle place le gaz occupe-t-il dans la transition énergétique ?
Cet enjeu est à la fois une préoccupation nationale allemande et une question géopolitique complexe pour l'ensemble de l'Union européenne (UE).
2- Les tensions entre l'Allemagne, les États-Unis et la Russie :
Le projet Nord Stream 2 est au cœur de ces tensions. Ce gigantesque gazoduc de 1 200 km, dont il ne manque que 150 km pour son achèvement, vise à relier la Russie directement à l'Allemagne. Il permettrait d'exporter le gaz russe en contournant les pays d'Europe de l'Est, dont l'Ukraine. Les sanctions américaines liées à ce projet ont exacerbé les relations entre Angela Merkel et l'administration Biden. Les États-Unis considèrent que Nord Stream 2 viole les principes de sécurité énergétique de l'UE et met en péril l'Ukraine et la Pologne.
3- Les Intérêts en Jeu :
L’intérêt principal du gazoduc Nord Stream 2 est de pouvoir acheminer le gaz russe sans passer par l’Ukraine et par conséquent, éviter les droits de passage ainsi que la dépendance à Kiev pour la vente du gaz à l’Europe, ce qui pourrait renforcer les ambitions hégémoniques Russes.
4- Les objectifs américains :
Les États-Unis, en tant que producteur de gaz en pleine croissance, cherchent à exporter leur gaz en Europe pour des raisons à la fois géopolitiques et économiques. Les Américains souhaitent maintenir l'indépendance énergétique de l'Europe vis-à-vis de la Russie, tout en générant des revenus supplémentaires grâce à leurs exportations.
5- L'Importance pour l'Allemagne :
L'Allemagne dépend du gaz, tant pour chauffer les maisons que pour alimenter son industrie, y compris la production automobile et la pétrochimie. Le gaz est devenu d'autant plus important que l'Allemagne réévalue son avenir énergétique suite à des événements comme l'accident nucléaire de Fukushima.
En gros, La bataille autour de Nord Stream 2 met en les divisions profondes au sein de l'Union européenne et entre cette dernière, et tout particulièrement l’Allemagne et les Etats Unis.
Comme elle a révélé l'importance de l'énergie dans les relations internationales.
Alors que l'Allemagne est soumise à des pressions extérieures, la poursuite de ce projet semble être une priorité.
Les États-Unis sont sur le point de devenir un acteur clé sur le marché du gaz en Europe, créant ainsi un paysage énergétique complexe aux implications géopolitiques importantes.
La sécurité énergétique de l'Europe, sa transition vers des sources d'énergie plus propres, et ses relations avec des fournisseurs énergétiques souvent imprévisibles sont des enjeux cruciaux à l'ordre du jour international.
IV- Les perspectives à la lumière de la guerre en Ukraine
La guerre en Ukraine a profondément influencé les dynamiques géopolitiques liées au gaz naturel en Europe.
Quelles sont les perspectives à l'ombre du conflit ukrainien et comment le dit conflit a-t-il renforcé la tutelle de l'Amérique sur les anciennes Républiques de l’Union soviétique, affaibli l'Europe et entraîné des conséquences économiques et sociales énormes.
1- La tutelle de l'Amérique sur les anciennes Républiques de l'URSS :
La guerre en Ukraine a accru la présence et l'influence américaines dans les anciennes Républiques de de l’Union soviétique.
Les États-Unis ont apporté leur soutien à l'Ukraine face à l’invasion russe, ce qui a renforcé leur rôle de protecteur des anciens États membres de l'URSS.
Cette position renforce la vision des États-Unis en tant qu'acteur géopolitique dominant dans la région, tout ayant un impact sur la politique énergétique et les relations internationales.
2- L'affaiblissement de l'Europe :
La guerre en Ukraine a également révélé l'incapacité de l'Europe à agir de manière unie et décisive dans ses rapports avec la Russie et les Etats Unis.
Les divisions au sein de l'Union européenne ont limité sa capacité à répondre efficacement à la crise ukrainienne et ont eu des répercussions sur l'approvisionnement en gaz. Cela a renforcé la dépendance de l'Europe à l'égard des acteurs extérieurs, tels que les États-Unis, pour assurer sa sécurité énergétique.
3- Le coût de la vie : renchérissement
La guerre en Ukraine a eu un impact économique sur l'Europe, en particulier sur le coût de l'énergie.
Les tensions géopolitiques ont conduit à des incertitudes sur l'approvisionnement en gaz, ce qui a conduit à une augmentation des prix sur le marché de l'énergie.
Les consommateurs européens ont ressenti cette hausse des coûts de l'énergie, ce qui a suscité des difficultés quant à l'accessibilité à cette ressource essentielle.
4- La division de l'Europe entre va-t-en-guerre et partisans de la négociation
La guerre en Ukraine a exacerbé les divisions au sein de l'Europe entre les pays favorables à des actions plus dures contre la Russie, souvent soutenus par les États-Unis, et ceux qui préconisent la recherche d’une solution diplomatique.
Ces divisions ont eu des répercussions sur les politiques énergétiques et les réponses à la dépendance au gaz russe. Certains pays cherchent à diversifier leurs sources d'approvisionnement en gaz, tandis que d'autres continuent à coopérer avec la Russie malgré les tensions géopolitiques.
En fin de compte, la guerre en Ukraine a eu un impact profond sur les enjeux géopolitiques liés au gaz naturel en Europe.
Elle a souligné la nécessité pour l'Europe de repenser sa sécurité énergétique, sa politique étrangère et ses relations avec la Russie.
Les répercussions de la guerre continuent de se faire sentir, influençant les décisions politiques et économiques des nations concernées, tout en maintenant le gaz naturel au cœur des rapports entre les pays de la région.
Bibliographie
Articles

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    https://www.portail-ie.fr/univers/enjeux-de-puissances-et-geoeconomie/2022/decouverte-dun-nouveau-gisement-de-gaz-au-large-de-chypre-de-quoi-detourner-la-tension-dukraine.
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III- VARIA

Sécurisation des politiques migratoires européennes :
entre le paradoxe libéral et la notion de Policy Gaps.
Mustapha KHALID
Résumé :
L’Europe a fait le choix de la sécurisation des politiques migratoires qui prône le renforcement du contrôle des flux migratoires qui s’étend progressivement de la sphère intérieure vers celle extérieure et détermine en même temps la création de zones tampons des flux migratoires sur le continent africain.
Paradoxalement, Ce combat acharné va à l’encontre des intérêts des acteurs économiques, même au sein de ces pays qui ont un besoin à la main d’œuvre étrangère, surtout dans quelques secteurs, tout en signalant que ces politiques migratoires ne permettent pas souvent à mettre fin ou au moins à atténuer le nombre des migrants arrivés en Europe d’une manière illégale ou légale par application des droits (l’asile, regroupement familial, l’étude…).
Abstract:
Europe has opted for a more secure approach to migration policy, advocating tighter control of migratory flows, which is gradually being extended from the internal to the external sphere, and at the same time determining the creation of buffer zones for migratory flows on the African continent.
Paradoxically, this relentless struggle runs counter to the interests of economic players, even within those countries that have a need for foreign labor, especially in certain sectors, while pointing out that these migration policies often fail to put an end to or at least reduce the number of migrants arriving in Europe illegally or legally by application of rights (asylum, family reunification, study…).
Mots clés : migration, sécurisation, politique migratoire, Policy Gaps, paradoxe libéral.
Introduction :
Le sujet de la migration est devenu ces dernières décennies une priorité importante sur l’échiquier national et international. Le phénomène est plus apparent dans les pays occidentaux, non pas parce qu’ils reçoivent le plus grand nombre de migrants , mais essentiellement par l’effet des médias qui braquent leur attention sur cette zone plutôt que sur les autres parties du monde où la migration est plus importante. En fait, la réalité est loin de ce que les médias laissent sentir.
Le discours dominant qui entoure l’agenda politique migratoire contemporain est celui d’une gestion technocratique sécuritaire des migrations, faut-il signaler que ce discours se cache souvent sous une approche attirante et acceptable de la part de l’opinion publique et des ONG. Il s’agit de l’approche qui prône la prévention et qui vise de plus en plus à stopper les mouvements migratoires avant même qu’ils n’aient commencé. Mais la mise en place des dispositifs visant à implémenter cette vision se trouve dérapé vers une exacerbation sécuritaire avec tout ce qui l’accompagne comme la fermeture et le contrôle des frontières, le verrouillage des trajets migratoires, la sous-traitance de la gestion vers les pays tiers, et la création des zones tampons.
L’efficacité d’une telle approche reste contestée et floue. Les efforts et les moyens déployés ne sont pas proportionnels aux résultats généralement réalisés sur le terrain dans la mesure où les flux continuent à franchir les frontières de l’Europe par des voies légales ou illégales selon un rythme qui ne cesse d’augmenter. De ce constat, il est légitime de se poser la question si ces tendances de sécurisation amplement adoptées comme choix stratégique des politiques migratoires européennes ont-elles permis dans la pratique de réduire des flux migratoires vers l’Europe ?
Cet article vise à explorer les modalités de gestion migratoires possibles (I) pour en conclure que l’occident et surtout l’Europe ont opté pour les politiques dites sécuritaires (II), ce choix en réalité reste à l’encontre des besoins réels des économies européennes (III) bien qu’un fossé réel est à noter entre les intentions de ces politiques migratoires à dominante sécuritaire et la réalité du terrain des flux migratoires (VI).
I. Typologie des politiques de gestion migratoire ;
La question migratoire n’est plus traitée seulement dans un cadre interne d’un État ; mais au niveau bilatéral ou sur le plan régional et, plus récemment, à l’échelle internationale selon une vision multilatérale. Ainsi, avant la fin des années 80, la migration était presque une affaire interne gérée amplement sur le plan national.
Mais un changement de paradigme s’est effectué vers le début des années 90 avec les grands événements qu’a connus le monde (la fin de la guerre froide et la chute du mur de Berlin), donnant lieu à une sorte de complexification et de confirmation d’une approche dite mondialisée ou globale de la migration accompagnée par l’intervention systémique des institutions internationales tentant de saisir ce phénomène .
C’est dans ce sens, l’année 2003 a marqué un moment charnier dans le débat international sur les mobilités et les migrations, surtout avec la mise en place par Kofi Annan, alors Secrétaire Général des Nations Unies, de la Commission mondiale sur les migrations internationales, comme premier forum mondial dédié à ce sujet .
En effet, dans son compte rendu final « Les migrations dans un monde interconnecté : nouvelles perspectives d’action » publié en 2005, la Commission affirmait « si les États veulent s’atteler à la question des migrations internationales de manière cohérente, ils doivent avoir convenu d’objectifs nationaux pour leurs politiques migratoires… » .
C’est à partir de ce moment qu’un nombre important de pays à travers le monde ont adopté des politiques, des stratégies ou des plans d’action thématiques ou généraux dédiés à la gestion des migrations. Cette tendance s’est accélérée aussi sous l’impulsion des agendas institutionnels, des engagements internationaux ou régionaux, ou pour des exigences des bailleurs de fonds ou autres…
En guise de définition, on peut présenter la politique migratoire comme étant les modalités sciemment utilisées en vue de gérer la migration. Il s’agit « d’ensemble de principes d’orientation à l’action des autorités publiques, ou ensemble de décisions et de moyens destinés à la réalisation d’objectifs déterminés dans le domaine migratoire (ex. politique de l’immigration et de l’asile, politique de l’emploi, etc) » .
Généralement, les traits phares les plus souvent mis en avant quand on évoque la formule « politique publique migratoire », figurent les termes : « action délibérée » : « tout ce qu’un gouvernement décide de faire ou de ne pas faire » ou aussi le « processus » qui signifie : « un ensemble de décisions interreliées prises par un acteur politique ou groupe d’acteurs politiques concernant la sélection des buts et des moyens pour les atteindre dans le cadre d’une situation précise…» .
Ainsi, on peut conclure que la politique migratoire est un « ensemble des décisions et des moyens destinés à la réalisation d’objectifs déterminés dans le domaine de l’admission et du séjour des étrangers ainsi que dans le domaine de l’asile et de la protection des réfugiés et autres personnes ayant besoin de protection » .
Une politique migratoire n’a pas une seule forme, elle peut être une loi, une décision politique, une déclaration ministérielle, une ligne budgétaire ou un cadre général sous forme d’une stratégie étatique ou un plan d’action. Cela n’a rien d’étrange eu égard à l’absence d’une définition universelle malgré une utilisation excessive du terme de politique migratoire.
Force est de signaler que la signification de ce terme varie d’une manière permanente en fonction du contexte historique, politique, économique et juridique d’un pays et de son système politique .
Une définition récente présente les politiques migratoires comme étant : « … les déclarations d’un gouvernement sur ce qu’il entend faire ou ne pas faire (y compris lois, règlements, décisions, arrêtés) concernant la sélection, l’entrée, le séjour et l’éloignement des ressortissants étrangers… » .
En somme, on peut affirmer que ce n’est pas facile de définir les contours très précis d’une politique migratoire dans la mesure où beaucoup d’interférences existent avec la politique de l’emploi, la politique monétaire, démographique, et peuvent avoir un impact sur la migration. Donc ce n’est pas une entreprise aisée de déterminer où commence et où s’arrête la politique migratoire.
D’autant plus, la multitude d’acteurs et d’intervenants dans le domaine de la migration, laisse poser les questions suivantes : Quels sont les acteurs de la politique migratoire ? Est-ce l’État ou les entreprises ? Quel est le rôle de la société civile. ? Faut-il rappeler que les entreprises interviennent et prennent les initiatives pour recruter les immigrés et faire appel à la main d’œuvre étrangère, mais au moment de la crise c’est les interventions de l’Etat qui prennent le dessus.
Les facteurs ayant favorisés le déclenchement des dynamiques migratoires sont structurels et ne sont pas évitables facilement, chose qui laisse prétendre que le phénomène migratoire ne peut être éradiqué totalement. La migration zéro que certaines idéologies aspirent réaliser ne peut être atteinte. La toile de fond qui domine dans le monde entier est le caractère désormais irréversible et irréductible du phénomène migratoire , et la seule option qui reste possible est de réguler ces flux migratoires dans le sens de les restreindre, d’en sélectionner ou de les faciliter selon certaines conditions.
Les modalités de gestion des flux migratoires sont amplement étudiées par les spécialistes de différents horizons selon des visions et des angles d’attaques différents. En transcendant ces variétés d’études, on peut s’accorder à dire que quatre systèmes idéologiques se confrontent dans la perception et la régulation de la question migratoire, il s’agit des modèles suivants : sécuritaire, utilitariste, humaniste et libéral.
A- Le modèle national sécuritaire :
Il s’agit d’un modèle qui perçoit la migration comme un risque ou une menace à la sécurité de la nation et à l’identité sociale : la migration est vue ainsi comme un envahissement qui menace les emplois et la cohésion sociale créant ainsi une sorte de dumping social. L’exemple parlant en ce sens est celui des USA qui ; moins d’un an après les attentats du 11 septembre ; ont décidé de mettre la gestion de la migration sous les mains de Homeland Security Department façon de ramener les questions de migration longuement dispersées dans plusieurs départements vers une seule institution dédiée à cette question bien sûr sous l’angle sécuritaire qui est une tendance lourde dans l’ère post attentats terroristes. Il s’agit de ce qu’on peut appeler la sécurisation de la migration qui consiste à dire que le contrôle de la migration est l’assurance de la sécurité des citoyens.
B- Le modèle utilitariste :
Il perçoit la migration comme une ressource importante pour un pays qui en fait recours en cas de besoin économique tout en proposant un système basé sur la sélection et les quotas.
En effet, il s’agit d’un modèle qui promeut l’intérêt des pays d’accueil qui utilisent la migration selon leurs besoins, surtout lors de la construction économique où la main d’œuvre devient rare. La politique de main d’œuvre doit ainsi strictement adapter les effectifs et les emplois aux besoins sectoriels de l’économie. L’adaptation doit tenir compte de la démographie comme contrainte interne .
C- Le modèle humaniste asilaire :
Il se fonde sur l’attachement au mémorial des grandes mobilités historiques et conteste par le même fait les idées d’envahissement. Il essaie de mettre en avant la liberté des unes et des autres à la mobilité tout en défendant les droits des migrants . Les politiques s’inscrivant dans ce cadre peuvent avoir une vocation pour opérationnaliser le droit à la protection internationale ou un certain idéal lié aux droits de l’Homme, comme elles peuvent avoir une certaine volonté d’influence à tendance pour assurer une image positive sur la scène internationale. Ex (la politique de francophonie /les étudiants internationaux).
D- Le modèle libéral :
Représenté par des penseurs physiocrates comme Adam Smith, adepte du « laisser-faire laisser-passer ». Ces penseurs mettent en garde des risques et les obstacles qui existent sur le chemin des personnes qui veulent entamer un projet migratoire, les rendant ainsi des proies. Ils prônent l’ouverture des marchés et l’autorisation aux gens de se déplacer librement et les marchés vont s’auto-rééquilibrer (régions pauvres vers les régions riches) (Ecosse - Angleterre) . Plusieurs économistes et chercheurs plaident encore de nos jours cette vision non sans manquer d’arguments comme le fait de confirmer que l’assouplissement de l’octroi de visas profiterait aux pays de départ et aux pays d’accueil .
Ce modèle libéral qui ne manque pas de pertinence, coexiste avec une autre variante qui peut être qualifiée de radicale ou d’utopiste. Il s’agit d’une idéologie libertarienne proche du libéralisme, mais en réalité elle est une sorte de surenchère qui consiste à dire que les individus sont propriétaires d’eux-mêmes et personne ne peut les exproprier de leur individualité. Une thèse fortement véhiculée par le philosophe Robert Nozick qui s’oppose à toute ingérence de l’Etat dans la circulation des individus. Il réfute toutes politiques migratoires, mais faut-il rappeler que même le refus d’une politique migratoire est en lui-même une politique migratoire.
Ces quatre modèles peuvent être en réalité réduits en deux macro-modèles, libéralisme et dirigisme : le premier englobe la vision humaniste/libérale fondée sur l’approche « droit » et le deuxième regroupe la vision sécuritaire et la vision utilitariste dans la mesure où elles s’entrecoupent sur plusieurs points. Elles représentent l’angle de vue des pays de destination par le fait que la sécurité ou les besoins économiques ne sont que des aspects d’utilitarisme de point de vue d’égocentrisme politique des pays d’accueil. On régule la migration selon notre sécurité et selon nos besoins économiques. La vision humaniste, à la différence de cette tendance, tend à prendre en considération les intérêts des migrants en premier lieu en concrétisant ainsi le droit à la mobilité.
II. Tendances de sécurisation des politiques migratoires européennes.
Si au début de l’immigration en Europe, le phénomène ne suscitait pas beaucoup de problèmes, au contraire, la migration pendant les trente glorieuses est vue comme l’une des solutions pour accompagner l’essor de l’économie, surtout dans une période de post-guerre qui a provoqué la perte des milliers de personnes surtout des hommes qui auraient constitué la main d’œuvre essentielle pour l’activité économique. Néanmoins, le choc pétrolier et la crise économique qui s’ensuit ont causé le changement d’attitude des européens envers le fait migratoire.
Rappelons comme nous avons montré ci haut que les politiques migratoires adoptées dans les différents contextes oscillent généralement entre quatre paradigmes idéologiques qui conçoivent des modèles de gestion migratoire différents.
Historiquement, dans le contexte européen, La vision utilitariste a pris le devant de la scène dans la période qui suit la Seconde Guerre mondiale avant de céder la place à la vision humaniste asilaire, à partir des années 1970, dans un contexte de guerre froide ou chaque partie souhaite séduire par le soft power. Le paradigme national sécuritaire s’est installé graduellement au gré des crises économiques et sociales qu’ont envahies l’Europe et donnant lieu à un contexte propice pour la montée des partis populistes et xénophobes où circulent l’idée du migrant comme étant une menace. Cette perception donne lieu à l’adoption des politiques sécuritaires par l’Union Européenne et ses membres dans la mesure où pour la plupart du temps, ces politiques sont le résultat des sondages de l’opinion publique .
Les premières ébauches de liaison entre migrations et sécurité commencent à se concrétiser, dans le contexte européen, dès la conclusion de l'accord de Schengen. Dès lors, on traite la migration comme étant une question de sécurité, de même que le terrorisme et la criminalité .
Dès les années 90, l’Union européenne a multiplié ses initiatives visant à décourager les flux migratoires à se diriger vers l’Europe par l’adoption d’une batterie de mesures comme :

  • Transfert des sujets de l’immigration et de l’asile du troisième au premier pilier communautaire dans le traité d’Amsterdam signé en 1997 en rendant l’immigration comme un sujet sécuritaire ;
  • Impliquer et responsabiliser les transporteurs aériens, maritimes et privatisation de certains services de contrôle des frontières ;
  • Installation du système intégré de vigilance externe (SIVE) tout au long des côtes espagnoles ;
  • Limitation du droit d’asile en développant la notion de pays sûr, de pays tiers sûr, de demande manifestement infondée, chose qui a rendu l’obtention du droit d’asile une tâche très difficile ;
  • Digitalisation des empreintes ou le système (Eurodac, 2000) servant à identifier les demandeurs d’asile frauduleux entre plusieurs pays de l’Union ;
  • Militarisation des frontières extérieures de l’UE et déploiement des forces policières pour les protéger (Frontex, 2004) ;
  • Conclusion de plusieurs accords bilatéraux et multilatéraux avec les pays tiers en vue de reconduire les migrants en situation irrégulière ou les déboutés du droit d’asile aux pays de départ ou de transit .
  • ….
    Cette approche sécuritaire du fait migratoire s'est renforcée davantage après les évènements du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis. C’est pendant cette période que la liaison entre les migrations internationales et le terrorisme s’est amplement renforcée. Et par conséquent, la lutte contre la migration est considérée dès lors comme un préalable primordial à la sécurité nationale. Ainsi, les gouvernements occidentaux ont opté pour le renforcement non seulement le contrôle des frontières extérieures, mais aussi les contrôles intensifs au niveau interne face aux ressortissants non européens .
    Cette tendance de la politique européenne, que ce soit sur le plan interne qu’externe, confirme d’une façon claire que le sujet de la migration est approché de façon croissante selon l'angle de la sécurité. Comme l'a clairement souligné Didier Bigo , le prisme du souci sécuritaire semble devenir l’unique instrument avec lequel on peut lire un phénomène complexe comme la migration .
    Pratiquement, sur le plan normatif et politique, l’UE en matière d’immigration a pris une tendance sécuritaire, lors des sommets de Séville (2002) et de Thessalonique (2003) qui ont rendu prioritaire le contrôle des frontières externes de l’Union. Ainsi, c’est au sommet de Séville, que la création de gardes-frontières européens avait vu le jour en vue d’endiguer l’immigration clandestine, mais aussi l’apparition de l’idée d’impliquer et de responsabiliser les États riverains, surtout ceux du sud dans le processus de lutte contre la migration irrégulière en leur octroyant des aides comme une contrepartie de leur coopération au contrôle . Une proposition britannique a été formulée lors du sommet visant à installer des camps de rétention pour accueillir des étrangers (migrants irréguliers et demandeurs d’asile) dans tous les pays.
    Du moment où le lien est renforcé entre la migration, le terrorisme et la criminalité, les relations entre l’Union Européenne et les autres pays, surtout africains, sont de plus en plus conditionnées par le sujet de la migration, abordé de façon permanente sous l’angle sécuritaire.
    Par conséquent, l’immigration en Europe est présentée souvent non plus comme une richesse, mais comme étant un problème à résoudre. Si toutes les sensibilités politiques de gauche ou de droite diffèrent au niveau des solutions proposées au « problème » mais le constat, à tout le moins, semble largement partagé. Le discours s’inscrivant dans cette tendance sécuritaire et anti-immigration prône la fermeture des frontières, l’expulsion des migrants en situation irrégulière, le durcissement de l’arsenal juridique en la matière et la remise en question de la posture jugée généreuse vis-à-vis des demandeurs d’asile. La migration, selon ces courants, si elle est essentielle pour l’économie, elle doit désormais être une immigration choisie, sélective et maîtrisée .
    III- Verrouillage des frontières se fait à l’encontre des attentes du marché du travail.
    « Accueillir les migrants à bras fermé » est la formule qui reflète le mieux ce constat, en effet, les politiques migratoires mises en avant dans les pays du Nord sont généralement restrictives à cause des réticences envers des entrées fortes par l’opinion publique et les partis populistes ou nationalistes. Paradoxalement, ce choix va à l’encontre des besoins et des intérêts économiques des grandes entreprises.
    C’est ce que souligne depuis longtemps le chercheur américain James Hollifield qui affirme que l’analyse de la politique d’immigration montre une sorte de contradiction entre la logique du fonctionnement du marché et la logique du droit cristallisée sous forme de politiques migratoires. Il s’agit d’un équilibre fragile à tenir entre, d’un côté, les intérêts économiques qui prônent l’ouverture des frontières et le libre-échange pour la circulation des biens, des capitaux et des personnes et de l’autre côté les exigences sécuritaires ou identitaires qui craignent des flux migratoires du fait qu’ils peuvent mettre en péril le système de sécurité nationale et de l’identité sociale.
    En effet, les Etats libéraux sont obligés d’opter pour le choix de l’ouverture dans le cadre de leurs politiques extérieures comme une exigence de l’économie de libre-échange fondée essentiellement sur la liberté de la mobilité d’une main-d’œuvre hautement qualifiée, néanmoins la réalité des politiques migratoires est totalement à l’inverse des attentes de cette économie libérale. Cette divergence ou, comme la qualifie Hollifield, ce “paradoxe du libéralisme” est l’un des sujets qui suscitent des débats acharnés sur la question migratoire en Europe. Il s’agit d’un facteur clé qui explique la lourdeur du processus de l’adoption d’une politique commune de l’immigration .
    Dans les pays du Nord, les entreprises font de plus en plus pression sur les gouvernements pour opter pour une politique migratoire souple permettant la réouverture des frontières dans le but de faciliter le recrutement des travailleurs issus de la migration pour compenser le manque de la main-d’œuvre, surtout dans quelques secteurs. Mais les syndicats et quelques partis politiques s’opposent fermement à cette question. Ils craignent que ces flux migratoires viennent fragiliser la situation des travailleurs locaux. Face à ces forces ou acteurs contradictoires, les gouvernements sont eux-mêmes divisés , reflétant une sorte d’oscillation entre un choix de thèse de l’immigration zéro tout en restant bloqués dans une approche sécuritaire, restrictives ou un choix de libéralisme migratoire que soient par des motivations utilitaristes ou de droit.
    VI- Policy Gaps : une réalité omniprésente dans les politiques étatiques, mais plus flagrante dans le domaine migratoire.
    Il s’agit d’une théorie développée par J Hollifiled. Elle désigne l’écart qui sépare les intentions des politiques migratoires, les attentes de l’opinion publique et les réalisations effectives sur le terrain, parce que ces flux migratoires sont entretenus et autoalimentés par les réseaux, les besoins structurels de l’économie, la situation géopolitique à travers le monde et davantage par un système de droits. L’exemple pertinent dans ce cas est le quinquennat de Sarkozy. Ainsi, malgré les efforts déployés pour maitriser les flux migratoires, les chiffres vont s’accroitre selon une moyenne normale par rapport aux années précédentes .
    « Depuis 1993, nous avons en France tous les deux ans en moyenne une loi sur l’immigration, sans réduire pour autant les flux migratoires. Cet échec s’explique par la répartition des titres de séjour : la migration économique étant réduite à moins de 10 %, l’immense majorité des migrants non européens que nous recevons chaque année sont accueillis en application des droits. Les politiques migratoires qui omettent ces contraintes en rêvant d’une migration strictement ajustée à nos besoins économiques sont illusoires. Elles sont plus efficaces quand elles se concentrent sur des problèmes à leur portée, comme l’apprentissage de la langue, la concentration géographique des immigrés ou la lutte contre les discriminations. »
    Face à ce constat qui met en avant l’inefficacité de modalités de gestion des flux migratoires, Patrick Stefanini un haut fonctionnaire français, membre du Conseil d'État, ancien Directeur Général des services de la région Île-de-France et auteur d’un livre sous le titre « Immigration : ces réalités qu'on nous cache » : propose de sortir de la convention européenne des droits de l’Homme de 1950. « La politique de l’immigration n’est plus pilotée ni par l’exécutif ni par le parlement, sinon de manière très partielle, mais par les diasporas » dans la mesure où les immigrés arrivant en France et dans l’espace européen sont venus en guise d’application et de reconnaissance de plusieurs droits (matrimoniales, réfugiés, études…).
    Dans une interview avec le Figaro magazine, à cette question « Vous proposez un référendum (c’est l’arme massive de destruction des conventions internationales) pour imposer des quotas à l’immigration familiale, est-ce réaliste ? » Patrick Stefanini répond « Nous ne parviendrons pas à maitriser l’immigration familiale si nous ne révisons pas la constitution en prenant nos distances avec l’application faite par les tribunaux de l’article 8 de la convention européenne de droits de l’Homme proclamant le droit à une vie privée et familiale. Le moyen le plus sûr de le faire : c’est le référendum ». Il ajoute « S’agissant de la convention, il faut probablement la dénoncer puis ré adhérer en formulant une réserve sur un point précis : cet article 8.il ne s’agit pas de supprimer toute immigration familiale, mais de mettre fin à la générosité excessive des jurisprudences française et européenne » .
    Force est de signaler que Patrick Stefanini prend comme cible l’arrêt fondateur du regroupement familial, l'arrêt GISTI qui est très célèbre en droit administratif. … Cet arrêt adopté le 8 décembre 1978 qui traite le sujet du regroupement familial. Force est de signaler qu’un décret publié le 10 novembre 1977 l’avait suspendu pour une durée de trois années.
    Conclusion
    L’adoption des politiques migratoires à dominante sécuritaire, confirmée ces dernières années comme une tendance lourde sur la scène internationale, n’aboutit pas toujours aux résultats escomptés qui consistent à stopper l’immigration vers le vieux continent ou au moins d’en atténuer l’ampleur pour de raisons diverses. Premièrement, la mobilité est un fait inhérent à l’existence humain, voire, il s’agit de la forme habituelle de l’humanité avant que l’homme ne s’est sédentarisé pour exercer des activités en relation avec l’agriculture et après l’industrie. Deuxièmement, la mobilité des zones fragiles et pauvres vers celles stables et développées est très difficile à éliminer, et ceux qui aspirent à cet objectif si comme ils cherchent à interdire l’échange thermique entre deux objets proches et qui ont des degrés de chaleur différents. Et enfin parce que les besoins économiques et démographiques font appel toujours à davantage de migration pour compenser le manque de main d’œuvre, surtout dans certains secteurs, mais aussi c’est dû à la nature des politiques publiques qui sont entachées de cette limite que J. Hollifiled appelle Policy Gaps.
    Bibliographie
  • Anaïs Luneau Sous la direction de Denis Stokkink « Notes politique migratoire européenne de l’asile à l’expulsion ? », NOTES D’ANALYSE / JUIN 19 RSE & Diversité.
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  • Richard Perruchoud, (OIM), « Glossaire de la migration », 2007, droit international de la migration N 9
  • Thomas Dye, « Pourquoi créer des cadres de politiques migratoires? » In https://www.mieux-initiative.eu/files/MIEUX_Factsheet_WHY_FINAL_FR.pdf
  • Virginie Baby-Collin, « Les migrations internationales dans le champ des sciences sociales, tournants épistémologiques et variations d'échelles ». Faire Savoirs, Sciences humaines et sociales en région PACA, 2017, n°13, p. 7-16.
  • William Jenkins, « Pourquoi créer des cadres de politiques migratoires? » In https://www.mieux-initiative.eu/files/MIEUX_Factsheet_WHY_FINAL_FR.pdf .

Réflexions en sciences sociales et les communautés du Haut Atlas
Rachid HAMIMAZ
Socio économiste, Professeur
IAV Hassan II
hamimazrachid @gmail.com
"L'aide véritable est comme une brise légère qui guide les autres sans les forcer à suivre un chemin spécifique."
Proverbe soufi
"Ce n'est pas tant l'assistance que vous offrez aux autres, mais plutôt la dignité que vous leur permettez de conserver, qui compte le plus."
Dalai Lama
"Ne faites pas pour les autres ce qu'ils peuvent faire eux-mêmes."
Abraham Lincoln
La question qui se pose après le terrible séisme dans le Haut Atlas est la suivante : "Comment apporter une aide efficace aux populations sinistrées de cette région ?" Un élan massif de solidarité, tant au Maroc qu'à l'étranger, s'est manifesté. Divers acteurs, tels que les autorités, la société civile, les médias, et de nombreux experts, se mobilisent pour apporter leur soutien. Ils débattent de sujets tels que la reconstruction, le développement, et d'autres aspects liés à ces régions découvertes brusquement.
Cependant, cette assistance soulève des questions complexes. Plusieurs penseurs, sociologues, anthropologues et praticiens du développement communautaire ont examiné cette problématique dans divers contextes géographiques. Leurs travaux offrent des pistes de réflexion pour une approche optimale visant à aider ces communautés montagnardes sans perturber leurs structures sociales, économiques et culturelles.
Il est possible, mais dans une étude distincte, de mettre en lumière les expériences et travaux menés, cette fois ci au Maroc au cours des quarante dernières années par des chercheurs marocains. Ces travaux portent sur des initiatives de développement telles que le regroupement, le déplacement ou la reconstruction de villages. Il serait intéressant de capitaliser sur ces expériences pour mieux ajuster les aides et l'assistance offertes aux habitants des montagnes du Haut-Atlas, par exemple. Ces recherches marocaines peuvent fournir des informations précieuses sur les défis et les succès rencontrés dans l’assistance des communautés rurales. Les leçons tirées des expériences malheureuses de reconstruction après le séisme d’al Hoceima peuvent constituer une précieuse source d'informations pour éviter de reproduire les mêmes erreurs. Ces recherches et expériences peuvent également offrir des perspectives spécifiques sur les besoins et les aspirations des habitants sinistrés de ces régions montagneuses. En tenant compte de ces informations , il est possible de mieux répondre aux attentes des communautés locales et de mettre en place des mesures de reconstruction plus efficaces et adaptées à leurs besoins spécifiques.
Dans ce texte je ne prends pas position, mais je présente quelques-unes des idées débattues parmi les chercheurs, issues de contextes variés, pouvant éclairer la réflexion de nombreux acteurs qui se demandent : "Comment devrions-nous continuer à apporter de l'aide dans le Haut Atlas ?"
Ces suggestions ne prétendent pas être exhaustives, mais elles synthétisent les recommandations issues de certaines analyses originales. Elles peuvent stimuler l'engagement individuel et encourager la réflexion personnelle sur ce qui est en train de se faire et ce qu’il convient de faire.
1) Abandonner, à la lumière des réflexions de l'anthropologue américain James C. Scott, qui s’est penché sur les effets de l'assistance extérieure et du développement sur les communautés rurales en Asie du Sud-Est, l'approche "rationalisatrice" de l'État moderne, qui tente d'imposer des modèles et des normes occidentaux en matière de développement, de gestion des ressources et de gouvernance, sans toujours prendre en compte les réalités locales. Le philosophe et critique social Ivan Illich (m. 2002), un penseur critique de renom, bien que ses travaux ne se concentrent pas exclusivement sur l'assistance extérieure, a introduit le concept de "contre-productivité". Dans le contexte de l'aide et de l'éducation, cela suggère que des interventions excessives peuvent avoir des effets négatifs et entraver les objectifs visés. Par exemple, Illich a averti que lorsque des experts étrangers interviennent de manière excessive, ils risquent de marginaliser les compétences et les connaissances locales, affaiblissant ainsi la capacité des communautés à résoudre leurs propres problèmes.
2) Prendre en considération le fait que les interventions ou l'assistance ne perturbent pas les structures sociales traditionnelles au sein des communautés locales. À titre d'exemple, James C. Scott, dans son ouvrage "Seeing Like a State", a démontré comment des projets agricoles modernes peuvent altérer les modes de propriété foncière traditionnels, entraînant des conséquences sur les normes de solidarité et de partage au sein de la communauté. L'anthropologue James Ferguson, qui a étudié les politiques de développement en Afrique du Sud, a expliqué comment l'aide alimentaire peut perturber les économies locales en concurrençant les agriculteurs locaux et en favorisant la dépendance à l'égard de l'aide extérieure.
Pour concevoir une assistance optimale, crédible et légitimée par les populations du Haut Atlas dévastées par un récent séisme, il est essentiel de prendre en compte les subtilités anthropologiques et culturelles de ces tribus. Dans cette perspectives, le travail réalisé par le sociologue et anthropologue Jacques Berque en 1955 peut s’avérer être fort utile. Berque n’a pas examiné l’assistance mais a exploré les structures sociales et culturelles des populations berbères vivant dans la région du Haut Atlas au Maroc, utilisant une approche ethnographique pour décrire en détail les aspects de la vie quotidienne, de la religion, de l'économie et de l'organisation sociale de ces communautés.
La connaissance des pratiques, les coutumes et les valeurs culturelles des tribus, nécessite sans doute de consulter les leaders tribaux et religieux pour obtenir leur approbation et leur soutien dans les initiatives d'assistance. Le dialogue avec ces élites locales doit être sous tendu par une présentation claire des objectifs, une écoute active ouverte aux ajustements nécessaires pour mieux aligner l’assistance sur les besoins locaux, l’obtention de leur approbation sous une forme cohérente avec les coutumes locales, une collaboration continue et une communication ouverte et régulière, le souci d’une responsabilité partagée les impliquant dans la gouvernance du projet, en veillant à ce qu'ils aient un rôle actif dans la prise de décision et la gestion des ressources. Berque a également analysé la fonction de patronage des saints locaux qui régule les rapports sociaux, et il s’agit d’examiner comment un programme d’assistance devrait, pour être reconnu et donc efficace, prendre en compte la structure des croyances locales et s’y insérer, sans l’ignorer ou la bouleverser.
Il est également essentiel d’employer du personnel local, de préférence issu des communautés qu’on veut aider. Cela facilite la communication et témoigne du respect pour la main-d'œuvre locale.
La mise en place de cliniques mobiles pour fournir des soins médicaux doit respecter les traditions médicales locales. Il n’est pas question d’écarter les praticiens de médecine traditionnelle et les guérisseurs. Il s’agit au contraire de comprendre leurs méthodes, leurs connaissances et leurs pratiques, et d’identifier les domaines où la médecine traditionnelle peut compléter les soins médicaux modernes. Par conséquent, tout programme de soins intégrés devrait combiner les méthodes modernes et traditionnelles pour répondre aux besoins de santé de la communauté.
3) Prendre en compte les conséquences néfastes d'une assistance excessive et non réfléchie, comme le préconise Ivan Illich. Il suggère que des programmes d'aide massifs peuvent engendrer la dépendance, décourager l'initiative locale, voire détruire les réseaux sociaux et les valeurs communautaires existants. Ils peuvent également avoir des répercussions imprévues sur le terrain, et il est essentiel de prendre en compte, ce que Didier Fassin, sociologue et anthropologue, appelle « la complexité des dynamiques ». Celle-ci se révèle à travers ce qu’il appelle « l’interconnectivité des Facteurs » (une aide peut avoir des implications politiques, économiques et sociales qui se chevauchent, ce qui rend difficile la prédiction de tous les résultats possibles), des effets pervers non anticipés (en créant de nouveaux problèmes ou en aggravant d'autres aspects de la situation), la diversité des contextes locaux, les réponses des individus et des communautés aux interventions extérieures, souvent influencées par des facteurs humains et sociaux complexes, tels que la confiance, la perception des acteurs extérieurs, les normes sociales, etc, mais aussi l’évolution dans le temps des dynamiques car ce qui était efficace à un moment donné peut ne plus l'être à l'avenir en raison de changements politiques, économiques ou environnementaux.
4) Prendre garde à ce que l’assistance extérieure ne renforce les inégalités de pouvoir existantes. Didier Fassin a mis en évidence dans ses travaux les interactions complexes entre l'assistance extérieure, la politique et la culture locale. Les inégalités de pouvoir existantes se manifestent à travers par exemple, le pouvoir des acteurs extérieurs (pays donateurs, organisations internationales ou ONG), qui ont généralement un pouvoir considérable dans la définition des politiques et des programmes d'assistance, décidant souvent des priorités, des ressources allouées et des modalités de mise en œuvre sans une véritable participation des communautés locales. Ils peuvent se manifester également à travers l’accès Inégal aux ressources (certaines régions ou groupes plutôt que d’autres), les risques de corruption et de détournement dans le cas d’une abondance de ressources liées à l'assistance extérieure, comme dans le cas actuel du Haut Atlas sinistré. Mais les inégalités de pouvoir résultant des interventions extérieures peuvent aussi générer de la résistance et des conflits, car les communautés locales se sentent marginalisées ou maltraitées.
5) Établir un équilibre dans la gouvernance environnementale revêt une grande importance. Les travaux du chercheur canadien Raul Pacheco-Vega, qui examine l'impact des politiques de développement sur les communautés locales et les environnements, sont précieux pour analyser la relation entre une assistance extérieure excessive et les réalités socio-culturelles locales. Il développe notamment le concept de justice environnementale, qui peut éclairer les inégalités potentielles engendrées par l'assistance extérieure et les politiques de développement. Ces inégalités peuvent soit soutenir, soit entraver les objectifs de durabilité à l'échelle locale.
6) Éviter le piège de la bureaucratisation de l'aide, il est essentiel de prendre en compte les enseignements de chercheurs tels que James Ferguson, Chambers, Arturo Escobar, Clifford Geertz (m.2006), et Dee J. Hall. Ils soulignent l'importance de reconnaître la connaissance pratique détenue par les communautés locales et de valoriser cette expertise au même titre que celle des experts. Plutôt que d'imposer des solutions technocratiques de l'extérieur, une compréhension approfondie des contextes locaux doit être développée pour concevoir des interventions efficaces et respectueuses des valeurs et des normes communautaires. Par exemple en matière de reconstruction des habitats traditionnels berbères dévastées par le séisme du Haut Atlas, ce serait insensé de partir dans un projet kolkhozien de regroupement, ou de déplacement ou de reconstruction moderne, « urbano cimentées » pour toutes ces populations, dont il faut accompagner les aspirations et non penser à leur place. On se trouverait alors en face d’une multitude d’effets comme la délocalisation des familles avec toutes les implications émotionnelles et culturelles qui en découlent, la rupture des liens communautaires, la perte de soutien social et une transformation de la dynamique communautaire, De plus, cela conduirait à la disparition des savoir-faire transmis de génération en génération, une altération de l'identité culturelle et de la résilience des communautés locales, avec des répercussions potentielles sur la fierté et le bien-être psychologique des habitants.
Cela signifie également que la participation des communautés locales dans la conception et la mise en œuvre des projets de développement doit être privilégiée, comme le préconisent Scott, Ferguson, Escobar, Dee J. Hall, Robert Chambers, et Ivan Illich. Cette approche décentralisée donne la voix aux communautés locales, en mettant en avant l'importance de donner la parole aux membres les moins puissants et les plus vulnérables de la société. Elle doit également, comme le souligne l’anthropologue Didier Fassin, mettre en avant le principe du « consentement informé », autrement dit les bénéficiaires devraient être correctement informés des objectifs, des modalités et des conséquences de l'assistance, et ils devraient avoir la possibilité de donner leur consentement librement.
En outre, contextualiser les projets dans le cadre culturel local, comme le recommande Clifford Geertz, est essentiel pour qu'ils soient efficaces et respectueux. Une des implication de la réflexion de Geertz est de prendre en compte la signification locale des pratiques, des valeurs et des symboles pour comprendre comment une communauté perçoit l'aide et comment elle peut influencer sa culture. Enfin, Michael Edwards souligne le rôle crucial des ONG et des associations locales dans l'influence des politiques d'aide et dans la promotion d'une utilisation plus efficace des ressources au bénéfice des communautés locales.
7) Veiller à ne pas perturber la structure des valeurs ancestrales. Arjun Appadurai, un anthropologue culturel qui a étudié la mondialisation et les flux de culture et de valeurs à l'échelle mondiale, a développé un concept fascinant : "La construction de l'identité". Il s'agit de la manière dont les individus et les groupes façonnent leur identité au milieu des échanges culturels. Dans le contexte de l'aide extérieure, l'adoption de nouvelles idées et normes peut influencer la construction de l'identité individuelle et collective au sein des sociétés locales. Nous nous concentrons ici sur une question cruciale : "Quel impact cette assistance extérieure diversifiée a-t-elle sur la structure des valeurs de la société berbère du Haut Atlas ?"
Lors de récents séismes, de nombreux Marocains ont découvert avec admiration un ensemble de valeurs propres à ces communautés, souvent en déclin dans les villes, telles que la dignité, la générosité, l'entraide, etc. Cependant, un afflux non réfléchi d'argent ne risque-t-il pas de perturber cette structure de valeurs et d'engendrer une nouvelle identité différente de celle préservée pendant des siècles ? L'exemple du Rif est éloquent à cet égard. Les aides monétaires reçues dans le Rif au cours des vingt dernières années ont contribué à perturber la structure des valeurs et à façonner une nouvelle identité qui ne correspond plus à celle des anciennes générations.
Alasdair MacIntyre, le célèbre philosophe moral écossais, est renommé pour son analyse approfondie de la moralité, de la tradition et du déclin moral dans la société moderne, exposée dans son influent ouvrage "Après la Vertu" (1981). Bien que son œuvre n'ait pas explicitement abordé l'excès d'assistance extérieure, sa réflexion sur la perte des valeurs traditionnelles et la fragmentation de la moralité à l'époque contemporaine peut fournir un cadre pour comprendre comment une dépendance excessive à l'égard de l'aide extérieure peut altérer la cohésion sociale, les valeurs et la moralité au sein d'une société.
MacIntyre évoque la "fragmentation de la moralité" dans la modernité, où les individus définissent leur propre moralité en fonction de leurs préférences personnelles. Une assistance excessive de l'extérieur peut accentuer cette fragmentation en créant une division entre ceux qui reçoivent l'assistance et ceux qui la fournissent, chacun ayant ses propres valeurs et attentes. Il insiste sur l'importance des communautés morales pour cultiver et mettre en pratique les vertus. Lorsqu'une société devient trop tributaire de l'assistance extérieure, cela peut affaiblir ses propres communautés morales locales, car les individus peuvent être moins enclins à collaborer pour résoudre leurs problèmes.
Il développe l'idée de la perte de la tradition morale locale, c'est-à-dire que les valeurs et les normes morales traditionnelles peuvent être submergées par les politiques et les exigences de l'assistance extérieure, ce qui peut entraîner une perte de cohésion sociale et de sens moral partagé. De plus, il évoque la dépendance envers des institutions extérieures. Si une société devient excessivement tributaire de l'assistance extérieure, notamment de l'aide gouvernementale ou de l'aide internationale, elle peut se retrouver à dépendre de ces institutions pour résoudre ses problèmes au lieu de rechercher des solutions au sein de sa propre communauté.
8) Évaluer l’impact de la médiatisation. Ce séisme a été largement couvert par les médias. De nombreux médias marocains et étrangers se sont précipités pour documenter la tragédie et la détresse des populations touchées, chacun apportant sa propre analyse en se basant sur ce qu'il a observé sur le terrain. L'anthropologue Arjun Appadurai accorde une grande importance aux médias et à la communication dans sa théorie de la globalisation culturelle. Dans le cadre de l'aide extérieure, les médias jouent un rôle essentiel en tant que canaux de transmission d'idées et de normes qui peuvent influencer la culture locale. Cependant, cela soulève des questions complexes liées à la diversité culturelle et à l'influence étrangère, notamment :

  • La rapidité de diffusion de l'information, qui permet aux idées et aux normes de toucher efficacement un large public dans une région donnée.
  • L'influence sur les attitudes et les comportements en exposant les individus à des valeurs, des comportements et des normes différentes susceptibles de façonner leurs attitudes, comportements et aspirations.
  • La formation de l'opinion publique par la répétition de certaines idées ou perspectives, pouvant influencer la perception collective des enjeux locaux, y compris les aspects politiques, sociaux et culturels.
    En ce qui concerne les défis liés à la diversité culturelle et à l'influence étrangère, les médias peuvent représenter une menace en favorisant une uniformisation culturelle aux dépens des cultures locales traditionnelles. Ils peuvent également introduire des idées et des normes étrangères, parfois perçues comme une forme d'impérialisme culturel, où les cultures dominantes imposent leurs valeurs aux cultures locales, ce qui peut entraîner des résistances et des tensions. Une autre préoccupation d'Arjun Appadurai est l'appropriation culturelle, lorsque les médias empruntent des éléments des cultures locales pour les intégrer dans des produits culturels étrangers, suscitant des débats sur le respect et la préservation des cultures locales.
    En conclusion, l'analyse de ces réflexions porte sur les risques potentiels liés à une dépendance de l'assistance extérieure et à une conception « moderno centriste » de cette aide. Il est important de souligner qu'il ne s'agit pas de refuser l'aide aux victimes du séisme, ce qui serait inapproprié, mais plutôt de mettre en évidence la nécessité pour les acteurs engagés dans cette assistance de préalablement acquérir une compréhension approfondie des réalités socio-culturelles qui jouent un rôle central dans cette aide. Dans cette démarche, il est essentiel de valoriser l'écoute des connaissances apportées par les experts familiarisés avec ces réalités locales, ainsi que les savoirs et pratiques accumulés au fil des décennies par les communautés villageoises. Il est recommandé de collaborer étroitement avec ces communautés, y compris leurs membres tant élites que non élites, en travaillant en partenariat avec des ONG et des associations locales. Cela permettra de recueillir leurs besoins, leur vision propre de leur avenir, et de les impliquer activement dans l'élaboration de cette vision.
    En prenant en compte toutes ces réflexions, l'approche de l'assistance et du soutien aux populations sinistrées du Haut Atlas peut être structurée autour de trois axes clés, formant un "tryptique" que nous pouvons nommer le "triangle de l'assistance" :
    A) Acquisition approfondie de la connaissance des réalités locales
    B) Prise en compte active des demandes des populations et des acteurs associatifs locaux
    C) Accompagnement (et non l'imposition, la directive ou la prise de décision unilatérale) de la dynamique de développement souhaitée par les acteurs locaux (populations et associations).
    Mais l’accompagnement ne signifie pas qu’on ne doit pas formuler des suggestions ou réflexions sur ce qui pourrait convenir aux personnes impliquées dans un développement rural. Ce qui peut être exprimé ainsi, de manière respectueuse et collaborative : "Nous sommes conscients que vous avez déjà une vision claire pour le développement que vous souhaitez pour vos régions, mais nous aimerions partager quelques réflexions pour enrichir vos idées et encourager une discussion constructive."
    Cette approche tripartite garantit une vision globale et équilibrée dans la manière d'apporter l'assistance nécessaire aux communautés du Haut Atlas.

    Bibliographie
  • Appadurai Arjun, Modernity at Large Cultural Dimensions of Globalization, University of Minnesota Press, 248 pages
  • Berque Jacques, 1955, Structures du Haut Atlas, PUF, 451.p
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  • Escobar Arturo., 2011, Encountering Development: The Making and Unmaking of the Third World, Princeton, Princeton University Press, 344.p
  • Fassin Didier., 2007, L’empire du traumatisme. Enquête sur la condition de victime (avec R. Rechtman), Flammarion, Paris, 452 p.
  • Fassin Didier., 2011, Humanitarian Reason: A Moral History of the Present, Berkeley, University of California Press
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  • Geertz Clifford., 1973, The Interpretation of Cultures, Basic Books, 470.p
  • Geertz Clifford., 1986, Savoir local, Savoir global, les lieux du savoir, trad. de l’anglais par D. Paulme, Paris, Presses universitaires de France.
  • Illich Ivan., 1971, Une société sans école, Paris, Seuil, (titre original : Deschooling Society), 116.p
  • Illich Ivan., 1973, La Convivialité, Paris, Seuil, (titre original: Tools for conviviality) 100.p
  • MacIntyre Alasdair, Après la vertu : Étude de théorie morale, Collection Quadrige, Discipline Philosophie, 288.p
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  • Pacheco-Vega Raul, Understanding the Impact of Development Policies on Local Communities: A Case Study of Rural Mexico
  • Scott James C., 1998, Seeing Like a State: How Certain Schemes to Improve the Human Condition Have Failed, Yale University Press
  • Scott James C., 2021, L’Œil de l’État. Moderniser, uniformiser, détruire, Trad. de l’anglais par Olivier Ruchet, Paris, Éd. La Découverte, coll. Sciences humaines, 2021, 540 pages

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