Abdelmoughit Benmessaoud Trédano,
Directeur de la Revue
Mot du directeur
Une revue pourquoi faire ?
Depuis au moins deux décennies les systèmes de représentation connaissent une crise sans précédent aussi bien dans les pays à ancrage démocratique que ceux aspirant à un régime pluraliste fondé sur une véritable participation des citoyens dans les affaires publiques.
Si au Nord développé et démocratique, la crise porte plus sur le sens de l’engagement politique, dans les pays en voie de développement la question est d’une toute autre nature ; c’est celle de l’installation d’un système de représentation réelle.
Au Maroc, nous vivons pratiquement une situation similaire ; c’est par rapport à cette conjoncture politique et au système politique dans son ensemble que la réflexion doit être conduite ; elle doit s’articuler autour d’un certain nombre de questions devenues lancinantes.
Le système politique marocain peut-il être soumis à l’analyse suivant les canons des systèmes démocratiques occidentaux ?
Le système politique marocain considéré comme sui generis doit-il plutôt exiger la confection de nouveaux concepts et notions devant donner des grilles de lecture qui lui sont adaptées ?
Dans le même sillage, des notions telles que le consensus, le clivage gauche/ droite et le rôle de la société civile qui sont souvent utilisées et sollicitées dans la gestion du politique au Maroc … appellent aussi une réflexion appropriée.
Le cataclysme électoral de septembre 2007, ne peut laisser les analystes et les observateurs indifférents ; cette échéance a été le dernier révélateur d’une crise du politique marquée entre autres par la désaffection des citoyens de la chose publique. *Il s’agit de l’avant – propos du N°1 de notre revue qui constitue une sorte de ligne éditoriale de cette publication.
Le taux de participation extrêmement faible est, à lui seul, largement édifiant et significatif ; en effet, le fait que 80% des citoyens en âge de voter (entre non-inscrits, bulletins nuls, abstentions) qui ne sont pas sentis concernés par cette opération électorale, interpelle tout observateur. C’est une condamnation sans appel du politique et de ses acteurs.
Dans cette situation d’extrême gravité y a t-il encore intérêt à écrire sur le politique ? C’est justement parce c’est gravissime que l’analyse s’impose sur les causes et les pistes probables d’un dépassement de la crise.
Une revue pourquoi faire ?
Il y a plus vingt ans de cela, un journaliste, fin connaisseur de la question politique au Maroc, disait que c’est le politique qui a besoin d’un programme d’ajustement structurel.
Les différentes publications assurées par le CRESS et la création de cette revue s’inscrivent dans une démarche de compréhension de ce cataclysme politique et des voies devant opérer une profonde mutation du politique, de la culture politique et de l’articulation des différents pouvoirs au Maroc.
Les partis politiques de l’ex-opposition peuvent-ils encore prétendre jouer un rôle prépondérant dans l’encadrement des citoyens et la revivification d’un politique décrédibilisé et peu mobilisateur ?
La nouvelle gauche peut-elle jouer le rôle d’un acteur de sensibilisation pour la réhabilitation du politique, la redéfinition du rôle, de la fonction des acteurs et de la nécessaire mise en place d’une nouvelle articulation des pouvoirs dans l’ensemble du champ politique au Maroc ?
Quel rôle la mouvance islamiste devrait-elle jouer dans un paysage politique à reconstruire ? L’islamisme politique est-il soluble dans un système démocratique ?
Peut-on encore espérer faire évoluer le politique au Maroc et opérer sa profonde mutation sans que l’autonomie des institutions et des individus ne soit assurée ?
Par ailleurs, dans l’étape politique actuelle il n’est pas du tout inutile de chercher à comprendre les clivages politiques et idéologiques qui prévalent aujourd’hui et ceux de demain. La compréhension d’un tel aspect de la question politique marocaine pourrait contribuer à faire évoluer la réflexion sur la nature des réformes à préconiser par les acteurs politiques et les types d’alliances à créer dans l’échiquier politique au Maroc.
On peut, d’ores et déjà, sur la base des différentes littératures politiques, de la pratique politique ancienne et récente et de la situation qui prévaut aujourd’hui au Maroc, conduire une réflexion devant aider à la clarification des rapports qui se nouent et se dénouent au sein des forces politiques, notamment celles de l’ancienne et la nouvelle gauche et entre ces dernières et le pouvoir politique.
Le marqueur politique et idéologique que devrait connaître ce champ, dans un futur rapproché, ne peut, suivant certains analystes, être qu’entre les forces politiques et sociales conservatrices et traditionalistes d’une part et des forces, en gestation, porteuses d’idée du progrès, de la démocratie et de modernité d’autre part.
Les mêmes analystes considèrent que cela passe par de grandes transformations sociales, politiques et culturelles. Et seule une certaine élite peut porter un tel projet ; une masse critique des différentes élites autour de ce qu’on peut appeler des convergences d’idées est plus que nécessaire. Une élite autonome, audacieuse voire téméraire a un rôle déterminant à jouer dans cette phase historique particulière du Maroc.
C’est ce que soutient un certain nombre d’analystes et d’observateurs de la chose politique pour qu’une véritable réhabilitation de ce même politique soit réalisée ; c’est la condition sine qua none pour opérer une véritable mutation au niveau culturel et mental devant justement opérer un réel changement quant aux rapports de forces entre les deux grands pôles politico–idéologiques.
Un volontarisme politique exprimé et assumé par tous les acteurs politiques et qui devrait se traduire par un véritable aggiornamento est devenu une nécessité plus qu’impérative. Cela devrait s’inscrire dans une perspective de faire du politique un facteur déterminant dans les transformations sociales et économiques du pays.
C’est autour de l’ensemble de ces interrogations, de ces notions et des ces préoccupations que la réflexion doit être menée. Ce support a été créé pour essayer de contribuer à l’éclairage nécessaire sur un système politique devenu énigmatique et hostile à toute analyse rationnelle.
La mobilisation d’une quarantaine d’enseignants, de chercheurs et de doctorants appartenant à 7 universités marocaines a été justement conduite pour relever ce défi ; il est immense mais pas inaccessible ;
Par un travail d’accumulation, les initiateurs de ce projet comptent, avec le temps, apporter leur pierre à la mise en place d’un arsenal conceptuel devant aider à l’appréhension et la compréhension du politique, des ses acteurs et de leurs rapports respectifs.
Sans se départir de l’analyse scientifique et académique, mais sans tomber dans un académisme froid, stérile et insipide, les initiateurs de cette publication entendent marquer leur écrit par une certaine approche alliant la rigueur du chercheur et la dimension éthique du citoyen impliqué dans les affaires de la cité.
A ces questions, et bien d’autres, la présente revue cherche à apporter un certain éclairage et, pourquoi pas, un début de réponse devant satisfaire la curiosité des citoyens, des étudiants, des chercheurs et de tous ceux que la chose publique n’indiffère pas.
Janvier 2011