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la pauvreté et à l’exclusion au Maroc
Ces trois dernières années, les données publiques et l’information institutionnelle produite sur les catégories sociales ont été soumises à rude épreuve. La pandémie de la Covid 19 apparue en novembre 2019, et sa propagation mondiale au premier trimestre de l’année suivante, a été suivie de la guerre en Ukraine début 2022. Les deux ont eu des répercussions énormes aussi bien sur l’économie du pays que sur sa population, donnant lieu à un bouleversement total et global du tissu productif, de l’organisation du système économique et de la structuration sociale. Sur ces mutations ont été greffées des politiques libérales de relance de l’économie dont les conséquences sont difficilement mesurables au regard du contexte. Tous ces changements sont théoriquement justifiables mais malheureusement, les données relatives aux conditions de vie de la population, telles qu’elles sont construites, ne nous permettent pas d’avoir un diagnostic réel et précis de la situation de la population face à ces mutations, diagnostic nécessaire sans lequel il est difficile de mettre en place des politiques efficientes de lutte contre la pauvreté. Certes une augmentation des différents indicateurs de pauvreté a été vérifiée mais elle est certainement loin de la réalité. Autre difficulté majeure, la pauvreté ne se mesure plus à l’aune de l’accessibilité à l’eau ou l’électricité ou de la possession de certains biens matériels. Le dépassement de ces indicateurs est en soi une bonne nouvelle puisqu’il signifie que la société a emprunté une trajectoire ascendante d’amélioration de son bien-être mais le fait que cette évolution ne puisse être suivie qualitativement handicape très fortement l’évolution du pays et son accompagnement par des politiques adaptées. Depuis la parution du numéro de la RMSPS dédié à la pauvreté au Maroc en décembre 2018, les données publiques et l’information institutionnelle produite sur les catégories sociales ont été soumises à rude épreuve. La pandémie de la Covid 19 apparue en novembre 2019, et sa propagation mondiale au premier trimestre de l’année suivante, a été suivie de la guerre en Ukraine début 2022. Les deux ont eu des répercussions énormes aussi bien sur l’économie du pays que sur sa population, donnant lieu à un bouleversement total et global du tissu productif, de l’organisation du système économique et de la structuration sociale. Ces mutations restent à analyser en profondeur et le manque de données administratives et scientifiques pointues à ce sujet est une véritable insuffisance qui handicape très fortement la mise en œuvre de politiques publiques pertinentes. D’un côté, les spécialistes des sciences humaines et sociales sont encore trop peu sollicités dans la production des données, d’autre part, cette dernière est encore trop coûteuse dans ses processus de production actuels, pour être élargie. Pourtant, naviguer à vue en se basant sur des idées dépassées ou fausses sur la société marocaine peut rapidement s’avérer dangereux en période de fortes perturbations tant les paramètres de lecture et de compréhension du fait et des phénomènes sociaux sont soit insuffisants, soit inopérants. Il est également à noter que l’habitude de lire les secousses socio-économiques uniquement sous le prisme de chocs exogènes au système économique national (réorganisations des flux internationaux et des filières, apparition de nouveaux acteurs sur la scène internationale, sécheresse, etc.) ne permet plus de fournir des circonstances atténuantes satisfaisantes aux conséquences que la population doit encaisser. Le fait que les transformations endogènes du système économique marocain soient soigneusement passées sous silence alimente le fossé entre la population et les hommes et femmes politiques, et décrédibilise l’action politique en général. A partir de là, que savons-nous exactement de la situation actuelle ?

les opinions et les idées exprimées dans cette Revue n'engagent
que leurs auteurs

ISSN : 2351-9134

Dépôt légal : 2011 PE 0003

Janvier 2024

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Liste de correspondants et de collaborateurs

Asma Abkari, Samira Bikerden, Meryem Chellal, Abdelwahad Ghayate, Aziz Tanany, Bouchra El Aouni, Boutaina Talibi, Jalal Mabrouk, Lahcen Aqartit, Hicham Nekkach, Mustapha Khalid, Nidal Oukacha, Steve Codjo.

* Les regrettés Driss Benali, Mohamed Hamoudi et
Abderrahman Zanane
ont été parmi les fondateurs de la revue

Publications

Revue Marocaine de Sciences Politiques et Sociales

Numéros parus:

  • La Transition au Maroc, N°1, Automne-Hiver 2010-2011(Volume I et volume II).
  • La question saharienne et méditerranéenne, N°2, Printemps - Été 2011 (volume. III).
  • Printemps arabe, Hors-Série, Mars 2012 (volume. IV).
  • Le système politique et la problématique de la réforme constitutionnelle au Maroc, N°3, Juin 2012 (Volume V).
  • Le code électoral et les élections au Maroc, N°4 (2 volumes), Mars 2013 (Volume VI), Septembre 2013 (Volume VII en arabe).
  • Mélanges, Hommage à Driss Benali, Hors-Série, Décembre 2013 (Volume. VIII).
  • Dialogue social au Maroc, N° 5, Mai /Juin 2014 (Volume. IX).
  • Islam politique dans le monde arabe, N°6, Novembre 2014 (Volume. X).
  • Les Partis politiques au Maroc, N°7, Juillet 2015 (Volume. XI).
  • Religion et politique en terres d’Islam, N°8, Janvier 2016 (Voumel. XII).
  • Le parlement Marocain, structure et fonctions, Hors-Série, Novembre 2016 (Volume XIII).
  • L’économie politique au Maroc, Hors-Série, Avril 2017, (Volume XIV).
  • Bilan gouvernement Benkirane, N° 9, Juillet/Août 2017, (Volume XV).
  • Palestine, Actes du Symposium International, N° 10, Juin / Juillet 2018, (Volume XVI).
  • La pauvreté au Maroc, N° 11, Novembre/décembre 2018, (Volume XVII).
  • L’économie politique au Maroc, (en Arabe), Décembre 2018/Janvier 2019, (Volume XVIII).
  • Quelques éléments de réflexion sur le modèle de développement, Octobre /Novembre 2019, (Volume XIX).
  • La question constitutionnelle au Maroc, Historicité et usages, Mohamed Madani, Octobre 2021, (Volume XX).
  • Le Maroc à l’épreuve du changement politique, Mohamed Mouaqit, Novembre 2021, (Volume XXI).
  • Chroniques politiques : Crise, Réforme et Désillusion, RMSPS, avril 2022, (Volume XXII).
  • Maroc : une économie sous plafond de verre, des origines à la crise Covid-19, Najib Akesbi, Septembre 2022, (Volume XXIII).
  • Mélanges en hommage au Pr . Abdelmoughit Benmessaoud Tredano, novembre 2022, (Volume XXII).

Collection « Cahiers Libres »

  • Paix, dialogue et tolérance, Le cas du Maghreb et du Moyen‑Orient, Abdelmoughit Benmessaoud Tredano N° 1, Février 2014.
  • Dialogue entre religions et civilisations, contribution majeure à la culture de la paix, Collectif, N°2, Février 2014.
  • L'accord de libre-échange Maroc-Union Européenne à l'épreuve des faits, N. Akesbi, S. Dkhissi, M. Khachani N° 3 Septembre 2015.
  • Les finances publiques du Maroc : quelques éléments d'analyse, A. Berrada N° 4 Juin 2016.
  • Les élections au Maroc -2007 et 2015- ébauche d’une sociologie électorale, Abdelmoughit Benmessaoud Tredano N° 5, Septembre 2016.
  • La démocratie, le politique et la symbolique ; ou comment faire et défaire le politique au Maroc, Abdelmoughit Benmessaoud Trédano, (en Arabe) N° 6, Septembre 2020.
  • Corona, mondialisation et dérèglement du monde : Entre extinction et survie de l’humain, Cahiers Libres N ° 7, RMSPS, décembre 2020, 234 p.

Collection : Hommage et Documents

  • Modèle de développement : quelques questions. Document de travail, N ° 1, Novembre 2019.
  • Hommage à Abdelmoughit Benmessaoud Tredano, N ° 2, mai 2023.

A paraitre durant l’année 2024

Collection « Cahiers Libres »

  • Lexique politique, Pr. Aziz Chahir et Pr..Abdelmoughit Benmessaoud Tredano.

Collection : Hommage et Documents

  • Hommage à Samir Amine, Collection Hommage et documents.

    Sommaire

Avertissement 9

Présentation. 11

Apprécier les conditions de vie de la population, un enjeu essentiel 15

Samira Mizbar

Mesurer la pauvreté des enfants : Implications sur les politiques sociales  Méthodes et étapes de constructions d’indices de privation multiple  25

Hicham Ait Mansour  

L’analyse de la relation entre la pauvreté et la dégradation de l'environnement : une brève revue de littérature  45

Hicham Sadok

           Avertissement

A la demande de nombreux chercheurs et universitaires, la Revue Marocaine des Sciences Politiques et Sociales procède à la réédition du Numéro sur la pauvreté[1]; il s’agit d’une version substantiellement augmentée grâce à trois intéressantes contributions qui ont été proposées pour enrichir le texte initial.

Les professeurs Samira Mizbar, Hicham Ait Mansour et Hicham Sadok se sont, en effet, investis pour apporter de nouveaux éclairages sur la question de la pauvreté , notion aussi complexe et controversée que sont les statistiques et les données la concernant.

En effet, pour la professeure Samira Mizbar la question des données et des statistiques relatives à la question de pauvreté reste problématique ; à travers : « un état des lieux de la production des données sur la pauvreté et les vulnérabilités après la pandémie ...",elle souligne "... les limites de la pertinence de ces données dans un contexte géo-économico-stratégique en pleine mutation" et insiste sur le fait que "ces données politiquement correctes ne renseignent en rien sur les mutations sociales en cours et donc ne peuvent inspirer des politiques efficientes de lutte contre la pauvreté et de cohésion sociale ».

Le Pr. Hicham Ait Mansour, quant à lui, aborde et approfondit un aspect plus spécifique de la pauvreté, celle qui concerne les enfants; son papier "a pour principal objectif d'analyser la pauvreté des enfants à partir des mesures multiples en vue d'identifier les politiques sociales de lutte contre la pauvreté les plus adéquates. Pour ce faire, il s'agit d'étudier la pauvreté monétaire, la privation multiple et le chevauchement entre ces deux mesures permettant l'identification de différents groupes d'enfants faisant face à différentes formes de pauvreté et de chevauchement entre celles-ci.".

Un autre aspect important mais encore peu développé au Maroc a été traité par le Pr. Hicham Sadok: il s'agit de chercher et d'établir le lien éventuel entre la pauvreté et la dégradation de l'environnement.

Abstraction faite de tous les autres facteurs qui sont à l’origine de la dégradation de l’environnement ; l’auteur de cette contribution a cherché, sur la base d’une partie de la littérature, « ...à déterminer comment un environnement dégradé augmente la pauvreté, et comment la pauvreté contribue à détériorer à son tour l'environnement. Une meilleure compréhension de cette relation devrait conduire, inéluctablement, à des meilleures politiques publiques de lutte contre la pauvreté pour une meilleure préservation de l’environnement ».

Voilà en quelques mots la quintessence de ces trois contributions supplémentaires au document initial dont l'objectif premier est d'actualiser la conception et la perception qu'on a des données et d'apporter un nouvel éclairage sur des aspects qui n'étaient pas traités dans le texte original.

Le débat reste donc ouvert ; nous souhaiterions que l’ensemble de ces textes, dans cette nouvelle édition augmentée et enrichie, puisse contribuer à l’amélioration de l’arsenal conceptuel existant et rendre intelligible les phénomènes de la pauvreté et de l’exclusion au Maroc.

La rédaction, Janvier 2024

           Présentation

Ce numéro que nous proposons à nos lecteurs est consacré à la pauvreté et à l’exclusion au Maroc. Ce travail fait suite à un atelier-discussion qui a été organisé le 22 juin 2017 par notre revue et qui a vu la participation de plusieurs chercheurs. L’importance du débat suscité par cette thématique nous a poussé à le transformer en un numéro spécial en étendant son périmètre pour inclure d’autres contributions. Nous espérions, grâce à cela, apporter une modeste contribution qui pourrait servir à la fois aux chercheurs et aux acteurs politiques.

En sciences sociales, la pauvreté a été, au début du XXe siècle, l’un des thèmes de prédilection de l’école de Chicago. Depuis, le corpus de connaissance sur le sujet s’est grandement étoffé. En 1976, les travaux de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) sur les besoins essentiels (Basic needs) ont inauguré les indicateurs de qualité matérielle de la vie. Dans les années 1980, la Banque mondiale commence à produire des données sur la pauvreté monétaire dans les pays en développement selon une approche qui s’inspire essentiellement des principes du consensus de Washington. Le PNUD a ensuite lancé, dans les années 1990, le concept de développement humain autour des idées d’Amartya Sen et prolonge la question du bien-être au-delà du spectre monétaire pour inclure de nouvelles dimensions, notamment l’éducation et la santé. La déclaration du millénaire en 2000 s’est, quant à elle, proposée d’éradiquer la pauvreté comme objectif mondial, préoccupation toujours d’actualité puisque, depuis, la communauté internationale a adopté les objectifs du développement durable, avec en tête la lutte contre la pauvreté.

A la faveur de la réflexion intellectuelle et de la multiplication des initiatives au sein des organisations internationales, la lutte contre la pauvreté devient un objectif prioritaire régulièrement mis à l’ordre du jour dans les agendas. Néanmoins, la mesure de la pauvreté s’avère être un sujet beaucoup plus difficile et controversé.

Qu’est-ce que mesurer les conditions de vie ? Et comment le faire ? Comment définir une vie difficile ? Comment évaluer un nombre de personnes en difficulté? Comment décider d’un seuil au-dessous duquel une personne est considérée en rupture des liens sociaux, dans le sens large du terme, assurant un minimum de protection ? Quels critères prendre en compte pour définir ce seuil ? Quels types d’indicateurs pour opérationnaliser celui-ci ? Sont-ils synthétisables en un seul indice, et cette synthèse donne-t-elle un sens nouveau à l’analyse et peut-elle donc produire un profil différent de pauvreté ? Toutes ces questions prennent plus d’acuité avec l’accélération de changements à tous les niveaux: démographique, social, économique, politique, etc., ainsi que les normes, les principes et les valeurs qui façonnent ou qui résultent de ce changement.

Le débat est vif et continu sur la manière de mesurer la pauvreté, car pour catégoriser, classifier et quantifier, il faut d’abord établir une définition, puis retenir un ou plusieurs critères précis avant de « récolter » des données[2]. Là où le discours politique peut rester général, la statistique doit trancher. Mesurer la pauvreté est un acte scientifique et technique certes mais avec des conséquences politiques importantes dont la plus évidente est la distribution des ressources matérielles. Mesurer la pauvreté c’est aussi retenir des indicateurs au détriment d’autres et partant rendre intelligible un phénomène complexe. Les méthodes existantes sont nombreuses et les résultats peuvent être très différents. Les sources de ces disparités sont d’ordre technique, mais aussi conceptuel et politique, et intimement liées à l’organisation et au système politique qui produit et diffuse les statistiques.

La diffusion des indicateurs les plus célèbres doit donc être plus considérée comme le résultat d’un rapport de forces que comme la supériorité de techniques de plus en plus solides et justes. Il serait ainsi légitime de se demander en quoi ces quantifications et ces outils renvoient davantage aux courants de pensée dominants qu’à une réelle volonté de faire progresser la connaissance de la pauvreté.

Le choix de consacrer ce numéro à la pauvreté et à l’exclusion au Maroc permet de discuter les fondements théoriques de ces deux notions et d’étudier les différentes mesures adoptées tout en abordant les processus sociaux et les rapports de forces qui engendrent les inégalités.

Il faudrait donc rappeler au tout début de ce numéro que l’existence, dans la nomenclature statistique officielle de ceux qu’on qualifie de « pauvres » n’est pas un état de fait naturel mais fondamentalement social. C’est surtout la violence de l’expropriation et de la dépossession qui produit des individus isolés de leurs communautés et qui se trouvent avec très peu de ressources. Ces phénomènes ne sont pas perceptibles au moment d’une opération de collecte de données comme un recensement ou une enquête car ils sont plutôt le fruit de mécanismes durables et non accessibles à la conscience immédiate[3]. Notons ainsi que l’élaboration des premières statistiques de la population marocaine lors de l’établissement du protectorat au Maroc s’est effectuée en parallèle avec l’expropriation des terres par le biais de mesures juridiques et techniques qui se présentent comme
« rationnelles et modernes ».

Le dénombrement des pauvres et des exclus implique, dans le cas marocain, des politiques publiques qui institutionnalisent l’usage de la charité. Cette dernière peut avoir comme objectif d’atténuer les maux sociaux pour éviter les embrasements pouvant remettre en cause les conditions de production des inégalités. Par exemple, le projet de mise en place d’un dispositif de ciblage des aides suite à la mise en place d’un identifiant social cherche à réduire l’impact des mesures néolibérales de décompensation et de libéralisation qui engendrent plus d’inégalités.

Ce dossier est composé de six articles ; les trois premiers s’intéressent aux aspects théoriques et conceptuels alors que les trois autres portent davantage sur l’analyse empirique du cas marocain. Dans son article « Le concept de la «pauvreté» entre approches individualistes et collectivistes », Hicham Ait Mansour interroge trois principales approches d’analyse et de mesure de la pauvreté : l’approche monétaire néolibérale, l’approche des capacités de l’économiste et philosophe Amartya Sen, et enfin la privation relative en référence aux travaux du sociologue Peter Townsend. Hicham Sadok et Mounir Zouiten explorent, quant à eux, certains paradigmes et indices de mesure de la pauvreté alors que Samira Mizbar, dans le dernier article de cette première série conceptuelle, définit la notion d’exclusion et les conditions de son émergence en France avant de décrire son utilisation au Maroc uniquement de manière qualitative en ce qui concerne les aspects territoriaux.

La deuxième série s’ouvre sur un article intitulé « Pauvreté et prospérité partagée, une lecture critique ». Samira Mizbar y effectue une synthèse de l’information liée à la pauvreté produite par le système statistique national officiel mais analyse tout particulièrement le rapport « Pauvreté et prospérité partagée au Maroc du troisième millénaire, 2001-2014 » qui est une publication conjointe entre la Banque Mondiale et le Haut Commissariat au Plan. Le texte de Mohammed Mahdi « Les campagnes marocaines… ces marges convoitées. » s’intéresse aux causes des inégalités sociales dans le Maroc rural d’aujourd’hui et aux mécanismes sociaux qui favoriseraient leur production et reproduction principalement à travers l’expropriation foncière et l’accaparement des terres. Le dernier article de ce numéro, de Saadeddine Igamane et Amal Bousbaa, porte sur « La précarité de l’emploi chez les jeunes employés des centres d’appel au Maroc ». Les deux auteurs y dressent un portrait sociologique du précariat dans les centres d’appel.

Nous espérons que l’ensemble de ces textes puissent contribuer à l’amélioration de l’arsenal conceptuel existant et à rendre intelligible les phénomènes de pauvreté et d’exclusion au Maroc. 

Mohamed Oubenal, chercheur en sociologie à l’IRCAM

Samira Mizbar, socio-économiste

Hicham Ait-Mansour, Professeur de Sociologie (Habilité) à l'Institut Universitaire d’Études Africaines, Euro-Méditerranéennes et Ibéro-Américaines. Université Mohammed-V de Rabat.

           Apprécier les conditions de vie de la population, un enjeu essentiel

Samira Mizbar

               Résumé

Ces trois dernières années, les données publiques et l’information institutionnelle produite sur les catégories sociales ont été soumises à rude épreuve. La pandémie de la Covid 19 apparue en novembre 2019, et sa propagation mondiale au premier trimestre de l’année suivante, a été suivie de la guerre en Ukraine début 2022. Les deux ont eu des répercussions énormes aussi bien sur l’économie du pays que sur sa population, donnant lieu à un bouleversement total et global du tissu productif, de l’organisation du système économique et de la structuration sociale.

Sur ces mutations ont été greffées des politiques libérales de relance de l’économie dont les conséquences sont difficilement mesurables au regard du contexte. Tous ces changements sont théoriquement justifiables mais malheureusement, les données relatives aux conditions de vie de la population, telles qu’elles sont construites, ne nous permettent pas d’avoir un diagnostic réel et précis de la situation de la population face à ces mutations, diagnostic nécessaire sans lequel il est difficile de mettre en place des politiques efficientes de lutte contre la pauvreté.

Certes une augmentation des différents indicateurs de pauvreté a été vérifiée mais elle est certainement loin de la réalité. Autre difficulté majeure, la pauvreté ne se mesure plus à l’aune de l’accessibilité à l’eau ou l’électricité ou de la possession de certains biens matériels. Le dépassement de ces indicateurs est en soi une bonne nouvelle puisqu’il signifie que la société a emprunté une trajectoire ascendante d’amélioration de son bien-être mais le fait que cette évolution ne puisse être suivie qualitativement handicape très fortement l’évolution du pays et son accompagnement par des politiques adaptées.

Depuis la parution du numéro de la RMSPS dédié à la pauvreté au Maroc en décembre 2018, les données publiques et l’information institutionnelle produite sur les catégories sociales ont été soumises à rude épreuve. La pandémie de la Covid 19 apparue en novembre 2019, et sa propagation mondiale au premier trimestre de l’année suivante, a été suivie de la guerre en Ukraine début 2022. Les deux ont eu des répercussions énormes aussi bien sur l’économie du pays que sur sa population, donnant lieu à un bouleversement total et global du tissu productif, de l’organisation du système économique et de la structuration sociale.

Ces mutations restent à analyser en profondeur et le manque de données administratives et scientifiques pointues à ce sujet est une véritable insuffisance qui handicape très fortement la mise en œuvre de politiques publiques pertinentes. D’un côté, les spécialistes des sciences humaines et sociales sont encore trop peu sollicités dans la production des données, d’autre part, cette dernière est encore trop coûteuse dans ses processus de production actuels, pour être élargie. Pourtant, naviguer à vue en se basant sur des idées dépassées ou fausses sur la société marocaine peut rapidement s’avérer dangereux en période de fortes perturbations tant les paramètres de lecture et de compréhension du fait et des phénomènes sociaux sont soit insuffisants, soit inopérants.

Il est également à noter que l’habitude de lire les secousses socio-économiques uniquement sous le prisme de chocs exogènes au système économique national (réorganisations des flux internationaux et des filières, apparition de nouveaux acteurs sur la scène internationale, sécheresse, etc.) ne permet plus de fournir des circonstances atténuantes satisfaisantes aux conséquences que la population doit encaisser. Le fait que les transformations endogènes du système économique marocain soient soigneusement passées sous silence alimente le fossé entre la population et les hommes et femmes politiques, et décrédibilise l’action politique en général. A partir de là, que savons-nous exactement de la situation actuelle ?

Une société malmenée face aux chocs multiples et accélérés

La pandémie a souligné de manière crue le coût social et économique de l’absence de politique sociale juste, coordonnée et durable.

La mise en place de restrictions sévères de circulation, dont un confinement strict pendant plus d’un mois, et d’un état d’urgence[4] pour empêcher la propagation du virus et maitriser ses conséquences, a eu des effets très importants sur la population : la perte d’emploi, donc de revenus pour une grande partie de celle-ci, et le déclenchement de stratégies individuelles de toutes sortes, dont les mécanismes restent à comprendre. Concrètement, ces stratégies se sont manifestées (i) par la réduction de la consommation des ménages (diminution des dépenses en équipements ménagers, d’habillement, de transport, de loisirs et d’alimentation, et à l’inverse, reprise des dépenses de santé et de communication), (ii) par l’utilisation du peu d’épargne dont ils disposent, et quelquefois (iii) par la vente de leurs biens pour financer leurs besoins (notamment pour les projets d’émigration[5]). Il est pratiquement certain que les autres conséquences de la pandémie sur le moyen, voire le long terme, sont nombreuses. On peut facilement imaginer le repositionnement de l’engagement des individus dans la société avec une accélération du désengagement partisan et clanique, ou encore une transformation dans les pratiques de gestion de leur patrimoine avec un retour massif de l’informalité[6] et une mise au défi massive des règles de loi.

L’aide gouvernementale est apparue progressivement plus d’un mois après le début du confinement avec une aide financière mensuelle, entre 800 et 1200 dirhams, attribuée à 4.3 millions de ménages et une panoplie d’aides aux entreprises, pour les petites et moyennes entreprises essentiellement des crédits. Le recensement de la population concernée a été largement porté par les agents territoriaux du ministère de l’intérieur, à défaut de système d’identification social unifié opérationnel[7]. L’arsenal proposé par le gouvernement pour réduire les dégâts de la pandémie et ses conséquences ultérieures, même s’il a été concocté dans l’urgence, n’a pas empêché un appauvrissement sensible de la population, cependant il est certain que la situation aurait pu être bien pire sans ces mesures.

D’autres manifestations visibles de la pandémie sur les conditions de la population sont relatives aux conditions de travail avec une précarisation des emplois et un basculement vers l’informel. D’un côté, la population active est sommée d’accepter les offres d’emplois telles qu’elles sont pour survivre, d’un autre côté, les entrepreneurs gèrent les crises en minimisant les dégâts sur leur trésorerie. Une autre tendance est également à explorer : les entreprises qui profitent des crises pour s’enrichir en exploitant des situations de confusion sans être taxées sur les surprofits générés. L’élargissement de leurs marges se fait en général aux dépens du cadre juridique en vigueur et des droits des travailleurs. La masse des entreprises concernées n’est pas connue. Cependant, les derniers chiffres disponibles avant pandémie étaient déjà alarmants : Bank Al Maghrib estime à 30% le poids de l’informel dans le PIB en 2018[8]. Le HCP l’estimait à 11.5% du PIB selon l’enquête nationale sur le secteur informel 2013/2014[9]. Tous les efforts effectués ces trente dernières années ont donc été anéantis avec, en plus des défis précédents liés à la transformation du tissu économique national, une défiance sans précédent à l’égard des institutions de l’Etat[10].

Alors que la pandémie a été maitrisée au Maroc et perdait de sa vitesse dans le reste de la planète, une autre crise est venue bouleverser les économies de manière spectaculaire en février 2022 : la dégénération de la crise ukrainienne en une guerre entre grandes puissances. Cette évolution a eu un très fort impact sur l’organisation et le fonctionnement des filières internationales d’approvisionnement de ressources naturelles et de produits, impact qui reste à explorer et comprendre de manière minutieuse en termes de géostratégie et de développement économique.

Comme à chaque bouleversement et transformation structurelle profonde, il y a des perdants mais aussi des gagnants. L’ampleur de ces derniers sera dévoilée certainement une fois les nouveaux ordres stabilisés. Le Maroc, qui a mis en place une politique d’ouverture économique franchement libérale, a été touché de plein fouet avec comme conséquence immédiate une hausse du taux d’inflation, directement supportée par la population pour une grande partie.

En effet, officiellement établie à 6,6% en 2022, puis à 8,9% en janvier 2023, l’inflation au Maroc se répercute sur toutes les strates de la société, particulièrement sur les classes modestes qui demeurent les plus exposées à cause de l’envolée des prix de leur panier de consommation. Selon le HCP, la contribution des principales composantes de l’inflation montre que plus de la moitié de la hausse des prix (58%) est due à la composante « Produits alimentaires », 22% à la composante « Transport » et 20% aux autres composantes. C’est ainsi que 80% de l’inflation en œuvre s’explique par la hausse des prix à la consommation des produits alimentaires et du transport[11].

L’irruption de cette thématique, par effraction[12], sur la scène médiatique a permis de la ramener au souvenir de tous et de lancer un débat, certes encore timide, sur son origine et sa composition. Bien que ce soit le cas partout dans le monde, il devient difficile de continuer à cacher que cette poussée inflationniste tient autant, sinon davantage, à des facteurs domestiques (en rapport principalement avec la réorganisation du commerce intérieur), qu’à de l’inflation importée.

Cette situation a impacté directement la consommation des ménages et la croissance économique en la ralentissant fortement. La banque centrale a mis en place une politique pour essayer de contenir les dégâts sur l’économie du pays et manifestement, si les objectifs « semblent » atteints pour le moment en termes macro-économiques, ce n’est pas le cas au niveau des ménages qui continuent de souffrir et vivent leur quotidien difficilement. La classe moyenne sort exsangue de cette période et les inégalités visibles entre les catégories pauvres et aisées ne cessent de grandir. Ces dérèglements ont empiré un climat social déjà morose du fait d’une longue période de sécheresse récurrente depuis 2008. Ainsi, selon l’enquête de conjoncture auprès des ménages, 85.3% des ménages déclarent au premier trimestre 2023 une dégradation de leur niveau de vie au cours des 12 derniers mois[13]. Il s’agit là du niveau le plus bas atteint depuis le début de cette enquête en 2008. L’indice de confiance des ménages (ICM) est établi à 46,3 points au lieu de 46,6 points enregistrés au trimestre précédent et 53 ,7 points une année auparavant.

               Etat des lieux du savoir sur la pauvreté au Maroc post-covid

Les différentes institutions observatrices de l’évolution socio-économique du pays, à leur tête le HCP et la Banque mondiale, estiment que le pays est revenu au niveau de pauvreté de 2014[14]. Le HCP avance qu’entre 2014 et 2022, 3,2 millions de Marocains ont basculé dans la pauvreté. Aux enquêtes habituelles (enquête nationale sur la consommation et les dépenses des ménages 2013/2014 et enquête mensuelle sur les prix à la consommation) ont été ajoutées une enquête nationale sur les sources de revenu (2019) et une enquête sur les répercussions de la pandémie sur la situation socioéconomique des ménages 2021/2022 qui a été faite en panel en trois passages à partir des ménages issus de l’enquête sur le niveau de vie et revenu des ménages[15].

Ainsi, les chiffres officiels nous annoncent que sous les effets de la crise sanitaire, le niveau de vie des ménages (mesuré par la dépense de consommation par tête) a annuellement régressé de 2,2% entre octobre 2019 et décembre 2021 baissant de 20 400 Dhs à 20 040 Dhs au niveau national, de 24 620 Dhs à 24260 Dhs dans l’urbain et de 12 800 Dhs à 12 420 Dhs dans le rural[16].

Sur cette période, le niveau de vie des 20% des ménages les moins aisés a connu une baisse de 7 000 Dhs à 6 860 Dhs. Celui des 20% des ménages les plus aisés est passé de 47 780 Dhs à 46 620 Dhs. Pour les 60% des ménages intermédiaires, le niveau de vie a baissé de 15 730 Dhs à 15 570 Dhs.

Selon la catégorie socioprofessionnelle des chefs de ménage, le niveau de vie moyen a annuellement baissé de 3,6% pour les « Ouvriers non qualifiés » (de 14 130 Dhs à 13 440 Dhs) et les « Artisans et ouvriers qualifiés » (de 17 850 Dhs à 16 970 Dhs), de 2,8% pour les « Commerçants et les intermédiaires commerciaux » (de 19 920 Dhs à 19 270 Dhs) et de 2,4% pour les « Exploitants et ouvriers agricoles » (de 12 950 Dhs à 12 650 Dhs).

Si ces montants interpellent par leur faiblesse, le niveau de leur baisse interroge les outils de leur production. La littérature existante sur le comportement du consommateur face aux crises montre qu’au contraire, face à l’incertitude et au danger, le consommateur a tendance à gérer a minima son budget pour assurer sa pérennité[17]. Il serait donc logique d’observer une baisse drastique entre la consommation habituelle et la consommation de crise. Ne pas observer cette baisse au Maroc signifierait que la consommation endogène est suffisamment faible pour ne pas être impactée par les fluctuations extérieures, ce qui n’est pas vrai au regard de l’évolution de la demande intérieure[18].

Également, ce repli du niveau de vie s’est traduit par une accentuation des inégalités sociales, de la pauvreté et de la vulnérabilité. Toujours selon les chiffres officiels, les inégalités sociales, mesurées par l’indice de Gini, ont connu, sur cette période, une hausse de près de deux points de pourcentage, passant de 38,5% à 40,3% au niveau national (de 37,2% à 39,1% en milieu urbain et de 30,2% à 31,9% en milieu rural). Parallèlement, la vulnérabilité économique a connu une importante hausse : le taux de vulnérabilité est passé de 7,3% en 2019 à 10% en 2021 au niveau national (de 11,9% à 17,4% en milieu rural et de 4,6% à 5,9% en milieu urbain, avec une accentuation de la disparité entre le rural et l’urbain).

Le HCP a estimé la part des effets de la pandémie dans l’augmentation de la pauvreté et de la vulnérabilité à 45%, et celle de la hausse des prix à la consommation à 55%.

               De multiples incertitudes qui plombent toute avancée

Face à tous ces chocs, le gouvernement marocain a multiplié les annonces de programmes sociaux, le chef du gouvernement allant même jusqu’à mettre en avant l’édification d’un Etat social lors de l’édition 2023 du forum de Davos. Or, si effectivement la mise en place de politiques sociales ciblées a été accélérée ces dernières années, le Maroc est encore loin d’être un Etat social.

Ce concept, qui est apparu dans le lexique politique au XIXème siècle dans un contexte de lutte politique en Allemagne, était limité au départ à la protection sociale mais il a été élargi progressivement pour inclure les quatre piliers indispensables à l’État social à savoir : (i) la protection sociale, (ii) la réglementation des rapports de travail via le droit du travail et la mise en place de mécanismes de concertation et de négociation, (iii) les services publics et (iv) les politiques économiques de soutien à l’activité et à l’emploi (politiques budgétaire, monétaire, commerciale, des revenus, etc.). Le concept est donc bien plus riche sur le plan analytique que la notion d’Etat providence qui sous-tend l’idée d’une charité publique faite à une population passive. A l’inverse, l’Etat social est fondé sur une approche de droits sociaux, lesquels sont obtenus après confrontations ou dans le meilleur des cas, des négociations, voire des visions politiques assumées. Cet état social permettrait la création et le renforcement d’une classe moyenne qui servirait de locomotive au développement socio-économique du pays. Concrètement et de manière crûe, cet état social se traduirait tout simplement par une nouvelle répartition des richesses produites pour alimenter une dynamique positive basée sur le progrès scientifique et technologique, le développement et la démocratisation du savoir, la protection sociale pour tous, l’ensemble devant renforcer la cohésion sociale, la citoyenneté et surtout la confiance à l’égard de l’Etat.

Le gouvernement marocain actuel avait effectivement proposé dans son programme un état social a minima avec un revenu minimum de dignité, une aide aux personnes âgées et aux personnes en situation de handicap, la protection sociale, et le développement du capital humain (via l’école de l’égalité des chances, le sport et la culture). Il en est encore cependant aux balbutiements de l’action politique sociale qui se limite souvent à des déclarations de bonnes intentions.

Le problème de définition et de dimensionnement des politiques bute sur l’éternelle question du ciblage des bénéficiaires. Le registre social unifié pourrait être un outil intéressant mais sans suivi des entrants et des sortants, il montrera vite ses limites. En effet, toute la difficulté réside dans le fait de caractériser la population et ses conditions de vie pour pouvoir ajuster les politiques sociales en conséquence. Une des caractéristiques de la population des pays en voie de développement est d’être très disparate, le grand défi étant d’orchestrer la marche en avant de toutes les catégories sociales pour ne laisser personne de côté.

Sur ce point, il est nécessaire de souligner que la pauvreté et la vulnérabilité sont encore envisagées sous le prisme de l’« avoir » et non de l’ « être » : être pauvre est, avant tout, dans l’imaginaire collectif, ne pas posséder, et en particulier ne pas posséder un certain nombre d’équipements. Or, selon le profil social des Marocains édition 2023, les Marocains sont aussi bien équipés que la population des pays développés : 74,8 % des ménages sont propriétaires de leur logement, 99% ont accès à l’électricité, 92,7% ont accès à l’eau potable, 97,3% ont la télévision, 96,1% sont équipés en récepteurs paraboliques, 94,5% possèdent un réfrigérateur, 75% ont une machine à laver le linge, 99,91% ont un téléphone mobile (ils sont 21,2% à avoir un téléphone fixe[19]), 98,8% ont accès à la 4G. Ces éléments ne sont donc plus des marqueurs sociaux de pauvreté.

Une piste intéressante doit être cherchée du côté du marché de l’emploi. La dernière note d’information sur le marché du travail du HCP informe qu’en 2022, le taux d’activité, toujours faible, a continué lentement à baisser, avec une faible qualité de l’emploi. Aussi, 3 salariés sur 5 travaillent dans l’informel. Sur une population évaluée à 36.9 millions d’habitants, dont 27.5 millions en âge d’activité, ont été comptabilisés 10.7 millions d’actifs, 1.4 million au chômage et 15.3 millions qui sont exclus du marché du travail (73.1% sont des femmes[20], 68.8% résident en milieu urbain, 51.1% ne possèdent aucun diplôme, 44.9% sont âgés de 15 à 34 ans). Le portrait des actifs occupés permet de dessiner une réalité assez brutale : 52.6% sont des salariés, 30.3% des indépendants, 12.3% des aides familiaux, 2.1% des employeurs, 10.7% occupent des emplois occasionnels et saisonniers,12.8% ont des emplois non rémunérés et 9% sont en sous-emploi.

Le travail et l’emploi décent sont liés à la dignité de la personne et devraient donc être des priorités absolues dans les politiques publiques de lutte contre la pauvreté, non pas simplement sous le prisme de la création de postes mais dans un cadre inclusif plus général pour permettre aux individus d’être acteurs à part entière dans leur société, de subvenir à leurs besoins, mais aussi d’épargner et investir.

Les politiques sociales ne doivent pas être considérées comme des béquilles du développement économique mais comme des moteurs permettant d’accélérer la vitesse du changement social, et donc de permettre le développement économique. Il s’agit donc là d’un véritable changement de paradigme. Les politiques sociales ne devraient pas servir à « sauver » les gens mais à les aider à s’épanouir et apporter le meilleur d’eux-mêmes. Pour pouvoir les accompagner dans leurs parcours, un système statistique développé et exhaustif est indispensable. La mise en commun des données administratives, quelles que soient leurs sources, y compris fiscales ou encore sanitaires, est devenue plus que déterminante pour assurer une justice sociale effective et une véritable éradication de la pauvreté.

Un Etat juste devient un Etat fort parce qu’il est aussi un Etat de droit. Pour cela, il doit impérativement transcender les intérêts catégoriels divergents pour alimenter une cohésion sociale durable. C’est en quelque sorte la philosophie du nouveau modèle de développement et, avant lui, des conclusions du Rapport du cinquantenaire. La production de données probantes et l'usage de l’innovation dans la production de celles-ci doivent être placées au cœur de la politique de développement pour que ces informations puissent servir à construire et asseoir des politiques efficaces. Dans le cas contraire, toutes les démarches entreprises ne restent que gesticulations politiques, dilapidation des financements et, malheureusement aussi, alimentation de l’injustice et des inégalités qui comme l’Histoire l’a toujours démontré, n’aboutit qu’à de la violence.

           Mesurer la pauvreté des enfants :
Implications sur les politiques sociales
Méthodes et étapes de constructions d’indices de privation multiple

Hicham Ait Mansour

               Résumé

Le présent papier a pour principal objectif d’analyser la pauvreté des enfants à partir de mesures multiples en vue d’identifier les politiques sociales de lutte contre la pauvreté les plus adéquates. Pour ce faire, il s’agit d’étudier la pauvreté monétaire, la privation multiple et le chevauchement entre ces deux mesures permettant l’identification de différents groupes d’enfants faisant face à différentes formes de pauvreté et de chevauchement entre celles-ci.

Il s’agira en particulier de dresser les profils des enfants identifiés comme pauvre selon chacune des deux mesures et examiner, ensuite, le profil des enfants qui se situent dans l’« espace d’intersection » entre la pauvreté monétaire et la privation multiple.

L’intérêt de cette approche est qu’elle permet non seulement d’examiner ce que font voir les deux précédentes mesures, mais aussi d’identifier les différentes configurations de profils de pauvreté qui en ressortent, à savoir l’identification de deux autres groupes supplémentaires d’enfants: les enfants qui se situent uniquement dans l’espace de la pauvreté monétaire et ne font face à aucune forme de privation multiple, et les enfants qui se trouvent uniquement dans l’espace de la privation multiple et ne font pas face à la pauvreté monétaire.

A la suite de la construction des profils sociodémographiques de ces différents groupes, une réflexion est esquissée sur les politiques sociales adaptées à chaque groupe identifié.

Introduction

Le présent papier a pour principal objectif d’analyser la pauvreté des enfants à partir de mesures multiples en vue d’identifier les politiques sociales de lutte contre la pauvreté les plus adéquates. Pour ce faire, il s’agit d’étudier la pauvreté monétaire, la privation multiple et le chevauchement entre ces deux mesures permettant l’identification de différents groupes d’enfants faisant face à différentes formes de pauvreté et de chevauchement entre celles-ci.

Il s’agira en particulier de dresser les profils des enfants identifiés comme pauvre selon chacune des deux mesures et examiner, ensuite, le profil des enfants qui se situent dans l’« espace d’intersection » entre la pauvreté monétaire et la privation multiple.

L’intérêt de cette approche est qu’elle permet non seulement d’examiner ce que font voir les deux précédentes mesures, mais aussi d’identifier les différentes configurations de profils de pauvreté qui en ressortent, à savoir l’identification de deux autres groupes supplémentaires d’enfants: les enfants qui se situent uniquement dans l’espace de la pauvreté monétaire et ne font face à aucune forme de privation multiple, et les enfants qui se trouvent uniquement dans l’espace de la privation multiple et ne font pas face à la pauvreté monétaire.

Le graphique ci-dessous illustre la démarche poursuivie dans l’identification de ces différentes formes de pauvreté.

Figure 1: représentation graphique des espaces de pauvreté des enfants et de leur chevauchement

Source : Auteur

               Questions de recherche

Les questions de recherche sont élaborées à la lumière de la littérature et des travaux précédents. Il s’agit de quatre principales questions auxquelles le présent papier tente de répondre. Elles portent, notamment, sur le profil sociodémographique des enfants pauvres selon chaque mesure utilisée, comment ce profil change d’une mesure à une autre ainsi que le niveau de chevauchement entre les différentes mesures proposées, et enfin des implications de ces mesures sur les politiques de lutte contre la pauvreté.

    Source de données

L’objectif principal étant de tester et de présenter une méthode de construction d’indices de pauvreté, les données sont utilisées sur un mode exemplaire et non pour estimer l’état de la pauvreté actuellement observés. C’est ainsi que la présente recherche utilise, sur un mode heuristique et exploratoire, les données de l’Enquête Nationale des Niveaux de Vie des Ménages (ENNVM) de 2007. Cette enquête contient deux questionnaires :

  • un questionnaire principal incluant les données sociodémographiques ;
  • un questionnaire incluant les questions d’emploi, des transferts, les équipements, le transport, l’émigration, l’agriculture, ainsi que les représentations de la population sur la pauvreté.

L’échantillon inclut 7,200 ménages (4,320 en milieu urbain et 2,880 en milieu rural). Par ailleurs, le fichier construit à des fins de la présente recherche inclut un échantillon représentatif à l’échelle nationale et régionale de 13544 enfants. Les données individuelles ont été fusionnées aux données des ménages par le biais du logiciel STATA version 12.

    Méthodologie

La mesure de la pauvreté monétaire des enfants est construite selon la définition officielle utilisée au Maroc, tandis que la privation multiple est mesurée selon un indice construit dans le cadre de la présente recherche. Partant des acquis de deux principales méthodes de mesure de la pauvreté multidimensionnelle conçues par deux équipes de recherche de l’Université de Bristol et l’Université d’Oxford au Royaume Uni,[21] un indice composite de privation multiple a été construit à l’aide d’une liste initiale de 10 indicateurs jugés pertinents, dans les limites de données empiriques disponibles, en vue de mesurer la privation multiple chez les enfants au Maroc. Ces indicateurs sont analysés de manières séparées mais également agrégés en un seul indice composite en vue de dresser le profil des enfants qui font simultanément face à plusieurs privations parmi la liste d’indicateurs sélectionnés. Préalablement à cette étape, les dix indicateurs constituant l’indice composite ont fait l’objet de tests statistiques de validité et de fiabilité.

    Tester la validité de l’Indice de privation multiple

S’agissant de la validité des indices, il existe une importante littérature méthodologique sur la validité des indices fréquemment conçus et utilisés dans la mesure des faits sociaux. (Voir à cet effet DeVellis ,1991[22] ; Bland & Altman ,1997)[23] entre autres. Gordon (2002) [24] affirme que la construction d’un indice de pauvreté scientifiquement valide est une tâche particulièrement complexe. Il suggère, toutefois, qu’une des méthodes les plus simples serait de s’assurer que chaque composante de l’indice ait une valeur de risque suffisamment élevée d’être associée avec une variable ayant un lien évident avec la pauvreté (dépenses totales des ménages ou pauvreté monétaire par exemple). Pour ce faire, on procède au calcul du risque (Relative Risk Ratio[25]) de chaque indicateur, croisé avec la pauvreté monétaire, cette opération est fondée sur les tableaux de contingence. En d’autres termes, le tableau ci-dessous montre que la valeur du risque d’être privé de la dimension du logement est de 4.60 ; cela veut dire que les enfants, selon les données utilisées par cette recherche, qui sont pauvres sur le plan monétaire sont 4.60 fois plus exposés à la privation de logement que les autres enfants. Le seul indicateur qui ne montre aucune différence significative entre les enfants pauvres et non pauvres est celui de la consultation médicale.

Tableau 1 : Analyse de validité des indicateurs de privation, évaluation de risque de chaque indicateur en fonction du statut de la pauvreté monétaire des enfants (Relative risk ratio) - 2007

Source : Calcul de l’auteur, ENNVDM, 2007

               Tester la fiabilité de l’indice de privation multiple

En ce qui concerne la fiabilité de l’indice construit, sur le plan conceptuel, un indice fiable signifie que les indicateurs qui le composent manifestent une importante consistance interne. Autrement dit, ils doivent mesurer le même concept sous-jacent ou la variable latente qu’ils sont censés mesurer. Il s’agit, dans ce cas, de la privation multiple. Sur le plan statistique, cela se vérifie par le niveau d’inter-corrélation entre l’ensemble des indicateurs composant l’indice. Dans ce sens, DeVellis (1991)[26] suggère que la fiabilité d’un indice se mesure par la proportion de la variance attribuable à la variable latente que l’indice construit vise à mesurer. DeVellis ajoute que la fiabilité ou la consistance interne d’un indice composite réside dans le niveau d’homogénéité des indicateurs qui le composent. La méthode la plus simple de procéder au test de fiabilité est possible via le calcul du coefficient « Cronbach Alpha », portant le nom de son auteur qui l’a conçu en 1951.[27] Selon la théorie existante, Bland & Altman, (1997)[28] à titre d’exemple suggèrent que la corrélation entre les indicateurs composant l’indice construit doit avoir une valeur Cronbach Alpha équivalente à au moins 0.7 ou à peu près cette valeur. En termes absolus, la valeur « Cronbach Alpha » équivalente à 1 correspond à une parfaite fiabilité de l’indice construit, mais cela arrive rarement. Cependant, comme le souligne Garmines et Zeller (1994)[29], il est généralement admis que la fiabilité d’un indice ne devrait pas aller en dessous de 0.8. Ils précisent, tout de même, qu'il est serait assez coûteux d'essayer d'obtenir une valeur aussi supérieure[30]. De ce fait, ils soulignent que le plus important est de signaler explicitement comment l’indice a été calculé et il reviendrait aux autres chercheurs de se faire leur jugement sur l’appropriation de l'échelle pour un quelconque usage. En outre, Gordon (2006)[31] souligne qu’un « bon » indice doit faire l’objet d’un « compromis » entre le niveau de validité telle qu’elle a été expliquée plus haut, et la fiabilité. Appliquant ce test aux données de cette recherche, la valeur totale de la corrélation entre les indicateurs composant cet indice est de 0.677 ; quand l’indicateur portant sur la consultation médicale est supprimée, cette valeur augmente à 0.69. L’indice final de privation multiple est donc composé de neuf indicateurs qui ont passé à la fois le test de validité et de fiabilité.

               Les Seuils de pauvreté sélectionnés

    Le seuil de la pauvreté monétaire

Du moment que l’un des objectifs de la présente recherche consiste à analyser de manière critique la mesure monétaire de la pauvreté des enfants et d’en proposer des mesures sociologiques complémentaires ; le seuil de pauvreté monétaire sera celui utilisé officiellement par le HCP au Maroc en 2007 date de la réalisation de l’enquête utilisée dans cette recherche. Il s’agit de la dépense moyenne par personne et par année de 3834 DH en milieu Urbain et à 3569 en milieu rural. Même si ces seuils ne reflètent qu’un niveau minimal de subsistance ; loin d’être suffisant pour assurer le bien-être des enfants, on évitera de les modifier. L’accent sera davantage mis sur le niveau de croisement entre ces seuils monétaires et les niveaux de privations multiples selon l’indice construit dans le cadre de cette recherche.

    Le seuil de la privation multiple

A partir de quel nombre de privations pourrait-on considérer une personne comme étant privée ? Deux privations, trois ou plus ? Il est difficile de répondre exactement à cette question dans la mesure où il n’y a pas de critère unique à partir duquel l’on peut décider.

Tony Atkinson (2003)[32] souligne qu’il existe au moins deux méthodes pour déterminer ce seuil, l’union ou l’intersection. L’union sélectionne les individus qui souffrent d’au moins d’une privation et les classe comme privés, tandis que l’intersection sélectionne et classe comme privés uniquement les individus qui souffrent de toutes les privations de l’échelle construite. De Neubourg et al (2014)[33] font remarquer que l’approche de l’union surestime le taux de privation dans la mesure où elle capte toute personne qui a au moins une seule privation, tandis que l’approche d’intersection sous-estime le taux de privation du moment qu’elle capte uniquement les personnes qui sont privées dans toutes les dimensions de l’indice. (Neuf privations dans le cadre de cette recherche). Le graphique ci-dessous visualise ce constat appliqué, à titre exemplaire, sur l’indice construit dans le cadre de cette recherche. On constate clairement que l’approche de l’union surestime le taux de privation. Si l’on décide un seuil d’une privation et plus, le taux de privation multiple serait de 86% alors que l’approche d’intersection ne considérait que les personnes qui sont privées dans toutes dimensions, dans ce cas, moins de 1% de la population qui souffre de toutes les privations en même temps.

Figure : Taux de privation multiple selon différents
seuils de privation (de 1 à 9), 2007

Source : Calcul de l’auteur, ENNVM, 2007

La troisième approche consiste à définir un seuil intermédiaire utilisant aussi bien l’union que l’intersection, et donc une personne est privée quand elle souffre d’un certain nombre de privations. Plusieurs méthodes sont utilisées pour définir ce seuil intermédiaire. Cependant, la décision implique, parfois, une certaine marge d’arbitraire.

Par conséquent, en vue de réduire, du moins partiellement, la marge d’arbitraire dans la définition du seuil de privation multiple, une telle décision pourrait être prise à l’aide de comparaison avec un indicateur de référence. A cet effet, une des possibilités serait de procéder au croisement de l’indice de privations avec la pauvreté monétaire, en vue d’identifier le nombre de privations qui correspond au niveau de pauvreté monétaire tel qu’il est défini officiellement. Un tel critère n’est pas forcément le meilleur mais il sert de référence dans ce cas précis puisque la pauvreté monétaire telle qu’elle est mesurée est fondée sur la notion de subsistance en utilisant des seuils monétaires minima. Il en résulte qu’on ne risquerait pas une surestimation de la privation multiple, à la lumière de ce critère. La proportion des enfants pauvres sur le plan monétaire selon la définition officielle est de 11% en 2007. On établira, donc, le seuil de privations multiple au niveau du nombre de privations qui correspond ou qui est le plus proche du taux de la pauvreté monétaire en 2007.

La figure ci-dessous montre le résultat du croisement de la pauvreté monétaire avec l’indice de privations multiple constitué des neuf indicateurs. On constate qu’en 2007 le seuil de trois privations et plus est le plus proche à la pauvreté monétaire (11%). Il en ressort qu’un seuil de moins de trois privations sous-estimerait le seuil de privation multiple. Il serait donc considéré privé, dans le cadre de cette recherche, tout enfant qui fait face à trois privations et plus.

 Figure 3 : Taux de pauvreté monétaire selon l’échelle
de privation, 2007

Source : Calcul de l’auteur ENNVM, 2007

     Le seuil de pauvreté multidimensionnelle

La dernière étape étant la définition d’un seuil qui identifie les enfants qui font face simultanément à la pauvreté monétaire et à la privation multiples selon les seuils prédéfinis pour ces deux forme de pauvreté.

Selon les résultats obtenus dans la section précédente, on définira le seuil de pauvreté multidimensionnelle de l’enfant au Maroc selon de la définition suivante :

« Est considéré comme multi-dimensionnellement pauvre, tout enfant âgé de moins de 18 ans, vivant dans un ménage classé pauvre selon le seuil national de pauvreté monétaire, et souffrant d’au moins trois privations et plus parmi l’échelle de privation construite ».

               Résumé des résultats selon les caractéristiques sociodémographiques des enfants

    Profil de la pauvreté monétaire et de la privation multiple des enfants au Maroc en 2007 selon la méthode utilisée.

Le premier constat qui apparait de cette analyse est la variation importante entre les taux de pauvreté monétaire et ceux de la privation multiple. Alors que les enfants monétairement pauvres représentaient 11% en 2007, les enfants qui faisaient face à la privation multiple représentaient 38%. Selon les définitions adoptées par la présente recherche, ces taux représentaient en 2001 respectivement 20% pour la pauvreté monétaire et 54% pour la privation multiple, c’est-à-dire un important recul des deux formes de pauvreté. Cependant, ces chiffres disent plus que cela, si l’on souscrit à l’hypothèse que la croissance économique exprimée dans la figure ci-dessous par le produit interne brut par tête, conduit à la réduction de la pauvreté monétaire ; on peut en déduire que ses effets directs sur cette dernière sont loin d’être observés à la même vitesse en termes de la pauvreté en condition de vie, mesurée dans cette recherche par la privation multiple. Celle-ci concerne, en fait, les dimensions multiples et structurelles de la pauvreté qui ne changent pas de manière significative ni rapide ; en l’absence de politiques transformatives, qui en ciblent les causes profondes à savoir les dimensions relatives à la justice sociale et à la protection sociale.

Figure : Evolution du Produit Interne Brut par tête
entre 2000 et 2014 au Maroc

Source: World Development Indicators Database, World Bank, 2015

Le deuxième constat concerne les facteurs structurels associés à la pauvreté, qu’elle soit monétaire ou non monétaire. Ainsi, on peut constater à partir des figures 5 et 6 ci-dessous, qu’en dépit du fait que les profils sociodémographiques des enfants pauvres sont plus au moins similaires, le taux de la pauvreté monétaire des enfants en milieu urbain est relativement bas (6%) par rapport au milieu rural qui se situe à 18%, tandis que le taux de la privation multiple se situe respectivement à 13% et à 70% en milieu urbain et rural. Les enfants pauvres sont essentiellement ceux et celles qui vivent en milieu rural, appartiennent à des familles nombreuses, et à des ménages dont la personne de référence n’a aucun niveau d’instruction ou dispose d’une instruction de type traditionnel. L’exception étant les enfants qui vivent dans les ménages dont la personne de référence est une femme et composés et de 3 personnes ou moins. Par rapport aux décennies précédentes, l’on assiste à ce propos, à une augmentation de la pauvreté parmi les femmes chef de ménages et leurs enfants.

Figure 5 : la pauvreté monétaire vs la privation multiple selon le milieu, la taille du ménage et le genre du chef de ménage

Figure 6 : la pauvreté monétaire vs la privation multiple selon le niveau d’instruction du chef de ménage

S’agissant des classes de dépenses, il ressort de la figure 7 ci-dessous qu’en 2007, les enfants pauvres monétairement sont, évidemment, plus concentrés dans le quintile de dépense le plus modeste, tandis que les enfants qui endurent la privation multiple, bien qu’ils soient majoritaires dans le quintile de dépenses le plus modeste ; ils traversent tous les quintiles à des degrés différents et de manière décroissante. Le deuxième, le troisième quintile, et dans une moindre mesure le quatrième quintile, incluent également les enfants qui subissent la privation multiple. Quoique comparativement minimes, l’on retrouve également des proportions d’enfants dans le quintile de dépenses qui représentent les plus aisés selon ce critère de bien-être. Ces proportions des enfants vivant dans les ménages classés « aisés » sur le plan des ressources financières et endurant, toutefois, la privation multiple témoigne du fait que la maitrise des ressources ne suffit pas pour se soustraire à certaines formes de pauvreté. Il s’agit notamment du milieu rural où certaines familles disposent de ressources financières qui sont largement supérieurs aux seuils de pauvreté établis par les services statistiques du pays, mais n’ont pas accès à certains services vitaux comme la scolarisation ou encore l’accès à l’eau potable, à l’assurance maladie, etc.

Figure 7 : la pauvreté monétaire vs la privation multiple
selon les classes de dépenses

Lorsque l’on examine les effets simultanés des variables explicatives sur la pauvreté à travers un modèle d’analyse multivariée « régression logistique»[34] une hiérarchisation des effets est opérée selon les valeurs du risque attribuées à chaque variable explicative. Une telle hiérarchisation s’opère suite à la prise en compte du risque des autres variables explicatives introduites dans le modèle. Les résultats les plus saillants à ce propos concernent le fait que le niveau d’instruction du chef de ménage et le milieu de résidence sont les variables qui exercent l’influence la plus importante sur le risque d’être pauvre ou le risque d’endurer la privation multiple. A titre de rappel, les enfants vivant en milieu rural sont plus de deux fois plus exposés à la pauvreté monétaire que les enfants vivant en milieu urbain. Ils sont également 10 à 18 fois plus exposés à la privation multiple que leurs pairs vivant en milieu urbain. Cependant, il est évident que ce profil pourrait légèrement varier selon la nature des indicateurs sélectionnés pour mesurer la pauvreté monétaire et la privation multiple. Par exemple, si l’on considère l’indicateur du surpeuplement (i.e., plus de trois personnes par chambre), il serait vraisemblable que ce soient les enfants urbains qui seraient plus touchés que leurs pairs ruraux. Néanmoins, la nature basique des indicateurs construits dans le cadre de la présente recherche indique que, toutes choses égales, ce sont bien les enfants ruraux, les enfants dont le chef de ménage ne dispose d’aucun niveau d’instruction ou dispose d’un niveau d’instruction de type traditionnel, qui sont les plus exposés aussi bien à la pauvreté monétaire qu’à la privation multiple.

Il s’agit de facteurs structurels qui, visiblement, favorisent une transmission intergénérationnelle de la pauvreté. Ils nécessiteraient, par conséquent, des politiques publiques agissant sur les niveaux structurels et stratégique, au-delà des mesures de soutien temporaire ou d’interventions relavant de l’assistance sociale.

La pauvreté multidimensionnelle des enfants : Analyse de chevauchement (overlap) entre la pauvreté monétaire et la privation multiple

Comme il a été souligné dans la figure 1, l’analyse de chevauchement permet d’identifier trois groupes d’enfants faisant face à différentes formes de pauvreté :

  • les enfants qui se situent uniquement dans l’espace de la pauvreté monétaire mais ne font pas partie de l’espace de la privation multiple ;
  • les enfants qui se situent dans l’espace de la privation multiple mais ne font pas partie de l’espace de la pauvreté monétaire ;
  • Les enfants qui se situent à la fois dans l’espace de la pauvreté monétaire et de la privation multiple ; c’est-à-dire l’intersection entre ces deux espaces.

Les proportions des enfants faisant partie de ces champs figurent dans graphique 6.2 qui visualise ces différents groupes et facilite l’analyse des chevauchements entre ces différents champs.

Figure 8 : Combinaisons des mesures de pauvreté de l’enfant
au Maroc, 2007 (N=13544), (%)

Source : Calcul de l’auteur, ENNVM, 2007

 Ainsi, le graphique ci-dessus fait ressortir qu’en 2007, 59% des enfants ne sont ni pauvres monétairement ni confrontés à la privation multiple. Par contre 9% des enfants se situent dans la zone d’intersection entre la pauvreté monétaire et la privation multiple en. Par conséquent, ce groupe d’enfants endurent les deux types de pauvreté de manière simultanée. Ils sont situés dans le champ de la pauvreté multidimensionnelle, une forme extrême qui combine les deux formes de pauvreté examinés séparément dans le chapitre.

En outre, 2% sont pauvres monétairement mais ne sont pas privés. Il s’agit ici d’une poche de pauvreté monétaire qui n’a connu aucun changement entre 2001 et 2007 lorsque la même analyse été réalisée avec les données de 2001. Enfin les enfants qui ne sont pas pauvres monétairement mais font face à la privation multiple représentent 29%.

Il importe de clarifier cette typologie de formes de pauvreté. Par exemple, Whelan et al. (2004)[35] suggèrent qu’il existe toujours un décalage entre la pauvreté monétaire et la privation multiple. Ils soulignent que “non seulement différentes méthodes donnent lieu à différentes conclusions sur les niveaux de pauvreté, mais aussi, différents groupes d’individus sont identifiés comme pauvres selon la nature des indicateurs utilisés”. Par conséquent, toute tentative de mesurer la pauvreté et de la privation multiple ou encore l’exclusion sociale de manière pertinente devrait appliquer une mesure combinée, qui prend en compte aussi bien le critère monétaire que les conditions de vie (voir aussi Gordon & Spicker, 1999)[36].

    Profil sociodémographiques des enfants faisant face aux formes combinées de pauvreté

S’agissant du milieu de résidence, la pauvreté multidimensionnelle, qui est la forme extrême de pauvreté, quoiqu’il touche également le milieu urbain dans une certaine mesure, est essentiellement un fait rural. En outre, la pauvreté monétaire conjuguée à l’absence de privation, est un fait essentiellement urbain et touche moins les enfants ruraux. La combinaison entre la privation multiple conjuguée à l’absence de la pauvreté monétaire touche notamment les enfants ruraux, même si les proportions des enfants urbains concernés par cette combinaison de pauvreté ne sont pas négligeables non plus.

S’agissant de la taille du ménage comme variable explicative des trois combinaisons de pauvreté considérées ; alors que les deux premières combinaisons sont davantage sensibles aux tailles de ménages élevées, c'est-à-dire à partir de 4 personnes et plus, la troisième combinaison est distribuée de manière beaucoup plus diffuse quelle que soit la taille des ménages.

Concernant le genre du chef du ménage, la première et la troisième combinaison touchent essentiellement les enfants vivant dans des ménages dont la personne de référence est du sexe masculin ; la deuxième combinaison est distribuée soit de manière égale, quel que soit le sexe du chef du ménage, soit elle touche davantage les enfants vivant avec une femme chef de ménage, quand ce rapport est examiné en fonction de la taille de ménage.

Le niveau d’instruction du chef de ménage, quant à lui, exerce une influence structurelle sur les trois combinaisons de pauvreté. Les proportions des enfants pauvres augmentent considérablement quand le niveau d’instruction du chef de ménage est inférieur.

Par ailleurs, on note que la troisième combinaison de formes de pauvreté considérée dans cette analyse, touche également une petite partie des enfants dont la personne de référence est dotée d’un niveau d’instruction supérieur.

Figure 9 : Profil des formes combinées de pauvreté selon le milieu
de résidence et la taille de ménage

Figure 10 : Profil des formes combinées de pauvreté selon le genre
et le niveau d’instruction du chef de ménage

Enfin, l’analyse multivariée fait ressortir une hiérarchisation des effets opérés selon les valeurs du risque attribuées à chaque variable explicative, en tenant compte du risque des autres variables introduites dans le modèle. A titre de rappel, les principaux résultats de cette analyse font ressortir que la pauvreté multidimensionnelle et l’absence de pauvreté monétaire conjuguée à la présence de la privation multiple touchent davantage les enfants ruraux que les enfants urbains alors que la pauvreté monétaire conjuguée à l’absence de privation est essentiellement urbaine.

La taille de ménage semble davantage influencer les deux premiers types de pauvreté que la dernière. Le niveau scolaire du chef de ménage et son effet sur les trois types de pauvreté influence fortement le risque des enfants d’être pauvre, à l’exception de la pauvreté monétaire conjuguée à l’absence de privation où aucun effet n’a été constaté selon les résultats du modèle appliqué.

               Conclusions et implications sur les politiques sociales

    Assurance sociale ou assistance sociale ?

Tout d’abord il faut noter que les analyses conduites dans le cadre de la présente recherche ont été réalisées avant la crise covid-19 qui a donné lieu à la refonte totale de la politique de protection sociale au Maroc. Les analyses conduites dans ce sens ont révélé la vulnérabilité des ménages marocains aux chocs. C’est ainsi que l’opération de transfert d’aide à la subsistance aux ménages ayant perdu leur source de revenus lors du confinement a révélé que les deux tiers des ménages marocains vivaient d’activités dans le secteur informel et donc n’avaient aucune espèce de protection sociale. (Voir à titre d’exemple, Ait-Mansour , 2021 et Ait Mansour et Benmouro, 2023).

Auparavant, les politiques économiques influencées par la pensée néolibérale mettaient davantage l’accent sur la croissance économique qui donnaient lieu dans les pays comme le Maroc à un double système : un système d'assurance sociale pour une minorité, en l'occurence les groupes sociaux qui bénéficient de l'assurance sociale en vertu de leur affiliation à l'administration publique ou aux entreprises du secteur privé; et l'assistance sociale qui concerne plutôt les catégories sociales classées comme "pauvre" ou "vulnérable" qui n'ont aucune couverture.. Ces différents types de politiques ont fait l’objet de discussion par plusieurs auteurs. Selon Spicker (2007)[37], la première répond aux risques prévisibles : maladie, chômage, handicap, etc. La mise en œuvre de politiques de protection sociale en Europe depuis la période post-guerre a maintenu la pauvreté au niveau strictement minimal dans les pays nordiques grâce à ces systèmes nationaux de protection universelle. On peut en déduire, qu’ils sont les plus efficaces dans la lutte contre la pauvreté. Ces systèmes sont fondés sur le principe de la protection sociale plutôt que sur l’aide aux pauvres. Par contre, selon Spicker, les politiques qui ciblent uniquement les pauvres laissent forcément certains groupes en marge des efforts nationaux de lutte contre la pauvreté, en raison d’erreurs d’inclusion et d’exclusion.

    Les implications de la présente recherche sur les politiques sociales au Maroc

En ce qui concerne les implications de la présente recherche sur les politiques sociales, il n’est pas évident de proposer de recommandations spécifiques et à direction unique. D’abord, la présente recherche a identifié trois différents groupes d’enfants qui vivent la pauvreté différemment : certains sont monétairement pauvres mais ne sont pas privés, certains sont privés, mais ne sont pas monétairement pauvres, tandis que d'autres sont à la fois pauvres monétairement et endurent la privation multiple. Il est également possible que le profil de ces groupes change radicalement si les définitions et les mesures de pauvreté appliquées changent. Dans ce cas de figure, si l’on applique une définition plus large portant sur la qualité de vie, la qualité de l’éducation, la santé dans son acception plus large, les services semi-publics tels que le transport, les infrastructures, la capacité de faire face aux catastrophes naturelles et bien d’autres dimensions, on se retrouverait certainement avec d’autres profils beaucoup plus marquants que ceux dressés selon les définitions utilisées par la présente recherche. En second lieu, il serait plus prudent d’accorder de la priorité aux politiques de protection sociale à caractère transformatif plutôt que celles de l’assistance sociale qui consistent plutôt à traiter les répercussions collatérales de la pauvreté. Toutefois, au regard de la nature basique des indicateurs utilisés par cette recherche, les formes de pauvreté identifiées nécessitent des actions potentielles que l’on pourrait approcher selon les différents groupes concernés.

Pour les enfants qui sont « pauvres monétaire», mais ne sont pas privés

Les enfants (et leurs familles) identifiés comme pauvres monétairement, mais ne sont pas privés auraient, en fait, vu leurs revenus/dépenses diminuer de manière spectaculaire au moment de l'enquête, mais les répercussions ne sont pas encore visibles au niveau des conditions de vie. S’ils persistent dans la pauvreté monétaire, ils deviendraient extrêmement pauvres à la fois en termes de ressources et de conditions de vie. Pour ce groupe, les interventions de type d’assistance sociale ne feraient pas d’effets notables. Par contre l’amélioration des ressources financières que ce soit par le biais du marché de travail ou par un système d’assurance qui assure un revenu minimal en cas de perte d’emploi ou de source de revenu régulière serait envisageable dans la mesure où ce groupe est  relativement réduit en termes d'effectifs et concernerait essentiellement les enfants urbains et qui vivent avec une femme chef de ménage.

Pour les enfants qui sont privés, mais ne sont pas pauvres monétairement

Ce groupe d'enfants et leurs familles auraient augmenté leur revenu/ressources au-dessus du seuil de pauvreté établi mais n’auraient pas encore pu améliorer leurs conditions de vie. Les politiques les mieux appropriées dans ce cas de figure seraient l’accès aux services et l’amélioration de conditions de vie à savoir le logement, l’éducation, les soins de santé, etc., notamment en milieu rural. Les programmes d’assistance sociale en cours ; comme « Tayssir » (transfert de cash conditionné par la scolarisation), le RAMED (régime d'assurance maladie, dissous en 2022 à juste titre et ses bénéficiaires versés automatiquement dans le régime d'assurance maladie obligatoire), ou encore l'INDH ne sauraient être suffisants dans la mesure où ces prestations sont essentiellement conçues pour cibler directement les groupes classés comme pauvres monétairement ou selon d’autres critères similaires utilisés localement (i.e. disposer d’un certificat d’indigence, etc.). En outre, les résultats de la présente recherche ont fait ressortir que les variables auxquelles la pauvreté des enfants est fortement associée sont de nature structurale. On relève notamment le niveau d’instruction des parents (capital scolaire) et le milieu de résidence (notamment le rural mal desservi dans tous les domaines) ainsi que certaines régions où les taux des différents types de pauvreté sont très élevés.

Les enfants « pauvres » dont les parents présentent les caractéristiques susmentionnées et bien d’autres seront évidemment pauvres pendant toute leur vie du moment que les caractéristiques étudiées montrent la nature précaire du « capital » transmissible d’une génération à une autre. Briser le cycle de pauvreté dans ces conditions serait une illusion.

Une politique sociale inclusive et solidaire qui fournit les mêmes prestations pour l’ensemble des marocains et marocaines serait la plus à même d’entrainer un changement social favorable au développement. En l’absence de politiques sociales inclusives, la reproduction intergénérationnelle de la pauvreté continuerait de sévir.

Pour les enfants qui sont à la fois pauvres et privés

Ce groupe d'enfants et leurs familles sont à la fois pauvres monétairement et endurent la privation multiple, ils vivent une forme extrême de la pauvreté. Ce groupe devrait, de toute évidence, être la première priorité de toute politique de lutte contre la pauvreté à la fois au niveau national et régional. Les programmes d’assistance sociale qui servent de mesures temporaires ne sauraient suffire pour faire face à ce type de pauvreté.

D'autres prérequis pour la mesure de la pauvreté des enfants

Comme il a été démontré dans cette recherche ; la mesure de la pauvreté fondée sur le critère monétaire est insuffisante pour identifier les enfants pauvres.

La conception de mesures officielles qui incluent à la fois les critères monétaires et non monétaires est essentielle. En outre, il est important de produire des estimations de la pauvreté des enfants séparément de celles des adultes. Cela permet de prendre la mesure des dimensions de pauvreté qui affectent les enfants qui sont souvent différentes de celles des adultes et de considérer les implications sur les politiques de protection sociale. En raison de l’absence de données spécifiques aux enfants, la présente recherche a construit un indice fondé essentiellement sur les caractéristiques des ménages. Certes, les caractéristiques des ménages se réfèrent à l’environnement dans lesquels vivent les enfants, et sont de ce fait importantes dans une étude sociologique de la pauvreté, mais ils ne sauraient être suffisantes. Afin de permettre une mesure plus appropriée de la pauvreté des enfants ; il est nécessaire de poursuivre les travaux de recherche à l’aide de construction d’indices variés de privation multiple et de pauvreté multidimensionnelle.

Enfin, bien que la présente recherche a exploré différentes mesures de la pauvreté de l’enfant de manière horizontale ; elle n'a pas exploré toutes les dimensions potentielles de la pauvreté des enfants. Des modules incluant les informations et les dimensions manquantes devraient être incorporés dans les enquêtes nationales afin de produire les données en mesure de faire avancer l’agenda de la recherche dans ce domaine. Dans ce sens des dimensions touchant la qualité de l’éducation, la santé et la nutrition, le temps des loisirs, la sécurité et la protection, entre autres, devraient être incorporées dans les enquêtes nationales afin de permettre leur inclusion dans les analyses de la pauvreté des enfants dans le futur.

Pour explorer plus en profondeur les dimensions de la pauvreté des enfants et en examiner davantage la pertinence ; des recherches qualitatives devraient être entreprises impliquant également des enfants. Les perspectives d’analyse à partir du paradigme qualitatif pourraient, soit inspirer les mesures quantitatives en vue d’adapter les définitions et les indicateurs en fonction des données empiriques collectées ; soit approfondir les résultats de celle-ci.

Les meilleures analyses sont celles construites selon des paradigmes de recherche multiples, en l’occurrence, celles qui mobilisent à la fois les méthodes qualitatives et quantitatives.

               Références bibliographiques

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  • Whelan, Christopher T., et al. “Understanding the Mismatch between Income Poverty and Deprivation: A Dynamic Comparative Analysis.” European Sociological Review, vol. 20, no. 4, 2004, pp. 287–302. JSTOR, http://www.jstor.org


           L’analyse de la relation entre la pauvreté et la dégradation de l'environnement :
une brève revue de littérature

Hicham Sadok*

               Résumé

Les changements climatiques sont certes un phénomène mondial causé essentiellement par l'ensauvagement du capital, mais ses effets néfastes sont plus durement ressentis par les populations fragiles. Ainsi, la pauvreté et la dégradation de l'environnement sont étroitement liées dans un cercle vicieux. D'une certaine manière, la pauvreté contribue à la dégradation en marche de l'environnement parce que les vulnérables n'ont pas les moyens de s'occuper convenablement de l'environnement, et la dégradation de l'environnement appauvrit gravement la vie de ces mêmes pauvres en annihilant leurs moyens de subsistance, leur revenu et leur santé. Sur la base de cette prémisse, ce papier tente d'examiner, abstraction faite de tous les autres facteurs dégradant fortement l’environnement, une partie de la littérature pour déterminer comment un environnement dégradé augmente la pauvreté, et comment la pauvreté contribue à détériorer à son tour l'environnement. Une meilleure compréhension de cette relation devrait conduire, inéluctablement, à des meilleures politiques publiques de lutte contre la pauvreté pour une meilleure préservation de l’environnement.

               Introduction

La dégradation de l'environnement constitue une menace pour les moyens de subsistance et le bien-être social, et tend à avoir un effet néfaste sur le développement économique des pays. La Banque mondiale estime que 100 millions de personnes dans le monde, principalement en Asie du Sud et en Afrique, risquent de retomber dans la pauvreté en raison de la dégradation de l'environnement dus aux effets du changement climatique en cours (Hallegatte et al, 2016 ; Baarsch et al, 2020). Les pays africains sont les plus touchés par ce phénomène en raison de leur vulnérabilité structurelle, et la faiblesse de leurs systèmes de production basés essentiellement sur l'agriculture de subsistance. La baisse des récoltes expose les ménages ruraux à l'insécurité alimentaire, à la pauvreté et au creusement des inégalités. Celle-ci est tributaire des aléas climatiques, des faibles rendements et de l'absence de stratégies d'adaptation adéquates.

Les risques associés à la dégradation de l'environnement conduisent à une augmentation de la pauvreté et placent les ménages vulnérables dans une sorte de trappe à pauvreté qui peut anéantir les efforts de développement. En Afrique, les variations de précipitations et de température induites par le changement climatique fragilisent les systèmes alimentaires et exposent en moyenne 30 millions de personnes à l'insécurité alimentaire (Epule et al, 2017). L'absence de mécanisme d'assurance pour se couvrir contre les risques limite la capacité des ménages à s'adapter à ces chocs environnementaux dus à ces changements climatiques.

Selon un rapport des Nations unies paru en octobre 2021, le climat de l’Afrique continuera à changer plus rapidement que dans la plupart des régions du monde. Au Maroc, ce changement se vit au quotidien. Il rime avec des températures dépondérées avec les saisons, des pluies irrégulières, tantôt faibles, tantôt abondantes. Les projections climatiques actuelles du GIEC estiment que d’ici 2050, le Maroc connaîtra une augmentation moyenne annuelle de sa température de +2.1°C, une véritable menace. Et les projections ne sont pas rassurantes concernant les impacts de ce changement sur l'évolution du bien-être et de la vulnérabilité au Maroc, dont l’économie a subi d’énorme pertes depuis les 4 dernières années. Exposée à une série de chocs dont les effets se cumulent, l’activité économique a brutalement ralenti. La croissance du PIB déflaté a chuté au premier trimestre de 2023 de 0,3 % par rapport à 2019. Les raisons de ce coup de frein, abstraction faite de la crise du Covid et de l’inflation, tiennent principalement aux conséquences de la sécheresse qui frappe le pays (la troisième au cours des quatre dernières années), entraînant une forte contraction du PIB agricole par rapport à 2019 qui représente 13% du PIB.

Les changements climatiques sont certes un phénomène mondial causé essentiellement par l'ensauvagement du capital, mais ses effets néfastes sont plus durement ressentis par les populations fragiles. Ils pèsent un risque sérieux pour la réduction de la pauvreté en menaçant de balayer plusieurs décennies d'efforts de développement en raison de leur forte dépendance à l'égard des ressources naturelles, ainsi que de leur capacité limitée à faire face à la variabilité climatique et aux phénomènes météorologiques extrêmes (Muller et al., 2011 ; Angelsen et Dokken, 2018).

Il est généralement admis que la pauvreté est perçue à la fois comme cause de dégradation de l’environnement et aussi son résultat (Scott, 2006). Sur la base de cette prémisse, ce papier essaie d'examiner, abstraction faite de tous les autres facteurs dégradant fortement l’environnement, une brève partie de la littérature pour déterminer comment un environnement changeant augmente ou diminue la pauvreté, ou comment le changement du niveau de la pauvreté endommage ou améliore l'environnement. Étant donné que les ressources de la nature constituent une source importante des revenus dans les pays en développement, en particulier pour la cohorte la plus pauvre, une meilleure compréhension de cette relation entre la pauvreté et la dégradation de l'environnement peut conduire à des meilleures politiques publiques de lutte contre la pauvreté pour une meilleure préservation de l’environnement.

       1- La pauvreté comme déterminant de dégradation de l'environnement

La dégradation de l’environnement correspond à une modification durable du climat au niveau planétaire. S’il peut être dû à des phénomènes naturels, tels que des variations de l’activité solaire par exemple, il résulte depuis le milieu du XIXe siècle d’une augmentation des concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, engendrée par les activités du système capitaliste dominant. Elle se manifeste au quotidien par l'épuisement des ressources telles que l'air, l'eau, le sol, la destruction des écosystèmes et l'extinction de la faune et la flore. Étant donné que cette dégradation apparaît souvent de pair avec une forte incidence sur la pauvreté, il serait tenté de conclure que les deux sont causalement liés (Banque mondiale, 2022). Dans la littérature sur le développement, il est explicitement indiqué que la pauvreté est une cause majeure des problèmes environnementaux et que son atténuation est une condition nécessaire et centrale de tout programme efficace pour faire face aux préoccupations environnementales (Abidoye et Odusola, 2015). Depuis le Plan d'action environnemental du NEPAD (2003), la pauvreté est identifiée comme une cause et conséquence de la dégradation environnementale et de l'épuisement des ressources. La condition de vie de la majorité des ruraux pauvres dans de nombreux pays en développement est un cercle vicieux entre la dégradation de l'environnement et la pauvreté. Cette dernière ne signifie pas simplement un manque de revenus ou de consommation. Elle se manifeste aussi par le manque de ressources productives suffisantes pour assurer des moyens de subsistance durables, et réduire et lutter contre la faim et la malnutrition, la mauvaise santé, l'accès limité ou inexistant à l'éducation et aux autres services de base, l'augmentation de la morbilidité et de la mortalité par maladie, le logement inadéquat, l'environnement dangereux, la discrimination et l'exclusion sociales (United Nations, 2019). En d'autres termes, la pauvreté peut être considérée comme des déficits individuels, des désavantages sociaux et le déni de droits spécifiques ou d'accès à des ressources minimales (Townsend, 2006).

Selon le seuil de pauvreté international de la Banque mondiale, 1,4 milliard de personnes vivent dans la pauvreté (Banque mondiale, 2022). Environ 26 % d'entre eux vivent dans des pays à faible revenu (Banque mondiale, 2022) ; et plus de 78 % des pauvres résident en zone rurale, alors que cette dernière représente 58 % du monde en développement. Divers aspects multidimensionnels de la pauvreté et de multiples formes de privation sont étroitement liés à la nature des services écosystémiques, à l'accès aux ressources offertes par la nature (Nations Unis, 2014). La qualité et la richesse de l'environnement local affectent les conditions de vie des pauvres, et leur pauvreté est souvent considérée comme un facteur contribuant à la dégradation de l'environnement local (Olinto et al, 2013). Dans certaines régions et écosystèmes fragiles, la lutte des pauvres pour la survie est une des causes non négligeables des problèmes environnementaux tels que la dégradation des sols, la déforestation et la désertification de leur milieu proche (Angelsen et Dokken, 2018). En effet, les pauvres n'ont pas d’autres alternatives ou accompagnement financier et économique décent pour qu’ils puissent renoncer à leur subsistance actuelle au profit de la préservation ou l’amélioration de la qualité de l'environnement. Les pauvres se trouvent donc forcés, ou impliqués malgré eux, dans la destruction de leur environnement immédiat pour leur survie, en surexploitant le pâturage, les forêts et les terres arables. L'effet cumulé de ces effets, susceptibles d’être engendrés par les 1,4 milliard de personnes vivant dans la pauvreté dans les régions et écosystèmes fragiles de la planète, et qu’il faut absolument faire sortir de la trappe de pauvreté, est d'une telle ampleur qu'il fait de la pauvreté de masse un péril mondial majeur pour l’environnement (Angelsen et Dokken, 2018). Cette relation entre la pauvreté et la dégradation de l'environnement est ancienne. Thomas Malthus a suggéré indirectement que les pauvres sont plus susceptibles de s'engager dans un comportement délétère pour l'environnement car ils ne peuvent penser au-delà du prochain repas (Gray et Moseley, 2005). La Commission mondiale sur l'environnement et le développement a souligné que la pauvreté était une menace majeure pour l'environnement mondial, et que la réduction de la pauvreté était un outil indispensable pour sauver l'environnement (World Commission on Environment and Development, 1987).

Dans cette relation entre la pauvreté et la détérioration de l’environnement, la dégradation des terres est un autre problème lancinant affectant environ 1,5 milliard de personnes les plus vulnérables, et un quart de la superficie des terres dans toutes les zones du monde (Lal et al, 2018). La dégradation des terres se manifeste sous forme d'épuisement des nutriments du sol, la salinisation, la pollution agrochimique, l'érosion des sols, la dégradation végétative résultant du surpâturage et la coupe des forêts pour les exploiter en terres agricoles (Lal et al, 2018). Cette dégradation des terres est un risque mondial grave et croissant qui entraîne des pertes de revenus pour la population la plus vulnérable. Elle lui fait perdre des moyens de subsistance locaux, l'insécurité alimentaire, le changement climatique et la perte de biodiversité dont elle jouissait et exploitait (Abidoye et Odusola, 2015). Ainsi, la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification (UNCCD) estime que la dégradation des terres affecte jusqu'à deux tiers des terres productives en Afrique (UNCCDE, 2013). Par conséquent, sur la superficie totale des terres en Afrique (2966 millions d'hectares), 494 millions d'hectares sont dégradés (UNCCDE, 2013).

La dégradation des terres constitue une grave menace pour la sécurité alimentaire mondiale, la disponibilité de l'eau, l'adaptation et l'atténuation du changement climatique et les moyens de subsistance de millions de personnes. Les liens entre la dégradation des terres et la pauvreté sont forts dans les zones rurales des pays à faible revenu où les moyens de subsistance dépendent principalement de l'agriculture (Muller et al, 2011). Elle conduit à une baisse de la productivité agricole, qui à son tour peut entraîner un appauvrissement supplémentaire. Titenberg (2014) affirme que l'érosion des sols est causée, en partie, lorsque les pauvres sont poussés à cultiver des terres fortement érodables pour tenter de survivre. Par manque de régulation foncière cohérente et d’alternative sérieuse de lutte contre la pauvreté, ce phénomène d’appauvrissement des sols peut être à la base de la dégradation des terres et des forêts couvrant 30 % des terres de la Terre. Or si cette conscience de lutte contre la pauvreté dans les régions rurales n’est pas implémentée comme esquisse de préservation de l’environnement, environ 13 millions d'hectares disparaitraient chaque année (Nations Unis, 2014). La dégradation des forêts reste un grave problème environnemental, social et économique. Lorsque les gens manquent de ressources financières et mesures d’accompagnement, ils n'ont d'autre choix que de se tourner vers l'utilisation non durable des forêts naturelles. Ainsi, des activités telles que l'agriculture et la production de charbon de bois entreprises par les vulnérables sont considérées, entre autres facteurs comme l’urbanisation, comme cruciales dans la déforestation et la dégradation des forêts. Plus de 70% de la population de l'Afrique dépend dans une large mesure des forêts et des terres boisées pour leur subsistance, et 60% de la demande énergétique de l'Afrique est satisfaite par les forêts (Banque mondiale, 2022). Ces faits indiquent que la pauvreté est l'une des principales causes de la dégradation des forêts et des terres boisées (Banque mondiale, 2022). Selon Titenberg (2014), la déforestation est causée en partie par la migration d'un nombre réduit de paysans sans terre vers les forêts, à la recherche d'un lopin de terre pour travailler. Aggrey et al (2010) ont également noté qu'il existe une relation positive entre les niveaux de pauvreté et le déboisement, ce qui suggère que la pauvreté est un déterminant majeur de la dégradation de l’environnement.

               2- La dégradation de l’environnement perpétue la pauvreté

Les ressources naturelles sont au cœur des moyens de subsistance et des stratégies d'adaptation des pauvres en fournissant de la nourriture, des aliments pour le bétail, des produits ménagers et des revenus. Or les pauvres sont les principales victimes de la dégradation de l’environnement. Ils sont souvent les plus touchés par l'eau insalubre, la pollution de l'air intérieur et l'exposition aux produits chimiques toxiques; et ils sont particulièrement vulnérables aux risques environnementaux (tels que les inondations, les sécheresses prolongées et les attaques de ravageurs des cultures) et aux conflits et aux maladies liés à l'environnement.

La pauvreté est de plus en plus causée par les pénuries environnementales de terres arables et d'eau, entraînant la perte de moyens de subsistance. Dans le rapport de la Banque mondiale, il a été indiqué que la richesse basée sur l'environnement représentait 25 % de la richesse totale dans les pays à faible revenu, 13 % dans les pays à revenu intermédiaire et seulement 3 % dans les pays de l'OCDE (Banque mondiale, 2022). La Banque mondiale a suggéré que plus d'un milliard de personnes dans le monde dépendent à des degrés divers des ressources environnementales et forestières pour leur subsistance (Vedeld et al, 2004).

La perte de terres agricoles potentielles et existantes à cause de la sécheresse, des inondations et de la dégradation des terres affecte de vastes pans de pauvres dans le monde, dont beaucoup dépendent de l'agriculture pour leurs moyens de subsistance et leur alimentation (Nations Unis, 2014). Les rendements des cultures en Afrique pourraient être divisés par deux d'ici 40 ans si la dégradation des terres cultivées se poursuit au rythme actuel (DFID, 2020). Un environnement dégradé affecte non seulement les revenus, mais aussi la santé de la génération actuelle et des générations futures qui dépendent de ces ressources et les expose davantage aux chocs environnementaux (DFID, 2020).

Les facteurs environnementaux sont responsables de près d'un quart de toutes les maladies dans les pays en développement (Angelsen et Dokken, 2018). Selon Prüss-Üstün et Corvalán (2018), les pays en développement supportent de manière disproportionnée la charge environnementale qui génère certains types de maladies : le nombre total d'années de vie en bonne santé perdues par habitant en raison de la charge environnementale par habitant est 15 fois plus élevé dans les pays en développement que dans les autres pays développés. Pearce (2016) a également signalé que 20 % de la perte totale d'espérance de vie dans les pays en développement sont attribuables à des causes environnementales. Les plus vulnérables vivent souvent sur des terres marginales, telles que des zones à forte pente, où ils sont plus exposés aux glissements de terrain et aux pertes de vie qui en résultent lors des tempêtes et des inondations. Des systèmes d'irrigation et d'approvisionnement en eau mal conçus, des logements inadéquats, une mauvaise évacuation des déchets et un mauvais stockage de l'eau, la déforestation et la perte de biodiversité, tous peuvent contribuer aux maladies à transmission vectorielle les plus courantes, notamment le paludisme, la dengue et la leishmaniose (Banque mondiale, 2022), plus susceptibles d'affecter les pauvres en raison non seulement de leur plus grande exposition, mais aussi parce qu'une mauvaise nutrition les rend plus vulnérables (Banque mondiale, 2022). Les infections respiratoires et les maladies diarrhéiques sont les deux principales causes de décès parmi les 20 % les plus pauvres de la population mondiale, classées en fonction du produit intérieur brut par habitant (UNCCD, 2013). Ainsi, le paludisme est le dixième tueur de la population pauvre dans le monde, responsable de 4 % des décès, et la pollution de l'air intérieur, causée par la fumée des poêles, cause environ 1,6 million de décès par an dans les pays en développement (Nations Unis, 2014). Dans l'ensemble, le fardeau des maladies environnementales impacte plus néfastement les pauvres. Une mauvaise santé, soudaine ou prolongée, entraîne souvent une spirale descendante de perte d'actifs et d'appauvrissement : lorsqu'une personne pauvre ou socialement vulnérable tombe malade ou se blesse, l'ensemble du ménage peut être piégé dans une spirale descendante de perte de revenus et de coûts de soins de santé élevés.

               Conclusion

La pauvreté et la dégradation de l'environnement sont étroitement liées dans un cercle vicieux. D'une certaine manière, la pauvreté aggrave la dégradation en marche de l'environnement par parce que les vulnérables n'ont pas les moyens de s'occuper convenablement de l'environnement puisqu'ils n'ont pas d'autre alternative que de le consommer d’une manière non soutenable pour répondre à leurs besoins urgent de la vie. Leur pauvreté les rend asservis aux besoins actuels au détriment des besoins futurs. En revanche, la dégradation de l'environnement appauvrit gravement la vie de ces mêmes pauvres en annihilant leurs moyens de subsistance, leur revenu et leur santé. Vivre dans un environnement dégradé rend le pauvre encore plus vulnérable aux risques économiques et sanitaires. Plus largement, il devient urgent de sortir du modèle de croissance tirée par la consommation et d’une économie extractive fondée sur le consumérisme, pour donner enfin la priorité à la sobriété, la réduction de la pauvreté et des inégalités

Généralement, et sur la base des résultats de l'analyse de cette brève revue de littérature, un environnement dégradé exacerbe les conditions de pauvreté. Par conséquent, l’aide à sa préservation contribue notoirement, non seulement à la pérennité des écosystèmes, mais aussi à réduire la pauvreté.

               Bibliographie

  1. Aggrey N, Wambugu S, Karugia J, Wanga E. An investigation of the povertyenvironmental degradation nexus: A case study of Katonga Basin in Uganda. Research Journal of Environmental and Earth Sciences. 2010;2(2):82-88.
  2. Baarsch, F., Granadillos, J. R., Hare, W., Knaus, M., Krapp, M., Schaeffer, M., & Lotze-Campen, H. (2020). The impact of climate change on incomes and convergence in Africa. World Development, 126, 104699. https://doi.org/10.1016/j.worlddev.2019.104699
  3. DFID. Achieving Sustainability: Poverty Elimination and the Environment. Strategies for Achieving the International Development Targets. DFID Plans; 2020
  4. Gray LC, Moseley WG. A geographical perspective on poverty-environment interactions. The Geographical Journal.2005;171:9-23
  5. Hallegatte, S., & Rozenberg, J. (2017). Climate change through a poverty lens. Nature Climate Change, 7(4), 250-256. https://doi.org/10.1038/nclimate3253
  6. Lal R, Safriel U, Boer B. Zero net land degradation: A new sustainable development goal for Rio+ 20. [A report prepared for the Secretariat of the United Nations Convention to Combat Desertification]; 2018.
  7. New Partnership for Africa’s Development (NEPAD). Action Plan of the Environment Initiative of the New Partnership for Africa’s Development; 2003.
  8. Olinto P, Beegle K, Sobrado C, and Uematsu H. The state of the poor: Where are the poor, where is extreme poverty harder to end, and what is the current profile of the World’s poor? 2013. Available:www.worldbank.org/economic
  9. Pearce DW. Investing in Environmental Wealth for Poverty Reduction: Report prepared for the Poverty-Environment Partnership; 2016.
  10. Prüss-Üstün A, Corvalán C. Preventing disease through healthy environments: Towards an estimate of the environmental burden of disease. Geneva: World Health Organization; 2018.
  11. Scott L. Chronic poverty and the environment: A vulnerability perspective. CPRC Working Paper 62; 2006.
  12. Titenberg T. Environmental Economics. Fifth edition; 2014.
  13. United Nations (UN). Rethinking Poverty: Report on the World Social Situation 2010. Department of Economic and Social Affairs, New York
  14. United Nations Development Program (UNDP). Environmental Justice: Comparative Experiences in Legal Empowerment; 2014.
  15. UNCCDE. Background document: The economics of desertification, Land Degradation and Drought: Methodologies and Analysis for Decision-Making. Bonn, Germany, United Nations Convention to Combat Desertification; 2013.
  16. World Bank. Linking poverty reduction and environmental management: Policy challenges and opportunities; 2022.
  17. World Commission on Environment and Development. Our common future. The World Commission on Environment and Development’s Report. Oxford University Press, Oxford; 1987

            


[1] IL s’agit du numéro 11 , volume XVI , Novembre/décembre 2018.

[2] Notons qu’il est urgent, pour le Maroc, d’améliorer le système statistique national sur le plan social, la dimension économique étant mieux établie, pour pousser et affiner la réflexion. Il faudrait également pousser à plus de transparence des données en termes d’accessibilité et de définition pour permettre le développement d’une recherche académique sur les conditions de vie de la population. Les statistiques devraient davantage être utilisées comme un bien public et mises au service des individus. Il est question ici de construction de savoirs nouveaux mais aussi, et surtout, de construction d’un Etat démocratique : dépasser l’utilisation des données sociales que fait un pouvoir politique pour préserver son image ou ses intérêts, pour en faire des données au service de l’action politique.

[3] Il faut ici signaler que la production de l’inégalité et de l’exclusion n’est pas uniquement le fait des politiques publiques et de l’Etat central. Les stratégies de classes sociales disposant de revenus substantiels en matière de ségrégation spatiale ou de sélection des établissements scolaires peuvent accentuer les inégalités. 

[4]  Il prendra fin le 1er mars 2023.

[5]  Quelques informations :

  •  Dans un rapport de juin 2021 du groupe de travail sur les systèmes de santé de la Chambre des Représentants, il a été estimé qu’environ 7000 médecins quitteront le Maroc dans les deux années suivantes (https://www.chambredesrepresentants.ma/fr/actualites/la-chambre-des-representants-tient-une-seance-pleniere-pour-la-presentation-et-la?sref=item2682-133078)
  •  Selon le ministère de l’inclusion économique, de la petite entreprise, de l’emploi et des compétences, près de 27000 Marocains ont quitté le pays en 2022 en utilisant les circuits officiels.
  •  Selon la 7éme édition du rapport annuel du baromètre arabe sur la migration publiée en août 2022 (échantillon de 23000 personnes dans 10 pays de la région MENA), 34% des Marocains souhaitent émigrer (40% d’entre eux ont un diplôme universitaire et 32% possèdent un diplôme d’études secondaires au moins).

[6]  La masse de liquidité et son augmentation continue peut également être un indicateur de ce mouvement vers l’informalisation de l’économie. Le volume d'argent liquide en circulation à la fin de 2019 a atteint 250 milliards de Dh et a augmenté de 50 milliards de Dh en 2020. La banque centrale estime que s’agissant du besoin de liquidité des banques, il se creuserait à 85,1 milliards de dirhams en moyenne hebdomadaire à fin 2022 et à 89,6 milliards à fin 2023 (Rapport sur la politique monétaire, n˚64/2022).

[7]  Un registre social unifié a été décidé après de nombreuses années de discussions avec la Banque Mondiale.

https://documents1.worldbank.org/curated/en/783081468053674329/pdf/AAA650ESW0P1120H0PRINTSHOP0VERSION.pdf
https://projects.banquemondiale.org/fr/projects-operations/project-detail/P155198?lang=fr

   La mise en place de ce RSU a été accélérée après la pandémie suite au discours royal prononcé lors de la fête du trône en 2020 : https://www.rsu.ma/web/guest/accueil

   Quelques articles explicatifs :

[8]  The+Size+and+Development+of+the+Shadow+Economy+in+Morocco.pdf

[9]  https://www.hcp.ma/downloads/?tag=Enqu%C3%AAte+nationale+sur+le+secteur+informel

[10] Un des indicateurs de cette défiance est le taux de participation électorale qui est assez bas depuis plusieurs années (en 2011, il est de 45%, en 2016 de 43%). L’exception des élections législatives de septembre 2021 a été longuement commentée, étant donné le contexte de forte circulation d’argent pendant les campagnes des candidats et d’organisation des scrutins communaux et régionaux en même temps que les législatives : le taux de participation a atteint 50,18% de votants.

[11] Il est à noter ici que la question de la disponibilité de l’eau, et en général de la préservation de l’environnement, même si son rôle dans le développement économique est encore volontairement sous-estimé par la classe politique, est cruciale pour le futur du pays. Il est fort probable que l’augmentation des prix des produits agricoles est aussi liée à l’augmentation du coût de l’eau. La situation est actuellement déjà grave en termes de disponibilité de cette denrée même si le ministère de tutelle est discret sur le sujet. Si les petits paysans subissent violemment les effets de la sécheresse, les exploitants agricoles capitalistes trouvent toujours des solutions pour augmenter leurs marges, avec le soutien actif de l’administration et conformément aux orientations libérales du gouvernement. Par exemple, le mouvement de « migration » des grands exploitants agricoles capitalistes du Souss vers le Gharb a été constaté après l’épuisement des nappes phréatiques surexploitées et ce, sans remise en cause des pratiques agricoles qui ont mené à la désertification. Un mouvement inverse est en cours depuis la mise en fonction de l’usine de dessalement de Chtouka en janvier 2022. La disponibilité de l’eau sera sans aucun doute prochainement un indicateur de poids révélateur de l’aggravation des inégalités sociales et un catalyseur des révoltes sociales à venir. La relation entre pauvreté et disponibilité de l’eau au Maroc reste à analyser finement pour éviter que la situation ne vire au désastre.

[12]  Au détour des vifs échanges du Haut-Commissaire au Plan et du Gouverneur de la Banque Centrale auxquels sont habitués les observateurs.

[13] https://www.hcp.ma/Les-resultats-de-l-enquete-de-conjoncture-aupres-des-menages-premier-trimestre-de-l-annee-2023_a3697.html

[14] https://documents1.worldbank.org/curated/en/099337102132324304/pdf/ IDU0b65b92ce0ee6e04aac0af020c702ce303424.pdf

https://www.hcp.ma/Evolution-du-niveau-de-vie-des-menages-et-impact-de-la-pandemie-COVID-19-sur-les-inegalites-sociales_a2676.html
https://www.hcp.ma/Evolution-des-inegalites-sociales-dans-un-contexte-marque-par-les-effets-de-la-COVID-19-et-de-la-hausse-des-prix_a3588.html

[15] Premier passage auprès de 2329 ménages du 14 au 23 avril 2020.

    Deuxième passage auprès de 2169 ménages du 15 au 24 juin 2020.

    Troisième passage auprès de 12 000 ménages du 07 octobre 2021 au 07 février 2022.

[16] S’agissant d’opérations mathématiques avant tout, la signification des données produites par milieu de vie urbain et rural est à relativiser.

[17] - Ajzen, I. (1985). From intentions to actions: A theory of planned behavior. In J. Kuhi & J.Beckmann (Eds.), Action control: From cognition to behavior (pp. 11-39). Heidelberg:Springer.

 - Ajzen, I. (1991). The theory of planned behaviour. Organisation behavior and human decision processes, 50, 179-271.

 - Angus, Deaton. (1992). Understanding consumption, Oxford University Press, Oxford, hard cover, pp. 240.

- Crozier M., Friedberg E., L’acteur et le système, Editions du Seuil, 1977.

- Hajraoui, K., Chalabi, H. (2021). The impact of the lockdown due to the pandemic sars-cov2 on consumer behavior and food store attendance in morocco. Revue D’Etudes en Management et Finance D’Organisation N°12 Janvier 2021.

- Khairi, O., Mnajli, F. E., Bennani, M., & Bensassi Nour, H. (2021). L’évolution des comportements d’achat à l’ère du COVID19 : cas du Maroc. International Journal of Accounting, Finance, Auditing, Management and Economics, 2(6), 120- 139.

- Langlois, Simon. (2002). Nouvelles orientations en sociologie de la consommation, CAIRN, Presses Universitaires de France, vol 52.

- Solomon, M.R. (1996). Consumer Behaviour: Buying, Having and Being, 3rd Ed., New Jersey: Prentice Hall.

[18] Le développement des centres commerciaux et des enseignes de grande distribution est un indice important de l’évolution des pratiques de consommation mais l’irruption fracassante des marques de luxe l’est encore plus. Les conditions de vie de la population de la classe aisée sont mal connues mais il est très probable au regard des enseignes de luxe installées au Maroc que leur commerce se porte bien. La dernière en date est la maison Balenciaga qui s’est installée en octobre 2022 à Casablanca. Selon l’étude réalisée par Mastercard Economics Institute publiée en janvier 2023, le Maroc est classé premier parmi les marchés du Moyen-Orient et de l’Afrique, en termes de dépense dans l’acquisition des biens et produits de luxe : entre 2019 et 2022, le Royaume a atteint un score de croissance de 71%, suivi par Madagascar (70%), la Jordanie (60 %), le Sénégal (55%), le Kenya (39%) et la Zambie (34%).

[19] A lui seul, ce sujet mériterait une réflexion approfondie tant le lien entre les personnes et les nouvelles technologies est déterminant dans l’évolution des sociétés.

[20] La situation de la femme active est inquiétante : le taux d’activité des femmes ne cesse de baisser passant de 25,9% en 2010 à 19,9% en 2020.

[21]  Voir par exemple: Gordon, D; Nandy, N; Pantazis, C & Pemberton, S (2010), Measuring Child Poverty and Deprivation, Working Paper: Townsend Centre for International Poverty Research, University of Bristol et Alkire, S and Roche, J M. (2011, July). Beyond Headcount: Measures that Reflect rhe Breadth and Components of Child Poverty. OPHI Working Papers Series, N° 45. Oxford : University Of Oxford.

[22]  Devillis, R. F. (1991). Scale Development, Theory and Application, Applied Social Research Methods, Vol26. California: Sage Publications.

[23]  Bland, J M & Altman, D. (1997). Statistics Notes: Cronbach's Alpha. British Medical Journal, pp. 314-572.

[24]  Gordon, D. (2002), The International Measurement of Poverty and anti-poverty policies, in Townsend, P & Gordon, D (eds). (2002). World Poverty, New Policies to defeat the Enemy. Bristol: The Policy Press.

[25]  Ce test statistique consiste à évaluer le risque d’occurrence d’un événement (dans ce cas être pauvre ou privé d’un bien ou un service). Le risque est calculé par la division de la probabilité de l’occurrence de l’événement par la probabilité de la non-occurrence de l’événement étudié. Si la valeur du test est supérieure à 1 l’événement en question est très probable, si la valeur est inférieure à 1, l’événement est très peu probable. Field, A. (2005). Discovering Statistics Using SPSS. London: Sage Publications.p.739).

[26] DeVillis, R F, (1991), Scale Development, Theory and Applications, Op.cit. p.25.

[27]  Cronbach, L. J. (1951). Coefficient Alpha and the Internal Structure of Tests. Psychometrika, 16, pp. 297-334.

[28]  Bland, J M & Altman, D. (1997). Statistics Notes: Cronbach's Alpha. Op.cit.

[29]  Gramines, E & Zeller, R in Lewis-Beck, M (ed). (1994). Basic Measurement. London: Sage Publications.p.41

[30] Par un cout élevé, les auteurs font certainement référence au fait qu’obtenir une inter- corrélation assez élevée entre les indicateurs composant un indice implique un certain nombre de critères qui ne sont pas toujours réunis, à savoir un questionnaire d’enquête conçu de manière parfaite, un échantillon hautement représentatif, des données de très grande qualité, etc.

[31] Gordon, D. (2006) ‘The concept and measurement of poverty’. Op.cit.

[32] Atkinson, A. (2003). Multidimensional Deprivation: Contrasting Social Welfare and Counting Approaches. Journal of Economic Inequality, 1:51-65.

[33] De Neubourg, C, De Millian, M, et Plavgo, I (2014), Lost (in) Dimensions. Op.cit.

[34] La régression logistique est un modèle d’analyse multivariée qui s’applique à des variables expliquées de nature binaire ou ordinale (i.e., pauvre= 1, non pauvre=0). Son application dans ce contexte permettra d’identifier l’ampleur du risque d’exposition à la pauvreté (en termes de probabilité) par rapport à chaque variable explicative, en tenant compte de l’effet des autres variables introduite dans le model. Pour chaque variable explicative dans le modèle, la fonction de régression logistique estime la valeur du coefficient associé à la dite variable. Autrement dit, en tenant compte des informations contenues dans les variables explicatives, le modèle estime quelle modalité de la variable expliquée (la pauvreté dans ce cas) est plus probable que l’autre (pauvre ou non pauvre).

[35]               Whelan, C T. Layte, R and Maître, B. (2004). Understanding the Mismatch between income poverty and deprivation: A Dynamic Comparative Analysis. Op.cit. p.287

[36]               Gordon, D & Sp

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que leurs auteurs

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* Les regrettés Driss Benali, Mohamed Hamoudi et
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ont été parmi les fondateurs de la revue

Publications

Revue Marocaine de Sciences Politiques et Sociales

Numéros parus:

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  • La question saharienne et méditerranéenne, N°2, Printemps - Été 2011 (volume. III).
  • Printemps arabe, Hors-Série, Mars 2012 (volume. IV).
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  • Mélanges, Hommage à Driss Benali, Hors-Série, Décembre 2013 (Volume. VIII).
  • Dialogue social au Maroc, N° 5, Mai /Juin 2014 (Volume. IX).
  • Islam politique dans le monde arabe, N°6, Novembre 2014 (Volume. X).
  • Les Partis politiques au Maroc, N°7, Juillet 2015 (Volume. XI).
  • Religion et politique en terres d’Islam, N°8, Janvier 2016 (Voumel. XII).
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  • Bilan gouvernement Benkirane, N° 9, Juillet/Août 2017, (Volume XV).
  • Palestine, Actes du Symposium International, N° 10, Juin / Juillet 2018, (Volume XVI).
  • La pauvreté au Maroc, N° 11, Novembre/décembre 2018, (Volume XVII).
  • L’économie politique au Maroc, (en Arabe), Décembre 2018/Janvier 2019, (Volume XVIII).
  • Quelques éléments de réflexion sur le modèle de développement, Octobre /Novembre 2019, (Volume XIX).
  • La question constitutionnelle au Maroc, Historicité et usages, Mohamed Madani, Octobre 2021, (Volume XX).
  • Le Maroc à l’épreuve du changement politique, Mohamed Mouaqit, Novembre 2021, (Volume XXI).
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  • Maroc : une économie sous plafond de verre, des origines à la crise Covid-19, Najib Akesbi, Septembre 2022, (Volume XXIII).
  • Mélanges en hommage au Pr . Abdelmoughit Benmessaoud Tredano, novembre 2022, (Volume XXII).

Collection « Cahiers Libres »

  • Paix, dialogue et tolérance, Le cas du Maghreb et du Moyen‑Orient, Abdelmoughit Benmessaoud Tredano N° 1, Février 2014.
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  • L'accord de libre-échange Maroc-Union Européenne à l'épreuve des faits, N. Akesbi, S. Dkhissi, M. Khachani N° 3 Septembre 2015.
  • Les finances publiques du Maroc : quelques éléments d'analyse, A. Berrada N° 4 Juin 2016.
  • Les élections au Maroc -2007 et 2015- ébauche d’une sociologie électorale, Abdelmoughit Benmessaoud Tredano N° 5, Septembre 2016.
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  • Corona, mondialisation et dérèglement du monde : Entre extinction et survie de l’humain, Cahiers Libres N ° 7, RMSPS, décembre 2020, 234 p.

Collection : Hommage et Documents

  • Modèle de développement : quelques questions. Document de travail, N ° 1, Novembre 2019.
  • Hommage à Abdelmoughit Benmessaoud Tredano, N ° 2, mai 2023.

A paraitre durant l’année 2024

Collection « Cahiers Libres »

  • Lexique politique, Pr. Aziz Chahir et Pr..Abdelmoughit Benmessaoud Tredano.

Collection : Hommage et Documents

  • Hommage à Samir Amine, Collection Hommage et documents.

    Sommaire

Avertissement 9

Présentation. 11

Apprécier les conditions de vie de la population, un enjeu essentiel 15

Samira Mizbar

Mesurer la pauvreté des enfants : Implications sur les politiques sociales  Méthodes et étapes de constructions d’indices de privation multiple  25

Hicham Ait Mansour  

L’analyse de la relation entre la pauvreté et la dégradation de l'environnement : une brève revue de littérature  45

Hicham Sadok

           Avertissement

A la demande de nombreux chercheurs et universitaires, la Revue Marocaine des Sciences Politiques et Sociales procède à la réédition du Numéro sur la pauvreté[1]; il s’agit d’une version substantiellement augmentée grâce à trois intéressantes contributions qui ont été proposées pour enrichir le texte initial.

Les professeurs Samira Mizbar, Hicham Ait Mansour et Hicham Sadok se sont, en effet, investis pour apporter de nouveaux éclairages sur la question de la pauvreté , notion aussi complexe et controversée que sont les statistiques et les données la concernant.

En effet, pour la professeure Samira Mizbar la question des données et des statistiques relatives à la question de pauvreté reste problématique ; à travers : « un état des lieux de la production des données sur la pauvreté et les vulnérabilités après la pandémie ...",elle souligne "... les limites de la pertinence de ces données dans un contexte géo-économico-stratégique en pleine mutation" et insiste sur le fait que "ces données politiquement correctes ne renseignent en rien sur les mutations sociales en cours et donc ne peuvent inspirer des politiques efficientes de lutte contre la pauvreté et de cohésion sociale ».

Le Pr. Hicham Ait Mansour, quant à lui, aborde et approfondit un aspect plus spécifique de la pauvreté, celle qui concerne les enfants; son papier "a pour principal objectif d'analyser la pauvreté des enfants à partir des mesures multiples en vue d'identifier les politiques sociales de lutte contre la pauvreté les plus adéquates. Pour ce faire, il s'agit d'étudier la pauvreté monétaire, la privation multiple et le chevauchement entre ces deux mesures permettant l'identification de différents groupes d'enfants faisant face à différentes formes de pauvreté et de chevauchement entre celles-ci.".

Un autre aspect important mais encore peu développé au Maroc a été traité par le Pr. Hicham Sadok: il s'agit de chercher et d'établir le lien éventuel entre la pauvreté et la dégradation de l'environnement.

Abstraction faite de tous les autres facteurs qui sont à l’origine de la dégradation de l’environnement ; l’auteur de cette contribution a cherché, sur la base d’une partie de la littérature, « ...à déterminer comment un environnement dégradé augmente la pauvreté, et comment la pauvreté contribue à détériorer à son tour l'environnement. Une meilleure compréhension de cette relation devrait conduire, inéluctablement, à des meilleures politiques publiques de lutte contre la pauvreté pour une meilleure préservation de l’environnement ».

Voilà en quelques mots la quintessence de ces trois contributions supplémentaires au document initial dont l'objectif premier est d'actualiser la conception et la perception qu'on a des données et d'apporter un nouvel éclairage sur des aspects qui n'étaient pas traités dans le texte original.

Le débat reste donc ouvert ; nous souhaiterions que l’ensemble de ces textes, dans cette nouvelle édition augmentée et enrichie, puisse contribuer à l’amélioration de l’arsenal conceptuel existant et rendre intelligible les phénomènes de la pauvreté et de l’exclusion au Maroc.

La rédaction, Janvier 2024

           Présentation

Ce numéro que nous proposons à nos lecteurs est consacré à la pauvreté et à l’exclusion au Maroc. Ce travail fait suite à un atelier-discussion qui a été organisé le 22 juin 2017 par notre revue et qui a vu la participation de plusieurs chercheurs. L’importance du débat suscité par cette thématique nous a poussé à le transformer en un numéro spécial en étendant son périmètre pour inclure d’autres contributions. Nous espérions, grâce à cela, apporter une modeste contribution qui pourrait servir à la fois aux chercheurs et aux acteurs politiques.

En sciences sociales, la pauvreté a été, au début du XXe siècle, l’un des thèmes de prédilection de l’école de Chicago. Depuis, le corpus de connaissance sur le sujet s’est grandement étoffé. En 1976, les travaux de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) sur les besoins essentiels (Basic needs) ont inauguré les indicateurs de qualité matérielle de la vie. Dans les années 1980, la Banque mondiale commence à produire des données sur la pauvreté monétaire dans les pays en développement selon une approche qui s’inspire essentiellement des principes du consensus de Washington. Le PNUD a ensuite lancé, dans les années 1990, le concept de développement humain autour des idées d’Amartya Sen et prolonge la question du bien-être au-delà du spectre monétaire pour inclure de nouvelles dimensions, notamment l’éducation et la santé. La déclaration du millénaire en 2000 s’est, quant à elle, proposée d’éradiquer la pauvreté comme objectif mondial, préoccupation toujours d’actualité puisque, depuis, la communauté internationale a adopté les objectifs du développement durable, avec en tête la lutte contre la pauvreté.

A la faveur de la réflexion intellectuelle et de la multiplication des initiatives au sein des organisations internationales, la lutte contre la pauvreté devient un objectif prioritaire régulièrement mis à l’ordre du jour dans les agendas. Néanmoins, la mesure de la pauvreté s’avère être un sujet beaucoup plus difficile et controversé.

Qu’est-ce que mesurer les conditions de vie ? Et comment le faire ? Comment définir une vie difficile ? Comment évaluer un nombre de personnes en difficulté? Comment décider d’un seuil au-dessous duquel une personne est considérée en rupture des liens sociaux, dans le sens large du terme, assurant un minimum de protection ? Quels critères prendre en compte pour définir ce seuil ? Quels types d’indicateurs pour opérationnaliser celui-ci ? Sont-ils synthétisables en un seul indice, et cette synthèse donne-t-elle un sens nouveau à l’analyse et peut-elle donc produire un profil différent de pauvreté ? Toutes ces questions prennent plus d’acuité avec l’accélération de changements à tous les niveaux: démographique, social, économique, politique, etc., ainsi que les normes, les principes et les valeurs qui façonnent ou qui résultent de ce changement.

Le débat est vif et continu sur la manière de mesurer la pauvreté, car pour catégoriser, classifier et quantifier, il faut d’abord établir une définition, puis retenir un ou plusieurs critères précis avant de « récolter » des données[2]. Là où le discours politique peut rester général, la statistique doit trancher. Mesurer la pauvreté est un acte scientifique et technique certes mais avec des conséquences politiques importantes dont la plus évidente est la distribution des ressources matérielles. Mesurer la pauvreté c’est aussi retenir des indicateurs au détriment d’autres et partant rendre intelligible un phénomène complexe. Les méthodes existantes sont nombreuses et les résultats peuvent être très différents. Les sources de ces disparités sont d’ordre technique, mais aussi conceptuel et politique, et intimement liées à l’organisation et au système politique qui produit et diffuse les statistiques.

La diffusion des indicateurs les plus célèbres doit donc être plus considérée comme le résultat d’un rapport de forces que comme la supériorité de techniques de plus en plus solides et justes. Il serait ainsi légitime de se demander en quoi ces quantifications et ces outils renvoient davantage aux courants de pensée dominants qu’à une réelle volonté de faire progresser la connaissance de la pauvreté.

Le choix de consacrer ce numéro à la pauvreté et à l’exclusion au Maroc permet de discuter les fondements théoriques de ces deux notions et d’étudier les différentes mesures adoptées tout en abordant les processus sociaux et les rapports de forces qui engendrent les inégalités.

Il faudrait donc rappeler au tout début de ce numéro que l’existence, dans la nomenclature statistique officielle de ceux qu’on qualifie de « pauvres » n’est pas un état de fait naturel mais fondamentalement social. C’est surtout la violence de l’expropriation et de la dépossession qui produit des individus isolés de leurs communautés et qui se trouvent avec très peu de ressources. Ces phénomènes ne sont pas perceptibles au moment d’une opération de collecte de données comme un recensement ou une enquête car ils sont plutôt le fruit de mécanismes durables et non accessibles à la conscience immédiate[3]. Notons ainsi que l’élaboration des premières statistiques de la population marocaine lors de l’établissement du protectorat au Maroc s’est effectuée en parallèle avec l’expropriation des terres par le biais de mesures juridiques et techniques qui se présentent comme
« rationnelles et modernes ».

Le dénombrement des pauvres et des exclus implique, dans le cas marocain, des politiques publiques qui institutionnalisent l’usage de la charité. Cette dernière peut avoir comme objectif d’atténuer les maux sociaux pour éviter les embrasements pouvant remettre en cause les conditions de production des inégalités. Par exemple, le projet de mise en place d’un dispositif de ciblage des aides suite à la mise en place d’un identifiant social cherche à réduire l’impact des mesures néolibérales de décompensation et de libéralisation qui engendrent plus d’inégalités.

Ce dossier est composé de six articles ; les trois premiers s’intéressent aux aspects théoriques et conceptuels alors que les trois autres portent davantage sur l’analyse empirique du cas marocain. Dans son article « Le concept de la «pauvreté» entre approches individualistes et collectivistes », Hicham Ait Mansour interroge trois principales approches d’analyse et de mesure de la pauvreté : l’approche monétaire néolibérale, l’approche des capacités de l’économiste et philosophe Amartya Sen, et enfin la privation relative en référence aux travaux du sociologue Peter Townsend. Hicham Sadok et Mounir Zouiten explorent, quant à eux, certains paradigmes et indices de mesure de la pauvreté alors que Samira Mizbar, dans le dernier article de cette première série conceptuelle, définit la notion d’exclusion et les conditions de son émergence en France avant de décrire son utilisation au Maroc uniquement de manière qualitative en ce qui concerne les aspects territoriaux.

La deuxième série s’ouvre sur un article intitulé « Pauvreté et prospérité partagée, une lecture critique ». Samira Mizbar y effectue une synthèse de l’information liée à la pauvreté produite par le système statistique national officiel mais analyse tout particulièrement le rapport « Pauvreté et prospérité partagée au Maroc du troisième millénaire, 2001-2014 » qui est une publication conjointe entre la Banque Mondiale et le Haut Commissariat au Plan. Le texte de Mohammed Mahdi « Les campagnes marocaines… ces marges convoitées. » s’intéresse aux causes des inégalités sociales dans le Maroc rural d’aujourd’hui et aux mécanismes sociaux qui favoriseraient leur production et reproduction principalement à travers l’expropriation foncière et l’accaparement des terres. Le dernier article de ce numéro, de Saadeddine Igamane et Amal Bousbaa, porte sur « La précarité de l’emploi chez les jeunes employés des centres d’appel au Maroc ». Les deux auteurs y dressent un portrait sociologique du précariat dans les centres d’appel.

Nous espérons que l’ensemble de ces textes puissent contribuer à l’amélioration de l’arsenal conceptuel existant et à rendre intelligible les phénomènes de pauvreté et d’exclusion au Maroc. 

Mohamed Oubenal, chercheur en sociologie à l’IRCAM

Samira Mizbar, socio-économiste

Hicham Ait-Mansour, Professeur de Sociologie (Habilité) à l'Institut Universitaire d’Études Africaines, Euro-Méditerranéennes et Ibéro-Américaines. Université Mohammed-V de Rabat.

           Apprécier les conditions de vie de la population, un enjeu essentiel

Samira Mizbar

               Résumé

Ces trois dernières années, les données publiques et l’information institutionnelle produite sur les catégories sociales ont été soumises à rude épreuve. La pandémie de la Covid 19 apparue en novembre 2019, et sa propagation mondiale au premier trimestre de l’année suivante, a été suivie de la guerre en Ukraine début 2022. Les deux ont eu des répercussions énormes aussi bien sur l’économie du pays que sur sa population, donnant lieu à un bouleversement total et global du tissu productif, de l’organisation du système économique et de la structuration sociale.

Sur ces mutations ont été greffées des politiques libérales de relance de l’économie dont les conséquences sont difficilement mesurables au regard du contexte. Tous ces changements sont théoriquement justifiables mais malheureusement, les données relatives aux conditions de vie de la population, telles qu’elles sont construites, ne nous permettent pas d’avoir un diagnostic réel et précis de la situation de la population face à ces mutations, diagnostic nécessaire sans lequel il est difficile de mettre en place des politiques efficientes de lutte contre la pauvreté.

Certes une augmentation des différents indicateurs de pauvreté a été vérifiée mais elle est certainement loin de la réalité. Autre difficulté majeure, la pauvreté ne se mesure plus à l’aune de l’accessibilité à l’eau ou l’électricité ou de la possession de certains biens matériels. Le dépassement de ces indicateurs est en soi une bonne nouvelle puisqu’il signifie que la société a emprunté une trajectoire ascendante d’amélioration de son bien-être mais le fait que cette évolution ne puisse être suivie qualitativement handicape très fortement l’évolution du pays et son accompagnement par des politiques adaptées.

Depuis la parution du numéro de la RMSPS dédié à la pauvreté au Maroc en décembre 2018, les données publiques et l’information institutionnelle produite sur les catégories sociales ont été soumises à rude épreuve. La pandémie de la Covid 19 apparue en novembre 2019, et sa propagation mondiale au premier trimestre de l’année suivante, a été suivie de la guerre en Ukraine début 2022. Les deux ont eu des répercussions énormes aussi bien sur l’économie du pays que sur sa population, donnant lieu à un bouleversement total et global du tissu productif, de l’organisation du système économique et de la structuration sociale.

Ces mutations restent à analyser en profondeur et le manque de données administratives et scientifiques pointues à ce sujet est une véritable insuffisance qui handicape très fortement la mise en œuvre de politiques publiques pertinentes. D’un côté, les spécialistes des sciences humaines et sociales sont encore trop peu sollicités dans la production des données, d’autre part, cette dernière est encore trop coûteuse dans ses processus de production actuels, pour être élargie. Pourtant, naviguer à vue en se basant sur des idées dépassées ou fausses sur la société marocaine peut rapidement s’avérer dangereux en période de fortes perturbations tant les paramètres de lecture et de compréhension du fait et des phénomènes sociaux sont soit insuffisants, soit inopérants.

Il est également à noter que l’habitude de lire les secousses socio-économiques uniquement sous le prisme de chocs exogènes au système économique national (réorganisations des flux internationaux et des filières, apparition de nouveaux acteurs sur la scène internationale, sécheresse, etc.) ne permet plus de fournir des circonstances atténuantes satisfaisantes aux conséquences que la population doit encaisser. Le fait que les transformations endogènes du système économique marocain soient soigneusement passées sous silence alimente le fossé entre la population et les hommes et femmes politiques, et décrédibilise l’action politique en général. A partir de là, que savons-nous exactement de la situation actuelle ?

Une société malmenée face aux chocs multiples et accélérés

La pandémie a souligné de manière crue le coût social et économique de l’absence de politique sociale juste, coordonnée et durable.

La mise en place de restrictions sévères de circulation, dont un confinement strict pendant plus d’un mois, et d’un état d’urgence[4] pour empêcher la propagation du virus et maitriser ses conséquences, a eu des effets très importants sur la population : la perte d’emploi, donc de revenus pour une grande partie de celle-ci, et le déclenchement de stratégies individuelles de toutes sortes, dont les mécanismes restent à comprendre. Concrètement, ces stratégies se sont manifestées (i) par la réduction de la consommation des ménages (diminution des dépenses en équipements ménagers, d’habillement, de transport, de loisirs et d’alimentation, et à l’inverse, reprise des dépenses de santé et de communication), (ii) par l’utilisation du peu d’épargne dont ils disposent, et quelquefois (iii) par la vente de leurs biens pour financer leurs besoins (notamment pour les projets d’émigration[5]). Il est pratiquement certain que les autres conséquences de la pandémie sur le moyen, voire le long terme, sont nombreuses. On peut facilement imaginer le repositionnement de l’engagement des individus dans la société avec une accélération du désengagement partisan et clanique, ou encore une transformation dans les pratiques de gestion de leur patrimoine avec un retour massif de l’informalité[6] et une mise au défi massive des règles de loi.

L’aide gouvernementale est apparue progressivement plus d’un mois après le début du confinement avec une aide financière mensuelle, entre 800 et 1200 dirhams, attribuée à 4.3 millions de ménages et une panoplie d’aides aux entreprises, pour les petites et moyennes entreprises essentiellement des crédits. Le recensement de la population concernée a été largement porté par les agents territoriaux du ministère de l’intérieur, à défaut de système d’identification social unifié opérationnel[7]. L’arsenal proposé par le gouvernement pour réduire les dégâts de la pandémie et ses conséquences ultérieures, même s’il a été concocté dans l’urgence, n’a pas empêché un appauvrissement sensible de la population, cependant il est certain que la situation aurait pu être bien pire sans ces mesures.

D’autres manifestations visibles de la pandémie sur les conditions de la population sont relatives aux conditions de travail avec une précarisation des emplois et un basculement vers l’informel. D’un côté, la population active est sommée d’accepter les offres d’emplois telles qu’elles sont pour survivre, d’un autre côté, les entrepreneurs gèrent les crises en minimisant les dégâts sur leur trésorerie. Une autre tendance est également à explorer : les entreprises qui profitent des crises pour s’enrichir en exploitant des situations de confusion sans être taxées sur les surprofits générés. L’élargissement de leurs marges se fait en général aux dépens du cadre juridique en vigueur et des droits des travailleurs. La masse des entreprises concernées n’est pas connue. Cependant, les derniers chiffres disponibles avant pandémie étaient déjà alarmants : Bank Al Maghrib estime à 30% le poids de l’informel dans le PIB en 2018[8]. Le HCP l’estimait à 11.5% du PIB selon l’enquête nationale sur le secteur informel 2013/2014[9]. Tous les efforts effectués ces trente dernières années ont donc été anéantis avec, en plus des défis précédents liés à la transformation du tissu économique national, une défiance sans précédent à l’égard des institutions de l’Etat[10].

Alors que la pandémie a été maitrisée au Maroc et perdait de sa vitesse dans le reste de la planète, une autre crise est venue bouleverser les économies de manière spectaculaire en février 2022 : la dégénération de la crise ukrainienne en une guerre entre grandes puissances. Cette évolution a eu un très fort impact sur l’organisation et le fonctionnement des filières internationales d’approvisionnement de ressources naturelles et de produits, impact qui reste à explorer et comprendre de manière minutieuse en termes de géostratégie et de développement économique.

Comme à chaque bouleversement et transformation structurelle profonde, il y a des perdants mais aussi des gagnants. L’ampleur de ces derniers sera dévoilée certainement une fois les nouveaux ordres stabilisés. Le Maroc, qui a mis en place une politique d’ouverture économique franchement libérale, a été touché de plein fouet avec comme conséquence immédiate une hausse du taux d’inflation, directement supportée par la population pour une grande partie.

En effet, officiellement établie à 6,6% en 2022, puis à 8,9% en janvier 2023, l’inflation au Maroc se répercute sur toutes les strates de la société, particulièrement sur les classes modestes qui demeurent les plus exposées à cause de l’envolée des prix de leur panier de consommation. Selon le HCP, la contribution des principales composantes de l’inflation montre que plus de la moitié de la hausse des prix (58%) est due à la composante « Produits alimentaires », 22% à la composante « Transport » et 20% aux autres composantes. C’est ainsi que 80% de l’inflation en œuvre s’explique par la hausse des prix à la consommation des produits alimentaires et du transport[11].

L’irruption de cette thématique, par effraction[12], sur la scène médiatique a permis de la ramener au souvenir de tous et de lancer un débat, certes encore timide, sur son origine et sa composition. Bien que ce soit le cas partout dans le monde, il devient difficile de continuer à cacher que cette poussée inflationniste tient autant, sinon davantage, à des facteurs domestiques (en rapport principalement avec la réorganisation du commerce intérieur), qu’à de l’inflation importée.

Cette situation a impacté directement la consommation des ménages et la croissance économique en la ralentissant fortement. La banque centrale a mis en place une politique pour essayer de contenir les dégâts sur l’économie du pays et manifestement, si les objectifs « semblent » atteints pour le moment en termes macro-économiques, ce n’est pas le cas au niveau des ménages qui continuent de souffrir et vivent leur quotidien difficilement. La classe moyenne sort exsangue de cette période et les inégalités visibles entre les catégories pauvres et aisées ne cessent de grandir. Ces dérèglements ont empiré un climat social déjà morose du fait d’une longue période de sécheresse récurrente depuis 2008. Ainsi, selon l’enquête de conjoncture auprès des ménages, 85.3% des ménages déclarent au premier trimestre 2023 une dégradation de leur niveau de vie au cours des 12 derniers mois[13]. Il s’agit là du niveau le plus bas atteint depuis le début de cette enquête en 2008. L’indice de confiance des ménages (ICM) est établi à 46,3 points au lieu de 46,6 points enregistrés au trimestre précédent et 53 ,7 points une année auparavant.

               Etat des lieux du savoir sur la pauvreté au Maroc post-covid

Les différentes institutions observatrices de l’évolution socio-économique du pays, à leur tête le HCP et la Banque mondiale, estiment que le pays est revenu au niveau de pauvreté de 2014[14]. Le HCP avance qu’entre 2014 et 2022, 3,2 millions de Marocains ont basculé dans la pauvreté. Aux enquêtes habituelles (enquête nationale sur la consommation et les dépenses des ménages 2013/2014 et enquête mensuelle sur les prix à la consommation) ont été ajoutées une enquête nationale sur les sources de revenu (2019) et une enquête sur les répercussions de la pandémie sur la situation socioéconomique des ménages 2021/2022 qui a été faite en panel en trois passages à partir des ménages issus de l’enquête sur le niveau de vie et revenu des ménages[15].

Ainsi, les chiffres officiels nous annoncent que sous les effets de la crise sanitaire, le niveau de vie des ménages (mesuré par la dépense de consommation par tête) a annuellement régressé de 2,2% entre octobre 2019 et décembre 2021 baissant de 20 400 Dhs à 20 040 Dhs au niveau national, de 24 620 Dhs à 24260 Dhs dans l’urbain et de 12 800 Dhs à 12 420 Dhs dans le rural[16].

Sur cette période, le niveau de vie des 20% des ménages les moins aisés a connu une baisse de 7 000 Dhs à 6 860 Dhs. Celui des 20% des ménages les plus aisés est passé de 47 780 Dhs à 46 620 Dhs. Pour les 60% des ménages intermédiaires, le niveau de vie a baissé de 15 730 Dhs à 15 570 Dhs.

Selon la catégorie socioprofessionnelle des chefs de ménage, le niveau de vie moyen a annuellement baissé de 3,6% pour les « Ouvriers non qualifiés » (de 14 130 Dhs à 13 440 Dhs) et les « Artisans et ouvriers qualifiés » (de 17 850 Dhs à 16 970 Dhs), de 2,8% pour les « Commerçants et les intermédiaires commerciaux » (de 19 920 Dhs à 19 270 Dhs) et de 2,4% pour les « Exploitants et ouvriers agricoles » (de 12 950 Dhs à 12 650 Dhs).

Si ces montants interpellent par leur faiblesse, le niveau de leur baisse interroge les outils de leur production. La littérature existante sur le comportement du consommateur face aux crises montre qu’au contraire, face à l’incertitude et au danger, le consommateur a tendance à gérer a minima son budget pour assurer sa pérennité[17]. Il serait donc logique d’observer une baisse drastique entre la consommation habituelle et la consommation de crise. Ne pas observer cette baisse au Maroc signifierait que la consommation endogène est suffisamment faible pour ne pas être impactée par les fluctuations extérieures, ce qui n’est pas vrai au regard de l’évolution de la demande intérieure[18].

Également, ce repli du niveau de vie s’est traduit par une accentuation des inégalités sociales, de la pauvreté et de la vulnérabilité. Toujours selon les chiffres officiels, les inégalités sociales, mesurées par l’indice de Gini, ont connu, sur cette période, une hausse de près de deux points de pourcentage, passant de 38,5% à 40,3% au niveau national (de 37,2% à 39,1% en milieu urbain et de 30,2% à 31,9% en milieu rural). Parallèlement, la vulnérabilité économique a connu une importante hausse : le taux de vulnérabilité est passé de 7,3% en 2019 à 10% en 2021 au niveau national (de 11,9% à 17,4% en milieu rural et de 4,6% à 5,9% en milieu urbain, avec une accentuation de la disparité entre le rural et l’urbain).

Le HCP a estimé la part des effets de la pandémie dans l’augmentation de la pauvreté et de la vulnérabilité à 45%, et celle de la hausse des prix à la consommation à 55%.

               De multiples incertitudes qui plombent toute avancée

Face à tous ces chocs, le gouvernement marocain a multiplié les annonces de programmes sociaux, le chef du gouvernement allant même jusqu’à mettre en avant l’édification d’un Etat social lors de l’édition 2023 du forum de Davos. Or, si effectivement la mise en place de politiques sociales ciblées a été accélérée ces dernières années, le Maroc est encore loin d’être un Etat social.

Ce concept, qui est apparu dans le lexique politique au XIXème siècle dans un contexte de lutte politique en Allemagne, était limité au départ à la protection sociale mais il a été élargi progressivement pour inclure les quatre piliers indispensables à l’État social à savoir : (i) la protection sociale, (ii) la réglementation des rapports de travail via le droit du travail et la mise en place de mécanismes de concertation et de négociation, (iii) les services publics et (iv) les politiques économiques de soutien à l’activité et à l’emploi (politiques budgétaire, monétaire, commerciale, des revenus, etc.). Le concept est donc bien plus riche sur le plan analytique que la notion d’Etat providence qui sous-tend l’idée d’une charité publique faite à une population passive. A l’inverse, l’Etat social est fondé sur une approche de droits sociaux, lesquels sont obtenus après confrontations ou dans le meilleur des cas, des négociations, voire des visions politiques assumées. Cet état social permettrait la création et le renforcement d’une classe moyenne qui servirait de locomotive au développement socio-économique du pays. Concrètement et de manière crûe, cet état social se traduirait tout simplement par une nouvelle répartition des richesses produites pour alimenter une dynamique positive basée sur le progrès scientifique et technologique, le développement et la démocratisation du savoir, la protection sociale pour tous, l’ensemble devant renforcer la cohésion sociale, la citoyenneté et surtout la confiance à l’égard de l’Etat.

Le gouvernement marocain actuel avait effectivement proposé dans son programme un état social a minima avec un revenu minimum de dignité, une aide aux personnes âgées et aux personnes en situation de handicap, la protection sociale, et le développement du capital humain (via l’école de l’égalité des chances, le sport et la culture). Il en est encore cependant aux balbutiements de l’action politique sociale qui se limite souvent à des déclarations de bonnes intentions.

Le problème de définition et de dimensionnement des politiques bute sur l’éternelle question du ciblage des bénéficiaires. Le registre social unifié pourrait être un outil intéressant mais sans suivi des entrants et des sortants, il montrera vite ses limites. En effet, toute la difficulté réside dans le fait de caractériser la population et ses conditions de vie pour pouvoir ajuster les politiques sociales en conséquence. Une des caractéristiques de la population des pays en voie de développement est d’être très disparate, le grand défi étant d’orchestrer la marche en avant de toutes les catégories sociales pour ne laisser personne de côté.

Sur ce point, il est nécessaire de souligner que la pauvreté et la vulnérabilité sont encore envisagées sous le prisme de l’« avoir » et non de l’ « être » : être pauvre est, avant tout, dans l’imaginaire collectif, ne pas posséder, et en particulier ne pas posséder un certain nombre d’équipements. Or, selon le profil social des Marocains édition 2023, les Marocains sont aussi bien équipés que la population des pays développés : 74,8 % des ménages sont propriétaires de leur logement, 99% ont accès à l’électricité, 92,7% ont accès à l’eau potable, 97,3% ont la télévision, 96,1% sont équipés en récepteurs paraboliques, 94,5% possèdent un réfrigérateur, 75% ont une machine à laver le linge, 99,91% ont un téléphone mobile (ils sont 21,2% à avoir un téléphone fixe[19]), 98,8% ont accès à la 4G. Ces éléments ne sont donc plus des marqueurs sociaux de pauvreté.

Une piste intéressante doit être cherchée du côté du marché de l’emploi. La dernière note d’information sur le marché du travail du HCP informe qu’en 2022, le taux d’activité, toujours faible, a continué lentement à baisser, avec une faible qualité de l’emploi. Aussi, 3 salariés sur 5 travaillent dans l’informel. Sur une population évaluée à 36.9 millions d’habitants, dont 27.5 millions en âge d’activité, ont été comptabilisés 10.7 millions d’actifs, 1.4 million au chômage et 15.3 millions qui sont exclus du marché du travail (73.1% sont des femmes[20], 68.8% résident en milieu urbain, 51.1% ne possèdent aucun diplôme, 44.9% sont âgés de 15 à 34 ans). Le portrait des actifs occupés permet de dessiner une réalité assez brutale : 52.6% sont des salariés, 30.3% des indépendants, 12.3% des aides familiaux, 2.1% des employeurs, 10.7% occupent des emplois occasionnels et saisonniers,12.8% ont des emplois non rémunérés et 9% sont en sous-emploi.

Le travail et l’emploi décent sont liés à la dignité de la personne et devraient donc être des priorités absolues dans les politiques publiques de lutte contre la pauvreté, non pas simplement sous le prisme de la création de postes mais dans un cadre inclusif plus général pour permettre aux individus d’être acteurs à part entière dans leur société, de subvenir à leurs besoins, mais aussi d’épargner et investir.

Les politiques sociales ne doivent pas être considérées comme des béquilles du développement économique mais comme des moteurs permettant d’accélérer la vitesse du changement social, et donc de permettre le développement économique. Il s’agit donc là d’un véritable changement de paradigme. Les politiques sociales ne devraient pas servir à « sauver » les gens mais à les aider à s’épanouir et apporter le meilleur d’eux-mêmes. Pour pouvoir les accompagner dans leurs parcours, un système statistique développé et exhaustif est indispensable. La mise en commun des données administratives, quelles que soient leurs sources, y compris fiscales ou encore sanitaires, est devenue plus que déterminante pour assurer une justice sociale effective et une véritable éradication de la pauvreté.

Un Etat juste devient un Etat fort parce qu’il est aussi un Etat de droit. Pour cela, il doit impérativement transcender les intérêts catégoriels divergents pour alimenter une cohésion sociale durable. C’est en quelque sorte la philosophie du nouveau modèle de développement et, avant lui, des conclusions du Rapport du cinquantenaire. La production de données probantes et l'usage de l’innovation dans la production de celles-ci doivent être placées au cœur de la politique de développement pour que ces informations puissent servir à construire et asseoir des politiques efficaces. Dans le cas contraire, toutes les démarches entreprises ne restent que gesticulations politiques, dilapidation des financements et, malheureusement aussi, alimentation de l’injustice et des inégalités qui comme l’Histoire l’a toujours démontré, n’aboutit qu’à de la violence.

           Mesurer la pauvreté des enfants :
Implications sur les politiques sociales
Méthodes et étapes de constructions d’indices de privation multiple

Hicham Ait Mansour

               Résumé

Le présent papier a pour principal objectif d’analyser la pauvreté des enfants à partir de mesures multiples en vue d’identifier les politiques sociales de lutte contre la pauvreté les plus adéquates. Pour ce faire, il s’agit d’étudier la pauvreté monétaire, la privation multiple et le chevauchement entre ces deux mesures permettant l’identification de différents groupes d’enfants faisant face à différentes formes de pauvreté et de chevauchement entre celles-ci.

Il s’agira en particulier de dresser les profils des enfants identifiés comme pauvre selon chacune des deux mesures et examiner, ensuite, le profil des enfants qui se situent dans l’« espace d’intersection » entre la pauvreté monétaire et la privation multiple.

L’intérêt de cette approche est qu’elle permet non seulement d’examiner ce que font voir les deux précédentes mesures, mais aussi d’identifier les différentes configurations de profils de pauvreté qui en ressortent, à savoir l’identification de deux autres groupes supplémentaires d’enfants: les enfants qui se situent uniquement dans l’espace de la pauvreté monétaire et ne font face à aucune forme de privation multiple, et les enfants qui se trouvent uniquement dans l’espace de la privation multiple et ne font pas face à la pauvreté monétaire.

A la suite de la construction des profils sociodémographiques de ces différents groupes, une réflexion est esquissée sur les politiques sociales adaptées à chaque groupe identifié.

Introduction

Le présent papier a pour principal objectif d’analyser la pauvreté des enfants à partir de mesures multiples en vue d’identifier les politiques sociales de lutte contre la pauvreté les plus adéquates. Pour ce faire, il s’agit d’étudier la pauvreté monétaire, la privation multiple et le chevauchement entre ces deux mesures permettant l’identification de différents groupes d’enfants faisant face à différentes formes de pauvreté et de chevauchement entre celles-ci.

Il s’agira en particulier de dresser les profils des enfants identifiés comme pauvre selon chacune des deux mesures et examiner, ensuite, le profil des enfants qui se situent dans l’« espace d’intersection » entre la pauvreté monétaire et la privation multiple.

L’intérêt de cette approche est qu’elle permet non seulement d’examiner ce que font voir les deux précédentes mesures, mais aussi d’identifier les différentes configurations de profils de pauvreté qui en ressortent, à savoir l’identification de deux autres groupes supplémentaires d’enfants: les enfants qui se situent uniquement dans l’espace de la pauvreté monétaire et ne font face à aucune forme de privation multiple, et les enfants qui se trouvent uniquement dans l’espace de la privation multiple et ne font pas face à la pauvreté monétaire.

Le graphique ci-dessous illustre la démarche poursuivie dans l’identification de ces différentes formes de pauvreté.

Figure 1: représentation graphique des espaces de pauvreté des enfants et de leur chevauchement

Source : Auteur

               Questions de recherche

Les questions de recherche sont élaborées à la lumière de la littérature et des travaux précédents. Il s’agit de quatre principales questions auxquelles le présent papier tente de répondre. Elles portent, notamment, sur le profil sociodémographique des enfants pauvres selon chaque mesure utilisée, comment ce profil change d’une mesure à une autre ainsi que le niveau de chevauchement entre les différentes mesures proposées, et enfin des implications de ces mesures sur les politiques de lutte contre la pauvreté.

    Source de données

L’objectif principal étant de tester et de présenter une méthode de construction d’indices de pauvreté, les données sont utilisées sur un mode exemplaire et non pour estimer l’état de la pauvreté actuellement observés. C’est ainsi que la présente recherche utilise, sur un mode heuristique et exploratoire, les données de l’Enquête Nationale des Niveaux de Vie des Ménages (ENNVM) de 2007. Cette enquête contient deux questionnaires :

  • un questionnaire principal incluant les données sociodémographiques ;
  • un questionnaire incluant les questions d’emploi, des transferts, les équipements, le transport, l’émigration, l’agriculture, ainsi que les représentations de la population sur la pauvreté.

L’échantillon inclut 7,200 ménages (4,320 en milieu urbain et 2,880 en milieu rural). Par ailleurs, le fichier construit à des fins de la présente recherche inclut un échantillon représentatif à l’échelle nationale et régionale de 13544 enfants. Les données individuelles ont été fusionnées aux données des ménages par le biais du logiciel STATA version 12.

    Méthodologie

La mesure de la pauvreté monétaire des enfants est construite selon la définition officielle utilisée au Maroc, tandis que la privation multiple est mesurée selon un indice construit dans le cadre de la présente recherche. Partant des acquis de deux principales méthodes de mesure de la pauvreté multidimensionnelle conçues par deux équipes de recherche de l’Université de Bristol et l’Université d’Oxford au Royaume Uni,[21] un indice composite de privation multiple a été construit à l’aide d’une liste initiale de 10 indicateurs jugés pertinents, dans les limites de données empiriques disponibles, en vue de mesurer la privation multiple chez les enfants au Maroc. Ces indicateurs sont analysés de manières séparées mais également agrégés en un seul indice composite en vue de dresser le profil des enfants qui font simultanément face à plusieurs privations parmi la liste d’indicateurs sélectionnés. Préalablement à cette étape, les dix indicateurs constituant l’indice composite ont fait l’objet de tests statistiques de validité et de fiabilité.

    Tester la validité de l’Indice de privation multiple

S’agissant de la validité des indices, il existe une importante littérature méthodologique sur la validité des indices fréquemment conçus et utilisés dans la mesure des faits sociaux. (Voir à cet effet DeVellis ,1991[22] ; Bland & Altman ,1997)[23] entre autres. Gordon (2002) [24] affirme que la construction d’un indice de pauvreté scientifiquement valide est une tâche particulièrement complexe. Il suggère, toutefois, qu’une des méthodes les plus simples serait de s’assurer que chaque composante de l’indice ait une valeur de risque suffisamment élevée d’être associée avec une variable ayant un lien évident avec la pauvreté (dépenses totales des ménages ou pauvreté monétaire par exemple). Pour ce faire, on procède au calcul du risque (Relative Risk Ratio[25]) de chaque indicateur, croisé avec la pauvreté monétaire, cette opération est fondée sur les tableaux de contingence. En d’autres termes, le tableau ci-dessous montre que la valeur du risque d’être privé de la dimension du logement est de 4.60 ; cela veut dire que les enfants, selon les données utilisées par cette recherche, qui sont pauvres sur le plan monétaire sont 4.60 fois plus exposés à la privation de logement que les autres enfants. Le seul indicateur qui ne montre aucune différence significative entre les enfants pauvres et non pauvres est celui de la consultation médicale.

Tableau 1 : Analyse de validité des indicateurs de privation, évaluation de risque de chaque indicateur en fonction du statut de la pauvreté monétaire des enfants (Relative risk ratio) - 2007

Source : Calcul de l’auteur, ENNVDM, 2007

               Tester la fiabilité de l’indice de privation multiple

En ce qui concerne la fiabilité de l’indice construit, sur le plan conceptuel, un indice fiable signifie que les indicateurs qui le composent manifestent une importante consistance interne. Autrement dit, ils doivent mesurer le même concept sous-jacent ou la variable latente qu’ils sont censés mesurer. Il s’agit, dans ce cas, de la privation multiple. Sur le plan statistique, cela se vérifie par le niveau d’inter-corrélation entre l’ensemble des indicateurs composant l’indice. Dans ce sens, DeVellis (1991)[26] suggère que la fiabilité d’un indice se mesure par la proportion de la variance attribuable à la variable latente que l’indice construit vise à mesurer. DeVellis ajoute que la fiabilité ou la consistance interne d’un indice composite réside dans le niveau d’homogénéité des indicateurs qui le composent. La méthode la plus simple de procéder au test de fiabilité est possible via le calcul du coefficient « Cronbach Alpha », portant le nom de son auteur qui l’a conçu en 1951.[27] Selon la théorie existante, Bland & Altman, (1997)[28] à titre d’exemple suggèrent que la corrélation entre les indicateurs composant l’indice construit doit avoir une valeur Cronbach Alpha équivalente à au moins 0.7 ou à peu près cette valeur. En termes absolus, la valeur « Cronbach Alpha » équivalente à 1 correspond à une parfaite fiabilité de l’indice construit, mais cela arrive rarement. Cependant, comme le souligne Garmines et Zeller (1994)[29], il est généralement admis que la fiabilité d’un indice ne devrait pas aller en dessous de 0.8. Ils précisent, tout de même, qu'il est serait assez coûteux d'essayer d'obtenir une valeur aussi supérieure[30]. De ce fait, ils soulignent que le plus important est de signaler explicitement comment l’indice a été calculé et il reviendrait aux autres chercheurs de se faire leur jugement sur l’appropriation de l'échelle pour un quelconque usage. En outre, Gordon (2006)[31] souligne qu’un « bon » indice doit faire l’objet d’un « compromis » entre le niveau de validité telle qu’elle a été expliquée plus haut, et la fiabilité. Appliquant ce test aux données de cette recherche, la valeur totale de la corrélation entre les indicateurs composant cet indice est de 0.677 ; quand l’indicateur portant sur la consultation médicale est supprimée, cette valeur augmente à 0.69. L’indice final de privation multiple est donc composé de neuf indicateurs qui ont passé à la fois le test de validité et de fiabilité.

               Les Seuils de pauvreté sélectionnés

    Le seuil de la pauvreté monétaire

Du moment que l’un des objectifs de la présente recherche consiste à analyser de manière critique la mesure monétaire de la pauvreté des enfants et d’en proposer des mesures sociologiques complémentaires ; le seuil de pauvreté monétaire sera celui utilisé officiellement par le HCP au Maroc en 2007 date de la réalisation de l’enquête utilisée dans cette recherche. Il s’agit de la dépense moyenne par personne et par année de 3834 DH en milieu Urbain et à 3569 en milieu rural. Même si ces seuils ne reflètent qu’un niveau minimal de subsistance ; loin d’être suffisant pour assurer le bien-être des enfants, on évitera de les modifier. L’accent sera davantage mis sur le niveau de croisement entre ces seuils monétaires et les niveaux de privations multiples selon l’indice construit dans le cadre de cette recherche.

    Le seuil de la privation multiple

A partir de quel nombre de privations pourrait-on considérer une personne comme étant privée ? Deux privations, trois ou plus ? Il est difficile de répondre exactement à cette question dans la mesure où il n’y a pas de critère unique à partir duquel l’on peut décider.

Tony Atkinson (2003)[32] souligne qu’il existe au moins deux méthodes pour déterminer ce seuil, l’union ou l’intersection. L’union sélectionne les individus qui souffrent d’au moins d’une privation et les classe comme privés, tandis que l’intersection sélectionne et classe comme privés uniquement les individus qui souffrent de toutes les privations de l’échelle construite. De Neubourg et al (2014)[33] font remarquer que l’approche de l’union surestime le taux de privation dans la mesure où elle capte toute personne qui a au moins une seule privation, tandis que l’approche d’intersection sous-estime le taux de privation du moment qu’elle capte uniquement les personnes qui sont privées dans toutes les dimensions de l’indice. (Neuf privations dans le cadre de cette recherche). Le graphique ci-dessous visualise ce constat appliqué, à titre exemplaire, sur l’indice construit dans le cadre de cette recherche. On constate clairement que l’approche de l’union surestime le taux de privation. Si l’on décide un seuil d’une privation et plus, le taux de privation multiple serait de 86% alors que l’approche d’intersection ne considérait que les personnes qui sont privées dans toutes dimensions, dans ce cas, moins de 1% de la population qui souffre de toutes les privations en même temps.

Figure : Taux de privation multiple selon différents
seuils de privation (de 1 à 9), 2007

Source : Calcul de l’auteur, ENNVM, 2007

La troisième approche consiste à définir un seuil intermédiaire utilisant aussi bien l’union que l’intersection, et donc une personne est privée quand elle souffre d’un certain nombre de privations. Plusieurs méthodes sont utilisées pour définir ce seuil intermédiaire. Cependant, la décision implique, parfois, une certaine marge d’arbitraire.

Par conséquent, en vue de réduire, du moins partiellement, la marge d’arbitraire dans la définition du seuil de privation multiple, une telle décision pourrait être prise à l’aide de comparaison avec un indicateur de référence. A cet effet, une des possibilités serait de procéder au croisement de l’indice de privations avec la pauvreté monétaire, en vue d’identifier le nombre de privations qui correspond au niveau de pauvreté monétaire tel qu’il est défini officiellement. Un tel critère n’est pas forcément le meilleur mais il sert de référence dans ce cas précis puisque la pauvreté monétaire telle qu’elle est mesurée est fondée sur la notion de subsistance en utilisant des seuils monétaires minima. Il en résulte qu’on ne risquerait pas une surestimation de la privation multiple, à la lumière de ce critère. La proportion des enfants pauvres sur le plan monétaire selon la définition officielle est de 11% en 2007. On établira, donc, le seuil de privations multiple au niveau du nombre de privations qui correspond ou qui est le plus proche du taux de la pauvreté monétaire en 2007.

La figure ci-dessous montre le résultat du croisement de la pauvreté monétaire avec l’indice de privations multiple constitué des neuf indicateurs. On constate qu’en 2007 le seuil de trois privations et plus est le plus proche à la pauvreté monétaire (11%). Il en ressort qu’un seuil de moins de trois privations sous-estimerait le seuil de privation multiple. Il serait donc considéré privé, dans le cadre de cette recherche, tout enfant qui fait face à trois privations et plus.

 Figure 3 : Taux de pauvreté monétaire selon l’échelle
de privation, 2007

Source : Calcul de l’auteur ENNVM, 2007

     Le seuil de pauvreté multidimensionnelle

La dernière étape étant la définition d’un seuil qui identifie les enfants qui font face simultanément à la pauvreté monétaire et à la privation multiples selon les seuils prédéfinis pour ces deux forme de pauvreté.

Selon les résultats obtenus dans la section précédente, on définira le seuil de pauvreté multidimensionnelle de l’enfant au Maroc selon de la définition suivante :

« Est considéré comme multi-dimensionnellement pauvre, tout enfant âgé de moins de 18 ans, vivant dans un ménage classé pauvre selon le seuil national de pauvreté monétaire, et souffrant d’au moins trois privations et plus parmi l’échelle de privation construite ».

               Résumé des résultats selon les caractéristiques sociodémographiques des enfants

    Profil de la pauvreté monétaire et de la privation multiple des enfants au Maroc en 2007 selon la méthode utilisée.

Le premier constat qui apparait de cette analyse est la variation importante entre les taux de pauvreté monétaire et ceux de la privation multiple. Alors que les enfants monétairement pauvres représentaient 11% en 2007, les enfants qui faisaient face à la privation multiple représentaient 38%. Selon les définitions adoptées par la présente recherche, ces taux représentaient en 2001 respectivement 20% pour la pauvreté monétaire et 54% pour la privation multiple, c’est-à-dire un important recul des deux formes de pauvreté. Cependant, ces chiffres disent plus que cela, si l’on souscrit à l’hypothèse que la croissance économique exprimée dans la figure ci-dessous par le produit interne brut par tête, conduit à la réduction de la pauvreté monétaire ; on peut en déduire que ses effets directs sur cette dernière sont loin d’être observés à la même vitesse en termes de la pauvreté en condition de vie, mesurée dans cette recherche par la privation multiple. Celle-ci concerne, en fait, les dimensions multiples et structurelles de la pauvreté qui ne changent pas de manière significative ni rapide ; en l’absence de politiques transformatives, qui en ciblent les causes profondes à savoir les dimensions relatives à la justice sociale et à la protection sociale.

Figure : Evolution du Produit Interne Brut par tête
entre 2000 et 2014 au Maroc

Source: World Development Indicators Database, World Bank, 2015

Le deuxième constat concerne les facteurs structurels associés à la pauvreté, qu’elle soit monétaire ou non monétaire. Ainsi, on peut constater à partir des figures 5 et 6 ci-dessous, qu’en dépit du fait que les profils sociodémographiques des enfants pauvres sont plus au moins similaires, le taux de la pauvreté monétaire des enfants en milieu urbain est relativement bas (6%) par rapport au milieu rural qui se situe à 18%, tandis que le taux de la privation multiple se situe respectivement à 13% et à 70% en milieu urbain et rural. Les enfants pauvres sont essentiellement ceux et celles qui vivent en milieu rural, appartiennent à des familles nombreuses, et à des ménages dont la personne de référence n’a aucun niveau d’instruction ou dispose d’une instruction de type traditionnel. L’exception étant les enfants qui vivent dans les ménages dont la personne de référence est une femme et composés et de 3 personnes ou moins. Par rapport aux décennies précédentes, l’on assiste à ce propos, à une augmentation de la pauvreté parmi les femmes chef de ménages et leurs enfants.

Figure 5 : la pauvreté monétaire vs la privation multiple selon le milieu, la taille du ménage et le genre du chef de ménage

Figure 6 : la pauvreté monétaire vs la privation multiple selon le niveau d’instruction du chef de ménage

S’agissant des classes de dépenses, il ressort de la figure 7 ci-dessous qu’en 2007, les enfants pauvres monétairement sont, évidemment, plus concentrés dans le quintile de dépense le plus modeste, tandis que les enfants qui endurent la privation multiple, bien qu’ils soient majoritaires dans le quintile de dépenses le plus modeste ; ils traversent tous les quintiles à des degrés différents et de manière décroissante. Le deuxième, le troisième quintile, et dans une moindre mesure le quatrième quintile, incluent également les enfants qui subissent la privation multiple. Quoique comparativement minimes, l’on retrouve également des proportions d’enfants dans le quintile de dépenses qui représentent les plus aisés selon ce critère de bien-être. Ces proportions des enfants vivant dans les ménages classés « aisés » sur le plan des ressources financières et endurant, toutefois, la privation multiple témoigne du fait que la maitrise des ressources ne suffit pas pour se soustraire à certaines formes de pauvreté. Il s’agit notamment du milieu rural où certaines familles disposent de ressources financières qui sont largement supérieurs aux seuils de pauvreté établis par les services statistiques du pays, mais n’ont pas accès à certains services vitaux comme la scolarisation ou encore l’accès à l’eau potable, à l’assurance maladie, etc.

Figure 7 : la pauvreté monétaire vs la privation multiple
selon les classes de dépenses

Lorsque l’on examine les effets simultanés des variables explicatives sur la pauvreté à travers un modèle d’analyse multivariée « régression logistique»[34] une hiérarchisation des effets est opérée selon les valeurs du risque attribuées à chaque variable explicative. Une telle hiérarchisation s’opère suite à la prise en compte du risque des autres variables explicatives introduites dans le modèle. Les résultats les plus saillants à ce propos concernent le fait que le niveau d’instruction du chef de ménage et le milieu de résidence sont les variables qui exercent l’influence la plus importante sur le risque d’être pauvre ou le risque d’endurer la privation multiple. A titre de rappel, les enfants vivant en milieu rural sont plus de deux fois plus exposés à la pauvreté monétaire que les enfants vivant en milieu urbain. Ils sont également 10 à 18 fois plus exposés à la privation multiple que leurs pairs vivant en milieu urbain. Cependant, il est évident que ce profil pourrait légèrement varier selon la nature des indicateurs sélectionnés pour mesurer la pauvreté monétaire et la privation multiple. Par exemple, si l’on considère l’indicateur du surpeuplement (i.e., plus de trois personnes par chambre), il serait vraisemblable que ce soient les enfants urbains qui seraient plus touchés que leurs pairs ruraux. Néanmoins, la nature basique des indicateurs construits dans le cadre de la présente recherche indique que, toutes choses égales, ce sont bien les enfants ruraux, les enfants dont le chef de ménage ne dispose d’aucun niveau d’instruction ou dispose d’un niveau d’instruction de type traditionnel, qui sont les plus exposés aussi bien à la pauvreté monétaire qu’à la privation multiple.

Il s’agit de facteurs structurels qui, visiblement, favorisent une transmission intergénérationnelle de la pauvreté. Ils nécessiteraient, par conséquent, des politiques publiques agissant sur les niveaux structurels et stratégique, au-delà des mesures de soutien temporaire ou d’interventions relavant de l’assistance sociale.

La pauvreté multidimensionnelle des enfants : Analyse de chevauchement (overlap) entre la pauvreté monétaire et la privation multiple

Comme il a été souligné dans la figure 1, l’analyse de chevauchement permet d’identifier trois groupes d’enfants faisant face à différentes formes de pauvreté :

  • les enfants qui se situent uniquement dans l’espace de la pauvreté monétaire mais ne font pas partie de l’espace de la privation multiple ;
  • les enfants qui se situent dans l’espace de la privation multiple mais ne font pas partie de l’espace de la pauvreté monétaire ;
  • Les enfants qui se situent à la fois dans l’espace de la pauvreté monétaire et de la privation multiple ; c’est-à-dire l’intersection entre ces deux espaces.

Les proportions des enfants faisant partie de ces champs figurent dans graphique 6.2 qui visualise ces différents groupes et facilite l’analyse des chevauchements entre ces différents champs.

Figure 8 : Combinaisons des mesures de pauvreté de l’enfant
au Maroc, 2007 (N=13544), (%)

Source : Calcul de l’auteur, ENNVM, 2007

 Ainsi, le graphique ci-dessus fait ressortir qu’en 2007, 59% des enfants ne sont ni pauvres monétairement ni confrontés à la privation multiple. Par contre 9% des enfants se situent dans la zone d’intersection entre la pauvreté monétaire et la privation multiple en. Par conséquent, ce groupe d’enfants endurent les deux types de pauvreté de manière simultanée. Ils sont situés dans le champ de la pauvreté multidimensionnelle, une forme extrême qui combine les deux formes de pauvreté examinés séparément dans le chapitre.

En outre, 2% sont pauvres monétairement mais ne sont pas privés. Il s’agit ici d’une poche de pauvreté monétaire qui n’a connu aucun changement entre 2001 et 2007 lorsque la même analyse été réalisée avec les données de 2001. Enfin les enfants qui ne sont pas pauvres monétairement mais font face à la privation multiple représentent 29%.

Il importe de clarifier cette typologie de formes de pauvreté. Par exemple, Whelan et al. (2004)[35] suggèrent qu’il existe toujours un décalage entre la pauvreté monétaire et la privation multiple. Ils soulignent que “non seulement différentes méthodes donnent lieu à différentes conclusions sur les niveaux de pauvreté, mais aussi, différents groupes d’individus sont identifiés comme pauvres selon la nature des indicateurs utilisés”. Par conséquent, toute tentative de mesurer la pauvreté et de la privation multiple ou encore l’exclusion sociale de manière pertinente devrait appliquer une mesure combinée, qui prend en compte aussi bien le critère monétaire que les conditions de vie (voir aussi Gordon & Spicker, 1999)[36].

    Profil sociodémographiques des enfants faisant face aux formes combinées de pauvreté

S’agissant du milieu de résidence, la pauvreté multidimensionnelle, qui est la forme extrême de pauvreté, quoiqu’il touche également le milieu urbain dans une certaine mesure, est essentiellement un fait rural. En outre, la pauvreté monétaire conjuguée à l’absence de privation, est un fait essentiellement urbain et touche moins les enfants ruraux. La combinaison entre la privation multiple conjuguée à l’absence de la pauvreté monétaire touche notamment les enfants ruraux, même si les proportions des enfants urbains concernés par cette combinaison de pauvreté ne sont pas négligeables non plus.

S’agissant de la taille du ménage comme variable explicative des trois combinaisons de pauvreté considérées ; alors que les deux premières combinaisons sont davantage sensibles aux tailles de ménages élevées, c'est-à-dire à partir de 4 personnes et plus, la troisième combinaison est distribuée de manière beaucoup plus diffuse quelle que soit la taille des ménages.

Concernant le genre du chef du ménage, la première et la troisième combinaison touchent essentiellement les enfants vivant dans des ménages dont la personne de référence est du sexe masculin ; la deuxième combinaison est distribuée soit de manière égale, quel que soit le sexe du chef du ménage, soit elle touche davantage les enfants vivant avec une femme chef de ménage, quand ce rapport est examiné en fonction de la taille de ménage.

Le niveau d’instruction du chef de ménage, quant à lui, exerce une influence structurelle sur les trois combinaisons de pauvreté. Les proportions des enfants pauvres augmentent considérablement quand le niveau d’instruction du chef de ménage est inférieur.

Par ailleurs, on note que la troisième combinaison de formes de pauvreté considérée dans cette analyse, touche également une petite partie des enfants dont la personne de référence est dotée d’un niveau d’instruction supérieur.

Figure 9 : Profil des formes combinées de pauvreté selon le milieu
de résidence et la taille de ménage

Figure 10 : Profil des formes combinées de pauvreté selon le genre
et le niveau d’instruction du chef de ménage

Enfin, l’analyse multivariée fait ressortir une hiérarchisation des effets opérés selon les valeurs du risque attribuées à chaque variable explicative, en tenant compte du risque des autres variables introduites dans le modèle. A titre de rappel, les principaux résultats de cette analyse font ressortir que la pauvreté multidimensionnelle et l’absence de pauvreté monétaire conjuguée à la présence de la privation multiple touchent davantage les enfants ruraux que les enfants urbains alors que la pauvreté monétaire conjuguée à l’absence de privation est essentiellement urbaine.

La taille de ménage semble davantage influencer les deux premiers types de pauvreté que la dernière. Le niveau scolaire du chef de ménage et son effet sur les trois types de pauvreté influence fortement le risque des enfants d’être pauvre, à l’exception de la pauvreté monétaire conjuguée à l’absence de privation où aucun effet n’a été constaté selon les résultats du modèle appliqué.

               Conclusions et implications sur les politiques sociales

    Assurance sociale ou assistance sociale ?

Tout d’abord il faut noter que les analyses conduites dans le cadre de la présente recherche ont été réalisées avant la crise covid-19 qui a donné lieu à la refonte totale de la politique de protection sociale au Maroc. Les analyses conduites dans ce sens ont révélé la vulnérabilité des ménages marocains aux chocs. C’est ainsi que l’opération de transfert d’aide à la subsistance aux ménages ayant perdu leur source de revenus lors du confinement a révélé que les deux tiers des ménages marocains vivaient d’activités dans le secteur informel et donc n’avaient aucune espèce de protection sociale. (Voir à titre d’exemple, Ait-Mansour , 2021 et Ait Mansour et Benmouro, 2023).

Auparavant, les politiques économiques influencées par la pensée néolibérale mettaient davantage l’accent sur la croissance économique qui donnaient lieu dans les pays comme le Maroc à un double système : un système d'assurance sociale pour une minorité, en l'occurence les groupes sociaux qui bénéficient de l'assurance sociale en vertu de leur affiliation à l'administration publique ou aux entreprises du secteur privé; et l'assistance sociale qui concerne plutôt les catégories sociales classées comme "pauvre" ou "vulnérable" qui n'ont aucune couverture.. Ces différents types de politiques ont fait l’objet de discussion par plusieurs auteurs. Selon Spicker (2007)[37], la première répond aux risques prévisibles : maladie, chômage, handicap, etc. La mise en œuvre de politiques de protection sociale en Europe depuis la période post-guerre a maintenu la pauvreté au niveau strictement minimal dans les pays nordiques grâce à ces systèmes nationaux de protection universelle. On peut en déduire, qu’ils sont les plus efficaces dans la lutte contre la pauvreté. Ces systèmes sont fondés sur le principe de la protection sociale plutôt que sur l’aide aux pauvres. Par contre, selon Spicker, les politiques qui ciblent uniquement les pauvres laissent forcément certains groupes en marge des efforts nationaux de lutte contre la pauvreté, en raison d’erreurs d’inclusion et d’exclusion.

    Les implications de la présente recherche sur les politiques sociales au Maroc

En ce qui concerne les implications de la présente recherche sur les politiques sociales, il n’est pas évident de proposer de recommandations spécifiques et à direction unique. D’abord, la présente recherche a identifié trois différents groupes d’enfants qui vivent la pauvreté différemment : certains sont monétairement pauvres mais ne sont pas privés, certains sont privés, mais ne sont pas monétairement pauvres, tandis que d'autres sont à la fois pauvres monétairement et endurent la privation multiple. Il est également possible que le profil de ces groupes change radicalement si les définitions et les mesures de pauvreté appliquées changent. Dans ce cas de figure, si l’on applique une définition plus large portant sur la qualité de vie, la qualité de l’éducation, la santé dans son acception plus large, les services semi-publics tels que le transport, les infrastructures, la capacité de faire face aux catastrophes naturelles et bien d’autres dimensions, on se retrouverait certainement avec d’autres profils beaucoup plus marquants que ceux dressés selon les définitions utilisées par la présente recherche. En second lieu, il serait plus prudent d’accorder de la priorité aux politiques de protection sociale à caractère transformatif plutôt que celles de l’assistance sociale qui consistent plutôt à traiter les répercussions collatérales de la pauvreté. Toutefois, au regard de la nature basique des indicateurs utilisés par cette recherche, les formes de pauvreté identifiées nécessitent des actions potentielles que l’on pourrait approcher selon les différents groupes concernés.

Pour les enfants qui sont « pauvres monétaire», mais ne sont pas privés

Les enfants (et leurs familles) identifiés comme pauvres monétairement, mais ne sont pas privés auraient, en fait, vu leurs revenus/dépenses diminuer de manière spectaculaire au moment de l'enquête, mais les répercussions ne sont pas encore visibles au niveau des conditions de vie. S’ils persistent dans la pauvreté monétaire, ils deviendraient extrêmement pauvres à la fois en termes de ressources et de conditions de vie. Pour ce groupe, les interventions de type d’assistance sociale ne feraient pas d’effets notables. Par contre l’amélioration des ressources financières que ce soit par le biais du marché de travail ou par un système d’assurance qui assure un revenu minimal en cas de perte d’emploi ou de source de revenu régulière serait envisageable dans la mesure où ce groupe est  relativement réduit en termes d'effectifs et concernerait essentiellement les enfants urbains et qui vivent avec une femme chef de ménage.

Pour les enfants qui sont privés, mais ne sont pas pauvres monétairement

Ce groupe d'enfants et leurs familles auraient augmenté leur revenu/ressources au-dessus du seuil de pauvreté établi mais n’auraient pas encore pu améliorer leurs conditions de vie. Les politiques les mieux appropriées dans ce cas de figure seraient l’accès aux services et l’amélioration de conditions de vie à savoir le logement, l’éducation, les soins de santé, etc., notamment en milieu rural. Les programmes d’assistance sociale en cours ; comme « Tayssir » (transfert de cash conditionné par la scolarisation), le RAMED (régime d'assurance maladie, dissous en 2022 à juste titre et ses bénéficiaires versés automatiquement dans le régime d'assurance maladie obligatoire), ou encore l'INDH ne sauraient être suffisants dans la mesure où ces prestations sont essentiellement conçues pour cibler directement les groupes classés comme pauvres monétairement ou selon d’autres critères similaires utilisés localement (i.e. disposer d’un certificat d’indigence, etc.). En outre, les résultats de la présente recherche ont fait ressortir que les variables auxquelles la pauvreté des enfants est fortement associée sont de nature structurale. On relève notamment le niveau d’instruction des parents (capital scolaire) et le milieu de résidence (notamment le rural mal desservi dans tous les domaines) ainsi que certaines régions où les taux des différents types de pauvreté sont très élevés.

Les enfants « pauvres » dont les parents présentent les caractéristiques susmentionnées et bien d’autres seront évidemment pauvres pendant toute leur vie du moment que les caractéristiques étudiées montrent la nature précaire du « capital » transmissible d’une génération à une autre. Briser le cycle de pauvreté dans ces conditions serait une illusion.

Une politique sociale inclusive et solidaire qui fournit les mêmes prestations pour l’ensemble des marocains et marocaines serait la plus à même d’entrainer un changement social favorable au développement. En l’absence de politiques sociales inclusives, la reproduction intergénérationnelle de la pauvreté continuerait de sévir.

Pour les enfants qui sont à la fois pauvres et privés

Ce groupe d'enfants et leurs familles sont à la fois pauvres monétairement et endurent la privation multiple, ils vivent une forme extrême de la pauvreté. Ce groupe devrait, de toute évidence, être la première priorité de toute politique de lutte contre la pauvreté à la fois au niveau national et régional. Les programmes d’assistance sociale qui servent de mesures temporaires ne sauraient suffire pour faire face à ce type de pauvreté.

D'autres prérequis pour la mesure de la pauvreté des enfants

Comme il a été démontré dans cette recherche ; la mesure de la pauvreté fondée sur le critère monétaire est insuffisante pour identifier les enfants pauvres.

La conception de mesures officielles qui incluent à la fois les critères monétaires et non monétaires est essentielle. En outre, il est important de produire des estimations de la pauvreté des enfants séparément de celles des adultes. Cela permet de prendre la mesure des dimensions de pauvreté qui affectent les enfants qui sont souvent différentes de celles des adultes et de considérer les implications sur les politiques de protection sociale. En raison de l’absence de données spécifiques aux enfants, la présente recherche a construit un indice fondé essentiellement sur les caractéristiques des ménages. Certes, les caractéristiques des ménages se réfèrent à l’environnement dans lesquels vivent les enfants, et sont de ce fait importantes dans une étude sociologique de la pauvreté, mais ils ne sauraient être suffisantes. Afin de permettre une mesure plus appropriée de la pauvreté des enfants ; il est nécessaire de poursuivre les travaux de recherche à l’aide de construction d’indices variés de privation multiple et de pauvreté multidimensionnelle.

Enfin, bien que la présente recherche a exploré différentes mesures de la pauvreté de l’enfant de manière horizontale ; elle n'a pas exploré toutes les dimensions potentielles de la pauvreté des enfants. Des modules incluant les informations et les dimensions manquantes devraient être incorporés dans les enquêtes nationales afin de produire les données en mesure de faire avancer l’agenda de la recherche dans ce domaine. Dans ce sens des dimensions touchant la qualité de l’éducation, la santé et la nutrition, le temps des loisirs, la sécurité et la protection, entre autres, devraient être incorporées dans les enquêtes nationales afin de permettre leur inclusion dans les analyses de la pauvreté des enfants dans le futur.

Pour explorer plus en profondeur les dimensions de la pauvreté des enfants et en examiner davantage la pertinence ; des recherches qualitatives devraient être entreprises impliquant également des enfants. Les perspectives d’analyse à partir du paradigme qualitatif pourraient, soit inspirer les mesures quantitatives en vue d’adapter les définitions et les indicateurs en fonction des données empiriques collectées ; soit approfondir les résultats de celle-ci.

Les meilleures analyses sont celles construites selon des paradigmes de recherche multiples, en l’occurrence, celles qui mobilisent à la fois les méthodes qualitatives et quantitatives.

               Références bibliographiques

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           L’analyse de la relation entre la pauvreté et la dégradation de l'environnement :
une brève revue de littérature

Hicham Sadok*

               Résumé

Les changements climatiques sont certes un phénomène mondial causé essentiellement par l'ensauvagement du capital, mais ses effets néfastes sont plus durement ressentis par les populations fragiles. Ainsi, la pauvreté et la dégradation de l'environnement sont étroitement liées dans un cercle vicieux. D'une certaine manière, la pauvreté contribue à la dégradation en marche de l'environnement parce que les vulnérables n'ont pas les moyens de s'occuper convenablement de l'environnement, et la dégradation de l'environnement appauvrit gravement la vie de ces mêmes pauvres en annihilant leurs moyens de subsistance, leur revenu et leur santé. Sur la base de cette prémisse, ce papier tente d'examiner, abstraction faite de tous les autres facteurs dégradant fortement l’environnement, une partie de la littérature pour déterminer comment un environnement dégradé augmente la pauvreté, et comment la pauvreté contribue à détériorer à son tour l'environnement. Une meilleure compréhension de cette relation devrait conduire, inéluctablement, à des meilleures politiques publiques de lutte contre la pauvreté pour une meilleure préservation de l’environnement.

               Introduction

La dégradation de l'environnement constitue une menace pour les moyens de subsistance et le bien-être social, et tend à avoir un effet néfaste sur le développement économique des pays. La Banque mondiale estime que 100 millions de personnes dans le monde, principalement en Asie du Sud et en Afrique, risquent de retomber dans la pauvreté en raison de la dégradation de l'environnement dus aux effets du changement climatique en cours (Hallegatte et al, 2016 ; Baarsch et al, 2020). Les pays africains sont les plus touchés par ce phénomène en raison de leur vulnérabilité structurelle, et la faiblesse de leurs systèmes de production basés essentiellement sur l'agriculture de subsistance. La baisse des récoltes expose les ménages ruraux à l'insécurité alimentaire, à la pauvreté et au creusement des inégalités. Celle-ci est tributaire des aléas climatiques, des faibles rendements et de l'absence de stratégies d'adaptation adéquates.

Les risques associés à la dégradation de l'environnement conduisent à une augmentation de la pauvreté et placent les ménages vulnérables dans une sorte de trappe à pauvreté qui peut anéantir les efforts de développement. En Afrique, les variations de précipitations et de température induites par le changement climatique fragilisent les systèmes alimentaires et exposent en moyenne 30 millions de personnes à l'insécurité alimentaire (Epule et al, 2017). L'absence de mécanisme d'assurance pour se couvrir contre les risques limite la capacité des ménages à s'adapter à ces chocs environnementaux dus à ces changements climatiques.

Selon un rapport des Nations unies paru en octobre 2021, le climat de l’Afrique continuera à changer plus rapidement que dans la plupart des régions du monde. Au Maroc, ce changement se vit au quotidien. Il rime avec des températures dépondérées avec les saisons, des pluies irrégulières, tantôt faibles, tantôt abondantes. Les projections climatiques actuelles du GIEC estiment que d’ici 2050, le Maroc connaîtra une augmentation moyenne annuelle de sa température de +2.1°C, une véritable menace. Et les projections ne sont pas rassurantes concernant les impacts de ce changement sur l'évolution du bien-être et de la vulnérabilité au Maroc, dont l’économie a subi d’énorme pertes depuis les 4 dernières années. Exposée à une série de chocs dont les effets se cumulent, l’activité économique a brutalement ralenti. La croissance du PIB déflaté a chuté au premier trimestre de 2023 de 0,3 % par rapport à 2019. Les raisons de ce coup de frein, abstraction faite de la crise du Covid et de l’inflation, tiennent principalement aux conséquences de la sécheresse qui frappe le pays (la troisième au cours des quatre dernières années), entraînant une forte contraction du PIB agricole par rapport à 2019 qui représente 13% du PIB.

Les changements climatiques sont certes un phénomène mondial causé essentiellement par l'ensauvagement du capital, mais ses effets néfastes sont plus durement ressentis par les populations fragiles. Ils pèsent un risque sérieux pour la réduction de la pauvreté en menaçant de balayer plusieurs décennies d'efforts de développement en raison de leur forte dépendance à l'égard des ressources naturelles, ainsi que de leur capacité limitée à faire face à la variabilité climatique et aux phénomènes météorologiques extrêmes (Muller et al., 2011 ; Angelsen et Dokken, 2018).

Il est généralement admis que la pauvreté est perçue à la fois comme cause de dégradation de l’environnement et aussi son résultat (Scott, 2006). Sur la base de cette prémisse, ce papier essaie d'examiner, abstraction faite de tous les autres facteurs dégradant fortement l’environnement, une brève partie de la littérature pour déterminer comment un environnement changeant augmente ou diminue la pauvreté, ou comment le changement du niveau de la pauvreté endommage ou améliore l'environnement. Étant donné que les ressources de la nature constituent une source importante des revenus dans les pays en développement, en particulier pour la cohorte la plus pauvre, une meilleure compréhension de cette relation entre la pauvreté et la dégradation de l'environnement peut conduire à des meilleures politiques publiques de lutte contre la pauvreté pour une meilleure préservation de l’environnement.

       1- La pauvreté comme déterminant de dégradation de l'environnement

La dégradation de l’environnement correspond à une modification durable du climat au niveau planétaire. S’il peut être dû à des phénomènes naturels, tels que des variations de l’activité solaire par exemple, il résulte depuis le milieu du XIXe siècle d’une augmentation des concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, engendrée par les activités du système capitaliste dominant. Elle se manifeste au quotidien par l'épuisement des ressources telles que l'air, l'eau, le sol, la destruction des écosystèmes et l'extinction de la faune et la flore. Étant donné que cette dégradation apparaît souvent de pair avec une forte incidence sur la pauvreté, il serait tenté de conclure que les deux sont causalement liés (Banque mondiale, 2022). Dans la littérature sur le développement, il est explicitement indiqué que la pauvreté est une cause majeure des problèmes environnementaux et que son atténuation est une condition nécessaire et centrale de tout programme efficace pour faire face aux préoccupations environnementales (Abidoye et Odusola, 2015). Depuis le Plan d'action environnemental du NEPAD (2003), la pauvreté est identifiée comme une cause et conséquence de la dégradation environnementale et de l'épuisement des ressources. La condition de vie de la majorité des ruraux pauvres dans de nombreux pays en développement est un cercle vicieux entre la dégradation de l'environnement et la pauvreté. Cette dernière ne signifie pas simplement un manque de revenus ou de consommation. Elle se manifeste aussi par le manque de ressources productives suffisantes pour assurer des moyens de subsistance durables, et réduire et lutter contre la faim et la malnutrition, la mauvaise santé, l'accès limité ou inexistant à l'éducation et aux autres services de base, l'augmentation de la morbilidité et de la mortalité par maladie, le logement inadéquat, l'environnement dangereux, la discrimination et l'exclusion sociales (United Nations, 2019). En d'autres termes, la pauvreté peut être considérée comme des déficits individuels, des désavantages sociaux et le déni de droits spécifiques ou d'accès à des ressources minimales (Townsend, 2006).

Selon le seuil de pauvreté international de la Banque mondiale, 1,4 milliard de personnes vivent dans la pauvreté (Banque mondiale, 2022). Environ 26 % d'entre eux vivent dans des pays à faible revenu (Banque mondiale, 2022) ; et plus de 78 % des pauvres résident en zone rurale, alors que cette dernière représente 58 % du monde en développement. Divers aspects multidimensionnels de la pauvreté et de multiples formes de privation sont étroitement liés à la nature des services écosystémiques, à l'accès aux ressources offertes par la nature (Nations Unis, 2014). La qualité et la richesse de l'environnement local affectent les conditions de vie des pauvres, et leur pauvreté est souvent considérée comme un facteur contribuant à la dégradation de l'environnement local (Olinto et al, 2013). Dans certaines régions et écosystèmes fragiles, la lutte des pauvres pour la survie est une des causes non négligeables des problèmes environnementaux tels que la dégradation des sols, la déforestation et la désertification de leur milieu proche (Angelsen et Dokken, 2018). En effet, les pauvres n'ont pas d’autres alternatives ou accompagnement financier et économique décent pour qu’ils puissent renoncer à leur subsistance actuelle au profit de la préservation ou l’amélioration de la qualité de l'environnement. Les pauvres se trouvent donc forcés, ou impliqués malgré eux, dans la destruction de leur environnement immédiat pour leur survie, en surexploitant le pâturage, les forêts et les terres arables. L'effet cumulé de ces effets, susceptibles d’être engendrés par les 1,4 milliard de personnes vivant dans la pauvreté dans les régions et écosystèmes fragiles de la planète, et qu’il faut absolument faire sortir de la trappe de pauvreté, est d'une telle ampleur qu'il fait de la pauvreté de masse un péril mondial majeur pour l’environnement (Angelsen et Dokken, 2018). Cette relation entre la pauvreté et la dégradation de l'environnement est ancienne. Thomas Malthus a suggéré indirectement que les pauvres sont plus susceptibles de s'engager dans un comportement délétère pour l'environnement car ils ne peuvent penser au-delà du prochain repas (Gray et Moseley, 2005). La Commission mondiale sur l'environnement et le développement a souligné que la pauvreté était une menace majeure pour l'environnement mondial, et que la réduction de la pauvreté était un outil indispensable pour sauver l'environnement (World Commission on Environment and Development, 1987).

Dans cette relation entre la pauvreté et la détérioration de l’environnement, la dégradation des terres est un autre problème lancinant affectant environ 1,5 milliard de personnes les plus vulnérables, et un quart de la superficie des terres dans toutes les zones du monde (Lal et al, 2018). La dégradation des terres se manifeste sous forme d'épuisement des nutriments du sol, la salinisation, la pollution agrochimique, l'érosion des sols, la dégradation végétative résultant du surpâturage et la coupe des forêts pour les exploiter en terres agricoles (Lal et al, 2018). Cette dégradation des terres est un risque mondial grave et croissant qui entraîne des pertes de revenus pour la population la plus vulnérable. Elle lui fait perdre des moyens de subsistance locaux, l'insécurité alimentaire, le changement climatique et la perte de biodiversité dont elle jouissait et exploitait (Abidoye et Odusola, 2015). Ainsi, la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification (UNCCD) estime que la dégradation des terres affecte jusqu'à deux tiers des terres productives en Afrique (UNCCDE, 2013). Par conséquent, sur la superficie totale des terres en Afrique (2966 millions d'hectares), 494 millions d'hectares sont dégradés (UNCCDE, 2013).

La dégradation des terres constitue une grave menace pour la sécurité alimentaire mondiale, la disponibilité de l'eau, l'adaptation et l'atténuation du changement climatique et les moyens de subsistance de millions de personnes. Les liens entre la dégradation des terres et la pauvreté sont forts dans les zones rurales des pays à faible revenu où les moyens de subsistance dépendent principalement de l'agriculture (Muller et al, 2011). Elle conduit à une baisse de la productivité agricole, qui à son tour peut entraîner un appauvrissement supplémentaire. Titenberg (2014) affirme que l'érosion des sols est causée, en partie, lorsque les pauvres sont poussés à cultiver des terres fortement érodables pour tenter de survivre. Par manque de régulation foncière cohérente et d’alternative sérieuse de lutte contre la pauvreté, ce phénomène d’appauvrissement des sols peut être à la base de la dégradation des terres et des forêts couvrant 30 % des terres de la Terre. Or si cette conscience de lutte contre la pauvreté dans les régions rurales n’est pas implémentée comme esquisse de préservation de l’environnement, environ 13 millions d'hectares disparaitraient chaque année (Nations Unis, 2014). La dégradation des forêts reste un grave problème environnemental, social et économique. Lorsque les gens manquent de ressources financières et mesures d’accompagnement, ils n'ont d'autre choix que de se tourner vers l'utilisation non durable des forêts naturelles. Ainsi, des activités telles que l'agriculture et la production de charbon de bois entreprises par les vulnérables sont considérées, entre autres facteurs comme l’urbanisation, comme cruciales dans la déforestation et la dégradation des forêts. Plus de 70% de la population de l'Afrique dépend dans une large mesure des forêts et des terres boisées pour leur subsistance, et 60% de la demande énergétique de l'Afrique est satisfaite par les forêts (Banque mondiale, 2022). Ces faits indiquent que la pauvreté est l'une des principales causes de la dégradation des forêts et des terres boisées (Banque mondiale, 2022). Selon Titenberg (2014), la déforestation est causée en partie par la migration d'un nombre réduit de paysans sans terre vers les forêts, à la recherche d'un lopin de terre pour travailler. Aggrey et al (2010) ont également noté qu'il existe une relation positive entre les niveaux de pauvreté et le déboisement, ce qui suggère que la pauvreté est un déterminant majeur de la dégradation de l’environnement.

               2- La dégradation de l’environnement perpétue la pauvreté

Les ressources naturelles sont au cœur des moyens de subsistance et des stratégies d'adaptation des pauvres en fournissant de la nourriture, des aliments pour le bétail, des produits ménagers et des revenus. Or les pauvres sont les principales victimes de la dégradation de l’environnement. Ils sont souvent les plus touchés par l'eau insalubre, la pollution de l'air intérieur et l'exposition aux produits chimiques toxiques; et ils sont particulièrement vulnérables aux risques environnementaux (tels que les inondations, les sécheresses prolongées et les attaques de ravageurs des cultures) et aux conflits et aux maladies liés à l'environnement.

La pauvreté est de plus en plus causée par les pénuries environnementales de terres arables et d'eau, entraînant la perte de moyens de subsistance. Dans le rapport de la Banque mondiale, il a été indiqué que la richesse basée sur l'environnement représentait 25 % de la richesse totale dans les pays à faible revenu, 13 % dans les pays à revenu intermédiaire et seulement 3 % dans les pays de l'OCDE (Banque mondiale, 2022). La Banque mondiale a suggéré que plus d'un milliard de personnes dans le monde dépendent à des degrés divers des ressources environnementales et forestières pour leur subsistance (Vedeld et al, 2004).

La perte de terres agricoles potentielles et existantes à cause de la sécheresse, des inondations et de la dégradation des terres affecte de vastes pans de pauvres dans le monde, dont beaucoup dépendent de l'agriculture pour leurs moyens de subsistance et leur alimentation (Nations Unis, 2014). Les rendements des cultures en Afrique pourraient être divisés par deux d'ici 40 ans si la dégradation des terres cultivées se poursuit au rythme actuel (DFID, 2020). Un environnement dégradé affecte non seulement les revenus, mais aussi la santé de la génération actuelle et des générations futures qui dépendent de ces ressources et les expose davantage aux chocs environnementaux (DFID, 2020).

Les facteurs environnementaux sont responsables de près d'un quart de toutes les maladies dans les pays en développement (Angelsen et Dokken, 2018). Selon Prüss-Üstün et Corvalán (2018), les pays en développement supportent de manière disproportionnée la charge environnementale qui génère certains types de maladies : le nombre total d'années de vie en bonne santé perdues par habitant en raison de la charge environnementale par habitant est 15 fois plus élevé dans les pays en développement que dans les autres pays développés. Pearce (2016) a également signalé que 20 % de la perte totale d'espérance de vie dans les pays en développement sont attribuables à des causes environnementales. Les plus vulnérables vivent souvent sur des terres marginales, telles que des zones à forte pente, où ils sont plus exposés aux glissements de terrain et aux pertes de vie qui en résultent lors des tempêtes et des inondations. Des systèmes d'irrigation et d'approvisionnement en eau mal conçus, des logements inadéquats, une mauvaise évacuation des déchets et un mauvais stockage de l'eau, la déforestation et la perte de biodiversité, tous peuvent contribuer aux maladies à transmission vectorielle les plus courantes, notamment le paludisme, la dengue et la leishmaniose (Banque mondiale, 2022), plus susceptibles d'affecter les pauvres en raison non seulement de leur plus grande exposition, mais aussi parce qu'une mauvaise nutrition les rend plus vulnérables (Banque mondiale, 2022). Les infections respiratoires et les maladies diarrhéiques sont les deux principales causes de décès parmi les 20 % les plus pauvres de la population mondiale, classées en fonction du produit intérieur brut par habitant (UNCCD, 2013). Ainsi, le paludisme est le dixième tueur de la population pauvre dans le monde, responsable de 4 % des décès, et la pollution de l'air intérieur, causée par la fumée des poêles, cause environ 1,6 million de décès par an dans les pays en développement (Nations Unis, 2014). Dans l'ensemble, le fardeau des maladies environnementales impacte plus néfastement les pauvres. Une mauvaise santé, soudaine ou prolongée, entraîne souvent une spirale descendante de perte d'actifs et d'appauvrissement : lorsqu'une personne pauvre ou socialement vulnérable tombe malade ou se blesse, l'ensemble du ménage peut être piégé dans une spirale descendante de perte de revenus et de coûts de soins de santé élevés.

               Conclusion

La pauvreté et la dégradation de l'environnement sont étroitement liées dans un cercle vicieux. D'une certaine manière, la pauvreté aggrave la dégradation en marche de l'environnement par parce que les vulnérables n'ont pas les moyens de s'occuper convenablement de l'environnement puisqu'ils n'ont pas d'autre alternative que de le consommer d’une manière non soutenable pour répondre à leurs besoins urgent de la vie. Leur pauvreté les rend asservis aux besoins actuels au détriment des besoins futurs. En revanche, la dégradation de l'environnement appauvrit gravement la vie de ces mêmes pauvres en annihilant leurs moyens de subsistance, leur revenu et leur santé. Vivre dans un environnement dégradé rend le pauvre encore plus vulnérable aux risques économiques et sanitaires. Plus largement, il devient urgent de sortir du modèle de croissance tirée par la consommation et d’une économie extractive fondée sur le consumérisme, pour donner enfin la priorité à la sobriété, la réduction de la pauvreté et des inégalités

Généralement, et sur la base des résultats de l'analyse de cette brève revue de littérature, un environnement dégradé exacerbe les conditions de pauvreté. Par conséquent, l’aide à sa préservation contribue notoirement, non seulement à la pérennité des écosystèmes, mais aussi à réduire la pauvreté.

               Bibliographie

  1. Aggrey N, Wambugu S, Karugia J, Wanga E. An investigation of the povertyenvironmental degradation nexus: A case study of Katonga Basin in Uganda. Research Journal of Environmental and Earth Sciences. 2010;2(2):82-88.
  2. Baarsch, F., Granadillos, J. R., Hare, W., Knaus, M., Krapp, M., Schaeffer, M., & Lotze-Campen, H. (2020). The impact of climate change on incomes and convergence in Africa. World Development, 126, 104699. https://doi.org/10.1016/j.worlddev.2019.104699
  3. DFID. Achieving Sustainability: Poverty Elimination and the Environment. Strategies for Achieving the International Development Targets. DFID Plans; 2020
  4. Gray LC, Moseley WG. A geographical perspective on poverty-environment interactions. The Geographical Journal.2005;171:9-23
  5. Hallegatte, S., & Rozenberg, J. (2017). Climate change through a poverty lens. Nature Climate Change, 7(4), 250-256. https://doi.org/10.1038/nclimate3253
  6. Lal R, Safriel U, Boer B. Zero net land degradation: A new sustainable development goal for Rio+ 20. [A report prepared for the Secretariat of the United Nations Convention to Combat Desertification]; 2018.
  7. New Partnership for Africa’s Development (NEPAD). Action Plan of the Environment Initiative of the New Partnership for Africa’s Development; 2003.
  8. Olinto P, Beegle K, Sobrado C, and Uematsu H. The state of the poor: Where are the poor, where is extreme poverty harder to end, and what is the current profile of the World’s poor? 2013. Available:www.worldbank.org/economic
  9. Pearce DW. Investing in Environmental Wealth for Poverty Reduction: Report prepared for the Poverty-Environment Partnership; 2016.
  10. Prüss-Üstün A, Corvalán C. Preventing disease through healthy environments: Towards an estimate of the environmental burden of disease. Geneva: World Health Organization; 2018.
  11. Scott L. Chronic poverty and the environment: A vulnerability perspective. CPRC Working Paper 62; 2006.
  12. Titenberg T. Environmental Economics. Fifth edition; 2014.
  13. United Nations (UN). Rethinking Poverty: Report on the World Social Situation 2010. Department of Economic and Social Affairs, New York
  14. United Nations Development Program (UNDP). Environmental Justice: Comparative Experiences in Legal Empowerment; 2014.
  15. UNCCDE. Background document: The economics of desertification, Land Degradation and Drought: Methodologies and Analysis for Decision-Making. Bonn, Germany, United Nations Convention to Combat Desertification; 2013.
  16. World Bank. Linking poverty reduction and environmental management: Policy challenges and opportunities; 2022.
  17. World Commission on Environment and Development. Our common future. The World Commission on Environment and Development’s Report. Oxford University Press, Oxford; 1987

            


[1] IL s’agit du numéro 11 , volume XVI , Novembre/décembre 2018.

[2] Notons qu’il est urgent, pour le Maroc, d’améliorer le système statistique national sur le plan social, la dimension économique étant mieux établie, pour pousser et affiner la réflexion. Il faudrait également pousser à plus de transparence des données en termes d’accessibilité et de définition pour permettre le développement d’une recherche académique sur les conditions de vie de la population. Les statistiques devraient davantage être utilisées comme un bien public et mises au service des individus. Il est question ici de construction de savoirs nouveaux mais aussi, et surtout, de construction d’un Etat démocratique : dépasser l’utilisation des données sociales que fait un pouvoir politique pour préserver son image ou ses intérêts, pour en faire des données au service de l’action politique.

[3] Il faut ici signaler que la production de l’inégalité et de l’exclusion n’est pas uniquement le fait des politiques publiques et de l’Etat central. Les stratégies de classes sociales disposant de revenus substantiels en matière de ségrégation spatiale ou de sélection des établissements scolaires peuvent accentuer les inégalités. 

[4]  Il prendra fin le 1er mars 2023.

[5]  Quelques informations :

  •  Dans un rapport de juin 2021 du groupe de travail sur les systèmes de santé de la Chambre des Représentants, il a été estimé qu’environ 7000 médecins quitteront le Maroc dans les deux années suivantes (https://www.chambredesrepresentants.ma/fr/actualites/la-chambre-des-representants-tient-une-seance-pleniere-pour-la-presentation-et-la?sref=item2682-133078)
  •  Selon le ministère de l’inclusion économique, de la petite entreprise, de l’emploi et des compétences, près de 27000 Marocains ont quitté le pays en 2022 en utilisant les circuits officiels.
  •  Selon la 7éme édition du rapport annuel du baromètre arabe sur la migration publiée en août 2022 (échantillon de 23000 personnes dans 10 pays de la région MENA), 34% des Marocains souhaitent émigrer (40% d’entre eux ont un diplôme universitaire et 32% possèdent un diplôme d’études secondaires au moins).

[6]  La masse de liquidité et son augmentation continue peut également être un indicateur de ce mouvement vers l’informalisation de l’économie. Le volume d'argent liquide en circulation à la fin de 2019 a atteint 250 milliards de Dh et a augmenté de 50 milliards de Dh en 2020. La banque centrale estime que s’agissant du besoin de liquidité des banques, il se creuserait à 85,1 milliards de dirhams en moyenne hebdomadaire à fin 2022 et à 89,6 milliards à fin 2023 (Rapport sur la politique monétaire, n˚64/2022).

[7]  Un registre social unifié a été décidé après de nombreuses années de discussions avec la Banque Mondiale.

https://documents1.worldbank.org/curated/en/783081468053674329/pdf/AAA650ESW0P1120H0PRINTSHOP0VERSION.pdf
https://projects.banquemondiale.org/fr/projects-operations/project-detail/P155198?lang=fr

   La mise en place de ce RSU a été accélérée après la pandémie suite au discours royal prononcé lors de la fête du trône en 2020 : https://www.rsu.ma/web/guest/accueil

   Quelques articles explicatifs :

[8]  The+Size+and+Development+of+the+Shadow+Economy+in+Morocco.pdf

[9]  https://www.hcp.ma/downloads/?tag=Enqu%C3%AAte+nationale+sur+le+secteur+informel

[10] Un des indicateurs de cette défiance est le taux de participation électorale qui est assez bas depuis plusieurs années (en 2011, il est de 45%, en 2016 de 43%). L’exception des élections législatives de septembre 2021 a été longuement commentée, étant donné le contexte de forte circulation d’argent pendant les campagnes des candidats et d’organisation des scrutins communaux et régionaux en même temps que les législatives : le taux de participation a atteint 50,18% de votants.

[11] Il est à noter ici que la question de la disponibilité de l’eau, et en général de la préservation de l’environnement, même si son rôle dans le développement économique est encore volontairement sous-estimé par la classe politique, est cruciale pour le futur du pays. Il est fort probable que l’augmentation des prix des produits agricoles est aussi liée à l’augmentation du coût de l’eau. La situation est actuellement déjà grave en termes de disponibilité de cette denrée même si le ministère de tutelle est discret sur le sujet. Si les petits paysans subissent violemment les effets de la sécheresse, les exploitants agricoles capitalistes trouvent toujours des solutions pour augmenter leurs marges, avec le soutien actif de l’administration et conformément aux orientations libérales du gouvernement. Par exemple, le mouvement de « migration » des grands exploitants agricoles capitalistes du Souss vers le Gharb a été constaté après l’épuisement des nappes phréatiques surexploitées et ce, sans remise en cause des pratiques agricoles qui ont mené à la désertification. Un mouvement inverse est en cours depuis la mise en fonction de l’usine de dessalement de Chtouka en janvier 2022. La disponibilité de l’eau sera sans aucun doute prochainement un indicateur de poids révélateur de l’aggravation des inégalités sociales et un catalyseur des révoltes sociales à venir. La relation entre pauvreté et disponibilité de l’eau au Maroc reste à analyser finement pour éviter que la situation ne vire au désastre.

[12]  Au détour des vifs échanges du Haut-Commissaire au Plan et du Gouverneur de la Banque Centrale auxquels sont habitués les observateurs.

[13] https://www.hcp.ma/Les-resultats-de-l-enquete-de-conjoncture-aupres-des-menages-premier-trimestre-de-l-annee-2023_a3697.html

[14] https://documents1.worldbank.org/curated/en/099337102132324304/pdf/ IDU0b65b92ce0ee6e04aac0af020c702ce303424.pdf

https://www.hcp.ma/Evolution-du-niveau-de-vie-des-menages-et-impact-de-la-pandemie-COVID-19-sur-les-inegalites-sociales_a2676.html
https://www.hcp.ma/Evolution-des-inegalites-sociales-dans-un-contexte-marque-par-les-effets-de-la-COVID-19-et-de-la-hausse-des-prix_a3588.html

[15] Premier passage auprès de 2329 ménages du 14 au 23 avril 2020.

    Deuxième passage auprès de 2169 ménages du 15 au 24 juin 2020.

    Troisième passage auprès de 12 000 ménages du 07 octobre 2021 au 07 février 2022.

[16] S’agissant d’opérations mathématiques avant tout, la signification des données produites par milieu de vie urbain et rural est à relativiser.

[17] - Ajzen, I. (1985). From intentions to actions: A theory of planned behavior. In J. Kuhi & J.Beckmann (Eds.), Action control: From cognition to behavior (pp. 11-39). Heidelberg:Springer.

 - Ajzen, I. (1991). The theory of planned behaviour. Organisation behavior and human decision processes, 50, 179-271.

 - Angus, Deaton. (1992). Understanding consumption, Oxford University Press, Oxford, hard cover, pp. 240.

- Crozier M., Friedberg E., L’acteur et le système, Editions du Seuil, 1977.

- Hajraoui, K., Chalabi, H. (2021). The impact of the lockdown due to the pandemic sars-cov2 on consumer behavior and food store attendance in morocco. Revue D’Etudes en Management et Finance D’Organisation N°12 Janvier 2021.

- Khairi, O., Mnajli, F. E., Bennani, M., & Bensassi Nour, H. (2021). L’évolution des comportements d’achat à l’ère du COVID19 : cas du Maroc. International Journal of Accounting, Finance, Auditing, Management and Economics, 2(6), 120- 139.

- Langlois, Simon. (2002). Nouvelles orientations en sociologie de la consommation, CAIRN, Presses Universitaires de France, vol 52.

- Solomon, M.R. (1996). Consumer Behaviour: Buying, Having and Being, 3rd Ed., New Jersey: Prentice Hall.

[18] Le développement des centres commerciaux et des enseignes de grande distribution est un indice important de l’évolution des pratiques de consommation mais l’irruption fracassante des marques de luxe l’est encore plus. Les conditions de vie de la population de la classe aisée sont mal connues mais il est très probable au regard des enseignes de luxe installées au Maroc que leur commerce se porte bien. La dernière en date est la maison Balenciaga qui s’est installée en octobre 2022 à Casablanca. Selon l’étude réalisée par Mastercard Economics Institute publiée en janvier 2023, le Maroc est classé premier parmi les marchés du Moyen-Orient et de l’Afrique, en termes de dépense dans l’acquisition des biens et produits de luxe : entre 2019 et 2022, le Royaume a atteint un score de croissance de 71%, suivi par Madagascar (70%), la Jordanie (60 %), le Sénégal (55%), le Kenya (39%) et la Zambie (34%).

[19] A lui seul, ce sujet mériterait une réflexion approfondie tant le lien entre les personnes et les nouvelles technologies est déterminant dans l’évolution des sociétés.

[20] La situation de la femme active est inquiétante : le taux d’activité des femmes ne cesse de baisser passant de 25,9% en 2010 à 19,9% en 2020.

[21]  Voir par exemple: Gordon, D; Nandy, N; Pantazis, C & Pemberton, S (2010), Measuring Child Poverty and Deprivation, Working Paper: Townsend Centre for International Poverty Research, University of Bristol et Alkire, S and Roche, J M. (2011, July). Beyond Headcount: Measures that Reflect rhe Breadth and Components of Child Poverty. OPHI Working Papers Series, N° 45. Oxford : University Of Oxford.

[22]  Devillis, R. F. (1991). Scale Development, Theory and Application, Applied Social Research Methods, Vol26. California: Sage Publications.

[23]  Bland, J M & Altman, D. (1997). Statistics Notes: Cronbach's Alpha. British Medical Journal, pp. 314-572.

[24]  Gordon, D. (2002), The International Measurement of Poverty and anti-poverty policies, in Townsend, P & Gordon, D (eds). (2002). World Poverty, New Policies to defeat the Enemy. Bristol: The Policy Press.

[25]  Ce test statistique consiste à évaluer le risque d’occurrence d’un événement (dans ce cas être pauvre ou privé d’un bien ou un service). Le risque est calculé par la division de la probabilité de l’occurrence de l’événement par la probabilité de la non-occurrence de l’événement étudié. Si la valeur du test est supérieure à 1 l’événement en question est très probable, si la valeur est inférieure à 1, l’événement est très peu probable. Field, A. (2005). Discovering Statistics Using SPSS. London: Sage Publications.p.739).

[26] DeVillis, R F, (1991), Scale Development, Theory and Applications, Op.cit. p.25.

[27]  Cronbach, L. J. (1951). Coefficient Alpha and the Internal Structure of Tests. Psychometrika, 16, pp. 297-334.

[28]  Bland, J M & Altman, D. (1997). Statistics Notes: Cronbach's Alpha. Op.cit.

[29]  Gramines, E & Zeller, R in Lewis-Beck, M (ed). (1994). Basic Measurement. London: Sage Publications.p.41

[30] Par un cout élevé, les auteurs font certainement référence au fait qu’obtenir une inter- corrélation assez élevée entre les indicateurs composant un indice implique un certain nombre de critères qui ne sont pas toujours réunis, à savoir un questionnaire d’enquête conçu de manière parfaite, un échantillon hautement représentatif, des données de très grande qualité, etc.

[31] Gordon, D. (2006) ‘The concept and measurement of poverty’. Op.cit.

[32] Atkinson, A. (2003). Multidimensional Deprivation: Contrasting Social Welfare and Counting Approaches. Journal of Economic Inequality, 1:51-65.

[33] De Neubourg, C, De Millian, M, et Plavgo, I (2014), Lost (in) Dimensions. Op.cit.

[34] La régression logistique est un modèle d’analyse multivariée qui s’applique à des variables expliquées de nature binaire ou ordinale (i.e., pauvre= 1, non pauvre=0). Son application dans ce contexte permettra d’identifier l’ampleur du risque d’exposition à la pauvreté (en termes de probabilité) par rapport à chaque variable explicative, en tenant compte de l’effet des autres variables introduite dans le model. Pour chaque variable explicative dans le modèle, la fonction de régression logistique estime la valeur du coefficient associé à la dite variable. Autrement dit, en tenant compte des informations contenues dans les variables explicatives, le modèle estime quelle modalité de la variable expliquée (la pauvreté dans ce cas) est plus probable que l’autre (pauvre ou non pauvre).

[35]               Whelan, C T. Layte, R and Maître, B. (2004). Understanding the Mismatch between income poverty and deprivation: A Dynamic Comparative Analysis. Op.cit. p.287

[36]               Gordon, D & Spicker, P. (Eds). (1999). the International Glossary on Poverty.Op.cit, p.33.

[37]               Spicker, P. (2007). The Idea of Poverty. Op.cit. pp.135-141

* Université Mohammed V de Rabat

icker, P. (Eds). (1999). the International Glossary on Poverty.Op.cit, p.33.

[37]               Spicker, P. (2007). The Idea of Poverty. Op.cit. pp.135-141

* Université Mohammed V de Rabat

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